Chapitre 16 (1/2)
Les annonces d'Aldwin et Lénor avant leur départ pour Nodys avaient repoussé la conversation que Mia voulait avoir avec Pierrick. Le lendemain, après son apprentissage quotidien prodigué par Elihan, elle eut enfin l'occasion de lui parler. Face à l'air fermé de Mia, le vieux mage lui proposa de discuter hors de la grotte, loin de toute oreille indiscrète. Ils s'assirent sous le feuillage touffu des arbres en lisière de la forêt, et Mia sortit le parchemin de sa poche.
— Je me doutais que tu viendrais me trouver après l'avoir lu, avoua Pierrick. Et je suis prêt à répondre à certaines questions, ajouta-t-il alors que Mia s'apprêtait à le couper. Mais d'autres devront demeurer sans réponses pour le moment.
— Comme toujours, lâcha Mia. Cette lettre. Mon père me l'a écrite, n'est-ce pas ?
— En effet.
— Pourquoi se trouve-t-elle ici ?
— Ton père me l'a confiée avant sa mort, dans l'espoir que tu la trouves au moment opportun.
— Mais où est la partie manquante ? Et pourquoi parle-t-il de ma destinée ? Comment pouvait-il savoir des choses sur mon avenir ?
Pierrick leva les mains pour faire taire le flot de questions.
— La partie manquante a été dérobée lors de la Grande Purge. Et avant que tu me le demandes, je n'en connais pas le contenu. Martian m'avait ordonné de ne pas la lire, j'ai respecté son souhait. Ce n'est qu'après la Purge que nous avons subie que nous avons pris connaissance de la partie restante. Quant à tes autres interrogations, il te faut attendre.
— Cette lettre était tout ce qui me restait de mon père, reprocha Mia, qui sentit la colère et l'amertume resurgir. Vous me l'avez cachée. Et elle me concerne, mais vous ne voulez m'en dire plus. Comment puis-je faire des choix si vous me cachez la vérité ?
— Mia...
— Je ne suis qu'un pion pour les mages, depuis que je suis arrivée ! Je pensais qu'une confiance mutuelle pourrait s'établir. J'ai consenti à faire des efforts, à obéir et à brider ma liberté, sans aucun retour !
Mia vit l'air peiné de Pierrick, mais elle avait besoin de sortir ce qu'elle avait sur le cœur depuis trop longtemps. Elle savait qu'il n'était pas pleinement responsable de la situation, que ses obligations envers le Conseil l'empêchaient de lui dévoiler ce qu'il souhaitait. Mais sur le moment, ses émotions brouillées avaient pris le dessus. Avant d'aller trop loin dans ses mots, elle se releva, ravala ses larmes de dépit et s'éloigna vers le cours d'eau.
Quand elle fut hors de vue, Mia s'affala contre un tronc, encore fébrile. Elle essuya ses yeux d'un geste rageur. Pleurer ne lui ressemblait pas. À Vorne, elle se l'était toujours interdit. Cela sonnait comme un aveu de faiblesse pour les gamins des bas-fonds. Pour Nataniel. Elle avait appris à enfermer ses craintes, ses peines, ses douleurs. Au plus profond d'elle-même.
Ainsi, elle avait surmonté la mort de son père, aidée par l'estompement progressif de ses souvenirs d'enfant. Mais depuis son arrestation à Vorne, les épreuves s'étaient succédées, et avaient menacé de briser le peu d'équilibre qui lui restait. Tel un funambule, elle venait d'être balayée dans le vide par le souffle de sa découverte.
Le craquement d'une branche retentit derrière elle. Elle se retourna et vit Pierrick, à quelques pas d'elle. Le mage voulut s'avancer, mais il fut soudain bloqué par une surface dure. Un bouclier, que Mia venait de créer involontairement.
— Mia... Garde le contrôle sur ta magie. Si tu as besoin d'être seule, soit, mais rends-toi dans ton esprit pour évacuer ce surplus.
Malgré sa rancœur, elle fut forcée de constater qu'il avait raison et inspira profondément pour se calmer. Elle ne souhaitait pour rien au monde perdre le contrôle et blesser le vieux mage. Elle se rendit sans tarder dans son esprit, et parvint à apaiser et relâcher le flux tumultueux de sa magie. Quand elle réintégra son corps, le mage n'avait pas bougé et l'observait d'un air contrit.
— Je te promets que tu auras les réponses en temps voulu. Sache que c'était la volonté de ton père, et que je la respecterai.
— Mon père n'aurait pas voulu que je vive dans le mensonge, rétorqua Mia.
Pierrick ne répondit pas, mais Mia sut sans effort ce qu'il pensait : comment pouvait-elle savoir ce que son père souhaitait, elle qui ne l'avait pas connu ? Le constat n'en fut que plus douloureux. Elle resta silencieuse, amère.
— Nous ferions mieux de rentrer, il se fait tard, déclara Pierrick.
Mia se leva et, sans un mot, se dirigea vers la grotte. Le lien qu'elle avait entretenu avec Pierrick depuis son arrivée s'était effiloché. Le seul témoin de son passé, en qui elle avait une confiance absolue, l'avait profondément déçue.
***
Les leçons rythmèrent le quotidien de Mia, durant deux semaines. Couplées à l'entretien des potagers, elles ne lui laissèrent que peu de temps pour repenser à la lettre de son père. Les mages laissèrent leur méfiance de côté face à son statut royal et furent plus cordiaux. Quant aux quelques enfants, ils finirent par oser l'approcher. Eux qui avaient toujours vécu reclus lui demandaient de décrire Vorne, la ville commerciale dans laquelle elle avait passé une majeure partie de son enfance. Malgré la nostalgie que ses souvenirs lui procuraient, Mia réalisa qu'elle avait fini par trouver un semblant d'équilibre à Adylis. Il était fragile, certes, mais elle s'y accrochait. Si la vie lui avait appris quelque chose, c'était que tout pouvait basculer soudainement, et qu'elle devait apprécier chaque instant de satisfaction, de joie, de paix. Une philosophie que partageaient les mages adultes du refuge, composés en grande partie d'hommes et femmes trop âgés pour partir en mission.
Un matin, Mia fut réveillée en sursaut. Il lui fallut quelques instants pour se rendre compte que ce n'était pas à cause de son cauchemar habituel, mais d'éclats de voix qui s'élevaient dans la grotte. Elle ouvrit la porte, et avisa les alentours déserts. Aucun mage n'était en faction devant sa chambre. Elle emprunta l'escalier pour arriver à l'espace commun, où de nombreux mages étaient rassemblés, et comprit la raison de l'effervescence matutinale. Aldwin et Lénor étaient revenus. Malgré leur air échevelé et fatigué par le voyage, ils étaient sains et saufs.
Les deux membres du Conseil réclamèrent le silence, puis relatèrent la rencontre diplomatique, dans un silence complet. Apprendre qu'un baron constituerait un soutien potentiel était prometteur, mais chacun comprit que l'essentiel se jouerait lors de la prochaine rencontre, qu'Aldwin évoqua.
— Le baron ne souhaitait pas s'engager dans une entreprise aussi risquée sans aucune assurance. Nous avons dû lui révéler la présence de Mia à nos côtés, qui sera un atout vers une transition pacifique. Il a alors été convenu qu'une deuxième rencontre aurait lieu, c'est pourquoi nous repartirons sans tarder. Tu nous accompagneras, Mia.
Mia mit quelques secondes à assimiler le sens de ses paroles, alors que tous les regards se braquaient sur elle. Elle se figea, la gorge nouée. Elle allait sortir d'Adylis. Et rencontrer un baron, en tant qu'héritière. Sentant le poids des responsabilités sur ses épaules, elle se força à reporter son attention sur Aldwin, qui avait repris la parole.
— Pour le moment, nous ne pouvons pas nous avancer sur l'aboutissement de la rencontre. Mais à notre retour, nos mages en mission et vous serez tenus informés de toute décision qui aura été prise. À présent, le Conseil va se réunir pour planifier la suite des évènements. Mia, Ewann, nous avons besoin de vous.
Encore déstabilisée par les annonces, Mia suivit les mages vers la salle du Conseil. Ils s'assirent sur des nattes, et Mia posa sans attendre la question qui lui brûlait les lèvres.
— Quand a lieu la rencontre ?
— À la prochaine lune, dans un village nommé Basen. Du moins, c'est ce qui est prévu.
Face à l'air interrogateur de ses compagnons, Aldwin sourit d'un air espiègle.
— Nous avons toujours résisté, mené des actions de guérilla. Savoir que nous avons des objectifs tels qu'une prise de pouvoir pourrait réveiller trop d'ardeur chez nos mages. Nous devons rester prudents, organisés, et surtout méfiants. Que ce soit envers les nôtres ou un allié probable comme Osberd. Ainsi, nous ne nous rendrons pas à Basen comme convenu, mais nous nous matérialiserons à Nodys avant le départ du baron. C'est pourquoi nous avons besoin de toi, Ewann. Auras-tu la force nécessaire pour nous matérialiser tous les quatre, si je te transmets le lieu précis ?
— J'y arriverai, certifia Ewann, l'air grave. Mais je serai très affaibli, la distance n'est pas négligeable.
— Nous veillerons sur toi, sois-en sûr. Si aucun de vous n'a de question, la séance est levée. Nous partirons demain, à l'aube. Préparez vos affaires dès ce soir.
----------------------------------
Merci d'avoir lu !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top