Chapitre 5 : Les Chroniques des Grims
Voici le chapitre de cette semaine. Vous allez voir, j'y évoque la généalogie des Grims plus en détails. Pas de panique si vous êtes perdu, un arbre généalogique réalisé par mes soins vous attend à la fin du chapitre pour vous aider !
Au programme sinon, vous allez découvrir davantage Leonidas et les autres membres de la famille, mais aussi le mystérieux passé d'Aurélia. En espérant que cela vous plaise, je vous souhaite une bonne lecture !
****************************************************
« Nous sommes reliés par le sang et le sang est une mémoire sans langage »
- Joyce Carol Oates -
// 3 septembre 1979 //
Depuis deux jours, Julian avait l'impression d'être en décalage perpétuel. Décalage horaire, décalage de vie. Il voyait bien que les Grims faisaient des efforts, notamment grand-mère Isadora, mais eux aussi semblaient être en équilibre précaire dans cette relation naissante. Cordelia sortait à peine de ses appartements et sautait même des repas, comme si elle était effrayée de revoir leur visage, et Théa et Archer n'avaient pas l'air à mettre beaucoup de bonne volonté envers ces étrangers qui débarquaient du jour au lendemain dans leur maison. Julian ne les blâmait pas : il se sentait effectivement étranger.
Ce matin, la date du jour lui avait bien rappelé ce sentiment. 3 septembre. Pour des milliers de sorciers en Amérique, ce jour était synonyme de rentrée scolaire, de voyage en train, de retrouvailles dans un château. Julian, lui, se disait qu'il aurait dû être à Poudlard depuis deux jours. Il se demanda si Matthew aimait son emploi du temps cette année. Il n'avait pas arrêté de se plaindre des cours d'Astronomie tardifs l'an passé et des devoirs de Métamorphose qui tombaient toujours en même temps que ceux de Sortilèges, comme si McGonagall et Flitwick se passaient le mot.
Les paupières lourdes de sommeil, il se força malgré tout à sortir du lit. Sur sa droite, Charlotte dormait encore, lovée comme un chat, et il n'eut pas le cœur à la réveiller. Ils devaient partir à midi pour être à la gare de Grand Central une demi-heure plus tard si tout allait bien. Le train partait à treize heures tapantes. Dans la semi-pénombre, Julian enfila un pull et un pantalon sans faire de bruit, puis traversa la chambre sur la pointe des pieds. Le parquet en bois grinça à peine et il referma la porte derrière lui sans réveiller sa sœur. La lumière du couloir lui fit plisser les yeux. Visiblement, le soleil était déjà bien levé, mais sa lumière crue indiquait qu'il ne devait pas être tard non plus. Julian estima que c'était un progrès. La première nuit, il avait dormi jusqu'en milieu de journée à cause du décalage horaire.
En face, la porte de son père était toujours fermée. Il hésita à aller frapper. Soit son père dormait encore, soit il s'était remis à étudier et il ne voulait pas le déranger dans un cas comme dans l'autre. Finalement, il prit la décision de descendre. Isadora avait l'air d'être du genre matinal et elle serait sans doute réveillée. Quand il passa dans le hall, le portrait de son ancêtre, la grande tante Saranna, le regarda d'un œil inquisiteur, comme si elle s'assurait qu'il ne dégrade rien dans sa maison.
- Ah Julian, lança une voix. Déjà réveillé ?
Il se retourna. Dans l'encadrement qui menait au salon se tenait sa grand-mère, vêtue de sa robe au haut col en dentelle et appuyée sur sa canne en argent.
- Oui, je voulais préparer notre départ.
- C'est consciencieux de ta part, approuva-t-elle, mais ne t'en fais pas Tikky s'est occupé de tout. Vos valises sont déjà chargées dans la diligence, il ne manquera plus que les affaires que vous avez gardées avec vous.
Julian hocha la tête, mal à l'aise. Le soir de son arrivée, il avait été bien trop perturbé pour vraiment prêter attention à l'elfe de maison aux petites oreilles triangulaires, mais depuis deux jours il n'arrivait pas à se débarrasser de la sensation gênée qu'il éprouvait dès qu'il se faisait servir par la créature. A la maison, il n'avait jamais eu d'elfe. Ils auraient pu en faire la demande auprès du Ministère, mais ses parents trouvaient que ce n'était pas nécessaire. Ils étaient bien tous capable de s'occuper de leur appartement londonien.
Soudain, il repassa mentalement la phrase de sa grand-mère et haussa un sourcil.
- Pardon... La diligence ?
- Et bien oui. Pour se rendre à la gare. Comment pensais-tu traverser New York autrement ?
En métro ? En taxi ? En tout sauf en diligence, pensa-t-il, abasourdi.
- Mais... Une vraie diligence ?
Isadora sourit. D'un mouvement de canne, elle l'invita à la suivre.
- Tu verras par toi-même tout à l'heure. Viens donc, le petit déjeuner est servi.
Toujours en train d'essayer d'imaginer une diligence en pleine grosse pomme, Julian la suivit. A table il n'y avaient qu'Archer et Leonidas. Apparemment, il avait tenu sa promesse et était revenu pour leur départ. Ce n'était pas le cas des parents d'Archer qui n'étaient jamais rentrés après leur journée de travail. Apparemment, ils avaient dû partir pour Washington en urgence après une alerte de sécurité à la banque américaine.
- Le cousin, marmonna Archer. T'as réussi à te réveiller aujourd'hui ?
- Faut croire...
- Le décalage horaire est une horreur, lança Leonidas en mordant d'un coup vif dans son toast. Même après toutes ces années, je mets toujours des jours à m'en remettre. Lysandra ne ressent rien, elle. Ça doit être une question d'horloge interne.
Julian haussa les épaules.
- Leo est ambassadeur en Angleterre, précisa Isadora. Il s'occupe des affaires d'immigration entre les deux pays. C'est grâce à lui que j'ai pu vous avoir un visa si vite d'ailleurs. Alors même s'il habite une grande partie de l'année à Londres, il revient au moins deux ou trois fois par mois à Boston pour les affaires.
- Et voir ma chère famille, ajouta-t-il, presque avec ironie.
- Voyons, tu n'es même pas venue pour l'anniversaire de Cordelia.
Il émit un bruit étouffé qui ressemblait fortement à un ricanement.
- Parce qu'elle n'aurait pas voulu de moi ! Et au cas où tu l'aurais oublié, ma mère demande aussi que je la visite. Je ne peux pas être partout.
- Bien sûr... dit Isadora d'un ton peu convaincu mais poli. Comment va-t-elle d'ailleurs ?
- Toujours aussi malade. Les médicomages espèrent que ses poumons passeront l'hiver...
- Oh Leo... Je suis désolée de l'apprendre. Surtout, si elle a besoin de venir ici pour ne pas être seule, nous serions ravis de nous occuper d'elle.
- J'y songerai, merci ma tante.
Julian n'en jurerait pas, mais il était à peu près sûr que Leonidas n'envisageait pas une seconde cette possibilité. Sa mâchoire carrée mastiquant pensivement un œuf sur le plat, il jeta un œil vers Archer qui ne paraissait pas suivre la conversation.
- Tu rêvasses Arch ? Lança-t-il. Ta mystérieuse inconnue dont parlait Théa ?
Archer le fusilla du regard.
- Théa ne sait rien du tout, maugréa-t-il.
- Mais tu ne déments pas non plus, s'amusa Leonidas.
- Leo, laisse-le.
Isadora paraissait pourtant elle aussi vouloir des informations, mais elle devait davantage avoir pitié de l'air paniqué d'Archer. Leonidas se tourna donc vers lui.
- Et toi Julian ? S'enquit-il. Une petite amie ?
La question, bien qu'innocente, sous-tendait une curiosité certaine. L'espace d'un instant, Julian eut la vision des yeux rieurs d'Hanna Faucett, sa camarade de Serdaigle avec qui il était sorti environ six mois. Il ne l'avait pas revu avant de déménager puisqu'elle était en Grèce pour l'été et ils n'avaient pas exactement mis des mots sur le statut de leur relation dans leurs dernières lettres.
- Non, pas pour le moment, répondit-il finalement.
Il pria pour ne pas rougir. Ce n'était qu'une demi-vérité.
- Ah ça viendra ! Assura Leonidas. Conquérir le cœur d'une fille, c'est une quête à long terme, crois-moi. Regarde notre ancêtre Robert ! Il a fallu qu'il construise ce manoir pour obtenir la main de sa femme.
Archer roula des yeux. Le nez dans son assiette, Julian tenta de ne croiser le regard de personne. Ce n'était vraiment pas le genre de conversations qu'il appréciait. Il se servit une tasse de thé et grimaça en sentant le goût âcre se répandre sur sa langue. Le thé américain n'avait rien à voir avec celui anglais. Pour essayer de cacher sa réaction, il releva la tête et tenta de se rappeler qui était la femme de Robert premier du nom.
- Saranna, c'est ça ? Il a donné son nom à la maison ?
- Tu vois la généalogie commence à rentrer, dit Archer avant d'ajouter en direction des deux autres, l'air incrédule : ils n'ont jamais pris de cours de généalogie ! Rien !
- Vraiment ?
- Voyons ma tante, s'exclama Leonidas, ça vous surprend ? Il me semble qu'Aurélia a été assez claire sur ce qu'elle voulait laisser derrière elle, n'est-ce pas ? Crois-moi, Julian, tu n'as rien perdu, ce sont de longues séances de cours ennuyeuses.
Les lèvres de sa grand-mère se pincèrent comme si elle venait de mordre dans un citron. Julian n'osa pas donner son avis, mais intérieurement il était d'accord avec Leonidas. La perspective de rester enfermer pour apprendre par cœur les noms des membres de la famille sur plusieurs siècles ne lui paraissait pas réjouissante. Leonidas dû néanmoins percevoir la désapprobation d'Isadora car il modéra soudain ses propos :
- Après, c'est une tradition qu'il convint de garder vivante dans les mémoires. Viens avec moi, Julian, je vais te montrer.
- Leo...
- Ne vous en faites pas, ma tante, je vais lui donner une leçon en accéléré. Et Archer, redresse-toi, tu vas finir bossu.
Pris sur le fait, Archer se redressa si brusquement qu'une pile de livres aurait pu tenir en équilibre sur le sommet de son crâne et Julian, pris au dépourvu, mit une seconde à comprendre qu'il fallait qu'il se lève. Abandonnant le reste de son toast et sa tasse de thé infect, il pressa le pas pour suivre Leonidas.
- Je t'emmène à la bibliothèque, indiqua-t-il par-dessus son épaule en traversant le hall. Tu l'as déjà vu ?
- Non, pas encore...
- Tu vas voir, la famille a amassé une impressionnante collection. Tu pourras le dire à ton père, ça l'intéressa sûrement. Il travaille sur quoi en ce moment ?
- Euh... Je ne sais pas, j'ai été occupé avec le déménagement... Je ne lui ai pas demandé...
Leonidas haussa un sourcil et ses yeux bleu cobalt brillèrent d'un éclat surpris.
- Tu t'es occupé du déménagement ?
- Avec mon père, s'empressa-t-il de mentir. Mais il y avait beaucoup de choses à faire... Merci pour les visas d'ailleurs.
- Ce n'était rien, la moindre des choses. Un juste retour, même, si on peut dire. (Il sourit, désabusé). C'est moi qui ai fourni ses papiers à Aurélia quand elle a voulu quitter les Etats-Unis. J'avais à peine dix-neuf ans, je commençais tout juste ma carrière à l'Ambassade et j'ai peut-être magouillé un peu. Sa demande d'expatriation aurait été bien plus longue sans mon intervention et elle m'avait demandé de l'aide. C'était ma cousine préférée, je pouvais bien faire cela pour elle.
Pour la énième fois, Julian sentit la curiosité le dévorer. Il avait l'impression qu'on lui jetait les pièces d'un immense puzzle à la figure et il tentait tant bien que mal de reconstituer l'image floue qui en émergeait.
- C'est pour ça que Cordelia est en colère contre vous ? Au dîner, l'autre soir, elle a dit que c'était votre faute si elle était partie...
Leonidas balaya l'air de la main. Malgré son ton désinvolte et ses manières moins guindées, Julian discernait malgré tout son statut sang-pur dans des gestes comme ceux-là ou dans des paroles trop formelles.
- Cordelia est amère, rongée par des regrets, dit-il sans ambages. Elle cherche à rejeter la faute sur les autres alors qu'elle est responsable. Ce n'est pas mon aide qui a permis à Aurélia de partir, elle l'aurait fait sans mon intervention. Ce n'était qu'une question de temps.
- Pourquoi ? Pressa Julian, avide. Pourquoi elle est partie ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Vous le savez, vous ?
- Pas précisément, non. Elle refusait d'en parler. Mais j'ai compris des choses au fil des années.
- Comme quoi ?
Cette fois, Leonidas marqua une pause, comme s'il hésitait. Il paraissait sur le point de reprendre la parole lorsque des éclats de voix leur parvinrent depuis l'intérieur de la pièce devant laquelle ils venaient de s'arrêter. La bibliothèque, devina Julian. Il mit une seconde à reconnaître la voix froide et agacée de Théa, et celle encore plus glaciale de la tante Cordelia. Par l'interstice de la porte, il devinait leur silhouette en contre-jour.
- Quoi encore ? S'agaçait Théa. J'ai mal fait les choses, comme d'habitude ?
- Je n'ai pas dit ça.
- A peine. Ça se lit sur ton visage. J'ai passé ma journée à faire le ménage avec Tikky avant qu'ils arrivent alors qu'Archer restait bouclé dans sa chambre. C'est injuste ! S'il était venu m'aider, peut-être que les vitres auraient été faites correctement.
- Si tu n'es pas capable de nettoyer trois fenêtres à ton âge, Théodora...
Théa émit une exclamation indignée.
- Trois fenêtres ? Ou toutes celles du manoir ? Et calme-toi, ils ne sont pas de la brigade d'hygiène. Ils viennent de traverser l'Atlantique, un grain de poussière sera sûrement la dernière de leur préoccupation.
- Ce sont nos invités.
- C'est notre famille. Ce sont deux enfants qui viennent de perdre leur mère et un mari qui vient de perdre sa femme. Encore une fois, je pense que l'état de la maison leur importe peu.
Julian recula d'un pas comme si Théa l'avait frappé physiquement. Par l'ouverture de la porte, il vit le visage de Cordelia se vider de ses couleurs. Il ne la connaissait que depuis deux jours, mais Cordelia Grims n'avait jamais eu des traits expressifs, elle paraissait porter un masque de marbre de l'instant où elle quittait sa chambre le matin jusqu'au moment elle la regagnait le soir. En la voyant ainsi, il eut l'impression d'assister à une scène intime, comme le soir où elle les avait vu pour la première fois.
- Et je viens de perdre ma sœur, rétorqua-t-elle d'un ton tranchant. Si tu crois que ce genre de choses est facile...
Elle s'interrompit brusquement. A côté de lui, Julian sentit Leonidas se tendre.
- Tu me dis ça à moi ? S'étrangla Théa. Tu oses me dire ça à moi ?
- Théodora...
- Fais-les toi-même tes carreaux et laisse-moi tranquille, cracha-t-elle d'une voix venimeuse. Je repars à Ilvermorny aujourd'hui, tu seras débarrassée.
Julian ne comprenait plus rien. Il n'eut même pas le temps de s'écarter avant que la porte ne s'ouvre en grand sur Théa, le visage crispé. Elle leur décocha une œillade assassine en les découvrant dans le couloir et les dépassa sans s'attarder. A sa suite, Cordelia sortit d'un pas plus mesuré, le teint blême. Elle marqua une pause, surprise.
- Je ne savais pas que vous étiez là, souffla-t-elle.
- Je venais juste montrer à Julian les archives généalogiques, dit Leonidas. Nous ne voulions pas...
- Pas un mot, Leo. Je ne veux rien entendre.
- Cordelia...
- Si c'est pour me redire que je suis une mère indigne, je n'en ai pas besoin. Aie un peu de décence.
Pour une fois, l'expression de Leonidas était dépourvue de toute ironie. Une main glissée dans sa poche de veston, il avait l'air plus désolé qu'autre chose.
- Tu sais bien que je regrette ce que je t'ai dit l'année dernière...
- Peut-être bien, admit-elle. Les problèmes avec les regrets, c'est qu'ils nous hantent longtemps.
D'un mouvement d'épaule, elle le dépassa, sa robe traînant derrière elle. Julian resta figé. Il n'osait pas lever les yeux sur Leonidas ni émettre le moindre commentaire, même pour alléger l'atmosphère. Celui-ci regardait droit devant lui, son imposante mâchoire carrée contractée. Au bout de longues secondes, il finit par soupirer et un sourire qui avait du mal à paraître tout à fait sincère refit surface sur ses lèvres.
- Désolé pour cette scène, s'excusa-t-il. Tu l'as sûrement déjà compris, cette famille est un peu compliquée. Je sais que Cordelia et Théa peuvent semblées froides, mais leur vie n'a pas été facile.
Julian hocha la tête. Il ne voyait pas bien ce qu'il y avait de difficile à vivre dans un manoir victorien en plein cœur de New York dans une famille qui ne manquait visiblement de rien.
- Bien ! Annonça-t-il. Nous étions là pour une raison. Viens voir, la généalogie de la famille est conservée ici dans ce volume. Il a été ensorcelé par Robert premier du nom, celui qui a immigré avec les douze premiers Aurors. Il s'actualise tout seul à chaque naissance et mariage de Grims grâce à un sortilège renouvelé par le chef de famille. C'est comme ça qu'on a appris votre naissance à ta sœur et à toi.
Julian s'approcha du livre posé sur un pupitre en bronze. Derrière, l'imposante bibliothèque croulait sous les ouvrages et les grimoires anciens. Sur la couverture d'un vert foncé s'étalait en lettres d'or « Chroniques de la famille Grimsditch ».
- Grimsditch ? S'étonna-t-il avant de se rappeler brusquement qu'il s'agissait du véritable nom de la famille.
- Le nom entier de la famille, expliqua Leonidas. Son vrai nom, en vérité. C'est mon grand-père Edward – le grand-père de ta mère aussi en fait – qui a raccourci le nom pour qu'il sonne moins allemand pendant la première guerre mondiale. Tu sais, c'était mal vu à cette époque. Personne ne l'a jamais rechangé.
Julian se souvint soudain de ce fait. Il connaissait ce sentiment anti-allemand. Il était anglais après tout et même la famille royale avait changé de nom pendant la guerre. Si les Windsor le faisait, il ne voyait pas pourquoi les Grims ne pouvaient pas en faire de même.
- Je peux ? Demanda-t-il en désignant l'épais volume.
- Bien sûr. Le début représente notre arbre généalogique avec les portraits de tous les membres de la famille qui ont porté le nom. Les filles mariées y apparaissent avec leurs enfants le temps de vie de cette génération puis les noms de la descendance s'effacent. Ce n'est pas très féministe, je te l'accorde. Ta mère apparaît encore, on suppose que c'est parce que Robert, Cordelia et moi sommes encore vivants. Et sur les pages suivantes, tu as la biographie des membres éminents de la famille, à commencer par Robert Ier.
Presque avec révérence, Julian ouvrit le livre. Malgré son âge, il ne craquelait pas et le papier restait de bonne qualité. Il devait être protégé par un sortilège de longévité, comme le Choixpeau de Poudlard. Ce genre de sortilège était aussi complexe que puissant et Julian laissa ses mains parcourir le livre pour sentir la magie qui circulait dedans. C'était comme un léger picotement au bout de ses doigts qu'il ne sentait qu'en se concentrant avec force. Il avait toujours été fasciné par les sortilèges et les strates de la magie qui pouvaient donner vie à des enchantements incroyables. Flitwick, son directeur de maison, lui disait souvent qu'il pourrait envisager une carrière de chercheur ou de Briseur de sorts s'il voulait.
Julian se pencha pour mieux voir l'arbre. Il s'étendait sur deux pages et se modifiait à mesure qu'il baissait le regard pour parcourir les générations, comme un rouleau de parchemin qui se déplierait et se dévoilerait progressivement. Tout en haut de l'arbre, Robert Ier et sa femme, Saranna Rappaport, jetaient un regard à la fois doux et ferme sur leurs descendances. Les noms et les visages inconnus défilèrent jusqu'à ce qu'il arrive à celui de grand-mère Isadora dont le nom était lié par un fil d'or à celui de Gerbert. Il découvrit avec surprise que son nom de jeune fille était Goldstein et ce nom lui dit vaguement quelque chose. Apparemment, les yeux cobalt dont avaient hérités aussi bien Gerbert et son frère Dorian – le père de Leonidas – que Robert V, Cordelia et Théa venaient de son arrière-grand-mère, une certaine Eugénie Perrot, dont la beauté et la chevelure auburn étaient encore perceptibles à travers l'image en médaillon accolée à son nom.
A côté du nom de Leonidas, ses sourcils s'envolèrent en découvrant le nom de jeune fille de sa femme Lysandra.
- Croupton ? S'étouffa-t-il. Comme Bartemius Croupton ? Celui de la Justice au Ministère ?
- Je vois que la réputation précède le nom, déplora Leonidas.
Il s'était reculé légèrement pour lui laisser de l'espace et, adossé à la fenêtre ouverte, fumait une cigarette dont la fumée dansait dans les rayons du soleil et prenait des formes diverses pendant de brèves secondes. Julian distingua un corbeau et un bateau à trois mats avant que les images ne s'évanouissent.
- Mais oui, bien vu. Bartemius est le frère de Lysa.
Julian tenta d'assimiler l'information. Il avait croisé Bartemius Croupton, le jour de la cérémonie en mémoire des victimes de l'explosion des Archives du Monde Magique. Il lui avait fait l'effet d'un homme politique détaché qui, bien que touché par le drame, récitait surtout un discours de convenance et des mots creux aux familles.
- Tu ne l'aimes pas beaucoup, observa Leonidas. Tu le connais ?
- Non, dit-il honnêtement. Je l'ai juste croisé au Ministère... Il avait organisé une espèce de cérémonie pour rendre hommage aux victimes. Je n'ai pas... Enfin, je veux dire...
- Que ça t'a semblé vide de sens ? Devina-t-il.
- Oui, un peu...
- C'est bien normal, Julian.
L'entendre valider ce qu'il ressentait soulagea Julian. Sous ses airs détachés, il commençait à bien aimer Leonidas. Il se demanda un instant pourquoi il ne l'avait jamais vu. S'il était ambassadeur à Londres les trois quarts de l'année et qu'il était le seul à avoir maintenu un lien ténu avec sa mère, il trouvait étonnant qu'ils ne se soient jamais rencontrés.
- Vous parliez toujours à ma mère ? Demanda-t-il sans le regarder, feignant d'être absorbé par la lecture de l'arbre.
- Pas depuis quelques années, non.
Leonidas marqua une pause et tira une bouffée de sa cigarette, comme pour se laisser le temps de réfléchir.
- Je lui parlais au début, après son départ. Si ma mémoire est bonne, Aurélia est partie en 1954... Oui, ça devait être ça, la Coupe du Monde de Quidditch allait débuter. L'Allemagne a gagné cette année-là – enfin la RFA – grâce à un coup de cognard qui a envoyé l'attrapeur hongrois au tapis. Un scandale. Enfin, peu importe, se reprit-il. Ta mère ne connaissait personne en Angleterre, je l'ai aidé à s'installer, je lui ai présenté quelques personnes. On se voyait de temps en temps lorsque nos emplois du temps le permettaient. Elle avait une règle : on ne parlait pas de la famille. Elle ne voulait pas. Deux ans plus tard, elle me présentait ton père. Elle n'avait jamais présenté personne, j'ai su que c'était sérieux.
Il sourit, nostalgique, et Julian sentait son cœur s'emballer. Les images dansaient dans son esprit. Il essayait d'imaginer sa mère et son père, plus jeunes, assis à la terrasse d'un café près de la Tamise face à Leonidas. A travers ce portrait, il avait l'impression de découvrir une nouvelle facette d'elle... Le temps d'un récit, elle était toujours avec lui.
- C'est à ce moment-là qu'on a commencé à moins se voir, poursuit-il. Elle avait Ethan et moi Lysa, nous avions nos carrières et nos problèmes respectifs. Je l'ai revu pour son mariage évidemment.
- 13 août 1959, souffla Julian.
- C'est ça. J'étais le seul Grims présent. Je savais que l'absence de son père lui pesait malgré tout et c'est moi qui lui ait fait remonter l'allée jusqu'à l'autel. Elle était magnifique.
Pour avoir vu des photos du mariage de ses parents, Julian ne pouvait que confirmer.
- Ensuite, la vie a continué. Je ne la voyais qu'en de rares occasions, comme noël ou un anniversaire. Nous avions passé le nouvel an de 1963 ensemble. L'année de ta naissance si je me souviens bien ? C'est un peu flou parfois, mais je la revois cette nuit-là. Enceinte jusqu'aux yeux !
- Oui... Je suis né en janvier...
Leonidas sourit à nouveau. Il avait terminé sa cigarette qui continuait à se consumer lentement. Avant de se brûler les doigts, il la jeta par la fenêtre derrière lui puis porta sa main à ses lèvres, mimant de tourner une clé à double tours.
- Pas un mot, sinon Isadora va me tomber dessus.
Julian hocha vivement la tête. Il avait trop peur que Leonidas arrête de parler.
- Donc, où est-ce que j'en étais ? Ah oui, ta naissance. J'ai reçu un faire-part avec ta photo, c'est tout. Je crois qu'avoir un enfant a fait peur à Aurélia. D'un coup, elle a coupé les ponts plus franchement, comme si elle voulait que la rupture avec les Grims soit complète. Moi y compris. Je ne l'ai revu que deux fois après cela. Le jour où Cordelia a accouché quelques mois plus tard, je voulais prévenir Aurélia moi-même. Une ultime tentative de ressouder les liens, j'imagine. Elle était émue, je le voyais bien, mais ça n'a pas changé sa décision. Je ne sais pas ce qui lui faisait peur... J'ai mes doutes, bien sûr... Mais je n'ai jamais su. La deuxième fois, c'était plusieurs années plus tard. Je n'oublierais jamais la date. 10 avril 1968. Le Chemin de Traverse était envahi par des manifestations. Il y avait des émeutes sang-purs partout pour protester contre les marches en faveur des droits des cracmols. Eugenia Jenkins qui était Ministre à l'époque faisait des déclarations quotidiennes.
Dans le fond de son esprit, Julian se rappela vaguement que Binns avait évoqué les évènements de 1968, mais à cet instant il s'en souciait autant que du classement des équipes de Quidditch. Perdu dans ses souvenirs, Leonidas semblait avoir oublié ce dont il parlait.
- Qu'est-ce qui s'est passé le 10 avril 1968 ? Le rappela-t-il à l'ordre.
- Hum ? Oh oui pardon... Que s'est-il passé ? Une tragédie, Julian. Une tragédie que personne ne devrait avoir à vivre.
Il paraissait profondément triste. Brûlant de curiosité, Julian allait à nouveau poser la question quand Leonidas désigna le livre des Chroniques d'un mouvement résigné.
- Tu peux comprendre par toi-même, dit-il.
Surpris, Julian se pencha à nouveau sur le vieil ouvrage. Pour la génération des années 30, les noms de Robert V, Cordelia, Aurélia et Leonidas s'inscrivaient les uns après les autres. Pourtant, quelque chose n'allait pas. S'ils étaient tous mariés, un rond noir, presque ovale, recouvrait le nom qui aurait dû être celui du mari de Cordelia. Aucune photo, aucun nom, juste ce rond noir qui ressemblait à une tâche d'encre éparse sur la page, comme si quelqu'un avait jeté un sortilège puissant pour modifier l'enchantement originel. Julian s'apprêtait à demander ce qui s'était passé lorsque son œil fut attiré par un autre détail. Un nom était inscrit à côté de celui de Théa : Théophilius. Et contrairement aux autres, deux dates étaient marquées. 1963-1968. Une pierre glacée parut lui tomber au fond de l'estomac.
- Oh... murmura-t-il.
- Théophilius était le frère jumeau de Théa, dit Leonidas. Il est mort d'une maladie infantile, une dragoncelle sévère. Il avait cinq ans... J'ai annoncé la nouvelle à ta mère moi-même. Elle ne l'avait jamais vu, mais c'était son neveu. C'est la seule lettre qu'elle a envoyé à Cordelia après son départ.
Contrairement à celle de Théa, la photo qui représentait Théophilius était toujours celle d'un petit garçon, figé pour l'éternité avec une dent en moins et un sourire espiègle. Julian contempla longuement son visage. Il aurait pu être celui qui lui avait ouvert la porte s'il avait vécu. Cette idée lui noua l'estomac. Il n'avait jamais vu ni connu ce petit garçon, pourtant s'imaginer la mort d'un enfant si jeune lui donnait l'impression de perdre pied.
- Je suis désolé... souffla-t-il.
Il se maudit immédiatement. Il en était venu à détester les gens qui lui disaient ces mots en apprenant la mort de sa mère et il ne trouvait rien de mieux à dire.
- C'était il y a longtemps, dit Leonidas. Je pensais juste que tu devais être au courant. Théa en a gardé un souvenir... douloureux, je dirais.
A la simple pensée de perdre Charlotte, son ventre se contracta encore plus violemment. Il ravisa son jugement sur Théa. Sa froideur initiale était peut-être plus compréhensible qu'il ne le croyait.
- Et le point noir ici ? Demanda-t-il finalement pour éviter de s'attarder sur le souvenir de Théophilius. Le père de Théa ? Pourquoi est-ce qu'il a été effacé ? Et pourquoi il n'y a pas la date... enfin pourquoi il n'y a que la date de naissance de ma mère ?
Les traits de Leonidas se crispèrent. De peinée, il devint plus dur et il balaya la question d'un geste agacé.
- C'est une histoire encore plus tragique et pour un autre jour. Quant à ta mère, bonne question. Je suppose qu'Isadora n'a pas pensé à relancer le sortilège dernièrement, ça ne sera tarder. (Il soupira, puis referma la fenêtre). Nous devrions retourner dans le salon, ta grand-mère doit justement me maudire de t'enlever à elle alors que tu pars dans une heure.
Il referma lui-même le livre des Chroniques des Grimsditch et Julian ne put s'empêcher de ressentir une pointe de déception. Il aurait voulu en savoir plus sur tous les noms inscrits sur cet arbre. Depuis Robert premier du nom jusqu'à Théa, ils avaient tous une histoire que Leonidas devait connaître et il était avide d'en savoir plus sur chacun d'eux. Jusqu'ici, sa famille s'était résumée à ses parents, sa sœur et sa grand-mère Jeanne. Avec ce livre, c'était comme si une porte s'ouvrait sur des racines inconnues.
- Attends, le retint soudain Leonidas alors qu'ils allaient sortir de la bibliothèque. Une dernière chose... Je ne suis pas sûr que tu sois au courant... Connaissant Aurélia, tu ne l'es pas et je ne sais pas si c'est bien utile de t'en parler...
A nouveau, sa curiosité s'enflamma.
- Je veux savoir, affirma-t-il avec conviction. Dites-moi.
Il planta fermement ses yeux dans ceux de Leonidas. Une nouvelle émotion jouait sur son visage et Julian mit quelques secondes à comprendre qu'il était nerveux tant cela lui allait mal. Leonidas n'avait pas l'air d'être un homme gagné souvent par la nervosité. Intérieurement, ce constat lui fit plaisir ou du moins le soulagea. Il n'aimait pas être le seul à être sur les nerfs, constamment déstabilisé par les évènements des derniers jours. Etrange et étranger dans cette maison trop grande et trop vieille.
- Je dois t'avouer, Julian, commença-t-il en se passant une main songeuse sur son imposante mâchoire, que je voulais te rencontré depuis longtemps. J'ai hésité à venir vous voir à Londres, plusieurs fois même, mais je me disais que je devais respecter ce qu'Aurélia voulait... Evidemment, je le regrette aujourd'hui.
- Vous ne pouviez pas savoir...
- Non, c'est vrai, admit-il. Personne ne le pouvait. Enfin, peu importe... Tout ça pour dire que quand tu es né, ta mère et moi nous étions déjà éloignés l'un de l'autre, mais elle restait ma cousine préférée – ne répète pas ça à Cordelia, par pitié, j'en entendrai parler jusqu'à ma mort – et j'aime à penser que je comptais pour elle.
Julian acquiesça. Il voulait que Leonidas en arrive au fait, par Merlin !
- Et donc... Il n'y a pas cent manières de le dire : elle a fait de moi ton parrain à ta naissance. Je voulais que tu le saches.
Les mots mirent quelques secondes à prendre forme dans son esprit. Julian dévisagea l'homme devant lui sous un jour nouveau. Il n'était même pas sûr de bien comprendre ce que le terme de « parrain » impliquait, mais une étrange boule germa au creux de son ventre. Il n'aurait su dire si elle était agréable ou douloureuse.
- Oh, laissa-t-il échapper en guise de réponse.
- Tu n'as rien de plus à dire, crois-moi. J'ai bien conscience que tout ça doit déjà être bien assez déstabilisant et les choses se feront progressivement. Souviens-toi juste de ceci : si tu as besoin de quoique ce soit, et cela en va de même pour ta sœur bien sûr, n'hésite pas à m'écrire ou à me contacter. Je serai là.
La promesse, prononcée sur un ton solennel, était teintée de regrets, d'un temps perdu qui ne pourrait pas être rattrapé, mais Julian la grava dans sa mémoire. A choisir, il préférait sans doute parler à Leonidas qu'à Isadora si un problème venait à se présenter.
- Merci, souffla-t-il, incapable de penser à autre chose. C'est gentil à vous...
- Et je t'en prie, tutoies-moi par Morgane ! Enfin, quand tu seras à l'aise avec l'idée, je ne te...
- Vous pourriez... Je veux dire, tu pourrais me promettre quelque chose dès maintenant ? Coupa-t-il brusquement.
Leonidas parut surpris. Il mit une seconde à se reprendre et hocha la tête.
- Bien entendu, je t'écoute.
- Mon père, dit-il précipitamment. Tu pourrais garder un œil sur lui ? Il est parfois absorbé par son travail et... c'est bien de lui rappeler de temps en temps que le monde réel existe aussi, surtout depuis...
Julian n'acheva pas sa phrase. Les mots s'étaient bousculés contre ses lèvres, mus par une peur instinctive. Il n'avait jamais laissé son père seul depuis le décès de sa mère. Leonidas l'observa longuement, une main à nouveau glissée dans la poche de son veston, comme pour se donner une constance.
- Je te le promets, Julian. Ne t'inquiète pas.
Rassuré, il se laissa guider hors de la bibliothèque avec l'impression d'avoir découvert plus que des noms sur un simple arbre généalogique.
********************
Verdict ? ^^
J'ai conscience que la généalogie ne doit pas être facile à retenir ou à se représenter. Pour vous aider, voici un arbre généalogique réalisée par moi-même qui pourra sans doute vous éclairer. Il est en deux parties parce que tout ne tenait pas sur une seule image, mais les deux sont évidemment liées et il faut lire de haut en bas.
J'ai inventé tous les noms qui s'y trouvent à l'exception de Robert Ier et Lysandra, imaginés par Rowling et Perripuce respectivement. J'ai réalisé cette arbre en juillet pour m'y retrouver moi-même et je pense que ça vous sera utile. D'ailleurs, j'en ai réalisé aussi un pour Perripuce qu'elle vous dévoilera bientôt (teasing oh la la) en plus de ceux qu'elle a elle-même brillamment fait ensuite.
Eléments tirés du canon/Pottermore :
- Robert Ier est un des premiers Aurors à être arrivé sur le continent américain au XVIe siècle et c'est pour cela que je suis partie de lui pour élaborer l'arbre.
- Certains noms sont repris du canon et font partis des familles qui sont arrivées aux Etats-Unis au XVIIe siècle : Goldstein (oui comme Anthony, Tina et Queenie haha), Potter (ahhh), Rappaport, Wilkison, Piquery, Jauncey... Pareil pour Grimsditch d'ailleurs ! Ce sont des noms connus chez les sorciers américains.
- En 1968, il y a bien eu des manifestations et émeutes sang-purs pour protester contre les droits des cracmols. Eugenia Jenkins était bien Ministre à l'époque.
- Clin d'oeil à la véritable Coupe du Monde de football en 1954 qui a bien vu s'affronter l'Allemagne et la Hongrie avec la victoire des premiers (comme toujours). J'ai transposé au Quidditch comme clin d'oeil !
******************************************************
Prochain post : Chapitre 6 - 11 novembre
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top