Chapitre 2
Des chuchotements frénétiques tirèrent brusquement Mia de son inconscience. Elle ouvrit les yeux, avant qu'une intense douleur au crâne la force à les refermer aussitôt. Elle voulut porter une main à son front, sûrement poisseux de sang, mais de solides liens entravaient ses poignets derrière son dos. Dans un grognement, elle parvint à s'asseoir contre le mur.
— Nataniel... croassa-t-elle, tout en maudissant sa faiblesse apparente.
— Je suis là, répondit une voix rauque.
Quand la douleur lancinante qu'elle ressentait se fut estompée, Mia rouvrit les yeux. La pièce était plongée dans le noir, seul un mince rai de lumière provenait d'une lucarne au-dessus d'eux.
— Tu sais où on est ?
— Dans l'entrepôt qu'on aime visiter, où ils stockent leurs armes, chuchota Nataniel, pince-sans-rire.
— Pourquoi... commença-t-elle, hésitante.
— Ils ne nous ont pas liquidés simplement ? Sûrement pour faire de nous un exemple. Ça en jetterait, l'exécution publique d'un hors-la-loi et d'une mage !
À ces mots, Mia se remémora leur fuite éperdue et la chute de Nataniel, qui aurait été mortelle sans son intervention. La tête lui tourna et la lança davantage quand elle comprit ce que cela impliquait. Le ton de Nataniel ne la trompait pas.
— Je t'assure que je n'en savais rien !
— Ne me mens pas ! Comment pouvais-tu l'ignorer ? Je t'ai fait confiance, depuis tout ce temps...
— Je sais ce que tu as fait pour moi, le coupa Mia. Mais je ne savais pas que j'étais... que j'étais capable de ça. Je te le jure.
— Tu veux dire que c'est la première fois que tu utilisais la magie ?
— Oui ! J'ai réalisé que l'intervention venait de moi seulement quand le lieutenant l'a hurlé. Tant pis si tu ne veux pas me croire, je t'ai dit la vérité.
Un silence inconfortable s'installa. Mia, plongée dans ses pensées, peinait à réaliser la situation.
— Ça n'a plus d'importance, finit par lâcher Nataniel. On n'a aucun moyen de s'échapper, ils ont pris mes lames. Tu ne pourrais pas utiliser ta magie ?
— Je n'ai aucune idée de la façon dont on s'en sert. C'était instinctif. Quand je t'ai vu tomber... J'ai agi sans m'en rendre compte.
— Ça aurait été moins douloureux que la mort qu'ils nous réservent.
— Oh, navrée de t'avoir sauvé la vie ! Je n'aurais jamais eu à le faire sans ta précipitation sur ce coup !
Nataniel accusa le reproche.
— Toutes ces années, on a réussi nos vols, maugréa Mia. Et en une soirée, on a tout perdu !
— Pas si fort, la rabroua Nataniel. Pour eux, nous n'avons rompu qu'un couvre-feu. Ne leur donne pas d'autres motifs.
— Ils pourraient faire le rapprochement. Mais ça ne changera rien à mon sort, j'imagine.
— Je suis désolé.
Le jeune homme avait plus de chances de s'en sortir, mais il était aussi effrayé que Mia. Elle le sentait aux tremblements incoercibles de sa voix. Sa haine ne pouvaitdépasser le souvenir de la souffrance que lui avait déjà infligée la Timor. Elle se plongea dans un mutisme rageur, et pensa aux pouvoirs qu'elle avait démontrés. Durant ses services à l'auberge, elle avait entendu des récits sur les mages, recherchés à travers le royaume. On disait que leurs esprits étaient pervertis et qu'ils pratiquaient de sombres rituels, incluant une magie toute aussi noire. Mia prêta moins attention à ces rumeurs quand elle grandit, mais elle se souvint d'un homme relatant les Purges des mages, durant lesquelles ils étaient exterminés, parfois brûlés vifs pour extraire leur âme corrompue de leur corps. Était-ce le sort qui l'attendait ?
Le grincement de la porte tira Mia de sa léthargie. Son cœur tambourina quand elle aperçut des Timoriens qui entraient dans l'entrepôt, torche à la main. Elle dut réprimer les tremblements qui la saisissaient.
C'en est fini de moi, pensa-t-elle. S'ils ne me tuent pas maintenant, ils le feront publiquement.
Le lieutenant se posta devant Mia.
— À la moindre tentative de magie, tu meurs sous nos lames. Compris ?
Sans attendre de réponse, deux soldats empoignèrent Mia pour la relever. Elle eut seulement le temps de voir l'air désespéré de Nataniel, qui était parvenu à se mettre debout malgré les liens et fut retenu sans effort par deux des soldats, avant qu'un sac de toile ne lui couvre la vue. Ses entraves aux chevilles furent coupées et on l'emmena à l'extérieur, où l'air frais frappa ses bras nus. Mia ne parvenait pas à se repérer, l'esprit engourdi par la peur. Elle ne sut combien de temps elle marcha, avant d'être arrêtée, puis hissée dans une charrette, d'après les renâclements des chevaux perçus. Aux cordes succédèrent les chaînes à ses poignets et chevilles. On lui enleva ensuite le sac. À la lueur de la lune, elle aperçut les barreaux d'une cage, dans laquelle elle était enfermée. Quand le véhicule s'ébranla, une seule question se posa à elle : où l'emmenaient-ils ?
***
— Où l'emmènent-ils ? Que vont-ils lui faire ? s'alarma Nataniel.
— T'as pas à t'en soucier. Les mages sont proscrits. Tous le savent ! En plus de rompre le couvre-feu, tu fréquentes un ennemi du royaume. Tu tiens donc pas aux doigts qu'il te reste ?
— Assez.
Le lieutenant était revenu, et le silence se fit dès que sa voix claqua. Il s'avança vers Nataniel, déambulant autour de lui comme un rapace autour de sa proie.
— Un goût du risque ? Un esprit simple qui veut faire une balade au clair de lune ? Juste l'envie de défier les lois ? Explique-moi, Nataniel, je brûle d'envie d'avoir une réponse. Oui, je te connais. Ton père, Markus, nous est d'une grande aide, et je suis déçu de voir que son fils semble si différent. Alors, réponds-moi. Pourquoi ?
— Je... Mon amie supporte pas l'enfermement, expliqua Nataniel dans une semi-vérité. On était juste sortis prendre l'air.
— Si loin de chez toi ? Bien sûr... Et sa magie, tu n'en savais rien ? C'est commode.
— C'est vrai ! C'était la première fois que je la voyais en faire usage.
— Admettons que tu sois sincère, je pensais que nous avions été assez clairs sur le couvre-feu. Tu sais pourquoi il a lieu ?
— Pour trouver facilement les mages.
— Certes, mais pas seulement. Des bandes rôdent dans Vorne. Certaines n'hésitent pas à s'en prendre à l'armée. Tu ne vois pas de quoi je parle ?
Le lieutenant, les yeux rivés aux siens, étudiait sa réaction. Nataniel se composa un visage serein, soutenant son regard.
— Il y a beaucoup de rumeurs. Il faut être stupide pour les croire toutes. Mais que les Timoriens ne soient pas appréciés à Vorne n'est pas un secret.
— Nos armes disparaissent, continua le Timorien, sans tenir compte de sa remarque. Nous sommes en sous-effectif. Bientôt, nous ne pourrons plus maintenir l'ordre dans la ville. C'est pourquoi je t'offre une unique chance de te racheter, Nataniel. Intègre la Timor ou, comme mon fougueux subalterne l'a suggéré, perds un autre membre - ou la vie, la différence est moindre.
Son choix fut rapide.
Je ne peux que m'enrôler. Mais, dès que je le pourrai, je récupérerai l'argent qu'on a amassé et je m'enfuirai.
— J'accepte, déclara-t-il d'une voix qu'il espérait ferme. Je m'engage dans la Timor.
— Bien, tu n'es finalement pas si insensé.
D'un geste de la main, il ordonna à ses hommes de le libérer de ses liens.
— Je peux rentrer chez moi ?
— Pourquoi ? Ton engagement a pris effet à l'instant où tu as choisi de nous rejoindre. Tu n'as pas besoin d'affaires, ajouta-t-il alors que Nataniel s'apprêtait à protester. Nous te les fournirons. Quant à ton père, je le préviendrai de ce que tu as fait et de la généreuse opportunité que nous t'avons offerte. Maintenant, suis-nous, nous allons t'équiper.
Voyant qu'il avait perdu la partie et devrait ronger son frein, Nataniel sortit pour se diriger dans une pièce attenante, encadré par les Timoriens méfiants. Excepté une torche accrochée au mur, elle était vide.
— Pour finaliser ton engagement, il nous reste une chose à faire.
Nataniel avisa ensuite un tisonnier qu'il venait de saisir. Comprenant ce qu'il projetait, le jeune homme se démena pour échapper à leur étreinte, mais deux Timoriens resserrèrent leur prise. Un puissant crochet à l'abdomen le fit se courber, suivi par un autre à la mâchoire. Engourdi, la bouche en sang et la respiration chaotique, il s'affaissa. Sans attendre qu'il retrouve sa vigueur, le commandant lui plaqua le tisonnier frappé d'un T sur la nuque. Si son corps était déjà perclus, ce ne fut rien comparé à la douleur intense qui embrasa son corps tout entier. Il ne put retenir un cri face à la souffrance. Semblable à celle qu'il avait ressentie des années plus tôt, qu'il avait tenté d'enfouir, et qui ressortait à présent avec plus de force que jamais. La voix du lieutenant se fraya un chemin à travers la brume entourant son esprit, à travers les pleurs d'enfant mêlés aux halètements d'adulte.
— Tu ne nous fausseras pas compagnie. Les membres douteux de la Timor sont marqués. Les déserteurs ne font pas long feu quand les habitants sont prêts à les dénoncer pour quelques piécettes sitôt qu'ils aperçoivent la marque. Fais tes adieux à ton ancienne vie et ne faillis pas, ou celle que tu viens d'entamer ne durera pas.
----------------------------------------------------------------------------------------------
La situation ne s'arrange pas pour Mia et Nataniel : les voilà séparés, et leur vie ne tient qu'à un fil...
Des hypothèses sur la destination de Mia, ou sur le futur de Nataniel dans la Timor ?
N'hésitez pas, je suis friande de théories ^^
Merci d'avoir lu !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top