Chapitre 3 (2/2)

Le baron Lorek se dirigeait vers le salon royal quand un page l'intercepta. Peinant à reprendre son souffle, l'homme lui dit d'une voix pressante :

— Messire, Sa Majesté vous fait mander de toute urgence.

— Où se trouve-t-Elle ?

— Aux cachots, messire. Vous pouvez me suivre.

Évidemment, Jarle devait être en train de procéder à l'Extraction.

Il lui emboîta le pas. Ils empruntaient un escalier menant aux geôles quand le baron se figea. Il ressentait un fort potentiel magique, bien au-delà de celui des captifs habituels. Il se hâta derechef, se demandant s'il était en lien avec sa convocation. Arrivé aux geôles, le page le conduisit jusqu'à une petite pièce, où les bourreaux menaient la question. Son monarque l'attendait. Il inclina brièvement la tête, mais eut le temps de voir le visage livide de Jarle.

— Elle est vivante, déclara Jarle.

— Plaît-il ?

— Miana. La princesse. Mes hommes l'ont amenée. Je l'ai vue ce matin.

Lorek se figea, abasourdi.

— Après si longtemps ! Ne l'ont-ils pas exécutée ?

— Ils n'avaient pas connaissance de son identité. Elle a été arrêtée. Pour usage de magie.

Le baron se tut. Se pouvait-il qu'elle correspondît à la puissance qu'il avait ressentie ?

— Ainsi, elle a hérité des pouvoirs de son père, murmura-t-il prudemment. Puis-je estimer sa magie ?

— Suivez-moi.

— Avez-vous eu d'autres informations ?

— Elle a rompu un couvre-feu et pris la fuite, avant d'utiliser sa magie. Je viens d'envoyer des hommes approfondir l'enquête à Vorne, la ville sudiste où elle vivait.

— Que prévoyez-vous ?

— Avant toute chose, je dois l'interroger afin de fixer ce qu'elle sait sur la Révolte et notre implication. Venez avec moi, vous pourrez l'évaluer. Je ne veux cependant pas qu'elle vous aperçoive. Si je lui donne ma confiance, vous la rencontrerez alors.

Le baron acquiesça. Les deux hommes se dirigèrent vers la pièce où était restée enfermée Mia. Jarle entra, tandis que Lorek restait à distance, dans le couloir.

— J'ai des questions à te poser, déclara Jarle. Tu seras libre de faire de même, toi aussi. Où as-tu vécu ces dix dernières années ?

Mia ressentit la forte défiance du monarque à son égard. Elle ne devait pas mentir encore. Il pouvait très bien connaître les réponses et vouloir s'assurer de son honnêteté.

— À Vorne, dans le Sud-Est, Sire. J'ai été élevée par les gérants d'une auberge, Au Joyeux Ménestrel, qui m'ont trouvée dans une barque, dérivant sur le fleuve. J'imagine que vous avez déjà ces informations sur moi. Vous savez que je dis la vérité, Sire.

Cela correspondait aux informations données par le garde, se rassura Jarle. Elles étaient même plus complètes. Mais pourquoi n'avait-elle pas été ramenée au château ? Les tenanciers auraient dû faire le lien entre la fillette recueillie et la princesse, bien que Vorne fût loin d'Oriem !

Il décida de changer d'angle d'attaque et de se renseigner sur un fait tout aussi important.

— Te souviens-tu de la Révolte ?

— Je n'en ai que des visions confuses, révéla Mia. Je vois mon père me porter, alors que nous fuyions. Il nous fait emprunter un souterrain et... il est tué par un homme. Un soldat.

À l'entente de ces mots, Jarle s'était tendu, mais Mia ne s'en rendit pas compte, plongée dans ses maigres souvenirs. Le monarque se reprit.

— Il est temps que tu saches ce qui est arrivé cette nuit-là, Miana. Depuis quelques temps, les tensions entre les mages et le peuple s'attisaient. Certains groupes ont commencé à vouloir plus de puissance, et ont peu à peu rallié leurs semblables aux revendications qu'ils clamaient à travers tout Irlondor. Ton père n'a pas voulu prendre de mesures quand les premiers rapports alarmants ont été reçus, il était magnanime et préférait la discussion. Malheureusement, le château fut violemment attaqué un soir par ces mages. Certains avaient infiltré la garde du palais, pendant que le reste des troupes d'Oriem étaient mobilisées dans une offensive au sud de la ville. Ce n'était qu'une diversion. Après une nuit d'une violente bataille, nous avons réussi à les vaincre, et à réduire à néant cette tentative de coup d'État. Ton père a hélas été tué, mais toi, par je ne sais quel miracle, tu t'es enfuie.

— Comment avez-vous survécu ?

— J'étais dans la bibliothèque au moment de l'attaque. J'avais avec moi quelques hommes fidèles, qui ont pu m'exfiltrer. Passé le deuil, il m'a fallu agir. Il fut convenu que les mages seraient traqués par la Timor, et arrêtés.

— Que deviennent-ils ? ne put s'empêcher de demander Mia.

— Je suis désolé de ce que tu as pu vivre ou voir ces derniers jours, parmi eux. Ils sont emmenés ici pour être purgés. Leur magie est extraite, les empêchant de nuire comme ils l'ont fait par le passé.

— Mais que leur arrive-t-il ensuite ?

— Ils peuvent jurer fidélité à la couronne, et avoir la vie sauve. Dans le cas contraire... Tu te doutes qu'ils représentent un danger. Chaque jour, dans notre royaume, des attaques et pillages sont perpétrés par les mages. Ils ont le choix de leur destinée, ce qui est, au vu de leurs actes, une grande clémence de notre part. Comprends-tu à présent pourquoi l'Extraction a lieu ? Elle étouffe toute nouvelle tentative de rébellion, comme cette tragique Révolte, qui m'a privé de mon frère jumeau et toi, de ton père.

Mia resta muette. Perdue, elle ne savait que penser. Elle était cependant certaine d'une chose : elle n'était pas tirée d'affaire. Elle était une mage, et ce simple fait la rendait condamnable.

— Je ne comprends même pas comment je peux avoir ce pouvoir en moi...

— La magie peut être héréditaire.

— Mais mon père n'était pas...

— Il n'était pas un mage à proprement parler, mais il avait des rudiments de magie, tout comme moi. Notre père nous avait envoyés dans une communauté de mages, en gage de diplomatie, quand nous étions adolescents. Nous avons étudié, vécu avec eux, et rétabli des relations correctes, ce qui était inespéré face aux guerres passées. Mais c'était bien sûr avant qu'ils n'aient envie de pouvoir. Nous n'avons pas été considérés comme mages. J'étais de la famille royale, et je n'avais pas ce don comme toi, ni cette précocité. Quoi qu'il en soit, Martian t'a très probablement transmis ses pouvoirs. Depuis quand utilises-tu la magie ?

— Je n'ai fait usage de magie qu'une seule fois. Pour aider un ami. Mais je ne fais pas partie des rebelles...

— J'aimerais te croire, Miana. Mais il faudra que j'en apprenne plus à ton sujet pour te faire confiance.

Jarle se mit à faire les cent pas, dans un silence que nul n'osa troubler.

Après tant d'années, la soudaine apparition de Mia bouleversait toutes ses prévisions. Elle lui faisait remonter un flot de souvenirs, de son frère Martian en particulier. Mais il ne ressentait aucun remord. Il avait fait ce qu'il devait faire, et ne le regrettait pas. C'était comme si Mia était morte avec son père, il y a dix ans. Il ne pensait pas la retrouver. Plus maintenant. Mais il s'était trompé. La jeune fille, fut-elle sa nièce, pouvait signer sa perte. Ses réflexions furent interrompues quand une voix claqua dans son esprit.

Elle est puissante, affirma Lorek. J'ai senti un fort potentiel. Que comptez-vous faire ?

Elle représente trop de risque. L'héritière légitime du trône. Elle n'en a pas conscience, mais je ne peux pas lui faire confiance. Il y a trop de troubles dans son passé.

Certes, mais sa magie représente un atout colossal. L'éliminer serait le gâcher.

Je le sais bien. Mais elle a été arrêtée pour rébellion. Elle ne se laissera pas utiliser. Si j'ai bien une certitude à son propos, c'est son caractère, qu'elle s'est forgé ces dernières années.

Me pensez-vous incapable de le briser, Sire ? répliqua le baron, une pointe d'ironie dans la voix.

Non. Je crois en vos... méthodes. Néanmoins, il m'est difficile d'estimer ce qu'elle sait exactement de la Révolte.

Ce que vous lui avez dit est tout à fait crédible. Elle ne m'a pas semblé remettre en doute votre récit. N'oubliez pas que vous représentez le dernier membre de sa famille. Elle est étrangère à son nouvel environnement, et vous accordera plus facilement sa confiance.

Elle pourrait être reconnue dans le palais.

Dix ans ont passé. Vous avez reconnu votre nièce, mais il n'en sera pas de même pour les domestiques qui, si mes souvenirs sont exacts, ont tous été choisis avec soin après la Révolte. J'ai bien conscience que cela reste une crainte légitime. Si vous le souhaitez, je peux lui enseigner sur mes terres.

Nous commencerons ici, trancha le monarque. Si elle ne nous donne pas satisfaction, vous aurez carte blanche.

Mia, le regard fixé sur Jarle, avait remarqué ce moment d'absence, mais elle ne se douta pas de la conversation muette qui s'était déroulée, scellant son sort. Jarle se tourna vers elle, et la jeune fille retint son souffle.

— Je t'accorde le bénéfice du doute, Miana. Néanmoins, tu t'en doutes sûrement, tu ne peux rester avec ta magie indomptée. Tu l'as utilisée sans le vouloir, sans pouvoir la contrôler, et cela risque de se réitérer. Avant qu'elle ne devienne dangereuse pour toi, il faut que tu apprennes à la maîtriser, et pour cela, je peux t'aider.

Mia était indécise. Elle avait besoin de réfléchir plus longuement, mais elle était consciente de la chance qui lui avait été offerte.

— J'ai besoin d'une preuve de ta bonne foi, et un assentiment serait tout indiqué, insista Jarle.

— J'accepte.

— Tu as fait le bon choix. Je t'en remercie.

Que ce serait-il passé si j'avais refusé ? ne put s'empêcher de se questionner Mia. Elle réprima cependant cette pensée. Il était son oncle, pas un soldat cruel, mais sa froideur la laissait perplexe.

Ses chaînes furent ôtées, et Jarle lui demanda de le suivre. Ils parcoururent les couloirs du château où se mêlaient tableaux, sculptures et dorures, qui firent remonter à Mia une vague de souvenirs. Les domestiques croisés s'inclinaient précipitamment devant le roi, mais lançaient des regards étonnés à Mia. Enfin, ils parvinrent devant une porte. Jarle lui fit signe d'entrer dans la chambre. Aussi luxueuse que le reste du château, elle était en tout point opposée à celle qu'elle habitait à Vorne. Un lit massif trônait au centre, tandis que de lourds rideaux filtraient la lumière du jour.

— Ce sera ta chambre, déclara Jarle. Je te laisse te reposer, je viendrai te voir demain matin, et ton enseignement débutera. Une domestique te sera assignée, elle t'apportera à manger, ainsi que des vêtements propres.

Il lui pressa l'épaule. Au contact de sa main, Mia ressentit une étrange sensation. Ses membres semblèrent se glacer, comme engourdis. Elle frissonna et réprima un soupir de soulagement quand son oncle la lâcha. Jarle ne vit pas le changement d'expression sur le visage de sa nièce. Il sortit de la pièce après lui avoir souhaité une bonne nuit.

Mia s'allongea sur le lit. Elle n'avait pas dormi dans une bonne literie depuis de nombreuses années. Elle aurait pu s'endormir instantanément, mais elle restait désorientée à cause de ce qu'elle avait ressenti. Elle s'efforça de refouler toutes les craintes qui lui venaient à l'esprit.

Il lui fallait absolument du repos, avant de pouvoir évaluer sa situation avec du recul.

Pleine d'incertitudes, elle finit par s'endormir.

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Mia s'est mieux sortie de cette situation qu'on pouvait le penser ^^

Trouvez-vous les explications de Jarle crédibles ? D'ailleurs, que pensez-vous de lui ? Et du baron Lorek, qui vient de faire son apparition dans ce chapitre ? 

Quant à Mia, elle a quelques doutes sur Jarle, mais l'avenir dira s'ils se concrétisent...

Merci d'avoir lu !

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