Chapitre 46 : Le retour de l'Ancien Monde
Non, on n'est pas lundi haha ! Mais je l'avais promis : dès que je terminais ce chapitre, je vous le donnais. C'est un peu mon cadeau pour votre soutien, vos encouragements, vos commentaires !
Donc ça y est, nous y sommes tous ensemble. La fin du tome 1 après deux ans. Je n'avais pas prévu qu'il soit si long, mais il y avait un gros travail de mise en place à faire parce que pour la première fois, ni vous ni moi n'étions en terrain familier. Plus de Maraudeurs ni de Poudlard, mais une histoire et des personnages tout droit sortis de ma tête. Je ne vous remercierai jamais assez de m'avoir suivi dans ce projet, je n'y croyais presque pas, j'étais persuadée que ça n'intéresserait personne. Or, le constat aujourd'hui est que j'ai plus de retours et presque autant de vue sur LHDI que sur ATDM. Donc vraiment merci !
Merci à HarryStranger, eliangila, AneesiE, Mllex_Lectureee, DarkLemming, Paatmol, Petite_Calypso, math_fntt13, Laronica24, Tam_Hope, SuzanneGranger, Camilledll, Renarde_de_Brume, _vegaas_, Pistache06, _miss_lllina_, Cornemol, pirouette27, aouifrereee, Biana_Black,mahina208, calipage75, pepin_04, Charlotte2124220, Camille_LaChenille, -apoplexy, coolcamomile, _Emrai_, Luna_nuvola, maman_weasley, Rouge_comme_Luna, Mentalo-clc, et tous.tes les autres que je ne peux pas citer dans leur intégralité ! Vraiment merci ! J'ai adoré en rencontrer certain.es au salon du livre et échanger avec vous ! Le Gang des Enquêtrices mérite une mention spéciale haha !
Bonne lecture ^^
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Chapitre 46 : Le retour de l'Ancien Monde
«Vouloir oublier quelqu'un, c'est y penser tout le temps. »
- Katherine Pancol -
// 21 mai 1980 //
Noah perdit complètement la notion du temps alors que tout s'enchaînait à une vitesse folle. Pour ça, il blâmait en partie sa blessure à la tête et en partie Julian Shelton. Parce que depuis qu'il était parti en courant après un psychopathe notoire, il avait l'impression de retenir son souffle, suspendu dans une attente insupportable. Tout se brouillait dans son esprit et il baissa la tête, les mains crispées sur le bord de son lit d'infirmerie.
Les professeurs étaient arrivés quelques minutes à peine après la fuite de Ronan Graves, Théa et Jules. Il n'avait fallu qu'un regard à Fleming vers l'arbre enchanté pour comprendre que le Rituel avait été altéré par leur tentative de le briser et elle était partie en courant vers les éclats de voix qui leur parvenaient encore du mur d'enceinte. Perrot, lui, s'était immobilisé, comme frappé par la foudre. Pas étonnant si le conte était vrai. Leur professeur d'Histoire de la magie avait fini par sortir de sa transe pour prendre les choses en main et s'occuper d'Emilia, toujours inconsciente. Il avait fallu que Liam soit écarté par Aileen et Othilia pour laisser les professeurs faire leur travail, mais Noah n'avait pas réussi à se joindre à eux et était resté à l'écart. Les pieds fermement ancrés dans le sol, il ne savait pas ce qui l'avait retenu de se précipiter à la suite de Fleming... Peut-être le dernier ordre de Julian ? Il avait été prêt à le suivre, peu importe les conséquences, mais son refus avait coupé net son élan.
Maintenant, alors que le tumulte était passé, il le regrettait. Les professeurs les avaient pour ainsi dire jetés dans l'infirmerie, trop agités pour s'occuper d'eux pour le moment. Liam était à l'autre bout de la pièce, prostré en silence depuis qu'Emilia avait été emmenée à l'hôpital. Décision ferme de l'infirmier en chef d'Ilvermorny, Thaddeus Asclépius, un homme à la crinière grise et au nez brusqué. Othilia et Aileen étaient encore dans les salles de douches - situées derrière une porte attenante - à enlever la terre et le sang qui leur avaient maculé les mains quand elles s'étaient occupées d'Emilia.
Nerveux, Noah jeta un coup d'œil discret vers les larges portes de l'infirmerie. Elles venaient de s'ouvrir et la directrice Hicks entra d'un pas ferme, Théa et Julian sur les talons. Il relâcha enfin le souffle bloqué dans sa poitrine.
- Restez-là, intima-t-elle avec autorité. J'ai des choses à gérer. Vous êtes sûrs que vous n'êtes pas blessés ? Rien du tout ?
Théa secoua la tête. Ses longs cheveux bruns étaient décoiffés au possible.
- Non, madame... souffla-t-elle.
- Bien, c'est déjà ça... Morgane...
La directrice eut l'air plus âgé que d'habitude le temps d'une seconde et la lumière de l'infirmerie accrocha les nombreuses mèches blanches dans ses cheveux.
- Thaddeus ? appela-t-elle.
- Oui ?
L'infirmier, resté à son bureau à rédiger la décision de transfert d'Emilia, releva la tête.
- Vous pouvez vous occuper de ces jeunes gens le temps que je contacte les Aurors et leurs parents ? Je reviens dès que possible.
- Bien sûr, mais... A cette heure-ci ? Il est plus de minuit, Lally.
- Vous connaissez ma façon de voir les choses : à circonstances exceptionnelles, réveils exceptionnels ! lui répondit-elle avec aplomb.
Il ne protesta pas davantage. Incapable de se taire, Noah tiqua pourtant.
- Nos parents ? Les Aurors ? lâcha-t-il. Sérieusement ?
La directrice se tourna d'un bloc vers lui. Pour une femme de son âge, elle avait toujours été impressionnante mais elle le parut d'autant plus en vrillant son regard sombre - dans tous les sens du terme - vers lui.
- Vous me posez la question, monsieur Douzebranches ? Sérieusement ?
Il ravala le sarcasme qui lui monta aux lèvres. Si elle l'appelait par son nom de famille, l'affaire était effectivement sérieuse. Elle le toisa un peu plus, histoire d'assoir son autorité, puis reprit :
- Dois-je vous rappeler ce qui s'est passé ce soir ? Parce que de là où je me trouve, il me semble que vous avez essayez, vos camarades et vous, de briser un Rituel d'une dangerosité extrême, mis en place depuis des siècles pour assurer la protection du château. Et comme si cela ne suffisait pas, vous êtes impliqués Morgane sait comment dans une affaire avec la disparue la plus recherchée du pays et un reprie de justice. (Elle haussa un sourcil pour ponctuer son énumération). Est-ce que cela vous parait suffisant pour appeler les Aurors et vos parents ou bien avez-vous un autre commentaire dont vous avez le secret ?
Echec et mat, songea-t-il, pour une fois vaincu. Il secoua la tête, réduit au silence, et Hicks sembla satisfaite. A nouveau, elle fit signe à Théa et Julian de s'avancer dans la pièce, puis tourna les talons d'un pas pressé. Une brève seconde, il tenta de croiser le regard de Julian, mais celui-ci restait fixé sur sa cousine dont les épaules étaient si tendues qu'elle paraissait prête à mordre la première personne qui oserait s'approcher d'elle. Ce qui n'était inenvisageable connaissant Théa.
L'infirmier devait portant avoir l'habitude des adolescents en crise car il s'adressa directement à elle :
- Les deux autres filles sont en train de se rafraîchir dans la salle de bain si vous voulez y aller. Il y a des uniformes de rechange dans l'armoire juste là et des serviettes des affaires de douche directement derrière.
Il indiqua la porte dans son dos.
- Non merci... refusa Théa d'une voix rauque.
Elle jeta à peine un coup d'œil à Liam, toujours prostré dans son coin, avant d'aller s'assoir sur un lit à la couverture immaculée. Asclépius pinça les lèvres, sûrement dérangé par l'herbe et la boue accrochées à ses vêtements, mais elle l'ignora. Julian, lui, piétina une seconde au centre de la pièce avant d'imiter Théa. Il choisit le lit à côté du sien. Tout dans sa posture criait qu'il était épuisé, même si un pli soucieux lui barrait le front.
Liam choisit ce moment pour rompre son silence :
- Vous croyez qu'on va finir en taule ? marmonna-t-il.
C'étaient les premiers mots qu'il prononçait depuis leur arrivée et Noah émit un rire étouffé.
- C'est maintenant que ça te préoccupe ?
- Elle a dit qu'elle appelait les Aurors...
- C'est pas les Aurors qui m'inquiètent.
Dans son esprit, il visualisait déjà l'expression furieuse et déçue d'Hilda. Peut-être même qu'il n'y aurait pas de déception, peut-être qu'elle s'y était attendue. Il fallait bien qu'un jour les Aurors viennent toquer à sa porte à cause de lui. Il eu un mince espoir - le temps d'une pensée folle - qu'Hicks appelle plutôt sa mère, mais c'était impossible : elle n'était plus sa responsable légale depuis des années.
- Peut-être qu'elle arrivera pas à les réveiller à cette heure-là... (Il se mordit l'ongle du pouce, l'air pensif et nerveux). Est-ce que mes parents peuvent même venir à Ilvermorny ? s'interrogea-t-il tout haut après coup. Ils n'ont pas le droit pour la Journée des Parents...
- Parce que ça serait trop compliqué de lever les barrières pour autant de monde juste pour quelques heures, répliqua Théa. Là, vu la gravité de la situation, crois-moi qu'ils arriveront à les faire venir.
Julian fronça les sourcils.
- La Journée des Parents ? C'est quoi ça encore ?
- Ah oui... C'est une sorte de fête pour la fin de l'année, vers le mois de juin. Les parents d'élèves - seulement ceux qui sont sorciers - peuvent venir visiter les lieux, assister à un match de Quodpot, voir une présentation des clubs, parler aux professeurs.... Ce genre de trucs. Ma mère est venue deux fois...
- Oh...
Noah grimaça. L'inconvénient d'avoir sa tante qui vivait au pied du château était qu'elle venait justement tous les ans à cette fameuse journée. Heureusement, elle était plus occupée à admirer les démonstrations de course sur balai de Raphaël que se préoccuper de lui. Dans le chaos qu'était cette soirée, s'accrocher à sa colère contre Hilda lui fit exceptionnellement du bien. Malgré ses défauts, elle avait au moins le mérite d'être constante et d'être présente, une caractéristique dont il n'avait pas l'habitude.
Pendant un instant, il se demanda si quelqu'un allait relancer la conversation, mais personne n'eut l'air d'en avoir la force. Heureusement, le silence fut soudain coupé par la porte de la salle de bain qui se rouvrit. Aileen et Othilia en revinrent, les cheveux humides et leur uniforme propre. Si la première était d'une pâleur à faire peur, la seconde avait l'air de tenir le choc malgré la tournure des évènements.
- Oh Morgane, vous êtes revenus ! s'exclama Othilia dès que son regard tomba sur Théa.
Elle se précipita vers elle.
- Ca va ?
- Hum...
- Qu'est-ce qui s'est passé ?
Théa secoua imperceptiblement la tête.
- Pas maintenant.
- Mais...
- Excusez-moi, les interrompit Asclépius, je me dois de vous demander d'attendre les Aurors pour ce sujet. C'est la procédure.
Noah haussa un sourcil.
- La procédure ? Parce que vous avez souvent des élèves en attente d'interrogatoire et d'arrestation pour le savoir ?
L'infirmier ne prit même pas la peine de répondre à sa provocation et il s'en sentit agacé. Julian lui renvoya un regard d'avertissement. Il voulut l'ignorer. C'était la première fois depuis qu'il était arrivé dans la pièce qu'il posait les yeux sur lui et ce constat renforça son agacement. Il était trop fatigué pour bien comprendre tout ce que lui inspirait Julian ce soir de toute façon - déjà que c'était difficile à savoir d'ordinaire - il se contenta donc de se détourner. Contre son front, une boucle lui collait toujours à la peau à cause du sang et il la repoussa avec impatience.
- On peut y aller maintenant ? demanda-t-il en désignant la salle de bain d'un coup de menton.
Asclépius hésita, méfiant, puis soupira.
- Allez-y. Mais ne prenez pas trop de temps, il faut que vous soyez là quand la directrice reviendra.
Il s'était déjà levé. Plus lentement, Julian le suivit, mais Liam resta à sa place. Il répondit à la question muette de l'infirmer par un haussement d'épaules.
- J'attends là... au cas où ils auraient des nouvelles de ma sœur.
- Liam, je ne pense pas qu'ils en auront avant un moment, dit Asclépius, une touche de pitié dans la voix.
- Je m'en fiche, je préfère rester là.
Vu son expression buté, il n'était pas près de changer d'avis et Noah ne perdit pas plus de temps à l'attendre. Il se glissa dans la salle de douches avant qu'Asclépius n'ait eu le temps de changer d'avis. La pièce était vaste, rectangulaire, et longeait toute la longueur de l'infirmerie comme un vaste couloir accolé. Le long d'un mur, plusieurs cabines de douches se succédaient, séparées par des murs blanc en carrelage qui ne montaient pas tout à fait jusqu'au plafond. Contre l'autre mur, des lavabos surmontés de miroir faisaient face aux douches dans un parallélisme parfait ; et une grande armoire sur le côté complétait l'ameublement sommaire de la pièce. Noah n'était rentré ici qu'une fois au cours de sa scolarité, le jour où les Aurors l'avaient ramené à l'école après le fiasco de l'enlèvement par sa mère. Il en gardait un souvenir brouillé et l'image qu'il gardait de ce jour-là mit une seconde à s'évanouir, remplacé par la vision bien tangible du présent.
Derrière lui, Julian referma la porte. Il se retourna. Aussi sûrement qu'un sort jaillissait d'une baguette, la tension familière se glissa entre eux instantanément. Il réalisa qu'ils ne s'étaient pas retrouvés seuls depuis leur dispute il y a un mois, celle où Julian avait enfin décidé qu'il ne valait pas tous les problèmes qu'il lui apportait. Une sensation désagréable se lova au creux de son ventre, bien différente de celle que Jules faisait naître en lui d'habitude.
- Ta tête... ? murmura ce dernier, comme s'il avait peur d'élever la voix.
Instinctivement, Noah porta sa main à la plaie qui lui barrait le front. Quand il regarda ses doigts, il fut surpris de voir que du sang frais les teintait encore.
- Oh... lâcha-t-il. C'est rien, ça va finir par se refermer.
- Par se... ? Merlin, viens là.
En roulant des yeux, Julian lui fit signe d'approcher et attrapa une des serviettes blanches sur la pile de la petite commode juste à côté de la porte. C'était réconfortant de voir que malgré tout ce qui s'était passé entre eux et ce soir, il gardait son côté « je sais mieux que tout le monde ». D'un bras, Noah se hissa sur le bord d'un des lavabo et ses jambes se mirent à balancer dans le vide. Jules s'approcha, soudain presque hésitant, mais il se pencha quand même pour passer la serviette sous l'eau avant de venir éponger doucement sa plaie. Aussi proche, il arrivait à distinguer les nuances de vert et de noisette dans ses prunelles, mais surtout la chair de poule qui recouvrit sa peau jusqu'à sa gorge. Il se rendit brusquement compte qu'ils étaient pratiquement dans la même position qu'il y a des mois lorsqu'il avait envoyé son poing dans le mur et que Jules l'avait là aussi soigné avec des gestes précis. Surtout, il se souvenait de comment ils avaient fini : lui entre ses jambes, un baiser brûlant, des mains égarées. La chaleur lui monta au visage... Ce n'était pas dans son habitude d'être gêné pour ça, mais les choses avec Jules semblaient toujours être renversées, désaxées... C'était peut-être ce dont parlait les guérimages quand ils disaient que leur type de relation était une perversion.
Pour éviter de s'attarder sur l'idée et sur le souvenir, il finit par se râcler la gorge.
- Alors ? dit-il avec bravade. Tu vas me raconter maintenant qu'Asclépius est plus sur notre dos ?
- Te raconter ?
- Ce qui s'est passé avec Ronan Graves. Théa a l'air complètement retourné.
- Et ça t'étonne ? Elle vient d'apprendre que son père tout juste sorti de prison était le Corbeau qui nous faisait chanter depuis un an. Tout le monde serait retourné.
Il lui jeta un regard l'air de dire « toi le premier » et Noah dû encaisser de mauvaise grâce.
- Ouais, je reconnais... Tss !
- Arrête de bouger.
Il se retint de reculer alors qu'une pointe de douleur lui retraversait le front au contact de la serviette et Jules adoucit encore plus la pression.
- Et elle a pu lui parler ? relança-t-il, curieux. A son père, je veux dire ?
- A peine deux minutes, mais oui... Quand on l'a rattrapé, il allait franchir le passage dans le mur d'enceinte. Tu sais, celui que tu m'as montré à Thanksgiving ?
Oui, il voyait très bien. Il se souvenait même de cette journée avec autant de précision que le baiser dans la salle de bain, mais ça aurait été trop embarrassant à admettre. Au lieu de ça, il faut soudain frappé par une révélation.
- Ma mère... C'est elle qui m'a appris que le passage se trouvait là.
Julian suspendit son mouvement et il vit la seconde où il réalisa à son tour.
- Tu crois que... Heather faisait partie de la Génération 1950. Ronan a pu leur montrer le passage ?
- Ouais. Peut-être même qu'il s'en servait pour venir les voir pendant l'année scolaire.
L'hypothèse était invérifiable, mais Noah s'y connaissait en règles brisées, et celle-ci lui paraissait la plus évidente. Surtout, il préférait s'attarder sur ça que sur l'étrangeté d'entendre le prénom de sa mère prononcé à voix haute par l'accent si anglais de Jules.
- Mais tu trouves pas ça étrange ? demanda-t-il à voix haute à mesure que ses pensées s'emballaient. Que Ronan soit revenu en arrière pour vous parler au risque de se faire arrêter ? Là, il a réussi à s'enfuir, mais encore quelques secondes et...
Avec éloquence, il referma son poing comme s'il attrapait quelque chose et Julian pencha la tête sur le côté, concentré. Il avait son froncement de sourcils familier, celui qui proclamait qu'il pesait ses mots avant de parler.
- Je pense que... qu'il ne l'aurait pas fait pour quelqu'un d'autre, finit-il par déclarer, à moitié assuré. Il l'a fait parce que c'était Théa et qu'il se sentait obligé de lui donner une explication.
- Après dix ans de silence ?
- Surtout après dix ans de silence. Il y avait quelque chose dans sa voix... Il voulait que Théa le comprenne. Qu'elle comprenne pourquoi il avait fait tout ça...
- Et elle l'a vu ?
Un léger sourire fit frémir les lèvres de Julian. Il comprit avec un temps de retard qu'il avait l'air fier.
- Non, évidemment. On parle de Théa Grims.
Noah se sentit sourire en retour. S'il devait reconnaître une qualité à la Reine des Glaces, c'était celle d'être butée et de camper sur ses positions. Il la respectait au moins sur ça.
- Ronan n'avait aucune chance, convint-il.
- Non, aucune... Elle l'a remis à sa place sur son prénom d'ailleurs.
- Ah sur « Théodora » ?
- Hum... acquiesça Jules sans mot.
Il ne s'en formalisa pas. Il avait lui aussi remarqué la tendance de Ronan Graves à appeler sa fille par son nom complet et il s'en était agacé à chaque fois. Théodora représentait la même chose pour Théa que Berthilda pour Hilda. Il n'était pas toujours d'accord avec sa tante - loin s'en faut - mais il la comprenait sur ce point : les prénoms sang-purs renvoyaient à une certaine image, une certaine classe, une certaine idéologie. Ni Théa ni Hilda n'en était adepte. Pire que tout, cette idéologie leur avait coûté assez. Théa avait vu sa famille sombrer après la perte de son frère au profit de la magie noire ; Hilda avait vu la sienne se décomposer quand elle s'était affirmée comme femme d'ambition et avait continué à soutenir une sœur rebelle contre l'avis de leurs parents. Noah avait peu de souvenir de ses grands-parents, mais il se rappelait distinctement d'une voix féminine le traitant de « bâtard hors mariage » avant qu'Hilda ne le soulève dans ses bras pour sortir d'une maison en claquant la porte.
- J'aurais juste aimé que Théa ne parte pas après lui, avoua soudain Julian, sourcils à nouveau froncés. Elle s'est rendu compte qu'il ne lui dirait pas ce qu'elle voulait entendre, mais ce n'était pas dur à deviner avant...
Il secoua la tête de frustration et sa main dérapa un instant. Noah tressaillit.
- Désolé...
- Pas grave.
Il avait dû basculer dans une réalité parallèle parce qu'à nouveau il se retrouva à défendre - à comprendre - Théa :
- Elle en avait besoin, c'est tout, dit-il, les yeux baissés sur ses genoux pour éviter de regarder Jules en face. Elle devait se sentir frustrée et délaissée. Je veux dire, le gars a passé dix ans en prison et en sortant il prend un an pour former son plan avec Emilia Cooper qu'il ne connait pas mais il ne contacte même pas sa propre fille ? Y'a de quoi lui courir après pour demander des explications, non ?
Il tenta tant bien que mal de garder sa rancœur en lui, mais elle s'infiltra malgré tout dans sa voix. Les pères absents, il connaissait. Et même si le sien n'avait jamais fait de magie noire - en tant que Non-Maj', ça aurait été compliqué - il n'oubliait pas qu'il les avait laissés sur un trottoir de Chicago avec seulement vingt dollars sa mère, son frère et lui. Pendant plusieurs battements de cœur, Julian garda le silence. Il sentait son regard pesé sur lui, attentif, puis il répondit d'un ton égal :
- Oui, c'est vrai... Mais Théa s'est aussi nourrie de haine pour son père depuis des années. Elle a vu toute sa famille le maudire, elle a écouté des conversations derrière les portes... Elle en a fait le monstre de ses histoires d'enfants. Et ce soir, elle voulait avoir tort pour la première fois.
- Le problème, c'est qu'elle n'avait ni tort ni raison, pas vrai ?
Julian secoua la tête.
- Non... approuva-t-il.
Ronan Graves n'avait pas été un monstre sans cœur dépourvu d'humanité. Il avait eu l'air de vraiment se soucier d'Emilia, il avait été habité par la conviction d'un avenir meilleur pour le monde sorcier, il avait porté une vision suprémaciste, mais il n'était malheureusement pas le seul. Pour avoir écouté des conversations entre clients au café de sa tante depuis sa plus tendre enfance, Noah savait que ce genre d'idées était bien plus répandue que le MACUSA ne l'aurait voulu.
- Tu crois que les Aurors vont le rattraper ? s'interrogea-t-il à voix haute.
De manière peu caractéristique pour lui, Jules laissa échapper un rire sarcastique.
- Ils l'ont déjà laissé traversé les frontières alors qu'il y a une guerre en cours. Franchement, je ne suis pas sûr de leur faire confiance sur ça.
- Les frontières ?
Cette fois, ce fut au tour de Jules de baisser les yeux. Il maintenait toujours la serviette contre son front et ça en devenait presque étrange, surtout que la plaie avait dû arrêter de saigner depuis le temps. D'un geste, Noah repoussa donc son bras et il recula d'un pas, laissant tomber la serviette sur le bord du lavabo. Des fleurs cramoisies s'étalaient sur la surface blanche.
- Ouais, les frontières, répéta Jules finalement. (Il eut l'air soudain épuisé). Apparemment, il aurait réussi à aller en Angleterre et à revenir ici juste après sa libération. Entre juin et le 4 juillet l'année dernière.
- Il vous l'a dit ?
- Hum... Il a parlé à... enfin il a vu ma mère.
L'aveu n'avait pas été plus haut qu'un murmure et Noah se pencha en avant, juste pour être sûr d'avoir bien entendu. Morgane, Aurelia Shelton semblait revenir sans cesse dans toute cette histoire, véritable pierre angulaire depuis des mois. Pendant longtemps pourtant, il avait cru que le point central résidait en Emilia Cooper, la fugitive, la disparue ; mais plus il y pensait, plus il voyait des similitudes se dessiner. Emilia et Aurelia étaient les deux faces d'une même pièce, leurs destins se croisaient et se décroisaient successivement : l'une cherchait ses origines, l'autre avait tenté de les fuir de toutes ses forces. Toutes les deux, elles avaient laissé leur famille derrière elles pour y parvenir.
Malgré tout, il n'osa pas prononcer ce constat à voix haute, pas après tout ce que Jules avait déjà enduré. Il resta ainsi sans savoir quoi dire pendant un moment avant de réussir à articuler sans précision :
- Ta mère ? Mais... (il secoua la tête, perplexe). Quoi ?
- Ouais, je sais... marmonna Jules, amer. Pour quelqu'un qui avait soi-disant coupé les ponts avec son ancienne vie, ça commence à faire beaucoup de liens entre elle et tout le reste.
Comme toujours lorsqu'il était nerveux, il se mit à faire jouer le bout de ses doigts contre sa jambe. Noah aurait voulu tendre la main pour la prendre dans la sienne, mais il resta immobile. Il savait qu'il n'avait plus le droit de le faire, si tant qu'il ait jamais eu le droit un jour. Ce dont Jules avait besoin, là tout de suite, ça aurait été un crayon et il ne pouvait pas lui donner.
- Je comprends pas, dit-il à la place. Elle lui a parlé ou il l'a forcé à parler avec lui ?
De son avis, la nuance était grande, mais Julian haussa les épaules.
- La deuxième option si j'ai bien compris ce que Ronan disait... Ca s'est passé hyper vite. Mais apparemment, il était persuadé qu'elle avait réussi à percer le Rituel. A comprendre ce qui manquait.
- Comme toi ?
- Non, réfuta-t-il immédiatement. Je n'ai pas... je n'ai pas compris ce qu'il manquait justement. J'ai vu qu'il manquait quelque chose, mais seulement au dernier moment, et je ne sais toujours pas quoi. Tout avait l'air de fonctionner...
Il était frustré, Noah le voyait dans la tension qui tendait ses épaules. A nouveau, il réprima l'envie de le toucher et fixa son expression. Quelque chose n'allait pas, mais il n'arrivait pas à déceler si c'était à cause de sa mère, du Contre Rituel raté ou d'autre chose... voire de tout à la fois.
- Jules ?
Le surnom lui avait échapper avant qu'il ne puisse le retenir, lui. En réponse, Jules tourna la tête instantanément et un long regard passa entre eux, chargé de mots inaudibles et indicibles.
- Hum ? fit-il quand la tension commença à être étrange.
- Est-ce que Ronan a dit autre chose ? T'as l'air... frustré ?
Frustré n'était peut-être pas le bon terme, mais il n'avait rien trouvé de mieux sur le coup. Les émotions qu'il arrivait à saisir venant de Jules étaient plus des éclats fugaces qu'il attrapait au vol et sur lesquels il n'avait jamais voulu mettre d'étiquette. C'était cette compréhension qui l'avait poussé à se rapprocher de lui alors même qu'ils ne se connaissaient pas vraiment, qui lui avait donné l'audace de lui prendre la main pendant un match de Quodpot puis dans la grotte, qui l'avait convaincu de l'embrasser encore et encore à chaque fois... Il déglutit avec difficulté, un poids au niveau du thorax, et se força à se reconcentrer sur Jules.
- Pas frustré, non, commença-t-il avant de se corriger lui-même. Enfin si, peut-être un peu... mais...
Il fronça à nouveau les sourcils. Noah aurait tout donné pour pouvoir se glisser dans ses pensées et comprendre ce qui se passait dans l'esprit de quelqu'un comme Julian Shelton. Au lieu de ça, il lui laissa le temps de trouver ses mots.
- Ronan m'a dit quelque chose... et je ne sais pas si c'est vrai.
- J'écoute, répliqua-t-il, surpris.
Jules soupira. Une seconde, il parut embarrassé, mais il expliqua quand même :
- Est-ce que tu penses qu'il avait raison ? Quand il a dit que je voulais briser le Contre Rituel pour moi... pour me prouver quelque chose ? (Il se mordit la lèvre, puis souffla :). Que j'étais comme ma mère ?
De toute les choses auxquelles il s'était attendu, celle-ci ne figurait pas sur la liste. Il se força à ne pas répondre du tac au tac, conscient que la réponse qu'il apporterait compterait pour Jules. Il en ressentit une certaine satisfaction. Jules et lui, ils étaient égaux. Depuis le premier jour. Alors oui, ça lui arrivait de le pousser un peu avec son humour ou ses piques, mais Jules pouvait les lui rendre s'il s'en donnait la peine. Il voulait toujours un avis sincère sur tout, y compris ses dessins - la vérité ou rien - et Noah savait à quel point ce détail signifiait quelque chose. Jules ne supportait pas les critiques ou les avis de tout le monde, il en avait été témoin pendant leur travail sur le Rituel avec Liam, Théa et même Othilia. Mais les choses étaient différentes entre eux et il savait que si Julian lui posait la question c'est parce qu'il le savait aussi.
- Non, je ne pense pas, répondit-il finalement avec prudence, conscient de marcher sur une couche de glace fine. Même si briser le Rituel était devenu une sorte de défi, tu ne l'aurais pas fait si Liam ne te l'avait pas demandé. (Il s'autorisa un demi-rictus, incapable de résister). Et puis soyons honnête, ajouta-t-il, tu n'aurais pas eu le cran de briser le règlement sans un peu de motivation.
- Eh ! J'ai juste un instinct de préservation contrairement à vous, mais ça ne veut pas direque je ne peux pas briser les règles de temps en temps.
- Oh je sais...
Il n'avait pas voulu mettre de sous-entendu dans sa voix, mais il y en eu quand même et Jules se crispa à nouveau. Noah jura mentalement. Evidemment... S'il y avait bien une règle qu'ils avaient brisé ensemble, c'était celle inscrite noire sur blanc dans la Loi des Mauvaises Mœurs.
- Noah...
- Oui, je sais, tu ne veux pas en parler. Laisse tomber.
La froideur dans son ton était cette fois consciente et il ne la retint pas. Mal à l'aise, il aurait voulu changer de sujet, mais comme d'habitude une envie insidieuse à l'intérieur de lui le poussa à continuer :
- Mais ça prouve que Ronan avait tort, tu sais.
- Quoi ?
- « Nous », expliqua-t-il en faisant bien entendre les guillemets pour ne pas se laisser prendre par l'émotion. Ça prouve que t'es pas juste l'intello comme Liam aimerait faire le croire, celui qui est motivé juste par le défi intellectuel. Parce que si t'étais vraiment comme ça, t'aurais pas pris le risque d'aider pour le Rituel, ni d'affronter Ronan avec Théa, et t'aurais encore moins accepté le pacte avec moi...
- Ce n'était pas pareil... Liam est mon ami, Théa ma cousine et toi tu...
Le silence de cette phrase inachevé fut pire qu'un bruit sourd. Il haussa un sourcil et tous ses nerfs vibrèrent de curiosité. Il voulait que Jules termine, juste pour voir quel terme le désignait, mais il garda la bouche fermée. Son courage avait visiblement des limites. Peut-être que c'était ça, l'expression de son côté Serpent Cornu. La maison de l'Esprit. Jules s'attachait aux gens - à Liam, Théa et lui - il se liait à eux tant émotionnellement qu'intellectuellement. Une partie de leur pacte avait reposé sur une expérience, tout comme le Rituel. L'enjeu magique mêlé à son envie d'aider un ami ; la découverte d'embrasser un garçon mêlé à l'attraction qui les reliait tous les deux. Le pire, c'est que Noah comprenait. Les Oiseau Tonnerre incarnait l'Aventure et l'Ame, deux faces d'une même pièce... les deux faces de leur relation.
Conscient que ses pensées dérivaient un peu trop, il finit par se râcler la gorge et reprendre pour décharger l'atmosphère de sa tension :
- Après ça ne veut pas dire que t'as pas tendance à croire que t'as toujours raison, lança-t-il, amusé.
Jules réagit comme prévu avec une exclamation indignée.
- Eh ! protesta-t-il. C'est faux... et c'est parce que j'ai souvent raison et vous tort, c'est tout.
- Un ego à toute épreuve aussi, je t'en ai parlé ?
- Comme si tu pouvais dire quelque chose sur ça !
- Non, moi c'est différent, se défendit-il, incapable de réprimer un sourire. C'est un style. Un art de vivre. Un état d'esprit même.
- Et moi ?
- Toi, c'est de la fierté. Tu sais, comme quand Théa te bat en club de duels ou que j'arrive à mieux dessiner que toi et que ça te rend dingue.
Pour toute réponse, Jules attrapa une nouvelle serviette sur la pile et lui envoya au visage. Il eut juste le temps de lever les mains pour la dévier et éclata de rire alors que Jules se rapprochait pour le repousser. Son dos vint heurter le miroir derrière lui sans douleur et il se cala confortablement, les jambes toujours dans le vide.
- La prochaine fois, je te laisse te vider de ton sang, le prévint Jules même s'il ne percevait aucune colère dans sa voix.
Il sourit, effronté.
- Non, tu ne pourras pas laisser l'occasion de me montrer tes talents d'infirmiers, affirma-t-il, sûr de lui.
- Je commence à me dire que c'est ton fantasme, lui rétorqua Jules sans se laisser le temps de réfléchir.
Et visiblement, il ne réfléchit pas non plus en lâchant :
- Crois-moi, j'ai bien d'autres fantasmes.
Il regretta les mots dès qu'ils quittèrent ses lèvres, mais il n'arriva pas pour autant à détacher ses yeux de Jules quand une flambée lui colora le visage et qu'il le dévisagea, pris au dépourvu. Et merde. Hilda et Hicks avaient raison, il n'apprendrait jamais à se taire. Parce que maintenant qu'il avait lâcher cette idée, c'était comme s'il avait ouvert la boîte de Pandore. Dans sa tête défilèrent des flash qui envoyèrent des vagues de chaleur au creux de son ventre : Jules et lui dans l'eau, agrippés l'un à l'autre en train de s'embrasser ; Jules entre ses jambes avec sa main dans ses boucles, toujours en train de s'embrasser sur le bord d'un lavabo ; Jules étendu sur un lit, les joues rouges et la voix tremblante quand il lui avait dit « refais-le » après qu'il l'ait embrassé dans le cou ; Jules, quelques minutes plus tard sans t-shirt, qui cherchait avidement sa bouche... Morgane. L'envie le tirailla et, incertain, il se redressa pour se rapprocher de lui.
Ils se retrouvèrent à nouveau proches, face à face... Et il amorça un geste pour se saisir de ses lèvres.
- Noah, non...
Jules avait à peine élevé la voix, mais le murmure lui parvint malgré tout. Surtout, il détourna la tête, les yeux accrochés au sol, et Noah sentit son cœur dévaler dans sa poitrine. Il suspendit son geste, paralysé, et tout son corps fut parcourut d'une énergie douloureuse face au rejet explicite.
- Ca ne changerait rien... souffla Jules. Rien n'a changé depuis la dernière fois, en fait. Il y a toujours la loi, toujours Othilia... C'est toi qui l'a dit, non ? On ne peut pas être ensemble. On n'est pas ensemble...
- Mais ce n'est pas moi qui voulait...
Cette fois, ce fut lui qui s'interdit de terminer sa phrase. « Ce n'est pas moi qui voulait rompre ». Mais comme Jules venait de le faire remarquer, il avait dit qu'ils n'étaient pas ensemble. Il ne pouvait pas y avoir de rupture sans couple, non ? Et le sien était avec Othilia. C'était ce que tout le monde préférait, ce que tout le monde voulait...
- Non, mais moi je voulais... répliqua Jules après quelques secondes. Et je ne changerai pas d'avis tant que tu resteras avec Othilia ou tant qu'on sera juste une expérience, toi et moi...
Il avait imperceptiblement relevé les yeux vers lui pour lui dire ça et Noah saisit l'éclat de peur qui déchira ses prunelles vertes. Cet éclat lui retourna l'estomac. Parce qu'il était dirigé contre lui. Depuis le début, ils n'avaient posé aucun mot sur ce qu'ils faisaient à part celui d'expérience. Une expérience était sans conséquence et voilà que Jules lui révélait qu'il ne considérait plus les choses comme ça. Qu'il voulait plus, qu'il était plus... Et Noah ne l'aurait jamais admis mais il ressentait la même chose. Il eut envie de se frapper la tête contre le miroir en songeant à son « lui » d'il y a quelques mois qui déclarait avec assurance ne pas être comme Zack Ledwell. Fameuses dernières paroles !
Une boule chauffée à blanc coincée dans la trachée, il pria pour que Jules ne se détourne pas et se pencha une nouvelle fois pour déposer un baiser sur sa joue, lent et léger. Et de tous leurs moments ensemble, celui-ci lui parut le plus intime.
- Je comprends... dit-il d'une voix rauque. Et c'est bon, ça va... je comprends...
- Tu...
- On devrait y retourner. Hicks va finir par venir nous chercher elle-même sinon.
D'un bond, il redescendit du rebord de lavabo et Jules fut obligé de s'écarter. Il le fixait avec un mélange d'égarement et de frustration et Noah se détourna. Il ne pouvait pas lui donner plus, pas maintenant en tout cas. Si la condition de Jules était Othilia et de ne plus faire semblant de jouer à un jeu qui n'avait peut-être jamais existé, il n'était pas prêt à le faire, même si ça lui laissait un poids pesant dans la poitrine. Jules parut comprendre car il soupira, l'air déçu, mais n'insista pas. Retour à la case départ.
Sans un mot de plus, ils prirent donc chacun une cabine de douche et s'enfermèrent à l'intérieur en tirant le rideau avec trop de brusquerie. Noah laissa l'eau, trop chaude, lui brûler la peau histoire de reprendre constance. Sa plaie à la tête ne lui faisait même plus mal... Non, sa tête lui faisait mal d'une autre façon à bien y réfléchir. Ses pensées se bousculaient trop, toutes centrées sur Jules, et il se força à bouger de manière mécanique. Les autres pouvaient pensés ce qu'il voulait de lui, il savait qu'il n'était pas juste ni envers Jules ni envers Othilia... Il ne l'avait pas été non plus face à Hanna. C'est juste que tout devenait irrationnel dès que ça touchait à Jules. Il agissait par impulsions, peut-être même par égoïsme, et il en avait conscience mais la colère sourde au fond de lui ne s'apaisait peu importe ce qui se passait. Parce que même s'il était honnête avec Othilia et avec ce qu'il ressentait, ses sentiments ne seraient toujours pas acceptables. Pour personne. Ni pour les guérimages, ni pour leurs amis, ni pour leur famille... Et Noah avait déjà trop perdu pour tenter ce coup de dé ultime.
Quand il éteignit enfin l'eau chaude, la fatigue lui tomba dessus en même temps. Il se sécha dans la cabine pour ne pas prendre le risque de tomber sur Jules - c'était déjà trop gênant à imaginer, pas besoin de le vivre - et se rhabilla. De manière générale, il se força à ne pas penser à Jules juste de l'autre côté du mur... Il compta même jusqu'à cinquante avant de sortir pour être sûr.
Jules était déjà prêt, évidemment. Il l'attendait adossé au lavabo - le même sur lequel il était assis tout à l'heure - et toutes les traces de la soirée avaient disparu de son apparence. Plus d'herbe, plus de terre, plus de sang séché. Ses cheveux blonds foncés paraissaient presque châtains à cause de l'eau, comme du sable mouillé, et Noah repensa à leur premier baiser dans le lac souterrain. Il eut envie de se moquer de lui-même. Même lorsqu'il s'agissait des règles qu'il tentait d'appliquer à ses pensées, il arrivait à les transgresser.
- On y retourne ? fit-il pour éviter de s'attarder sur l'idée.
- Ouais... J'ai entendu des voix, je crois que des gens sont arrivés...
- Manquait plus que ça.
Il expira une longue respiration et prit les devants en ouvrant la porte. Jules le suivit. Dès qu'ils remirent les pieds dans l'infirmerie, la voix de Liam les frappa de plein fouet.
- ... des reproches à moi ? était-il en train de s'indigner devant un homme brun et immense en manteau long. Mais attendez, c'était votre boulot de la chercher et ça faisait presque un an que vous galériez sans trouver de pistes !
- Justement, gamin, tu nous cachais des informations essentielles par Morgane !
Noah s'arrêta, déstabilisé. L'homme à la stature imposante lui disait quelque chose et son nom lui revint dans un flash des tréfonds de sa mémoire. Hercules Fischer. Maintenant Chef du Bureau des Aurors s'il en croyait l'insigne épinglée au revers de son manteau, mais simple agent à l'époque où il l'avait rencontré. C'était lui qui les avait retrouvés, sa mère, son frère et lui à Chicago et qui les avait ramenés à Hilda. Il n'était pas prêt de l'oublier : il avait rédigé le rapport d'enquête et le procès-verbal qui avait fait perdre la garde à sa mère. S'il avait autant monté les échelons que ça en quelques années, ce n'était pas étonnant que l'affaire Emilia Cooper ait atterri entre ses mains vu comment elle avait passionnée l'Amérique entière.
- Allez, je ne veux plus rien entendre, gamin, coupa-t-il avant que Liam puisse se relancer dans une diatribe. Ce n'est pas protocolaire, je vous interrogerai tous plus tard.
- Donc on va être interrogés ? intervint Othilia, inquiète. Mais... ça va être noté quelque part ? On va avoir un dossier judicaire ?
Sur la fin de sa question, sa voix était partie dans les aigus et Liam eut l'air coupable un instant. Noah l'espérait bien. C'était en partie à cause de lui qu'ils se retrouvaient tous mêlés à cette histoire.
- On verra tout ça plus tard, tenta de la rassurer Fischer. En fonction de... ce que vous me direz. Je veux d'abord comprendre ce qui s'est passé, d'accord ?
- Mais... on doit prendre un avocat ?
- Pas ce soir. Vraiment, ça ne sert à rien de s'alarmer. On va attendre que vos parents arrivent pour démêler tout ça.
Comme si Hicks avait attendu le signal hors de l'infirmerie, elle en poussa soudain la porte et revint, accompagnée cette fois-ci. Noah voulut se fondre dans le sol en voyant Hilda entrer, ses boucles brunes coupées courts mal définies, sûrement parce qu'elle venait de se faire tirer du lit après une journée de travail épuisante. Il se retint de passer derrière Jules quand ses yeux bleus - les mêmes que les siens et de sa mère - tombèrent sur lui.
- Au nom de la sainte magie, Noah, qu'est-ce que tu as fait ? s'écria-t-elle en fondant sur lui.
- Hilda, je...
Il n'arriva pas à terminer. Il n'aurait même pas su quoi dire en vérité, mais il fut surtout englouti dans une étreinte dès qu'elle l'atteignit. Surpris, il mit un temps de retard à comprendre et elle se dégagea avant qu'il n'ai pu bouger. Elle maintint toutefois le contact en passant ses mains sur ses épaules et son visage, le regard inquisiteur et empressé.
- Tu vas bien ? dit-elle en effleurant sa plaie à la tête. Qu'est-ce que tu t'es fait ? La directrice a dit qu'il y a eu une attaque de Ronan Graves ?
Il cilla. Il ne savait pas ce qui l'étonnait le plus : son inquiétude et sa colère mêlées ou le fait que Hicks ait déjà informé les parents de la responsabilité de Ronan Graves. Même si son nom avait circulé dans les journaux à cause de sa disparition dans la nature malgré les contrôles des Aurors, il avait cru qu'elle ne serait encore au courant de rien. Ne jamais sous-estimer l'efficacité d'Eulalie Hicks visiblement...
- Oui, oui, mais... je vais bien, articula-t-il. Promis, Hilda, ça va.
- Tu es sûr ? La directrice a dit que quelqu'un avait été blessé et j'ai cru que... Morgane, j'ai cru...
A nouveau, elle prit son visage entre ses mains et il la laissa faire en constatant qu'elle tremblait. Il se demanda ce qu'elle voyait : son neveu, l'enfant dont elle n'avait jamais voulu ? ou un gamin dépassé par les évènements ? Dans tous les cas, elle parut se calmer en prenant conscience qu'il allait bien et, petit à petit, elle retrouva ses esprits. Composée et digne, elle soupira et le relâcha.
- Vraiment Noah...
Au moins, ce ton lui était plus familier. C'était celui qu'il pouvait clairement traduire par « qu'est-ce que je vais faire de toi ? » et, étrangement, il s'en retrouva rassuré.
Autour d'eux, il se rendit compte qu'il n'était pas le seul à être assailli par un parent. Ceux de Liam étaient pratiquement en larmes et exigeaient auprès de Hicks et de Fischer d'avoir des nouvelles d'Emilia. Il crut même entendre le père décréter qu'il n'en avait « rien à foutre de vos lois sorcière », ce qui fit dresser un sourcil indigné à Cordelia Grims, la mère de Théa. Elle se tenait près de sa fille, sans maquillage ni robe élégante comme à son habitude quand il l'apercevait parfois à Grand Central. Et même si elle veillait à garder la tête haute, il voyait bien qu'elle avait les yeux rougis et que sa main serrait si fort celle de Théa qu'elle lui coupait la circulation. Il supposait qu'après avoir perdu un enfant, il ne pouvait pas la blâmer, surtout quand son ex-mari était l'auteur de l'attaque. Au fond de la pièce, Aileen restait assise sur son lit, en retrait. Ses parents n'avaient pas dû encore pouvoir arriver du Canada. Le père d'Othilia, en revanche, avait dû remonter du Village où il logeait tous les soirs comme Hilda car il serrait sa fille contre lui sans concession. Noah ne pouvait pas dire qu'il le portait dans son cœur - il était un professeur exigeant et sévère qui n'avait jamais bien vu sa relation avec Othilia - mais il ne pouvait pas lui enlever que sa fille était sa priorité absolue. Enfin, Jules, lui, était le plus entouré. D'abord, Charly était là. Il ne savait pas comment elle avait été prévenue, si quelqu'un était venue la chercher, mais elle s'accrochait à son frère, ensommeillée. Il reconnut aussi son père, Ethan Shelton, l'air mal réveillé mais inquiet derrière ses lunettes à montures écailles, et bien sûr Leonidas Grims qui avait visiblement tiré quelques ficelles pour venir lui aussi. Egal à lui-même, il fumait en demandant à Jules s'il allait bien et il se prit immédiatement une remarque de la part de Hicks.
- Leonidas, éteignez-moi ça toute de suite, c'est une école et une infirmerie au nom de Morgane !
- Pardon Lally, tout de suite, s'excusa-t-il en plongeant la main dans son veston.
Il en sorti une boîte en argent gravée pour écraser a cigarette fumante dessus et Noah reconnut celle dont Jules et Théa avaient parlé. Un rouge-gorge, symbole de la famille Perrot dont la grand-mère de Leonidas faisait partie. Il sut que les autres pensaient à la même chose que lui - les images du conte bien vivaces dans leurs esprits à tous - car tout leur groupe se pencha presque pour mieux voir.
- Leo... murmura Jules. La boîte... ?
- Oui ?
Leonidas fronça les sourcils, perplexe de la soudaine attention portée sur lui, mais Jules n'arrivait visiblement pas à former une question compréhensible. Il cherchait ses mots quand des éclats de voix résonnèrent dans le couloir.
- Attends ! Attends, bon sang ! s'écriait une voix.
- Qu'est-ce qui se passe encore ? s'agaça Hicks. Miranda, je peux savoir ce que... ?
Elle avait raison, Noah venait de reconnaître lui aussi la voix comme celle de Miranda Fleming, leur professeur d'Enchantements. Elle avait été la première à arriver dans le parc pour les aider et tenter d'appréhender Ronan Graves lors de l'intervention des professeurs et de la directrice. Mais Fleming ne répondit pas à Hicks. Elle se matérialisa dans l'embrasure de la porte et fit volte-face, comme pour tenter d'empêcher quelqu'un d'entrer et se récria encore :
- Attends je te dis ! Tu ne peux entrer comme ça, je dois expliquer ! Attends !
- Miranda, laisse-moi passer, maintenant.
Cette voix-là ne lui disait en revanche rien. Trop accaparé par le spectacle, il ne chercha même pas à tourner la tête pour voir si un des amis comprenait ce qui se passait. Tout ce qu'il voulait, c'était aller dormir, même si la présence des parents et des Aurors indiquait clairement que ce n'était pas pour tout de suite.
- Je t'en prie, non, attends...
- Je veux voir moi-même qu'il ne leur a rien fait !
Et Fleming fut repoussée par une autre femme qui entra sans ménagement, le visage déformée par l'inquiétude. Blonde, habillée d'une robe de sorcière, et sa baguette à la main ; Noah ne la reconnut par sur le coup. Il ne l'avait jamais vu. Mais il entendit le cri étouffé qui traversa l'ensemble de la pièce, le « Morgane » murmuré par Hilda, et surtout la voix brisée de Jules quand il lâcha, l'air d'avoir vu un fantôme :
- Maman ?
Il comprit soudain pourquoi la femme lui semblait familière... Tout simplement parce qu'il s'agissait d'Aurelia Shelton qui avait visiblement trompé la mort. Ou qui les avait trompés eux.
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*Drop the mic* BAM !
Alors ? Qui l'avait vu venir cette fin ? (J'avoue certain.es avaient eu des doutes mais...). Cette dernière scène est dans ma tête depuis plus de trois ans. Je savais que ce tome finirait comme ça depuis le début, bien avant de commencer à écrire même, et ce plan n'a pas bougé depuis. Comme vous le voyez également, il me restait pas mal de choses à dire, ce qui explique le chapitre court de la semaine dernière. Si j'avais laissé les deux ensemble, ça aurait donné un chapitre de 13 000 ou 14 000 mots, ce qui aurait été bien trop long. Là, j'ai voulu donné son moment à Théa et leur moment à Julian et Noah.
Votre verdict sur ce chapitre ? Sur le Nolian, sur le pseudo dénouement de l'intrigue et sur le retour d'Aurelia ? ^^
Avant de se quitter pour la pause estivale, plusieurs points : les mêmes de Lina, un petit questionnaire comme d'hab, et quelques infos/discours/remerciements de ma part. C'est parti !
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Les memes de Lina
Vraiment un grand merci à Lina, aka HarryStranger, pour ses memes dans la seconde partie de ce tome. Ils m'ont fait mourir de rire et j'adore vous les partager parce qu'elle a une imagination et un humour sans faille ! Pour ceux qu'elle m'enverra sur ce dernier chapitre, vous les retrouverez au chapitre 1 du tome 2 bien sûr ^^ Ou peut-être que je vous les posterai cet été !
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Le questionnaire
1/ De manière globale, avez-vous apprécié cette histoire et ce premier tome ? Quels en sont les points positifs et les points négatifs selon vous ? (écriture, intrigues, monde américain, thèmes explorés...).
2/ Est-ce que vous lisez cette histoire "seule" ou lisez-vous en même temps Au temps des Maraudeurs ?
3/ Lisez-vous également Ombres et Poussières de Perripuce ? Si oui, les références entre les deux univers vous semblent-elles adaptées ? (Dans leur contenu et leur nombre, genre est-ce qu'elles sont pertinentes, trop nombreuses, ou non ect...).
4 / Que pensez-vous des personnages ? Y'en-a-t-il que vous avez plus aimé que d'autres ?
5 / Pour le tome 2, est-ce que vous préférez que je fasse une nouvelle publication/un nouveau livre ou que je continue à la suite de celui-ci ?
6 / Est-ce que vous avez des envies pour la suite (niveau écriture, citations, intrigue, scènes, aesthetics ect...) ?
7/ Je l'avais déjà posé mais je le redemande quand même : est-ce que vous trouvez que je communique assez avec vous ? Est-ce que tout est assez clair ? (explications, publication, réponses aux commentaires ect...).
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Les informations pour la suite
Grand sujet, la suite haha ! Déjà, je suis désolée, mais je ne suis pas Perri... Je n'arriverai pas à écrire dix chapitres d'avance en deux semaines - je ne suis même pas sûre d'y arriver en deux mois - donc il va y avoir une pause comme d'habitude pendant l'été. Si j'ai des textes bonus à poster, je le ferai pour vous occuper, promis ! En attendant, je vise une reprise d'ATDM en septembre, et j'espère pouvoir faire de même avec LHDI ^^ Je vous enverrai de toute façon un message sans faute pour prévenir mes abonnées (et si vous mettez ce livre dans votre bibliothèque, Wattpad vous envoie normalement une notif également).
J'ai plein d'idées pour la suite et j'espère que vous ne serez pas déçu. L'histoire entre Julian et Noah est loin d'être terminée, on les laisse sur une note douce-amère voulue, et il y aura encore plein de choses à raconter : leur acceptation de leur amour, le mystère d'Aurelia et les répercussions de son retour, l'histoire de Matthew et Charity dont la fin ne peut être que tragique, celle de Théa et Liam en pleine évolution, le rapport à la maternité, le système juridique et la société américaine etc...
En tout cas je suis super contente d'avoir terminé ce tome 1, j'ai besoin de souffler maintenant mais vraiment encore merci d'avoir été à mes côtés tout au long de l'écriture ! Un merci notamment à Ophélie, ma bêta de toujours, qui m'a donné des idées et s'est prise de passion pour Théa haha !
Mais surtout, un énorme merci à Perri. Vraiment ! Un honneur d'écrire à tes côtés, tu me pousses sans jamais cesser de croire en moi et en cette histoire, et j'aurais sûrement envie de tout envoyer balader vingt fois si tu n'avais pas été là pour me débloquer, faire des vocaux de 10min, et fangirler sur le Nolian ! Notre univers partagé est la meilleure chose qui pouvait arriver, ça m'a redonner un nouveau souffle et je ne me verrai le faire avec personne d'autres que toi ! <3
Bel été à tous.tes, je vous aime fort !
Anna'
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