Prologue : La fin d'une ère
« Il n'y a pas de fin. Il n'y a pas de début. Il n'y a que la passion infinie de la vie »
- Frederico Fellini -
// 18 Janvier 1963 //
- Est-ce que tu veux que... que je prévienne ta sœur ? Ton frère ? Ou tes parents ?
Aurélia Shelton ne parvint pas à détacher les yeux du nouveau-né dans ses bras et les mots de son mari se réduisirent à un murmure dans son esprit épuisé. Tout son corps la faisait souffrir, comme si elle avait tenté de jeter un sort particulièrement puissant et qu'elle tentait désormais de reprendre son souffle.
- Non, murmura-t-elle. Non...
- Ou Leonidas... ?
- Non, s'il te plaît.
Elle secouait la tête une fois de plus, incapable d'accorder son attention à la personne qu'elle pensait la plus importante dans sa vie il y a encore quelques heures. Contre son sein, le bébé s'agita et elle le contempla, fascinée, déplier ses doigts avant de les refermer en un minuscule poing.
- Il est si petit, dit-elle dans un souffle. Tu veux le tenir ?
- Moi ?
- Non, rit-elle, Dumbledore. Il est derrière la porte. Oui toi, Ethan ! C'est ton fils.
- Mon fils... répéta-t-il.
Dans sa voix, elle entendit toute l'incrédulité que cette perspective engendrait chez lui. Elle savait qu'il avait du mal à prendre conscience de ce que cet enfant impliquait, ce petit être concret si éloigné de son univers théorique, de ses grimoires et de ses études de sortilèges. Elle était tombée amoureuse d'Ethan pour ce regard unique sur le monde, même si à cet instant elle ne pouvait pas s'empêcher d'éprouver une certaine déception face au fait qu'il ne partage pas son émerveillement, même si elle était certaine qu'il viendrait. Ethan avait souvent un temps de retard en ce qui concernait les émotions.
Avant qu'il puisse rassembler le courage de tendre les bras pour prendre le nouveau-né, la porte de la chambre s'ouvrit. La sage-femme qui l'avait aidé à accoucher moins d'une demi-heure plus tôt entra en souriant.
- Ah les Shelton ! Comment ça se passe ? Tout va bien ?
- Fatiguée, avoua Aurélia.
- C'est normal ! Vous venez de donner naissance à un beau petit bonhomme ! Je reviens pour lui, est-ce qu'il a un prénom ?
- Justement... On hésite encore. J'avais choisi Charlotte pour une fille, mais pour un garçon...
- Vous avez besoin de réfléchir, compléta la sage-femme, compréhensive. Je comprends. Je repasserai demain matin, mais il faudra me donner une réponse. En attendant, essayez de vous reposer, il est déjà presque 3h. Vous avez besoin de quelque chose ?
- Je suppose que vous n'avez pas de jus de citrouille ? Plaisanta-t-elle.
- A la cafétéria, si...
Ethan se redressa et remonta précipitamment ses lunettes à monture écaille.
- J'y vais ! Dit-il. Je vais t'en chercher, ma chérie.
Il était déjà presque hors de la chambre. Elle n'eut pas le cœur de lui dire qu'elle pouvait très bien boire de l'eau et se laissa aller contre l'oreiller qui soutenait son corps douloureux. Le bébé émit un bruit, mais ne se réveilla pas.
- Il est très beau en tout cas, commenta la sage-femme. Encore félicitations.
- Merci...
- On se voit demain pour le prénom donc ?
- Oui, promis. J'aurais trouvé.
La sage-femme lui rendit son sourire et commença à se diriger vers la porte. La main sur la poignée, elle se retourna brusquement.
- Oh Merlin, j'allais oublier, s'exclama-t-elle en plongeant la main dans la poche de sa blouse. Un hibou a déposé cette lettre pour vous tout à l'heure à notre service courrier. Tenez.
D'un bras, Aurélia se saisit de l'enveloppe et la garda suspendue dans la main. La sage-femme mit une seconde à se rendre compte du problème.
- Vous voulez que je le mette dans son berceau ? Proposa-t-elle. Je peux le mettre juste à côté de vous.
- Oui... merci. Faites attention.
Dès que la remarque quitta ses lèvres, elle se trouva idiote. C'était évident qu'une sage-femme savait tenir un bébé. Cette dernière ne parut pas lui en tenir rigueur et se contenta de sourire en soulevant son fils d'un geste expert pour le mettre dans le petit couffin bleu à sa droite. Aussitôt, le petit lit se mit à bercer tout seul.
- Et voilà ! A tout à l'heure, Mrs Shelton. Reposez-vous !
Cette fois-ci, elle quitta la chambre sans se retourner, sûrement pour continuer sa tournée nocturne. Aurélia resta plusieurs secondes à contempler son bébé, allongé sur le dos les poings serrés au niveau de sa tête, et tenta d'occulter le sentiment de manque qui montait en elle maintenant qu'il n'était plus dans ses bras.
La sensation du papier contre sa peau lui rappela la lettre dans sa main et elle détourna finalement le regard. L'enveloppe n'était pas en papier normal, mais en parchemin ancien. Ce n'était donc pas Jeanne, la mère d'Ethan, qui lui écrivait. Il faudrait d'ailleurs qu'ils pensent à l'appeler dès le matin pour lui annoncer l'accouchement. Sa belle-mère habitait à plus de trois heures de Londres, à la campagne, et n'avait pas pu faire le déplacement. Il fallait dire que les contractions étaient arrivées par surprise, à plus d'une semaine du terme annoncé, et ni elle ni Ethan n'avaient été prêts ce soir ou n'avaient pensé à téléphoner à leurs proches.
Sur le coin de l'enveloppe, le cachet indiquait qu'elle provenait des Etats-Unis. Aurélia sentit son cœur s'emballer.
Elle n'avait gardé contact avec personne dans son pays natal. Ni sa famille, ni ses amis. Quand elle avait obtenu son diplôme d'Ilvermorny en 1952, elle s'était exilée à l'autre bout du pays, en Californie, le plus loin possible de New York et de lui. Elle y était restée deux ans, puis le Ministère anglais lui avait offert une place aux archives historiques. Sans réfléchir, elle avait sauté dans un avion pour la première fois de sa vie et avait quitté les Etats-Unis. Tout avait été dépaysant en Angleterre. Le vocabulaire, les institutions, la nourriture, les accents. Par Morgane, beaucoup trop d'accents. Et en février 1956, par un jour d'hiver pluvieux, elle avait rencontré Ethan à un congrès de chercheurs. Il n'était pas ce qu'elle avait imaginé quand elle rêvait au sorcier charmant enfant. Ethan et ses lunettes écailles détonnaient partout, il paraissait plus comprendre les textes anciens dans les grimoires que les émotions humaines, mais il avait trouvé en elle un ancrage dans la réalité comme elle avait trouvé en lui une autre vision du monde. Il l'avait compris et avait vu au-delà de la façade de la jolie femme blonde américaine qui lui valaient souvent des regards grivois d'hommes en costume au bureau. Elle avait enfin eu l'impression de trouver sa place dans son pays d'adoption.
Les mains tremblantes, Aurélia retourna l'enveloppe. Instantanément, elle reconnut le sceau qui la scellait et, cette fois, son cœur dévala dans sa poitrine. Trois corbeaux en plein envol. Les Grims. Son esprit songea d'abord à son père. Il était le seul qui avait pris sa défense quand leur famille s'était déchirée et était le seul susceptible de lui écrire. Puis elle songea à son cousin Leonidas. Malgré leur un an d'écart, elle s'était toujours bien entendu avec lui. Elle l'avait vu grandir, devenir un adolescent réservé mais brillant, et elle savait qu'il venait tout juste d'obtenir une promotion à l'Ambassade de Londres. Peut-être qu'il lui écrivait pour prendre de ses nouvelles après le nouvel an passé ensemble alors que son ventre l'empêchait presque de se relever seule. Elle pourrait lui présenter son fils tout juste né.
Délicatement, elle fit céder le sceau et sortit la lettre. Cette fois, ce fut son ventre qui se contracta, comme s'il tentait d'avaler son cœur qui avait dévalé une seconde auparavant. L'écriture n'était pas celle de son père, ni celle de Leonidas. C'était celle de Cordelia.
Ma petite sœur,
J'espère que tu recevras cette lettre en Angleterre et que tu ne la jetteras pas au feu avant de la lire. Tu dois sûrement te demander si Ronan m'a demandé de t'écrire, mais la décision vient de moi seule, il n'est pas au courant. J'espère qu'un jour tu reconnaîtras quel grand homme il est néanmoins.
A vrai dire, je t'écris car la nouvelle m'est parvenue par Barenne que tu étais enceinte. Je trouve ça assez hypocrite de ta part de lui annoncer à lui et non à ta propre famille, surtout que tu devrais lui reprocher les mêmes choses qu'à moi, tu ne crois pas ? Après tout, lui aussi était là ce soir-là.
Mais qu'importe. Je voulais t'adresser mes félicitations, même s'il est sans doute un peu tard. Je ne sais pas de combien de mois tu étais enceinte, j'espère que ma lettre est encore d'actualité. J'avoue avoir été surprise malgré tout. Nous n'avons même pas rencontré ton mari. Ce n'est pas parce que tu considères le mien comme « un fou fanatique » (tes mots, si tu te rappelles bien le jour où tu as claqué la porte) que j'en ferai de même. Il est né Non-Maj' c'est bien cela ?
Enfin, ma lettre a un autre but. Je voulais faire ce que tu n'as pas fait et te l'annoncer moi-même. Ronan et moi attendons un enfant. Ou plutôt des enfants. Des jumeaux. Je viens de passer les trois mois. J'espère que tu reviendras nous voir à leur naissance.
Donne-nous des nouvelles.
Cordelia
Aurélia relut la lettre à deux reprises, médusée par ce ton passif-agressif. Du Cordelia dans toute sa splendeur. La remarque sur Ethan et son statut de né-moldu piquait plus que le reste. Les préjugés des vieilles familles sang-purs avaient la vie dure, elle le savait pour y avoir grandi, mais Cordelia n'avait vraiment aucune retenu. Elle n'arrivait pas à croire qu'elle ait osé mentionner Ronan et... ce soir-là.
Rien que d'y repenser, elle fut saisie de nausée. Derrière ses paupières, l'image de ses mains couvertes de sang s'imprima. Instinctivement, elle porta la main à sa gorge et toucha son collier dont l'horloge incrustée dans le pendentif ne fonctionnait plus depuis cette nuit fatale.
« - Il est mort ! Il est mort !
- Tais-toi par Morgane ! Tais-toi ! On doit le faire, Heather ! Sinon ils sauront !
Son poing se crispa autour de la lettre.
- Aurélia, aide-moi.
Elle luta contre les larmes.
- Le sang... le sang veut pas partir...
- Arrête ! »
Brusquement, la porte de la chambre se rouvrit et les échos des voix du passé s'évanouirent. Aurélia, glacée par le souvenir d'une peur vieille de treize ans, cacha la lettre sous les couvertures précipitamment. Ce n'était qu'Ethan, une bouteille entière de jus de citrouille dans les mains.
- Je t'en ai pris une bouteille, je ne savais pas si tu en voulais beaucoup ou... commença-t-il à expliquer avant de s'interrompre, sourcils froncés. Tu te sens bien, ma chérie ? Tu... tu es toute pâle. Tu veux que j'aille chercher un médicomage ?
Le souffle court, Aurélia se força à sourire, sincèrement touchée par son attention et son inquiétude. Elle secoua la tête.
- Ce n'est rien, mentit-elle. Juste le contre-coup de l'accouchement.
- Oh... Oui, j'ai lu que ça pouvait arriver.
- Evidemment que tu as lu sur le sujet, s'amusa-t-elle.
Ethan lui sourit, embarrassé, et vint se poser sur le lit à côté d'elle. Ils observèrent leur fils.
- Tu as raison... Il est minuscule...
- Hum hum... acquiesça-t-elle, épuisée.
- Et pour le prénom... ?
- Oui ?
- Je crois que j'ai une idée...
Étonnée, elle reporta son attention sur son mari. Ce n'était pas son genre de prendre ce type de décision et elle l'encouragea en prenant sa main dans la sienne.
- Julian, proposa-t-il. Je... j'aime bien ce prénom... Aucun grand chercheur ne l'a porté, c'est vrai, mais un des hommes qui s'est battu avec mon père pendant la guerre – celle des moldus – s'appelait Julian et l'a sauvé pendant un bombardement. Je pensais... enfin la symbolique était belle...
- Julian Shelton, essaya-t-elle à voix haute. Oui... j'aime beaucoup.
Comme si le bébé avait compris qu'on parlait de lui, il ouvrit ses grands yeux. Aurélia sourit, la poitrine comprimée par l'émotion. Elle se rappela les mots qu'avait prononcé sa mère, il y a longtemps, un jour où elles parlaient de la maternité. « Quand j'ai t'ai eu, toi, ta sœur et ton frère ; j'ai su que c'était terminé. Le jour où j'ai donné la vie, je suis morte. Je n'étais plus que mère ». Adolescente, elle avait trouvé la vision de sa mère dramatique et antiféministe. Aujourd'hui, dans la même position, elle comprenait enfin ce qu'elle avait voulu dire. Elle aimait cet enfant à en mourir.
- Bienvenue dans ce monde, Julian, chuchota-t-elle. Bienvenue dans ce nouveau monde.
Prochain post : Chapitre 1 - Mercredi 16 septembre 2020
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top