Chapitre 1 (2/2)

Il faisait nuit noire quand Nataniel rejoignit Mia, grimpant à une échelle de corde que venait de lui lancer son amie pour accéder à sa chambre. Afin d'échapper à d'éventuelles patrouilles, ils avaient prévu de passer par les toits. Une perspective qui n'enchantait pas le jeune homme, bien moins agile que Mia. Ils se murent silencieusement dans la nuit, telles des ombres.

— Tu te trompes de chemin, remarqua Mia après quelques instants.

Même à travers l'obscurité, Mia aperçut le sourire qui venait de naître sur le visage de Nataniel, et l'éclair de ruse dans ses yeux.

— Pas du tout, répondit-il.

— Leur entrepôt est à l'est. On va à l'opposé.

— Bien observé.

— Je déteste quand tu ne m'informes pas de tes brillants changements de plan ! Où va-t-on ?

— À l'ouest.

Mia soupira, exaspérée.

— J'ai repéré l'endroit où ils stockent les impôts, explicita Nataniel. Ils seront en sous-nombre, en majorité occupés à protéger leurs précieuses lames et à patrouiller dans les bas-quartiers pour leur maudit couvre-feu. On a juste à esquiver les gardes restants, puis on pique le fric et on file.

— Rien que ça. Et après, on rentre sagement chez nous, avec notre butin, et on mène notre vie tranquille ?

Nataniel évita son regard.

— Bien sûr que non. Je... Avec ce qu'on aura pris, j'aurai amassé assez d'argent pour partir de Vorne, trouver un meilleur endroit... Tu pourrais venir avec moi.

Mia resta un instant muette.

— Je savais que tu voulais partir, mais pas aussi tôt, répondit-elle. Nat', je suis à l'auberge, avec Arthur, et Laria... Je ne peux pas les quitter comme ça, aussi brusquement... Et ton père...

— Je lui dois rien, coupa sèchement Nataniel.

Mia n'avait jamais su la source des différends entre son ami et son père. Ce n'était cependant pas le moment de l'interroger là-dessus.

— Peu importe, reprit-il, se refermant derechef après ce moment de confidence. On planquera l'argent et on décidera plus tard. L'heure approche. Il y a un changement de garde imminent.

Ils reprirent leur route en silence, chacun se mouvant sans bruit, habitué aux escapades nocturnes. Cependant, sans qu'ils n'osent se l'avouer, l'appréhension avait succédé à l'excitation. Les hurlements du vent, tels des avertissements, les faisaient frissonner, et ils échangèrent un sombre regard quand une légère pluie se mit à tomber.

— Ce n'est sûrement qu'une averse, marmonna Nataniel.

— Les dernières pluies datent de six mois. C'est un mauvais présage.

— Depuis quand accordes-tu du crédit à ces contes ? Au contraire, nous serons moins visibles, seule la lune nous éclairera. Tu devrais réussir à escalader.

— J'y arriverai, confirma Mia. Mais les rues devraient être truffées de soldats. Où sont-ils tous ?

— Partis gérer quelque révolte aux bas-quartiers, je suppose. Ou chasser des mages. Peu importe, tant qu'ils sont loin de nous.

— J'ai un mauvais pressentiment.

— Tu peux encore faire demi-tour.

Mia le fusilla du regard, avant de sauter et atterrir souplement un mètre plus bas, sur la toiture d'une autre maison.

Quelques minutes plus tard, ils avaient atteint leur cible. Un bâtiment luxueux comparé à ceux qu'ils observaient habituellement, mais discret au vu des maisons environnantes, abritant la population aisée de Vorne.

— Il y a une relève des gardes bientôt, chuchota Nataniel, alors qu'ils descendaient dans l'allée. Pendant qu'ils discutent, tu monteras sur le toit et tu me lanceras la corde. On aura peu de temps. Si tu montes vite, je te rejoins. Il y a un accès vers l'intérieur, ça sera aussi la porte de sortie.

— Comment le sais-tu ?

— Des gardes en discutaient, après s'être saoulés à l'auberge. On n'a plus qu'à attendre, maintenant.

— Et si les soldats partent plus vite ?

— La peur de se faire prendre est une bonne motivation, non ? Je plaisante, ajouta-t-il en esquivant un coup rageur. Je ferai un bruit d'oiseau s'ils approchent. Dans tous les cas, tu aurais atteint le premier balcon, sur lequel tu pourrais te cacher. Tout ira bien.

— Tu aurais dû me laisser repérer le terrain avant. Je ne connais pas assez les lieux.

— L'inconnu ne t'avait pas empêchée de venir fouiner dans ma planque.

— C'était il y a dix ans !

— Et depuis, tu n'as jamais failli. Ce soir ne sera pas différent.

Mia n'en était pas si sûre, et l'envie lui démangeait de faire demi-tour. Elle n'eut pas le loisir de s'y soumettre : la porte s'ouvrit, et trois soldats sortirent. Le groupe de relève arriva ensuite. Des échos de voix leur parvinrent.

— C'est le moment ! Je fais le guet, vas-y !

Mia lui lança un regard noir, mais traversa la rue, se précipitant vers le mur. D'un regard, elle évalua les aspérités qu'elle utiliserait pour se hisser jusqu'au premier balcon, qui lui permettrait d'atteindre le second, puis le toit avec aisance. Elle s'engagea ensuite dans son ascension. Concentrée, son angoisse s'envola alors qu'elle retrouvait les sensations de l'escalade.

Jusqu'à ce qu'un hululement retentisse, brisant sa sérénité. Elle se retourna, puis distingua la silhouette de Nataniel, qui battait des bras dans sa direction. Elle n'avait même pas atteint la moitié de la distance qui la séparait du premier balcon !

Elle s'empressa de descendre, alors que Nataniel courrait vers elle. Elle comprit ensuite la raison de sa fuite : un soldat venait de déboucher au coin de la rue et, les apercevant, poussa un cri d'alerte.

— Personne n'était censé arriver !

— Il était resté derrière pour une envie pressante ! Ils sont que trois, d'habitude !

— On va se faire cerner, déplora Mia, alors que le groupe de soldats s'approchait pour connaître la source du cri.

Nataniel se tourna vers le groupe effectuant la relève et avisa l'insigne qu'arborait un des Timoriens.

— Un foutu lieutenant ! grommela Nataniel en dégainant une lame qu'il portait à sa ceinture. Il aura voulu faire une inspection... On va vers le retardataire. Je m'occupe de lui. Cours !

Ils détalèrent à toute vitesse. Le soldat les observa arriver sur lui, avant de se diriger vers Mia, plus petite et menue, jugeant la menace moins sérieuse. La lame lancée par Nataniel, qui se ficha dans sa hanche, eut tôt fait de lui faire ravaler son rictus mauvais. Mia reprit sa course éperdue de plus belle. Son cœur s'emballait. Ses pieds foulaient le sol irrégulier. Elle tentait désespérément de conserver sa lucidité, mais une sourde panique l'envahissait. Derrière elle, comme assourdie par le sang battant contre ses tempes, la voix de Nataniel lui parvint.

— Les toits ! On les sèmera en rejoignant les toits !

Sans ralentir sa course, Mia chercha alors un endroit où tous deux pourraient grimper prestement. Elle aperçut une fenêtre, deux habitations plus loin, qui les aiderait dans leur ascension. Mia parvint à monter sans peine, mais Nataniel, à la carrure massive rencontra plus de difficultés. Les cris des soldats se faisaient plus proches. Nataniel se hâta, le visage crispé par l'effort. Mia, parvenue sur le toit de chaume, tendit la main pour le hisser, mais elle vit sa prise devenir instable. Leurs doigts ne firent que s'effleurer avant que Nataniel ne cède. Le jeune homme parvint à se rattraper in extremis de sa main mutilée sur le larmier, mais son sauvetage était trop périlleux. Il lâcha.

Le temps sembla se figer. Nataniel battit des bras, tel un oisillon apprenant à voler, mais il tomba, tomba, tomba. Mia lut la détresse et le désespoir dans ses yeux. Leurs lèvres formèrent de concert un cri muet. Les battements de son cœur se firent effrénés, et il lui sembla percevoir ceux de Nataniel, martelant ses côtes. Dans un geste vain, elle tendit la main pour attraper le bras de son ami, pour l'empêcher de mourir. Une puissante force, venue du plus profond de son corps, émergea, tandis qu'une forte chaleur se diffusait dans ses membres.

Mia ferma les yeux, mais il n'y eut pas de choc. Quand elle les rouvrit, elle vit Nataniel, suspendu à un mètre du sol, comme par une force invisible. Elle avisa ensuite leurs poursuivants qui avaient assisté au phénomène. Sa concentration rompue, Nataniel fut relâché et tomba dans un bruit sourd. Ébranlé, il eut à peine le temps de se relever que les soldats se portaient à sa hauteur et le maîtrisaient. Il chercha le regard de Mia, pour comprendre, s'assurer qu'il n'avait pas rêvé, mais la confirmation vint du commandant, qui hurla « Mage ! Un mage, ne le laissez pas s'échapper ! ». Il fut ensuite remis brutalement sur pieds, et aperçut Mia qui détalait.

Bouleversée, la jeune fille courait à l'aveuglette, sautant de toit en toit. Seuls ses réflexes l'empêchaient de se rompre le cou. Mage. Mage. Mage. Le terme tournait en boucle dans son esprit. Si elle avait douté que la force venait d'elle, le soldat l'avait cruellement détrompée.

Elle ne savait que trop bien ce qui attendait les mages : la mort.

Fuis. Fuis ou ils te tueront.

À la panique et l'incompréhension succéda l'instinct de survie. Elle devait descendre des toits et rejoindre la planque. Les cris des soldats ne désemplissaient pas, mais elle ne voulait perdre de précieuses secondes pour voir où ils se trouvaient exactement. Elle repéra un perron assez haut pour qu'elle puisse sauter dessus sans se blesser. Après un atterrissage maladroit, elle rejoignit le sol d'un bond et continua sa course folle. Elle emprunta les plus étroites ruelles et tous les raccourcis qui lui permettaient de s'éloigner enfin de ses poursuivants.

Peu à peu, les échos de cavalcade et cris s'estompèrent. Mia vit avec soulagement qu'elle avait distancé les soldats. Il s'en était fallu de peu. Elle ralentit son allure, essayant de calmer les battements effrénés de son cœur. Elle allait passer dans une allée particulièrement exiguë et déserte pour rejoindre la cabane au bord de la rivière quand un des soldats surgit, suivi par une demi-douzaine d'autres. Épouvantée, elle s'esbigna à l'opposé. Ils crièrent, lui ordonnèrent de s'arrêter, mais elle continua de courir, sans même voir où elle allait.

Mia commençait à faiblir, essoufflée. En passant dans une rue où se tenaient quelques commerces, elle s'empara d'un chariot qu'elle déplaça avec hâte pour entraver la course des soldats, avant d'obliquer dans une ruelle qu'elle n'avait que rarement parcourue dans l'espoir de leur échapper définitivement. Elle se rendit compte trop tard qu'elle était dans un cul-de-sac, et n'eut pas le temps de faire demi-tour pour repartir ailleurs : les soldats l'avaient rejointe. Le lieutenant s'approcha de sa proie.

— C'est une mage, qu'on a là ! Qui a l'audace de rompre les règles ! Malheureusement pour toi, gamine, tu n'étais pas assez rapide. Tu t'appelles comment ?

Elle resta coite.

— Tu habites où ?

De nouveau, aucun mot ne franchit ses lèvres.

— Tu ferais mieux de répondre. Tu sais qu'on trouvera ta famille facilement, menaça-t-il.

Sa seule réponse fut un regard provocateur. Il fit aussitôt signe à ses hommes, qui s'avancèrent vers la jeune fille, épée au clair. Mia recula, mais se retrouva bientôt acculée au mur, sans issue. Elle ne leur ferait néanmoins pas le plaisir de se rendre docilement pour être exécutée ensuite. Elle réussit à esquiver un coup et tenta de prendre la fuite, mais un croche-pied la déséquilibra. Elle s'étala de tout son long par terre. Le corps douloureux après cette chute, elle se redressa légèrement et vit le lieutenant penché vers elle. Il la toisa et éclata d'un rire méprisant.

— Tu croyais pouvoir nous échapper, mage ?

Avec l'énergie du désespoir, Mia voulut se relever, mais il lui décocha un violent coup de pied dans les côtes. Elle se recroquevilla à terre alors que la douleur affluait, le souffle court.

C'est fini, pensa-t-elle quand elle vit le Timorien dégainer. Je vous rejoins, père.

Cependant, le coup fatal ne vint pas. Le pommeau de l'épée s'abattit sur son crâne, la plongeant dans un noir total.

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Tout ce qu'on peut dire, c'est que nos deux voleurs sont dans le pétrin !

Que pensez-vous qu'il va se passer par la suite ? N'hésitez pas à me donner vos impressions ! ;)

Merci d'avoir lu !

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