Chapitre 22 (Partie 2/2)

La première chose que Mia perçut quand elle reprit conscience fut le claquement des sabots résonnant à ses oreilles. Les secousses de la monture n'allégeaient pas sa migraine, amplifiée par le sang qu'elle sentait pulser dans la bosse sur sa tempe. Les souvenirs de la nuit passée lui revinrent peu à peu, jusqu'au coup porté par Talyon.

Elle ouvrit les yeux, mais ne vit que les ténèbres. Paniquée, elle essaya de se mouvoir, en vain. Ses mains ne répondirent pas, comme engourdies. Elle réalisa qu'elle était solidement attachée et qu'un sac de toile lui avait été passé sur la tête. Elle sentit l'angoisse la gagner et s'efforça d'inspirer lentement, de garder son calme pour ne pas suffoquer. Ses liens, très serrés, lui meurtrissaient les poignets et chevilles. Elle essaya de forcer les cordes, jusqu'à ce qu'une main lui attrape le bras. S'ensuivirent une douloureuse brûlure sur son avant-bras, qui lui arracha un gémissement, et la sensation d'un liquide - son propre sang - coulant jusqu'à son poignet.

- Si vous refaites un seul mouvement, ce sera beaucoup plus douloureux qu'une entaille.

La menace avait jailli, et Mia ressentit une bouffée de rage en reconnaissant la voix de Talyon. Elle n'osa plus se mouvoir, sachant qu'il mettrait sa menace à exécution sans hésitation. Peu après, les propos tenus par Talyon lui revinrent en mémoire : se pouvait-il que Soraya fût elle aussi du voyage ? Avait-elle été enlevée ? C'était peu probable, car Mahakrin aurait dépêché ses hommes pour la retrouver. Or, ils avançaient à une bonne allure, mais pas au rythme effréné d'une poursuite. Peut-être que Soraya avait été envoyée pour se marier. Un bref instant, Mia ressentit un vif soulagement à l'idée de ne pas être seule, d'avoir quelqu'un qui ne lui serait pas hostile, vite remplacé par la culpabilité face à cette pensée égoïste. Elle était responsable du sort de sa tante. Certes, en tant que promise de Jarle, sa vie n'était pas menacée, mais la jeune femme n'en resterait pas moins prisonnière d'une cage dorée durant le restant de sa vie. Son sort n'était guère plus enviable que celui qui attendait Mia...

Elle perdit peu à peu la notion du temps. La toile du sac couvrant sa tête était parfaitement opaque. Elle ne pouvait même pas savoir si c'était le jour où la nuit. Elle entendit les bruits de bois écrasés, sûrement par une carriole remplie des vivres nécessaires au voyage vers Oriem.

Après ce qui lui parut une éternité, ils finirent par s'arrêter. Mia perçut les bruits de nombreux animaux et sentit l'odeur des pins, indiquant qu'ils se trouvaient en pleine forêt. Talyon descendit du cheval et la déposa au sol, contre un tronc d'arbre auquel il la ligota solidement. Il retira le sac de sa tête, lui permettant enfin de respirer librement, et d'observer les alentours. Les Timoriens s'activaient, qui préparant un feu, qui établissant un périmètre pour le camp. Les moins aguerris descellaient les montures et quelques paquetages de nourriture ou couvertures. Talyon s'était assis en face de Mia, occupé à aiguiser sa lame en observant sa captive.

- Vous auriez mieux fait de laisser votre arrogance derrière vous, et reprendre votre vie de rapines à Vorne, lâcha Talyon. Croire que vous pouviez vaincre son Altesse en vous alliant aux mages était présomptueux.

Mia eut un rictus sardonique. Si seulement il savait ! Elle n'avait jamais eu l'intention de réclamer le trône, et encore moins de s'allier avec les mages. Mais elle perdrait son temps à le lui expliquer. De plus, elle était fière de sa méprise car, désormais, elle n'avait plus aucun regret d'avoir embrassé la cause des mages, même si cela lui coûterait la vie.

- Vous m'avez reproché un manque d'honneur, mais le vôtre est entaché, princesse.

Décidément, le commandant était chatouilleux sur les questions d'honneur ! Mia, un fin sourire aux lèvres, dévisagea le Timorien.

- Vous n'étiez pas née, mais les mages se sont retournés contre leur propre royaume lors de la Guerre Pourpre. Tout ce qui leur arrive maintenant n'est que la conséquence de leur traîtrise.

Mia n'était pas née lors de la Guerre Pourpre, il se pouvait que Talyon dise la vérité. Pierrick ne lui avait jamais expliqué son déclenchement. Mais elle ne pouvait adhérer au reste. Après avoir vécu le convoi vers Oriem, échappé de peu à l'Extraction, subi la Purge d'Adylis et leur fuite désespérée vers le désert, Mia en était certaine : aucun être humain ne méritait un tel traitement.

- Il est normal alors que les enfants innocents paient pour les actes de leurs parents ? rétorqua-t-elle.

- C'est déplorable, mais ils sont des dommages collatéraux. Tout comme le sont les familles de nos Timoriens qui ne les reverront jamais, où les civils morts lors d'offensives des mages. Il n'y a pas de compromis ou de paix possible. Votre père le croyait. Il les a acceptés, leur a ouvert les bras. Les mages en ont profité pour tenter de s'emparer d'Oriem. Ils ont mené la Révolte qui a ôté la vie de Martian et pourtant, vous vous êtes liée à eux. Vous avez préféré protéger des traîtres au royaume plutôt que votre peuple.

Mia sentit son sang bouillonner. Elle pouvait supporter des provocations et brimades, mais pas des mensonges éhontés.

- Jarle est l'instigateur de la Révolte, cracha-t-elle. Si vous ne le savez pas, vous êtes plus stupide que vous n'en avez l'air. Sinon, répétez vos mensonges aux Irlondoriens pour leur faire haïr les mages et justifier vos exactions, mais ne pensez pas servir la vérité !

Talyon soupira.

- Son Altesse croit être capable de vous mater, mais je pense qu'il aura les plus grandes difficultés, constata-t-il.

Une mince consolation...

- Il changera vite d'avis, mais il vous veut saine et sauve.

Talyon fit signe à quelqu'un derrière Mia, qui s'approcha.

- Vous pouvez nourrir votre nièce et la soigner, Son Altesse vous en sera reconnaissante, intima Talyon.

Soraya apparut à la vue de Mia, soulagée d'avoir une présence amicale parmi cet environnement hostile. La jeune femme circulait dans le campement sans entraves, mais les soldats gardaient leurs yeux rivés sur elle. Son visage au teint cuivré était tendu par l'inquiétude, mais elle réussit à offrir un léger sourire à sa nièce, puis s'agenouilla auprès d'elle. Elle nettoya la plaie avec un tissu humide, et lui présenta de l'eau et un morceau de viande. Mia put enfin calmer la faim qui la tenaillait. Soraya témoignait d'une grande douceur, mais restait silencieuse. Comme si la moindre parole échangée renforcerait le lien déjà présent, indéfectible, et rendrait la séparation d'autant plus douloureuse.

Soraya ne regrettait pas son geste, mais elle savait, au fond d'elle, que cela arriverait quand elle serait à Oriem, et prendrait pleinement conscience de sa situation. Mais elle n'avait pas le droit de se plaindre, pas quand Mia faisait preuve d'un immense courage. Soraya alla ensuite chercher une couverture, dont elle recouvrit Mia. La jeune fille lui étreignit brièvement l'avant-bras pour la remercier avant qu'elle ne rejoigne sa propre couche pour la nuit. Aucune ne trouva le sommeil, même quand la fatigue se fit écrasante. L'angoisse des jours et épreuves à venir les privait de tout repos. Il en fut de même pour la moitié de l'escadron Timorien, qui scruta les ombres de la nuit et surveilla les captives jusqu'au petit matin.

La traversée du désert fut infiniment plus rapide, et à mille lieues des difficultés que les mages avaient rencontrées. Bien que la troupe souffrît de la chaleur, les vivres et vêtements protecteurs leurs procurèrent un confort inestimable.

Les jours se succédèrent, durant lesquels Mia s'accommoda à sa situation. Au début du trajet, elle ne pouvait s'empêcher d'observer les effectifs, de déterminer quand la garde des Timoriens était la plus faible, de laisser discrètement affluer sa magie pour tester la résistance de ses liens. Mais elle réfréna ses réflexes. Elle s'était livrée pour assurer la survie de ses compagnons. Elle respecterait le marché passé avec Soraya, d'autant plus qu'elle ne voulait pas que la princesse d'Almar pâtisse de son évasion, si tant était-il qu'elle y parvienne.

L'escadron changeait de monture à chaque point de rencontre avec des bases Timoriennes, ce qui leur permit de rallier la capitale sans arrêts impromptus. Au moment où les chevaux commencèrent à ralentir, Mia tendit l'oreille pour essayer de savoir s'ils approchaient d'une quelconque ville. Les claquements des sabots de leurs montures sur le sol pavé lui firent comprendre que c'était le cas. Il était probable que ce soit la nuit, car elle ne percevait aucun bruit de conversation, seulement quelques cris au loin, sans doute issus des bas-quartiers.

Les montures s'arrêtèrent enfin et elle poussa un léger soupir, mais son soulagement s'estompa aussi vite qu'il était venu. Ce qui l'attendait ne serait guère mieux que ce pénible voyage, elle en était persuadée.

La jeune fille sentit Talyon descendre de la monture et la déposer sur la terre ferme. Elle faillit perdre l'équilibre à cause de ses membres engourdis par l'immobilité forcée, mais le commandant la retint d'une poigne ferme. Il coupa les cordes entravant ses chevilles et lui pressa une lame - celle de son épée, sûrement - contre le dos, afin de la faire avancer. Il lui fit emprunter de nombreux couloirs et escaliers, accentuant la pression de son arme quand elle n'avançait pas assez vite à son goût. Enfin, ils finirent par s'arrêter, et le cœur de Mia se serra quand elle comprit où ils se trouvaient. Elle reconnut l'odeur nauséabonde des cachots, qui lui fit remonter une vague de souvenirs de sa rencontre avec Jarle. Elle sut que cette fois, Ewann ne pourrait la sauver. Personne ne pourrait la sauver. Elle fut poussée sans ménagement dans l'une des cellules, refermée derechef.

Les soldats allaient certainement chercher Jarle. Mia frissonna, anxieuse à l'idée de se retrouver face à son oncle. L'avait-il gardée en vie juste pour avoir le plaisir de la lui ôter personnellement ? Ou chercherait-il avant à Extraire l'entièreté de sa magie, la laissant exsangue ?

Elle tendit l'oreille, mais aucun bruit ne lui parvenait. Elle était seule dans sa cellule. Une attente insoutenable s'ensuivit, et Mia commença à désespérer. Elle ne supportait plus de ne rien voir, sans aucune notion du temps qui passait. Des bruits de pas venant dans sa direction la sortirent de sa somnolence. La porte de la cellule s'ouvrit. Le sac de toile lui fut brutalement retiré. Elle cligna des yeux pour s'habituer à la clarté, finalement ténue, du cachot.

Jarle se tenait à l'extérieur de la cellule, flanqué de Talyon et d'un homme qu'elle n'avait jamais vu. Le monarque l'observait, une satisfaction froide s'échappant de chaque pore de sa peau.

- Amenez-la, ordonna-t-il dans un murmure.

Aussitôt, deux autres soldats s'approchèrent et entrèrent dans la cellule. Chacun tenait fermement le bras d'une femme, aux habits en lambeaux. Elle sanglotait, et Mia réalisa avec répulsion que sa peau hâlée était parsemée d'ecchymoses, de cicatrices, ou plaies encore sanguinolentes. Quand la femme releva la tête, Mia reconnut son visage et sa cascade de cheveux bruns, bien qu'ils fussent à présent emmêlés et recouverts de poussière. Elle poussa un cri déchirant et étreignit celle qu'elle avait pensé jamais plus ne revoir.

- Laria... murmura-t-elle en sanglotant.

La jeune femme, malgré la douleur que ce geste procurait à son corps meurtri, l'enlaça à son tour, incapable de prononcer le moindre mot. Elle aurait voulu que ce moment ne s'arrête jamais, mais les soldats finirent par les séparer brutalement.

- C'est... touchant, fit la voix de Jarle.

Il hocha la tête et deux soldats s'emparèrent solidement de Mia, puis lui passèrent des chaînes aux poignets et chevilles, malgré ses efforts pour se soustraire à leur poigne. Les deux autres soldats présents maintenaient Laria, qui se démenait malgré ses blessures. Leur lutte était vaine.

- Vois-tu, Miana, tu as la mauvaise habitude de côtoyer des traîtres au royaume, déclara Jarle. Cette catin a abrité une mage ! Durant dix ans ! Il n'existe qu'un châtiment adapté à un tel affront. Mais le pire, dans tout cela, est ta trahison. Je t'ai accueillie après tant d'années comme si tu n'avais jamais quitté Oriem. Mais tu n'as pas hésité à pactiser avec ces rebelles.

Mia resta figée alors que le masque de son oncle se craquelait. Bien qu'elle ne doutait plus des paroles des mages, elle n'avait jusqu'alors vu qu'une part de son oncle, celle qui l'avait persuadée de lui faire confiance, qui s'était proposée en mentor. Là, elle avait devant elle un homme porté par une rage à peine contenue, dont l'aura aurait fait vaciller n'importe qui.

- Plus jamais tu ne me défieras, ou tous ceux auxquels tu tiens connaîtront le même sort !

Il avait hurlé ces dernières paroles. L'un des Timoriens sortit son couteau. Jarle lui fit un geste de la main. Avant que Mia ait pu réagir, l'homme trancha la carotide de Laria d'un geste ample. Le sang gicla. Mia poussa un terrible hurlement, bien avant que le corps sans vie de sa mère adoptive ne touche le sol, agité de convulsions.

Une rage telle qu'elle n'en avait jamais connue déferla dans ses veines, mêlée à une tristesse immuable à la vue les yeux révulsés de Laria. Un odieux craquement retentit quand, une à une, la nuque de chaque soldat présent dans la cellule se brisa. Leurs corps furent projetés contre le mur à une telle vitesse que leurs os se broyèrent sous le choc. Le sang gicla, moucheta, tapissa les pierres. Mia s'affaissa, face contre terre. Un goût métallique avait envahi sa bouche. Les larmes lui brouillaient la vue, mélange d'eau et de sang. Le monde se mit à tanguer sous elle. Elle était incapable de bouger, le corps secoué de spasmes, drainé de toute force. Sa tête retomba au sol et elle sombra dans le néant.

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Désolée pour cette fin de chapitre...

N'hésitez pas à me donner vos impressions et hypothèses pour la suite ! :D Comme vous vous en doutez, ce chapitre marque un réel tournant dans l'histoire !

Merci d'avoir lu !

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