Chapitre 27 (Partie 1/2)


Le lendemain de la mort de l'émissaire, Lorek fit quérir Mia dans la matinée. Les cernes bleutés sous les yeux de la jeune fille lui indiquèrent qu'elle n'avait pas dormi suite au meurtre. Elle n'en serait que plus facile à manipuler. En effet, le renégat s'était décidé à révéler à Mia une partie de son plan. Après avoir éliminé le Timorien, il devait continuer.

Il désigna l'épée, posée sur son réceptacle, qui avait immédiatement attiré le regard de Mia.

— Tu t'es peut-être demandé pourquoi je te l'ai présentée hier. Comme je te l'ai dit, c'était pour te récompenser. Mais j'avais une autre raison. Elle te permettra de reprendre ce qui te revient de droit à celui qui t'a spoliée de ton héritage.

Il fallut quelques instants pour que Mia comprenne la teneur de ses mots.

— Jarle ? Mais il est votre allié !

— Il n'a pas ton immense potentiel. Jarle n'est que faiblesse et arrogance. Il m'est impossible de me fier à lui quand le pouvoir retourne ses pensées et l'empêche de voir ce que les autres lui ont offert. Il est temps qu'il s'en souvienne. Et j'ai besoin de voir si je peux enfin compter sur toi pour endosser ton rôle et te faire justice.

— Il paiera de sa vie le meurtre de Laria et de mon père, se jura Mia.

Elle ne pensait plus aux traitements que lui avait fait subir le baron. Seule subsistait la promesse d'une vengeance si souvent rêvée, que Lorek lui offrait.

— Nous partirons pour Oriem d'ici deux semaines. Je veux que Jarle te voie docile, apprivoisée. Alors, il ne se méfiera pas, et nous frapperons. Ce n'est qu'une question de jours avant qu'il ne soit plus qu'un souvenir.

***

Mia se releva une énième fois et ramassa l'épée de son père, tombée dans sa chute.

Le mage l'entraînait depuis maintenant une semaine au combat, mais ses compétences d'épéiste restaient médiocres. Elle avait à peine pu aborder la canalisation avec Elihan et Ewann, et encore moins l'art du combat. Les seules armes qu'elle savait manier étaient les lames, comme celles que Nataniel utilisait. Sa seule chance de vaincre Jarle serait d'utiliser sa magie, supérieure à celle de son oncle d'après le renégat. Ainsi, il lui apprit à la parceller, pour qu'elle soit canalisée dans son épée, mais encore présente en quantité suffisante pour former un faisceau de magie pure. Si cette double attaque fonctionnait, Jarle serait trop sonné pour se défendre. Elle n'aurait qu'à l'achever.

Le trajet vers Oriem sembla ne durer que quelques minutes pour Mia, tant sa perception du temps était altérée par les évènements qui s'annonçaient. Le baron, Mia et une dizaine de ses hommes pénétrèrent à Oriem, apprenant le risque prochain d'une attaque de mages. Les visages de Pierrick, Ewann et Elihan s'imposèrent à l'esprit de Mia, mais ils lui semblaient lointains, comme s'ils faisaient partie d'une autre vie, d'une autre réalité.

Ils furent escortés par les Timoriens jusqu'au château royal, où Jarle venait d'être prévenu de leur arrivée. Cependant, le monarque ne les reçut pas dans le salon. Peut-être était-il rempli de nobles, effrayés à l'idée que les mages puissent se frayer un chemin jusqu'au cœur d'Oriem. Mia reconnut les couloirs qu'elle parcourait si souvent dans ses rêves, à la suite de son père la nuit de la Révolte. Ils se rendaient dans la bibliothèque.

Le moment que tu attends approche, déclara mentalement le renégat à Mia. Tu n'auras pas le droit à l'erreur, ni à la faiblesse. N'oublie pas, il doit croire sa victoire acquise. Ne le fais pas douter. Soumets-toi, et sa chute n'en sera que plus grande.

Mia acquiesça, déterminée. Elle garda la tête basse, son regard au sol, légèrement voûtée. La même attitude que le baron lui avait instillée envers lui-même... Mia chassa cette pensée dérangeante. Lorek lui offrait la vengeance qu'elle avait tant désirée. Elle devait la mener à son terme.

Quand ils entrèrent dans la vaste pièce, le baron s'agenouilla, et Mia fit de même.

— Ah, baron. J'ai craint que mon messager ne vous soit pas parvenu. La nouvelle lune était hier.

— Veuillez m'excusez, Sire. Le pauvre homme a développé une maladie. Il était plus mort que vivant à son arrivée. Nous sommes partis dès que nous avons pris connaissance de votre appel.

— Votre climat n'est pas fait pour tous, je le crains, déplora Jarle avec un soupir. Mais il semblerait qu'il a permis d'apprivoiser la rebelle que nous avions connue.

Mia frissonna, alors que les pas de son oncle se rapprochaient d'elle. Un mélange de peur, mais surtout de rage contenue et de fébrilité. Le baron se releva, et elle allait l'imiter, mais une main se posa fermement sur son épaule pour la clouer au sol.

— Tu as enfin compris où se trouvait ta place.

Face à son silence, il lui prit le menton, pour river son regard aux yeux émeraude de Mia. La jeune fille s'efforça de faire disparaître toute étincelle de haine à la vue de ce visage honni.

— T'a-t-il ôté la langue ? s'amusa-t-il.

— Non, Sire, murmura Mia.

— Bien. Ce sont des résultats spectaculaires, baron. J'ose espérer qu'ils perdureront. Une chambre vous sera préparée pour la nuit. Demain, nous déciderons de la meilleure façon d'employer ce potentiel. Comme vous le savez, les mages se sont crus capables de s'en prendre à Oriem, le joyau d'Irlondor. Je me réjouis à l'avance de voir leur réaction, quand ils seront annihilés par Miana.

Mia se figea, glacée jusqu'au fond de son être. Par pitié, que le baron décide de tuer Jarle avant qu'il ne m'ordonne d'affronter mes anciens compagnons ! Jamais je ne le pourrais...

Le soir même, Mia aurait voulu demander au baron quand il comptait passer à l'offensive, mais elle craignait sa réaction. Il saurait pourquoi elle le demanderait... Et il pourrait être tenté de laisser du temps juste pour voir jusqu'où elle serait prête à aller.

Elle passa encore une nuit privée de sommeil. Le lendemain, Jarle exigea de voir les progrès que Mia avait eus dans sa maîtrise magique. Sur qui allait-il la faire utiliser sa magie ? Des mages prisonniers, si les convois les acheminant avaient continué ? A l'aube, Mia était déjà levée, faisant les cent pas dans la chambre lugubre qui lui avait été assignée. Soudain, la porte s'ouvrit, et le baron entra. Mia sut à son regard que quelque chose venait de se passer.

— Des mages ont réussi à pénétrer les défenses d'Oriem. Tu dois vaincre Jarle avant qu'ils ne s'en chargent. Sa mort doit être ton œuvre. Personne ne t'en empêchera.

Malgré son ton impassible, Mia voyait à son front plissé que le baron était contrarié. Il aurait voulu bénéficier de plus de temps. Mais l'intrusion des mages l'en avait privé.

La porte s'ouvrit à la volée, pour laisser passer deux Timoriens.

— Des mages sont entrés par les cuisines, annonça l'un d'eux. Son Altesse va être évacuée, et vous avec.

— Où se trouve-t-Elle ?

— Dans le salon, son escorte va arriver sous peu.

— Parfait.

Le soldat allait ajouter quelque chose, mais il n'en eut pas le temps. Un puissant faisceau de magie pure l'atteignit en plein poitrine, et son compagnon subit le même sort avant qu'il n'ait pu dégainer son arme.

Le renégat échangea un regard avec Mia. Il ouvrit le coffre qui avait été déposée dans la chambre à leur arrivée, révélant l'épée d'Irlondor.

— Prends-la. Ton heure est venue.

Ils traversèrent le château à toute allure. Mia réalisa que son avenir allait se jouer à l'issue de la confrontation seulement quand la porte s'ouvrit. Elle avait atteint le point de non-retour. Jarle ne pouvait en ressortir vivant, et ce serait à elle de s'en assurer. Une flamme de détermination dans les yeux, sa main serra la garde de l'épée. Ils entrèrent dans le salon.

Jarle faisait les cent pas, dos à eux. À ses pieds reposait letapis, qui cachait la trappe menant à la crique, par laquelle Mia s'étaitéchappée lors de la Révolte. Alerté par les bruits de pas, il se retourna et Mia eut la satisfaction de voir l'inquiétude transparaître sur ses traits. Il allait prendre la parole quand son regard glissa vers l'épée, et plus particulièrement sur les lettres entrelacées formant le nom de Martian.

— L'épée ? Elle était censée être détruite ! s'offusqua-t-il. Pourquoi est-elle en sa possession ?

— Pour reprendre ce qui me revient de droit, rétorqua Mia.

Durant un instant, Jarle sembla contenir un rire sardonique. Mais le ton de Mia, incisif, était à mille lieues de l'attitude soumise qu'elle avait arborée la veille. Il se tourna vers le baron, mais aucune réponse ne vint la contredire. Alors, la panique sembla prendre possession de son être à la place de la rage, presque aussitôt remplacée par un autre sentiment. La peur. Il dégaina son épée d'un geste ample, prêt à attaquer le premier.

— Tu n'as aucune chance de me vaincre ! Tu as choisi le mauvais allié.

Il fondit sur elle, tel un rapace vers sa proie. Proie qui esquiva l'attaque et fendit l'air en réponse. Leurs lames se croisèrent dans un tintement métallique, chacun luttant pour repousser celle de l'autre. La force de son oncle étant supérieure à la sienne, Mia fit un bond en arrière, mais ne put éviter le tranchant qui lui entailla profondément le poignet. Malgré la brûlure dans son avant-bras, elle érigea son bouclier pour profiter de quelques instants de répit.

N'oublie pas, canalise ta magie dans l'épée. Imagine qu'elle ne fait qu'un avec ton bras, fit la voix du baron dans son esprit.

Mia s'efforça de mettre en œuvre les instructions du mage, de projeter sa magie vers sa main et au-delà, et vit avec soulagement que sa lame était maintenant entourée d'un faisceau.

Laisse-le se fatiguer. Défends-toi, pour attaquer quand il te jugera trop faible.

La jeune fille se contenta d'esquiver les assauts, mais leur férocité rendait sa tâche difficile. Ses bras devenus trop faibles, elle ne para plus les attaques de son oncle, et bien qu'elle eût canalisé sa magie dans l'épée de son père, elle ne parvenait à l'utiliser. Trop lourde, elle ne rendait son épuisement que plus rapide. Le souffle court, elle échappa de justesse à un coup d'estoc vers son torse en faisant rempart de son bouclier.

Le renégat sembla se rendre compte de la mauvaise posture dans laquelle se trouvait son élève. Il avait espéré qu'elle parviendrait à mettre en pratique la double offensive qu'ils avaient travaillée, mais il allait devoir entrer dans l'affrontement pour rééquilibrer les chances.

Son bouclier magique érigé en une fraction de seconde, il bondit pour faire obstacle à la lame de Jarle, qui fondait droit vers la gorge de Mia. Si Jarle avait paru soulagé en voyant la fatigue de Mia, le fait de voir le renégat se joindre à elle ébranla son assurance. Jouant le tout pour le tout, il projeta un faisceau de magie pure qui atteignit Mia en pleine poitrine. La jeune mage, sonnée, s'écroula à terre dans un cri.

— Tu n'apprends jamais, regretta le baron. Tu viens de t'épuiser pour rien, et sur la mauvaise cible.

— J'aurais dû me douter que vous ne seriez qu'un traître ! Un tourne-casaque envers les mages, puis envers moi !

Les deux hommes se précipitèrent l'un vers l'autre. L'avantage du combat revint aussitôt vers le renégat. Son bouclier qui, contrairement à celui plus sommaire de Mia, entourait tout son corps, empêchait chaque offensive de Jarle de l'atteindre. Il ne vacillait pas, comme invincible.

Mia avait l'impression de revivre la scène du combat entre son père et le soldat. Elle venait de se redresser, encore étourdie par le choc, quand la voix du renégat se fraya un passage dans son esprit embrumé : il profitait d'un instant de répit entre deux offensives pour lui transmettre un message.

Je vais avoir besoin de toi. Projette-lui un faisceau de magie pure, quand je te le dirai. Il ne pourra l'éviter.

Mia inspira profondément, et rassembla les forces qu'il lui restait. Sa magie émergea en direction de ses paumes. Elle n'eut guère longtemps à attendre. Le mage se déplaçait lentement, et Jarle n'avait d'autre choix que de s'accorder à lui. Il se retrouva dos à Mia.

Maintenant !

Aussitôt, Mia libéra le puissant faisceau de magie pure, qui atteignit son oncle entre les omoplates. Comme Mia précédemment, Jarle s'écroula à terre et son épée valsa à quelques mètres sous le choc. Le souffle court, il se retourna, mais ne put se relever. La lame de Mia, pointée vers sa gorge, menaçait de le transpercer au moindre mouvement.

— Pourquoi ? murmura-t-il au baron, une expression de terreur pure sur son visage. Vous m'avez appris, vous...

— Tu te souviens de moi comme ton maître, maintenant ? C'est trop tard. Tu as oublié ta position, et je te la rappelle. Quant à Miana... Ne penses-tu pas que l'enfant de la prophétie est promis à un plus grand avenir qu'un simple monarque ? Tu as été aveugle, imbu de toi et de ton pouvoir.

Jarle se figea. Il ne parvenait plus à faire le moindre mouvement. Le mage se tourna vers sa disciple.

— L'enfant de la prophétie devait se lier à moi !

— C'est ce que tu croyais. Mais jamais la prophétie ne t'a concerné ! Fais-le, Miana.

Il était à terre. Faible. Prêt à subir sa vengeance. Mais les mains de Mia tremblaient si violemment que sa lame s'abaissa. Le visage du jeune soldat qu'elle avait tué se superposait à celui de son oncle, lui empêchant toute prise de décision. Mais elle devait le faire. Il avait ordonné la mort de Laria, de son père... Elle n'avait jamais autant haï quelqu'un que lui.

— Miana, je te fais confiance. Tu sais tout ce qu'il a fait. En plus d'avoir faire vivre la tyrannie à tout un royaume, il a voulu te briser et t'asservir. Il a tué ton père avec sa propre lame, a fait de toi une orpheline.

— Je... C'était un Timorien...

Le renégat riva son regard au sien, et comprit à son air ébahi qu'elle était sincère.

— Tu ne sais pas ! s'exclama-t-il avec stupeur. À ton avis, qui a porté le coup de grâce à Martian ? Qui ?

— Un soldat, répéta Mia, comme pour se convaincre.

— Tu te trompes. Tu t'es caché la vérité, mais je la connais. Rends-toi dans ton esprit, et visualise ce souvenir. Dans son intégralité.

Mia obéit, plongea dans son esprit. Tremblante, elle resta figée un instant, à observer la rivière miroitante. Elle inspira profondément dans le but de calmer son angoisse. Elle se devait de se contrôler, de visionner ce souvenir, jusqu'à la fin. Un kaléidoscope d'images scintillantes se forma devant ses yeux. Une chambre apparut. Une enfant endormie dans un lit, puis son père entrant en trombe pour l'emmener. Mia ferma les yeux, en proie au plus grand doute.

Résiste, se répéta-t-elle comme une litanie, pour se donner du courage.

Arrête de baisser les bras, de détourner le regard.

Les paroles de Pierrick revenaient en boucle dans sa tête. Son père était mort pour elle. Elle devait rétablir la vérité, rien que pour honorer son sacrifice. Elle rouvrit les yeux.

Les voix n'étaient plus étouffées. Parfaitement intelligibles. Mais brutales. Emplies d'une peur viscérale. De même, les scènes étaient nettes, comme dans les cauchemars qui entaient ses nuits. Elle apercevait les fossettes qui creusaient le visage de son père, ses yeux vert émeraude. Ils descendirent dans la crique, furent surpris par le Timorien.

Mia, comme pétrifiée, ne put empêcher les larmes de se frayer un chemin sur son visage quand le combat s'engagea. Cette fois, elle ne détourna pas les yeux. Elle ne pouvait s'en détacher. Elle n'en avait jamais été aussi proche. Elle aperçut les signes de fatigue de son père : le front luisant, le souffle court, les mouvements moins précis. Quand l'épée du Timorien lui entailla l'épaule, puis la cuisse, dénuées de protection, elle poussa un cri de concert avec le sien. Quand l'attaque suivant lui déchira le flanc, elle eut l'impression de sentir la même douleur aigue, la mort qui s'approchait pour l'étreindre. Mia tomba à genoux en même temps que Martian. Elle s'accrocha à lui, et lui murmura ce qu'elle aurait voulu lui dire plus souvent.

Je t'aime, père.

Martian, à demi-conscient, s'écroula. Alors, Mia sut que le moment crucial arrivé. La vérité qui lui avait été dissimulée. Son père et l'assassin échangèrent un regard. Martian, frappé de stupeur face aux yeux bleutés qui le fixaient, rassembla ses dernières forces pour parler.

Jarle. Mon frère.

Le murmure était tenu, mais il n'y avait aucun doute. La lame plongea droit vers son cœur, étouffant pour toujours les autres mots qu'il aurait voulu prononcer.

Ainsi, le renégat avait raison.

Ainsi, Jarle était l'assassin de son père.

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Merci d'avoir lu ! 

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