Chapitre 18
La centaine d'hommes s'enfonçait au plus profond de la forêt dans l'obscurité nocturne. Seul le vent soufflant dans les branches des arbres millénaires se faisait entendre. Talyon menait son escadron d'élite de la Timor. Une excitation sourde grandissait en lui à mesure qu'ils se rapprochaient du refuge.
Enfin ! Ce bastion de mages allait être éradiqué. Grâce à l'appât fomenté par son Altesse et le baron Lorek, ils avaient pu suivre les mages durant leur retour de Nodys. Un nombre d'hommes enrôlés inférieur aux ordres du roi, et les mages avaient décidé de contacter le baron. Suivre les émissaires mages lors de leur retour avait été un jeu d'enfant. Malgré leurs précautions, ils ne s'étaient pas doutés qu'un mage pourrait être complice de Jarle, et utiliser sa magie pour les suivre par la voie des airs. Talyon ne savait pas exactement comment fonctionnait la magie sur les animaux, mais l'aigle leur avait indiqué la voie. Ces mages s'étaient trahis, et en payeraient le prix. Talyon et ses hommes veilleraient ensuite à exercer les représailles envers le baron Osberd, mais ils avaient déjà fort à faire pour le moment. Ce refuge pouvait représenter la plus grande base de mages. Il ne resterait que quelques résistants, éparpillés dans Irlondor, après ce coup fatal. D'autres fuiraient en Almar, mais leur répit serait de courte durée, étant donné que des troupes étaient déjà en route vers le royaume voisin. Malgré l'expérience de ses hommes, Talyon savait que les mages se battraient avec l'énergie du désespoir, mais il était convaincu que la surprise les empêcherait de réagir. Ils ne pourraient survivre, pas cette fois.
La seule ombre au tableau était la princesse, Miana. Le succès ne serait jamais complet tant qu'il ne la retrouverait pas. Aussi espérait-il de tout son être qu'elle serait présente dans le refuge. Ses ordres, qu'il avait relayés aux soldats, étaient de la ramener vivante, chose ardue dans la fureur des combats. Il ne cessait de se demander pourquoi Jarle ne voulait pas se contenter de son cadavre. Pour extraire la magie qu'elle possédait ? Autant réaliser l'Extraction sur des mages qui n'avaient aucune prétention au trône, plutôt que de laisser une telle menace vivante ! Mais son monarque devait bien avoir une raison pour agir ainsi... Quoi qu'il en soit, il devrait augmenter sa vigilance. Mais il avait un atout de taille : Nataniel. Connaissant leur passé commun, il estimait que sa présence pourrait déstabiliser Miana, si elle l'apercevait durant l'attaque. Ce n'étaient que des conjectures, mais une chose était sûre : il pourrait tester la fidélité de Nataniel, et voir s'il se montrerait à la hauteur de la tâche incombée.
Talyon interrompit ses réflexions lorsqu'il aperçut un éclaireur revenir vers lui.
— Mon commandant, nous avons trouvé l'entrée, chuchota-t-il. Deux mages la gardent, mais nous pourrons facilement les neutraliser avant qu'ils ne donnent l'alerte.
Talyon acquiesça. Il fit signe à ses troupes de continuer à avancer le plus silencieusement possible, suivant l'éclaireur, puis arrivèrent à l'endroit indiqué. Il avisa la posture de Nataniel, les yeux plissés, la détermination bandant ses muscles. Sa main gauche empoignait une épée courte, alors que la droite se refermait sur une de ses dagues effilées qu'il maniait avec une précision remarquable. Il avait l'air d'un fauve, d'un prédateur prêt à se jeter dans un carnage.
— Tu resteras à mes côtés, lui intima Talyon. Ne perds pas l'objectif de vue : décimer les mages les plus puissants. D'autres se chargeront des plus faibles.
Une vingtaine de soldats continua d' avancer en éventail, tous prêts à attaquer.
Avant qu'ils n'aient fait un pas vers les gardes, un sifflement retentit, venant d'un arbre au-dessus d'eux. Nataniel fut prompt à réagir. Sa lame fusa vers la source du bruit. Un hurlement lui indiqua qu'il avait atteint sa cible, suivi du choc sourd d'un corps s'écrasant au sol.
Au même moment, les soldats se précipitèrent vers les deux gardes postés entre deux chênes, mais l'un d'eux parvint à rentrer pour prévenir ses camarades mages, laissant son compagnon seul face aux assaillants. L'homme n'eut pas la moindre chance. Le bouclier qu'il avait érigé se brisa, et il succomba, tailladé, percé de part en part sous les féroces coups d'épée de ses adversaires.
Un autre groupe s'était précipité entre les deux chênes, mais ils ne purent franchir cette limite. Ils étaient bloqués, comme si un mur invisible les séparait d'Adylis. L'un des soldats, dépité, s'apprêtait à tuer l'homme blessé par la dague, quand Talyon lui prit le bras.
— Attends, ordonna-t-il. Il peut nous être utile.
L'homme avait eu l'épaule transpercée par l'arme, qui était restée fichée dans son corps. Ses jambes faisaient un angle inquiétant, brisées dans sa chute. Il luttait pour rester conscient sous la douleur et ne put retenir un sursaut d'horreur lorsqu'il vit le commandant de la Timor se pencher vers lui.
— Comment entre-t-on ? questionna froidement Talyon, son visage à quelques centimètres de celui du blessé.
La seule réponse fut un crachat, qui l'atteignit en pleine face. Le commandant empoigna la lame et la déplaça légèrement, arrachant au mage un hurlement de douleur. Son visage avait pris un teint cireux.
— J'ai tout mon temps, susurra-t-il avec un sourire cruel.
Le mage haletait. Son cri fut terrifiant lorsque Talyon retira presque entièrement la lance pour la replanter ensuite, dans une effusion de sang.
— Seuls les mages... peuvent entrer, mentit l'homme.
— C'est ce qu'on va voir.
Deux soldats traînèrent le blessé jusqu'à l'entrée. Son sang avait laissé une trace écarlate dans l'herbe, annonciatrice de l'hécatombe qui allait suivre.
Talyon s'approcha des deux arbres et plissa les yeux tandis qu'il réfléchissait. Avec prudence, il avança la main vers l'espace séparant les deux chênes, mais fut bloqué. Il attrapa violemment le bras valide du mage et plaqua sa main là où se tenait la barrière invisible. Il n'y eut aucune réaction. Le commandant jura. Ils perdaient du temps, alors que les mages étaient déjà prévenus de leur offensive !
Talyon regarda l'homme recroquevillé à ses pieds. Il se demandait en combien de temps il parviendrait à le faire parler. D'un geste de rage, il dégaina son épée et la lui planta dans la cuisse. Un nouveau hurlement de souffrance déchira la nuit.
Le commandant fit les cent pas, autour de la barrière, puis finit par comprendre. En dépit des cris de douleur du mage, il plaqua sa main contre le tronc d'un des deux chênes, et avança prudemment vers le passage. Mais la barrière était toujours présente...
— Peut-être qu'il faut un contact avec les deux arbres, tenta Nataniel.
Le mage se trémoussa pour échapper à leur poigne. Talyon sut que son protégé avait vu juste. Les Timoriens trainèrent le corps du mage abattu, puis le plaquèrent simultanément à l'autre chêne. Enfin, ils s'avancèrent, et comprirent que la résistance était abattue.
Talyon exhorta ses hommes à pénétrer le refuge et, avec un sourire carnassier, trancha la gorge du blessé, laissant son sang se déverser sur le sol et la Mort s'emparer de lui.
Ils étaient prêts à éradiquer les mages, et à mettre la main sur Miana si elle se trouvait parmi eux.
***
Mia ne sut pas ce qui la réveilla. Peut-être étaient-ce les bruits étouffés qu'elle entendait, ou les tintements de métal entrechoqué. Encore somnolente, elle se leva et sortit de la pièce. Des portes de chambre s'ouvraient, desquelles les mages sortaient en courant, en proie à la plus grande panique. Elle repéra Ewann parmi eux, qui se dirigeait vers elle. Ils se précipitèrent vers la chambre d'Elihan, mais le mage en sortit aussi, alerté par le vacarme. Il n'eut besoin que d'une fraction de seconde pour se rendre compte de la situation.
— Les escaliers, ordonna-t-il. Ils dissimulent un souterrain.
Ils se mirent tous les quatre à courir, tambourinant sur les portes fermées pour avertir les autres mages, si ceux-ci dormaient encore. Cependant, ni Elihan ni Ewann ne s'arrêtèrent. Leur priorité était de mettre Mia à l'abri, d'empêcher Jarle de mettre la main sur elle.
Alors qu'ils allaient emprunter l'escalier, ils entendirent une cavalcade. On montait. Ils se plaquèrent contre le mur pour ne pas être aperçus. Les fracas couvrirent le sifflement des épées qu'ils dégainèrent. Le premier soldat qui franchit le palier fut froidement transpercé par la lame d'Ewann. Le mage laissa tomber au sol le corps sans vie, avant que le suivant ne soit parvenu à sa hauteur. Ayant l'avantage du terrain, il vainquit la demi-douzaine de soldats, aidé par d'autres mages, qui les avaient rejoints. Ils dévalèrent l'escalier à présent libre de tout obstacle, mais furent accueillis par une dizaine de soldats à leur arrivée. Les mages se précipitèrent vers eux, alors qu'Elihan restait en retrait pour veiller sur Mia.
— Érige ton bouclier. Un de plus ne sera pas de trop.
Mais la protection magique vacilla sous l'angoisse de Mia. La jeune mage avait eu l'habitude du danger, mais la violence des affrontements la replongeait dans ses cauchemars. Elihan s'en aperçut. Il posa les mains sur ses épaules, son regard rivé à celui de Mia.
— Tu l'as parfaitement réussi lors de nos leçons. Tu en es capable.
À peine avait-il fini sa phrase qu'un choc sourd résonnait : l'un des assaillants avait réussi à atteindre la protection d'Elihan, qui trembla. Mia inspira profondément, alors qu'elle se laissait emplir par sa magie, s'abandonnant dans ses sensations devenues familières au fil des exercices. Les battements effrénés de son cœur se calmèrent peu à peu, tandis que ses mains façonnaient la protection magique. Son bouclier était malingre, mais il resterait un ultime rempart. Elihan put ainsi passer à l'offensive, sans trop s'éloigner toutefois.
Collée à la paroi de la grotte, Mia revivait la nuit de la Révolte. Elle se revoyait dans le passage secret, portée par son père, avant que le combat mortel ne s'engage avec le soldat. Elle secoua la tête pour sortir de l'abîme de ses souvenirs et revenir dans l'instant présent. Elle aperçut au loin Pierrick, acculé face à trois soldats. Le vieil homme venait d'être blessé au bras et s'efforçait de maintenir sa protection magique, mais elle ne tarderait pas à rompre. Il avait été forcé de lâcher l'épée pour se concentrer pleinement sur son bouclier. Impuissante, elle le vit se rompre sous les coups forcenés des Timoriens, et poussa un cri désespéré. Une lame allait pourfendre le vieil homme quand un jet de magie pure l'envoya valser. Ewann, qui venait de se libérer de ses adversaires, profita du contretemps pour s'interposer entre les soldats et le mage. Ils s'avancèrent vers leur nouvelle cible, prêts à en découdre. Le jeune mage esquiva l'attaque du premier et lui déchira le ventre de son épée, le mettant hors d'état de nuire. Mais les deux autres, vindicatifs, l'attaquèrent simultanément.
— Pars, ordonna Ewann au vieux mage, entre deux coups. Avec Mia et Elihan.
Pierrick se releva difficilement et clopina vers le fond de la grotte, malgré son épaule qui le faisait souffrir. Elihan avait réussi à vaincre ses adversaires, mais continuait à larder de coups sa dernière victime. Une lueur sauvage inédite brillait dans son regard. La fièvre du combat palpitait en lui, comme pour chaque homme, chaque femme ou chaque enfant qui luttait pour sa vie. Mages ou Timoriens, toute raison semblait les quitter, remplacée par une bestialité, assurance de leur survie. Ewann ne pouvait se résoudre à le laisser derrière lui.
— Ouvrez le passage et partez ! clama-t-il à Pierrick, avant de se tailler un chemin vers Elihan, dans le flot de soldats qui ne se tarissait pas.
Pierrick désigna une anfractuosité à Mia, qu'elle n'avait jusqu'alors jamais remarquée.
— Appuie sur la pierre en bas à droite. Elle ouvrira l'entrée du souterrain vers l'extérieur.
Mia s'exécuta. Elle tâtonna la paroi avant de trouver le bon emplacement puis, dans un grondement, le mécanisme se mit en place. Un étroit boyau fut révélé, taillé de la main de l'homme. Ils s'engouffrèrent dans le passage, mais Mia resta immobile.
— On ne peut laisser Ewann et Elihan ! Et les autres mages ?
— Nous n'avons pas le temps, Mia, haleta Pierrick. Tu es notre priorité.
Il désigna les silhouettes des Timoriens, de plus en plus nombreux, qui ne tarderaient pas à les rattraper, pour faire taire ses protestations. Il la prit par le bras et l'entraîna dans le passage obscur. Mia butait sur le chemin tortueux, toute son énergie dirigée pour repousser la claustrophobie qu'elle sentait poindre. Ils finirent par accéder à un embranchement et partirent à gauche. Ils avaient à peine fait quelques pas qu'ils se figèrent. Un bruit de cavalcade venait dans leur direction.
Leur soulagement les submergea quand ils aperçurent Ewann et Elihan, sains et saufs, avec un groupe de survivants, dont les membres du Conseil, mais il fut de courte durée.
— Les Timoriens sont à nos trousses, les prévint Ewann. J'ai refermé le passage, mais ils le trouveront sans tarder.
— As-tu assez de force pour condamner le souterrain avec moi ? s'enquit Aldwin.
Ewann hocha la tête.
— Mais le reste pourrait s'effondrer. Que les plus puissants créent des boucliers, et éloignez-vous le plus possible.
Tous obtempérèrent. Ewann et Aldwin dirigèrent leurs mains vers la voute, et projetèrent des faisceaux de magie pure. Le chaos éclata. Les parois tremblèrent, puis s'effondrèrent. Les mages rassemblés en petits groupes luttèrent sous leurs boucliers pour s'éloigner de l'éboulement. Des pierres heurtèrent leur protection, les firent ployer, mais ils tinrent bon et continuèrent d'avancer. Après quelques instants qui leur parurent durer une éternité, l'effondrement prit fin et laissa place à un silence mortel. Les oreilles bourdonnantes, la respiration sifflante et les yeux aveuglés par la poussière, ils scrutèrent la galerie. Enfin, Aldwin et Ewann en émergèrent. Épuisés, ils titubèrent vers le reste du groupe, qui les prit en charge. La file de survivants se hâta dans le boyau, avant que le reste ne s'effondre à son tour et les enterre vivants.
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L'intrigue vient de franchir un tournant suite à cette nouvelle Purge.
Que va-t-il advenir du groupe de survivants ? N'hésitez pas si vous avez des théories à me proposer ! :D
Merci d'avoir lu !
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