Chapitre 24 (Partie 2/2)

Bien plus que la douleur martelant ses tempes, ce fut la souffrance diffuse dans ses bras qui fit reprendre connaissance à Mia. Elle étouffa un gémissement. Ses muscles semblaient être en feu, ses tendons prêts à se rompre, et ses épaules non loin de se disloquer sous l'effort. D'épais bracelets de métal avaient été fixés à ses poignets pour supporter le poids de son corps, suspendu au-dessus du sol par de lourdes chaînes.

Seule la pointe de ses pieds touchait le sol, une position qui lui fut impossible de tenir plus de quelques dizaines de minutes. Mais si elle relâchait ses appuis, la tension décuplait dans ses épaules, qui devaient supporter le poids de son propre corps.

Au fil des minutes, ses membres s'engourdirent, puis la douleur fusa. Ses muscles la tiraillaient, la brûlaient, la torturaient. Son corps suintant de sueur, elle ne pouvait s'empêcher de pousser des plaintes sourdes, dans un état de semi-conscience. Elle ne sentait presque plus ses bras, à part une brûlure lancinante qui les consumait. Ses poignets étaient eux-aussi meurtris par les chaînes, qui aggravaient les plaies déjà présentes. Des perles de sang tombaient sur le sol dans un bruit régulier, qui s'ajouta à la torture.

Elle devait à tout prix aller dans son esprit, afin d'échapper à la souffrance. Il lui fallut quelques tentatives avant d'y accéder. La lande sablonneuse, l'eau miroitante, le soleil réconfortant, apparurent. Mia se laissa tomber dans le sable qui, bien qu'il ne fut qu'illusion, sembla réchauffer son cœur, soulager son corps. Elle ferma les yeux, juste un instant. La tentation était trop forte, malgré le risque que son stratagème soit découvert.

Une voix résonna en elle, comme portée par mille échos. Mia réintégra brutalement son corps. Elle ouvrit les yeux et vit le baron devant elle. Il avait empoigné ses cheveux pour lui relever la tête et la regarder dans les yeux. Mia ne put retenir un gémissement quand la douleur s'infiltra de nouveau dans chaque parcelle de son corps.

— Pensais-tu que je ne comprendrais pas ? Croyais-tu pouvoir échapper à ta sanction ?

Il gifla sa captive, qui restait muette.

— Si ta souffrance est si forte, tu n'as qu'un mot à dire, et tout sera terminé. Sinon, tu l'affronteras sans te dérober.

Il se pencha à son oreille, dans un murmure presque compatissant.

— Un seul mot, et tout s'arrête. Penses-y.

Voyant que Mia gardait obstinément le silence, il secoua la tête.

— Hissez-là plus haut, ordonna-t-il à ses hommes.

Il quitta ensuite la pièce sans se retourner, sourd aux cris et gémissements qui résonnèrent dans la salle de torture dès son départ.

***

Mia tint bon un jour de plus. Ses épaules s'étaient déboîtées sous la traction nouvelle des chaînes, la faisant s'évanouir. À son réveil, la douleur était infinie. Elle ne contrôlait plus son corps, agité de tremblements, couvert de bile ou d'urine. Sa respiration était erratique sous les vagues successives de douleur. Elle étouffa des plaintes sourdes. Elle n'avait même pas la force de relever la tête. Les larmes abondaient de ses yeux et lui brouillaient la vue. Elle ne réfléchissait plus. Elle ne pensait plus. Elle flottait, alternant les phases de conscience ou de néant.

Malgré l'avertissement du baron, elle tenta de retourner dans son esprit. La plus infime seconde lui aurait procuré une pointe de réconfort parmi ce désert de douleur. Elle réussit à s'y rendre après maints échecs, tant elle était faible et incapable de se concentrer. Il lui avait fallu toute la volonté à laquelle elle s'accrochait, et le souvenir des conseils d'Elihan lors des leçons de contrôle, pour y parvenir.

Elle devait tenir. Elle s'était livrée pour sauver les mages, et pensait aussi suivre les dires de la mystérieuse prophétie. Mais elle ne voyait pas d'issue à sa situation. Elle savait que sa résistance s'amenuisait petit à petit. Si le renégat la gardait en vie, même en dépit de sa tentative d'assassinat, c'est qu'il espérait toujours la rallier à lui. Et alors, elle servirait ses plans, et causerait la chute des mages...

Il n'existait plus qu'une seule façon de contrer cette sinistre prédiction. Et Mia avait laissé filer une occasion... Y'en aurait-il une autre ? Elle pensa aux mages qui lui avaient fait confiance. Aux mages qu'elle décevrait. Pierrick, Ewann, Elihan.

Je suis désolée... Je n'étais pas assez forte...

Tu devais nous sauver !

Mia ouvrit les yeux, et avisa la rivière sablonneuse. Elle était encore dans son esprit. Mais elle n'était pas seule. La silhouette d'Ewann venait d'apparaître.

Tu étais désignée par la prophétie. La mort n'est pas un choix pour les élus. Elle n'appartient qu'aux faibles et lâches. Tu dois embrasser la voie qui t'est offerte.

Mia secoua la tête, heurtée par ces mots, mais déjà Ewann disparaissait, remplacé par Pierrick.

Ne me déçois pas. J'ai tant sacrifié, pour toi. Tu m'es redevable.

Mia n'avait jamais connu une telle dureté dans la voix de son mentor. A l'évocation du sacrifice, une voix féminine que Mia redoutait résonna.

Tu n'auras pas la paix dans la mort. Tu dois finir ce que tu as commencé. Sinon, je te hanterai.

Laria... Mais la jeune femme n'était pas celle que Mia avait connue. Sur son visage blafard s'étendait un sourire grotesque, et ses yeux ne portaient qu'un lourd reproche teinté de menace. La plaie à sa gorge suintait, comme lors de sa mort.

Mia ferma les yeux. Mais les paroles continuaient. Elle entendit la voix d'Elihan se mêlant aux spectres de ceux qu'elle avait connus.

Accepte son enseignement. C'est le seul choix qu'il te reste.

Mia plaqua ses mains aux oreilles, mais les voix persistaient, toujours plus fortes. Elles psalmodiaient, l'accusaient de lâcheté, la pressaient d'accepter. Accepter quoi ? L'enseignement du renégat... L'unique solution.

Mia comprit.

— Laissez-moi ! Sortez de mon esprit !

Ils ne viendront jamais te sauver. Tu es seule. Moi seul peux t'aider.

Elle hurla sans discontinuer, jusqu'à ce que sa voix ne soit plus qu'un cri rauque. Alors, elle sentit comme une présence se désolidariser de son esprit. Les échos se turent, et le silence régna, seulement troublé par sa respiration erratique et ses gémissements.

Quand le renégat revint et avisa son état, il sut qu'il était proche de son but. Mia avait percé son influence à jour, mais cela l'avait d'autant plus affaiblie. Sur un signe de sa part, les chaînes furent descendues. Il avait besoin que Mia soit assez consciente pour la suite. Il attendit quelques minutes que la jeune fille reprit ses esprits. Recroquevillée au sol, son regard vide reprit peu à peu un brin de lucidité.

— Je te repose la question. As-tu quelque chose à me dire ?

Agacé par son silence, il dirigea sa magie vers son corps. Les voies respiratoires de Mia se bloquèrent soudainement. Les yeux écarquillés, la jeune fille chercha désespérément de l'air. Son visage prit une teinte bleutée. Juste avant qu'elle ne s'évanouisse, le renégat relâcha la pression. Mia aspira une grande goulée d'air, haletante.

— Toujours rien ?

Il fallut encore trois répétitions avant qu'elle ne finisse par céder. De ses lèvres desséchées s'échappa son premier mot, plus bas qu'un murmure.

— Pitié...

— Je n'ai pas entendu, répliqua Lorek.

Il rejouait la même scène que lors de la tentative de meurtre avortée de Mia, impitoyable. Mais cette fois, la mage était entravée, sans aucune arme, brisée. Il avait enfin réussi.

— Pitié.

— Enfin, tu te montres raisonnable... Il était temps. Mais je veux être sûr que tu es sincère.

Mia subit une dernière suffocation, avant que tout soit enfin fini.

Deux soldats entrèrent et lui enlevèrent les chaînes, mais cela lui causa une telle douleur qu'elle sombra à nouveau. Elle fut transportée dans une petite chambre dans l'aile est de la demeure. En elle, la flamme de révolte s'était éteinte. Elle ne ressentait même plus de haine. Juste du soulagement, de savoir que la douleur allait enfin s'arrêter. Une petite voix lui murmura que si elle avait obéi plus tôt, rien de tout cela ne serait arrivé. Elle n'eut pas la force de la chasser. Epuisée, percluse d'une souffrance lancinante, elle perdit connaissance.

Mia ne reprit conscience que deux jours plus tard. Elle voulut se mouvoir, mais ses muscles endoloris protestèrent avec véhémence. Elle ne put qu'attendre, impuissante, que le renégat fasse son apparition. Le baron entra seul dans la chambre et s'approcha d'elle. Quelques jours plus tôt, Mia lui aurait fait payer cette imprudence, mais désormais, elle n'en avait plus la volonté, ni la force. Les tortures récentes se rappelaient à elle dans ses membres meurtris, sa voix enrouée à force d'avoir hurlé, son esprit fébrile et affaibli. Elle ne voulait plus jamais revivre cela.

— Sois sûre qu'à la moindre incartade, ma clémence ne tiendra plus. Tu retrouveras les geôles, mais ce que tu as vécu dernièrement paraîtra minime par rapport à ce que je te ferai subir. Est-ce bien compris ?

— Oui, souffla Mia.

— Le respect est de mise aussi, cingla-t-il. N'oublie pas à qui tu t'adresses.

— Oui, baron.

— Maître.

— Oui, Maitre.

Lorek sortit de la pièce, non sans dissimuler un sourire satisfait. Cela avait pris du temps, mais la jeune fille avait fini par ployer. Maintenant que sa résistance avait été brisée, il allait pouvoir lui faire exercer sa magie, et ses pouvoirs croîtraient sans limite. Mais il devrait conserver sa méfiance, car il n'était pas dit que Mia ne tenterait plus aucun coup d'éclat. Elle restait un risque mortel qu'il prenait, mais qui pouvait lui apporter bien plus que ce que Jarle avait pu lui promettre. 

*** 

À la tombée du jour, Lorek fit mander Adelm. Il avait enfin réussi à soumettre la princesse, mais il lui restait une discussion à avoir avec son disciple, qu'il ne devait pas repousser. Le jeune homme entra dans le salon, le regard baissé, et inclina légèrement la tête pour saluer son maitre.

— Adelm. Comment te portes-tu ?

— Bien, Maitre.

— Ce laquais que Jarle et son commandant t'ont assigné n'a pas posé de problème ?

Adelm repensa aux questions que lui avait posées Nataniel. Il était certain que Nataniel cherchait à lui soutirer des informations. Cependant, s'il le dénonçait, le Timorien n'hésiterait pas à révéler ses hésitations dans les camps en retour...Et alors, son Maitre le punirait. Ce qui n'était pas arrivé depuis plusieurs années.

— Non, Maitre.

— Tu as hésité.

— J'ai repensé à notre mission, mentit Adelm. Il n'était pas informé de son rôle exact, donc il m'a questionné, mais sans exagération.

— Bien. J'ai remarqué que tu étais parfois pensif, ces derniers temps. Je ne te le demanderai qu'une fois. Qu'est-ce qui te tracasse ?

Adelm se mordit la lèvre. Il craignait la réaction du baron, mais ne voyait pas comment éviter de lui répondre.

— Vous ai-je déçu, Maitre ? finit-il par lâcher.

— Parle pleinement, Adelm.

— Je... La prisonnière... Elle a des capacités magiques plus importantes que toutes celles que j'ai évaluées récemment. Et pourtant, elle est en vie. Vous ne l'épargneriez pas sans raison. Voulez-vous... me remplacer ? Etes-vous mécontent de moi ?

— Aucunement, Adelm. Tu es bien plus que tout ce que j'avais pu imaginer. La présence de Miana sert un but, mais elle n'est pas là pour te remplacer. Tu resteras toujours à mes côtés, tout comme elle, si elle parvient à s'en montrer digne.

— Merci, Maître. Pardonnez ma réaction.

Adelm s'inclina et s'apprêtait à partir, quand le baron le retient d'un geste.

— N'as-tu ressenti que sa magie ? Est-ce la seule raison qui t'a poussé à te rendre aux cachots ?

Le regard de son disciple était comme de coutume rivé au sol, mais Lorek le vit tressaillir. Il resta silencieux quelques secondes. Lorek ne le pressa pas. Il savait qu'il répondrait.

— Non, Maitre. Il y avait comme un lien. Comme si... sa présence m'attirait.

Lorek sourit, alors qu'en son for intérieur, une euphorie grisante tourbillonnait.

— Bien. Tu peux partir.

Le baron resta plongé dans ses pensées de longues minutes. Il ne s'était pas trompé. Il disposait de tous les atouts. Il était temps de prendre des risques. 

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Vous attendiez-vous à un tel coup d'éclat de la part de Mia ? 

Elle en paye cependant les conséquences... Que pensez-vous qu'il va se passer par la suite ? 

Des idées sur les machinations du baron et sur le personnage d'Adelm ? 

Merci d'avoir lu ! 

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