Chapitre 19 (2/2)
Alors que le jour tombait, les mages arrivèrent à la frontière du désert Almari. L'immensité sablée se prolongeait jusqu'à l'horizon, en une multitude de dunes d'or. Les mages qui avaient encore assez de forces furent envoyés à la recherche de baies comestibles, ou d'un gibier si la chance le leur permettait. Ewann, grâce à sa grande sensibilité magique, serait capable de repérer des êtres vivants aux alentours. Il se mit en chasse, accompagné de Mia, qui souhaitait s'éloigner de l'atmosphère étouffante de la cavité dénichée pour la nuit.
Ils suivaient un sentier parsemé de rochers probablement éboulés au fil du temps quand Ewann se figea. Il intima d'un geste à Mia de rester silencieuse, puis lui prit le bras pour qu'ils se cachent derrière une roche. Mia entendit des bruits de pas. Une personne seule. Qui avançait dans leur direction. Ce n'était pas un mage, sinon Ewann le lui aurait fait comprendre. Elle ne voyait qu'une possibilité : un Timorien, envoyé en éclaireur.
Ewann sortit son couteau et contourna le rocher pour se retrouver derrière le Timorien. Il plaqua sa lame contre sa gorge et s'apprêtait à lui ôter la vie quand son visage apparut à la vue de Mia, sous le clair de lune dégagé.
— Non ! chuchota-t-elle précipitamment.
Le mage suspendit son geste, surpris. Mia se releva d'un bond. C'était impossible. Il ne pouvait être ici...
— Nataniel ?
Le captif grogna et releva lentement la tête. C'était bien lui. Ses cheveux avaient poussé, ses traits s'étaient endurcis, mais elle aurait reconnu son ami entre mille. À la totale surprise et la joie éphémère succéda l'incompréhension.
— Tu... Tu t'es engagé dans la Timor.
— Tu t'es associée aux rebelles, répliqua Nataniel face à l'accusation.
— J'ai fait ce qu'il fallait pour survivre.
— Tout comme moi. Mais vous ne vaincrez pas, Mia.
— Nous passerons la frontière, articula la jeune mage, frémissante d'une rage contenue.
— Même si vous survivez au désert, vous n'aurez pas votre salut en Almar. Les royaumes vont s'allier. Vous serez traqués.
Avant qu'Ewann ait pu réagir, Mia s'empara de sa lame pour la poser elle-même contre la gorge de Nataniel.
— Alors je devrais au moins éliminer un Timorien.
— Tu l'as empêché de me tuer, répliqua Nataniel en désignant Ewann. Ce n'est pas pour le faire toi-même.
La prise de Mia vacilla, mais la lame resta dangereusement proche de la carotide du jeune homme.
— On ne peut pas le laisser vivant, prévint Ewann.
— La Timor saura que vous êtes là si je ne reviens pas. Vous ne pourrez pas nous distancer.
— Nous aurons au moins gagné du temps.
Mia les entendait à peine. Son cœur battait à tout rompre. Des souvenirs d'enfance lui revinrent avec Nataniel, à Vorne. Bien qu'ils eussent depuis longtemps perdu leur innocence par leurs vécus respectifs, ils avaient gardé une certaine insouciance. Elle avait vu le jeune homme devenir son ami, s'apaiser en sa présence, enfouir une nature plus sombre.
— Nous sommes en fuite, Nataniel. Nous ne mettrons pas en péril Irlondor, vous n'entendrez plus parler des survivants. S'il reste en toi une once d'humanité, d'honneur ou que sais-je, laisse-nous une chance, comme je t'offre la tienne. Rembourse cette dette.
Elle écarta la lame.
— Pars. Va retrouver ton armée. Mais si l'on se recroise, je te tuerai.
Sans un mot, Nataniel s'éloigna, disparaissant dans l'ombre. Les deux mages restèrent côte à côte, avec seulement le bruit de leurs souffles effrénés.
— Il va nous dénoncer, martela Ewann. Tu n'aurais pas dû le laisser en vie.
— Nataniel ne se serait jamais engagé dans la Timor volontairement, il les hait autant que nous.
— Il est cependant ici, et était peut-être même présent lors de la Purge.
Mia resta un instant silencieuse. Elle savait qu'Ewann avait raison, mais elle n'aurait pas pu ôter la vie de son ancien ami, désarmé qui plus est.
— Ewann, tu le sais, je suis totalement engagée à vos côtés. J'ai accepté votre combat. Mais ôter la vie d'un ami est une limite que je ne voudrais jamais franchir.
— En aurait-il fait autant pour toi ? T'aurait-il laissé la vie sauve ?
— Nataniel était conscient du principe de dette. Je l'ai épargné. Il devrait faire de même.
— Il n'est plus celui que tu connaissais.
— Il a changé, concéda Mia. Tout comme moi... S'il n'était pas revenu, nous aurions eu toutes les troupes à nos trousses sous peu. Là, nous avons encore un espoir.
— Puisses-tu avoir raison. Partons sans attendre, nous dirons que nous avons aperçu des Timoriens au loin.
Ils se murent vers la falaise pour rejoindre les mages. À présent que l'adrénaline était retombée, le froid leur mordait la peau, s'insinuait sous leurs maigres vêtements.
— Je ne pouvais pas le tuer, déclara subitement Mia. Pas comme ça. J'aurais tué une part de moi.
Sentant peser le regard interrogateur d'Ewann sur elle, Mia explicita :
— J'avais sept ans, quand je l'ai rencontré. Je venais d'arriver à Vorne, après la Révolte. En attendant que les évènements se tassent, et persuadés que Jarle enverrait des hommes à ma recherche, Laria et Arthur me gardaient enfermée dans l'auberge. Ils m'avaient coupé les cheveux par précaution et vêtue en garçon. C'est après cette captivité que j'ai commencé à ne plus supporter l'enfermement. Un matin, je me suis échappée de ma chambre, en grimpant par la fenêtre. Je savourais ma nouvelle liberté en découvrant Vorne. De ma vue d'enfant, la ville était gigantesque. Les marchands côtoyaient jongleurs et comédiens, les enfants jouaient dans les rues. J'avais l'impression d'être de retour à Oriem.
Mia sourit face à ces joyeux souvenirs, si lointains.
— Toute à mon exploration, je me dirigeai sans le savoir dans les bas-quartiers, là où une fillette seule disparaitrait sans laisser de traces. Je sentais des regards se poser sur moi, le danger planer. Puis j'aperçus un groupe d'enfants parcourir une rue adjacente. Ils avaient une démarche étrange, titubante, qui piqua ma curiosité. Ils rentrèrent dans une maison délabrée, où je voulus les suivre. Je réussis à escalader le mur et à me faufiler par un soupirail pour entrer à mon tour. Dans la pièce sombre où j'atterris, je trouvai de l'argent, quelques vêtements et produits de luxe. Mais surtout, je découvris des armes, des lames si effilées que je me coupai sur l'une d'entre elles. J'étais tombée sur un groupe de voleurs, qui n'avaient que quelques années de plus que moi. Bon nombre d'enfants avaient eu une vie bien différente de la mienne... J'allais détaler quand la porte s'ouvrit à la volée. Au moins cinq gamins entrèrent. Ils m'avaient entendue et se jetèrent sur moi. Ils pensaient sûrement que j'étais un gosse d'une autre bande, une fouine venue voler leur précieuses rapines. Ils sentaient fort l'alcool, ce qui expliquait leur démarche titubante, et surtout leur violence. J'allais perdre connaissance quand tout cessa. Des bruits de pas avaient retenti, et les garçons s'écartèrent pour laisser passer leur chef. C'était Nataniel. Il me releva. Il ne devait pas avoir plus de dix ans, mais il avait l'assurance d'un adulte. Sa voix était froide, son regard menaçant et calculateur malgré son haleine avinée. Il me demanda ce que faisait une fillette telle que moi ici. Je lui dis mon nom, que j'étais nouvelle à Vorne et que j'étais la nièce de l'aubergiste. Son intérêt grimpa en flèche quand je lui révélai comment j'étais entrée dans leur planque. Peut-être que cela me sauva la vie. Il déclara qu'il me ferait une faveur et oublierait mon intrusion en échange de quelques services. C'est ainsi que je commençais à voler avec lui, dans les endroits difficiles d'accès, où j'étais la seule à pouvoir me faufiler ou escalader.
Ewann comprit enfin d'où venait son habilité, lorsqu'elle s'était échappée de sa chambre pour monter en haut de la grotte, à Adylis.
— J'appris ensuite qu'il était surnommé le Rapace, d'après les gamins de la ville, continua Mia. Ils disaient que sous son gant se cachait une serre, avec laquelle il brisait le cou de ses ennemis et s'emparait de leurs biens. Au fil du temps, j'ai appris à mieux le connaitre, même s'il conservait toujours sa part de mystère. Avec moi, il était différent, et la dette que j'avais à son encontre ne me sembla même plus exister.
— C'est pour cela que tu l'as épargné ? Pour la rembourser pleinement ?
— Je ne sais pas... Je l'ai sauvé la nuit de notre capture, d'une chute mortelle, mais j'ai choisi de l'oublier tout à l'heure. Au fond de moi, je n'étais juste pas capable de le tuer. Pas d'une telle façon. Mais si nous devons nous trouver face à face pour combattre, je n'aurai plus la même hésitation.
— Si nous survivons, murmura Ewann.
— Si nous survivons.
Ils continuèrent de marcher en silence. Même s'il ne l'approuvait pas totalement, Ewann comprenait désormais la décision de Mia. Mais qu'ils eussent neutralisé Nataniel ou non, la conséquence directe était la même : ils devaient partir de leur campement, malgré la nuit tombante. Et espérer que la Timor ne serait pas à leurs trousses, ou aucun rescapé ne verrait les lueurs de l'aube.
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Tadammm, les retrouvailles entre Mia et Nataniel ont enfin eu lieu ! Le moins qu'on puisse dire est que tous deux ont fait des choix qui les ont menés aux antipodes l'un de l'autre.
Comprenez-vous la décision de Mia ?
Qu'avez-vous pensé du récit de sa rencontre avec Nataniel ?
Merci d'avoir lu !
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