Chapitre 45 : Le fantôme d'une famille

Breaking News ! Faux départ... ou plutôt fausse fin haha ! Ce n'est pas le dernier chapitre de ce tome 1, tout simplement parce que j'avais sous-estimé ce qu'il me restait à raconter pour boucler cette histoire. J'ai donc décidé de couper en deux, il restera ainsi un chapitre. Je n'ai pas terminé de l'écrire, mais je vous promets quelque chose : s'il est prêt pour lundi prochain, vous n'aurez pas à attendre deux semaines ^^ J'essaye d'écrire au mieux ! 

Merci à tous.tes pour vos retours et commentaires ! J'ai senti qu'Emilia divisait énormément, mais c'est normal ! Elle est à la fois cette figure de disparue un peu fascinante, cette soeur pour laquelle Liam s'est inquiété, et aussi une ado influençable en quête d'identité désespérée. Toutes ces facettes en font le personnage que vous avez découvert dans le dernier chapitre et c'est normal d'avoir des avis mitigés sur elle ! 

Je sais que certain.es ont déjà passé des épreuves du bac - ou autres exams - et que ça s'est assez bien passé donc je suis contente pour vous ! Force et honneur ! Pour ceux.elles qui en ont encore à passer : ça va ? Vous vous sentez ready ? ^^ 

Ah et petite question parce que j'ai un doute : est-ce que vous recevez bien les notifs ? Pour LHDI et ATDM ? (J'ai surtout un doute pour le 2e, Perri me disait que ça buguait un peu donc je voulais vous demander)

En tout cas, je vous laisse découvrir la suite ! 

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Chapitre 45 : Le fantôme d'une famille

« L'amour n'est il pas essentiellement une quête de l'absent, de l'ailleurs, une poursuite dont paradoxalement, le succès coïncide avec l'échec ? »

- Marc-André Poissant -

// 20 mai 1980 //

La première sensation que Théa retrouva après avoir été projetée au sol par l'explosion magique fut un goût ferreux de sang mêlé d'herbe dans la bouche. Sonnée, elle resta allongée un moment, incapable de se mouvoir. Autour d'elle, les bruits étaient atténués et fuyant, mais ses yeux refusaient de coopérer... Liam devait avoir la même vision du monde quand il regardait à travers son appareil photo mal réglé. Bon sang, Liam. Après sa sœur, il avait été celui à se trouver le plus près de l'arbre et donc de l'explosion. Une inquiétude sourde se logea dans son ventre. Il fallait qu'elle ouvre les yeux. Il fallait qu'elle s'assure que les autres allaient bien.

Le cœur au bord des lèvres, elle se redressa donc sur un coude. Le monde se mit à tourner immédiatement alors même que ses yeux étaient toujours clos et elle s'affaissa sur elle-même misérablement. Pour couronner le tout, la voix de Julian se matérialisa au-dessus d'elle une seconde plus tard :

- Eh Théa ! Ça va ?

- A merveille comme tu vois... grinça-t-elle.

Il fallait évidemment que Julian se soit remis plus vite qu'elle. Dans leur compétition sur tout et n'importe quoi, elle lui attribua un point mental. S'accrocher à quelque chose d'aussi trivial lui permit d'occulter la réalité encore quelques secondes.

- Tu peux bouger ?

- Hum... je crois...

Avec précaution, elle remua d'abord ses doigts, puis ses pieds. Tout avait l'air normal et à part la sensation de désorientation, rien ne lui faisait très mal. L'herbe avait dû amortir le choc de sa chute. Résolue, elle ouvrit donc les yeux.

- Julian, je te vois triple...

- Déjà, tu me vois, c'est positif, lui répliqua-t-il.

C'était une façon voir les choses. Lentement, sa vision se stabilisa de toute façon et, d'un coup, Julian fut seul dans son champ de vision. Elle se redressa cette fois en position assise. Quelques mèches brunes s'étaient sauvées de sa queue de cheval et elle les écarta d'un geste impatient. A genoux devant elle, Julian parut décider qu'elle n'était pas en état de mort imminente car il se releva avec un dernier regard attentif.

- Je vais voir les autres, lui dit-il. Essaye de ne pas trop bouger, ok ?

Elle décida de l'ignorer.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? voulut-elle plutôt savoir.

- Le Rituel n'a pas été brisé. Quelque chose manquait, je l'avais dit ! Au lieu de se briser, il s'est défendu et les propriétés de l'arbre se sont inversés. Il ne guérissait plus, il attaquait.

Enoncé ainsi, tout faisait sens. La puissance magique qui l'avait renversé avait eu une vibration étrange, presque agressive, et Théa était assez douée en Défense contre les Arts Obscurs pour savoir que la partie prodige agaçante de son cousin avait raison. Brusquement, elle tourna sur elle-même.

- Mon père ?

Julian se tendit. Il regarda autour d'eux à son tour. L'herbe autour de l'arbre avait viré au brun, comme brûlé, et leurs amis gisaient un peu partout. Théa retint un souffle de soulagement en voyant qu'Othilia et Noah aidaient Aileen à se remettre sur ses pieds un peu plus loin. Ils avaient tous été en retrait au moment de l'explosion, même si Noah avait une méchante plaie au front et qu'Aileen se tenait la cheville. De l'autre côté, par contre, Emilia était au sol, face contre terre et Liam rampait vers elle désespérément. Théa sentit un goût de bile se mêler à celui du sang. Dans sa chute, elle avait quand même dû se mordre la joue ou la lèvre. De son père en revanche, aucune trace.

La colère monta en elle si vite que la tête lui tourna à nouveau une seconde. Il n'avait pas le droit de fuir, pas après ce qu'il venait de faire. Alors qu'elle appuyait ses paumes contre la terre humide pour se remettre debout, le cri qui s'arracha de la gorge de Liam la figea dans son élan :

- Emilia ! Emy ?

Il se mit à la secouer, mais pas assez pour la retourner.

- Elle ne bouge pas ! Morgane, elle bouge pas !

La panique fit chavirer sa voix. Tout le monde suspendit ses gestes, paralysé, jusqu'à ce que Liam ne se retourne vers eux et ne hurle dans leur direction :

- Bordel, je vous dis qu'elle bouge plus, faites quelque chose !

Aileen fut la première à réagir, suivie d'Othilia. Elles se précipitèrent vers le frère et la sœur. Théa, elle, resta sur place. Elle n'arrivait pas faire bouger son corps. Son esprit était accaparé ailleurs et, malgré l'agitation autour d'Emilia, elle ne pouvait penser qu'à son père. Si les évènements de ce soir étaient en partie de sa faute, elle ne pouvait s'empêcher d'imputer le reste à Emilia elle-même. Elle n'avait pas pu entendre la conversation que Liam avait eu avec sa sœur, pourtant elle avait saisi l'essentiel. Emilia n'avait jamais été « la disparue de l'Amérique » comme les journaux avaient aimé le faire croire. Elle avait suivi son père de son plein gré et rien que pour ça, elle n'arrivait pas à dépasser sa colère pour trouver de la compassion envers elle. Héritière d'Isolt Sayre ou non, Emilia avait joué avec eux pendant près d'un an. Or, si Théa ne supportait pas quelque chose, c'était bien d'être manipulée. Son père excellait dans l'exercice, elle le savait. Du moins, elle l'avait compris au fil des ans et des informations glanées derrière les portes closes. Quand il était plus jeune, son charisme avait conquis plus d'une personne : sa mère pour commencer – elle était tombée irrémédiablement amoureuse de lui –, ses grands-parents qui n'avaient vu son vrai visage que lorsqu'il avait été trop tard, et sûrement tout le reste du groupe de la Génération 1950. Il était là, le pouvoir de son père. Faire croire qu'il était quelqu'un d'autre, mais ne suivre que ses intérêts. La seule fois où il avait tenté d'appliquer ses convictions lui-même, il avait été arrêté dans les montagnes Autrichiennes avant même d'avoir pu s'approcher de Grindelwald. Ses années en prison lui avaient sûrement donner le temps de méditer sur cette erreur et de transmettre la leçon à Emilia : il valait mieux tirer les ficelles de loin. Théa ne voulait qu'une chose au contraire. Couper les dites ficelles.

Plongée dans ses pensées, elle ne revint sur terre qu'en attendant les cris de fond revenir au premier plan.

- Emilia, allez ! Tu m'entends ? s'époumonait toujours Liam plus loin. Elle... elle...

- Elle respire, rassura Othilia, penchée au-dessus de son corps inconscient.

Noah s'approcha de Liam et le tira en arrière pour le faire reculer.

- Et tu devrais faire pareil, tu vas nous claquer entre les mains sinon, lui dit-il. Laisse-les voir.

- Bordel, lâche-moi !

D'un geste sec, Liam se dégagea, mais il resta là où il était. Noah obtempéra en levant les mains en l'air. Sa plaie à la tête continuait à saigner et collait une partie de ses boucles contre son visage, mais il ne paraissait pas le remarquer. Il se tourna vers elle et Julian, alerte.

- Alors ? On fait quoi maintenant ? leur jeta-t-il, dépité.

- On ne le laisse pas s'en tirer comme ça ! répondit-elle sans réfléchir. C'est hors de question.

Avec détermination, elle posa les deux mains par terre – l'herbe était fraîche contre ses paumes – et elle poussa sur ses bras pour se hisser debout. Le monde tangua à peine, signe que son corps commençait à se remettre de l'explosion, mais ça n'empêcha pas Julian de la retenir par le coude.

- Théa...

- Ah non ! coupa-t-elle. Tu ne vas pas me « Charlyriser », je refuse ! Par où il est parti ?

- Arrête, tu ne pourras le...

Il n'eut pas le temps de terminer sa phrase. Sur leur gauche, des bruits de végétations et une branche craquante leur parvinrent aux oreilles. Théa fit volte-face. Il faisait trop sombre maintenant pour bien voir, mais elle ne loupa la haute silhouette qui se fondait dans la nuit. Vers le passage secret du mur d'enceinte, comprit-elle en une seconde.

- Oh non... souffla-t-elle. Certainement pas...

Et, sans réfléchir, elle se mit à courir.

- Théa ! Reviens ! hurla Julian derrière elle.

Elle ne chercha même pas à ralentir. Les autres pouvaient tous s'occuper d'Emilia s'ils le voulaient, elle avait plus important à faire. Depuis que son père était arrivé, il s'était comporté comme si tout lui était dû et il avait à peine fait attention à elle. Il était hors de question qu'il reparte maintenant comme il était venu : une ombre parmi l'obscurité, une ombre sur son passé qui continuait à la hanter plus qu'elle ne voulait l'admettre. Et après ce qu'il venait de faire ce soir, il ne pouvait pas repartir dans la nature sans faire face à la justice. Elle le refusait.

- Théa ! Merlin, Théa !

La voix de Julian, déchirée, était déjà plus lointaine. Puis, ce fut celle de Noah qui fusa :

- Jules, non !

- Je vais avec elle, reste avec Liam !

- T'es sérieux ? Non, tu...

- Reste avec eux ! ordonna-t-il.

Elle jeta un regard par-dessus son épaule sans s'arrêter de courir. Julian venait de se lancer à sa suite et elle retint un juron, même si l'expression de Noah en valait presque la peine. Pour une fois, ne pas avoir le dernier mot devait lui faire un drôle d'effet.

- Qu'est-ce que tu fous ? héla-t-elle en direction de Julian dans son dos.

Il lui renvoya un coup d'œil incrédule et accéléra pour la rattraper.

- Moi ? s'indigna-t-il. Toi qu'est-ce que tu fous ? Arrête-toi !

- T'en as pas marre de vouloir contrôler tout le monde ?

- Si vous étiez tous moins têtes brûlées aussi !

Le souffle court, il réussit enfin à revenir à sa hauteur. Pour un intello, elle dut admettre qu'il n'était pas mauvais en course... Elle mit ça sur le compte de l'explosion qui ralentissait encore son corps. Après tout, elle fonctionnait à l'adrénaline, elle le sentait bien : c'était comme si son sang avait absorbé dix cafés et que son cœur battait trois fois plus vite.

- Théa s'il te plaît...

Il tenta de lui attraper le bras pour la faire s'arrêter, mais elle se déroba.

- Il est parti par là ! Faut qu'on le rattrape !

- Et qu'est-ce que tu veux faire ? Merlin, qu'est-ce que tu veux qu'on fasse contre lui ?

- On est deux ! Il est seul !

- Et il est aussi deux fois plus puissant que nous ! objecta-t-il.

Elle secoua la tête. A son poignée, son ruban rouge – celui que Théo lui avait rendu à la clinique peu avant de mourir – semblait lui brûler la peau.

- Qu'est-ce qu'on en sait ? Il est en prison depuis dix ans, il est affaibli ! Il nous a demandé de faire le Contre Rituel à sa place pour ça aussi !

- On ne peut pas être sûrs...

- Mais t'es un surdoué en magie ! hurla-t-elle. Je suis la meilleure du club de duel ! Me dis pas que tu veux juste rester à rien faire !

- Dans une salle de classe Théa ! On est les meilleurs dans une salle de classe, ça n'a rien à voir !

Cette fois, il réussit à la saisir par les épaules pour la secouer. Elle fut tellement surprise que sa tête se mit à dodeliner dans tous les sens et sa vue se troubla un peu plus jusqu'à ce que Julian arrête pour planter fermement ses yeux dans les siens. Dans la nuit, ils avaient perdu leur éclat vert, ils étaient bien plus sombres, comme ses cheveux blonds foncés. Tremblante, elle leva les mains pour s'accrocher à ses avant-bras, juste pour établir un contact physique avec lui...

- S'il te plaît, il est en train de s'enfuir... plaida-t-elle, anxieuse.

Mais la réponse de Julian fusa, sans hésitation :

- Et moi je ne te laisserai pas risquer ta vie pour une vengeance... Je ne perdrais pas quelqu'un d'autre à cause de la magie noire...

Il y avait une telle portée solennelle dans ses mots qu'une émotion étrange la traversa. Bon sang, elle connaissait à peine son existence en septembre dernier, mais Julian avait réussi à se faire une place dans sa vie. L'arrivée des Shelton en générale avait changé la face de la famille : grand-mère souriait davantage, Leonidas était revenu, et même sa mère semblait enfin investie d'un but en aidant Ethan à sortir de sa dépression. Surtout, Théa ne s'était plus sentie seule dans cette grande maison. Et elle ne voulait pas imposer à Julian une nouvelle angoisse, mais un autre visage flotta dans son esprit.

- Ju'... murmura-t-elle d'une voix cassée. Pour Théo, s'il te plait... Je dois le faire...

Elle ne sut pas si c'était la boule d'émotion coincée dans sa gorge ou le recours au surnom d'enfant qui alluma une étincelle dans ses yeux, mais la résolution vacilla sur ses traits. Elle sut qu'il pensait à sa propre mère à cet instant, cette mère qui l'avait hanté toute l'année comme le fantôme de Théo la hantait elle-même. Lentement, il déglutit sans la lâcher du regard, puis hocha la tête.

- Ok, murmura-t-il, crispé. Mais on y va ensemble et tu restes près de moi ?

- Julian, je ne suis pas une demoiselle en détresse... tenta-t-elle de protester.

- C'est non négociable. Je sais que tu es parfaitement capable de te battre en duel, j'en ai fait les frais, mais c'est à lui que je ne fais pas confiance, tu m'entends ?

A son ton, elle comprit qu'elle n'obtiendrait aucun compromis et elle acquiesça donc. Elle n'avait pas le temps d'argumenter de toute façon. A chaque seconde qui passait, son père était un pas plus loin.

- Bien, on y va... souffla alors Julian, convaincu.

Il lâcha enfin ses épaules, puis attrapa sa main un court instant, juste le temps de la presser contre la sienne en un ultime geste de courage. Elle lui rendit sa pression. Puis, le cœur prêt à exploser, elle se remit à courir. Maintenant qu'elle s'était arrêtée – même une minute – son corps eu du mal à se remettre en route, mais elle persévéra. Et elle devait avouer intérieurement qu'elle était soulagée d'avoir Julian avec elle. Depuis le début de toute cette histoire – et surtout ce soir – il avait été le pilier sur lequel tout le monde s'était reposé. C'était rassurant de ne plus se sentir seule. Avant ça, elle avait eu Othilia à ses côtés, évidemment, mais la famille et les amis étaient deux choses différentes. Or, c'était bien une affaire de famille qui était en train de se jouer.

En face d'eux, le mur d'enceinte s'esquissa dans la nuit et Théa plissa les yeux. Elle repéra son père en un battement de cœur. Il était à demi sorti de l'école, le corps en travers du mur, mais il prit le temps de se retourner comme s'il hésitait à partir pour de bon. Il les aperçut à cet instant.

- Théodora... soupira-t-il.

Elle se crispa et combla la distance entre eux d'une dizaine de foulées, persuadée qu'il allait transplaner ou se remettre à courir pour disparaître d'une seconde à l'autre. Au lieu de ça, il l'attendit et repassa même le passage du mur pour se retrouver pleinement dans le parc d'Ilvermorny. Julian pointa sa baguette sur lui sans attendre.

- Alors c'est ça ? invectiva-t-elle dans un cri incrédule. Tu pars simplement après tout ce qui vient de se passer ? Sérieusement ?

- Et je te conseillerai de me laisser faire, lui répondit son père. Vois ça comme une preuve de mon indulgence.

- Ton indulgence ?

Elle le dévisagea, prise au dépourvu. Des émotions en vrac étaient en train de faire rage dans sa poitrine et quelques étincelles jaillirent de sa baguette. Son père ne fit qu'hausser un sourcil mais ne parut pas déstabilisé.

- Tu crois que je ne comprends pas ce qui s'est passé ? dit-il avec gravité. Je vous ai laissé un an pour briser ce Rituel, j'ai attendu que vous soyez prêts sans intervenir malgré les nombreuses transgressions à mes consignes. Et ce soir, pourtant, je n'ai toujours pas la baguette. Vous avez voulu me tromper en retenant des informations.

- Quoi ? Non !

- Il manquait un élément au Contre Rituel, intervint Julian, piqué au vif. C'était pas dans les runes, on ne pouvait pas savoir...

- Oh ne vous moquez pas de moi, coupa-t-il durement. Tu savais très bien ce qui allait se passer, ton intervention l'a bien prouvé.

- Je suis intervenu parce que les choses n'allaient pas et je l'ai vu justement. Ça n'a rien à voir !

- Et comme par hasard, il fallait que ça soit toi, hum ? Tu vas me dire qu'Aurélia ne t'avait rien dit ?

Le nom sembla atteindre Julian aussi fort que l'explosion et Théa se retint d'hurler de frustration. Tout revenait toujours à cette tante qu'elle n'avait jamais connu. Son père ne lui accordait aucune attention après dix ans en prison, mais il trouvait le temps pour accuser Julian et évoquer sa mère. C'était absurde, rageant, incompréhensible... et presque douloureux.

- Pourquoi est-ce que ma mère m'aurait dit quelque chose... ? articula Julian, déstabilisé. Elle n'avait pas réussi à briser le Rituel non plus en 1950, c'est pour ça que Diego Calderon est mort...

- Et tu crois qu'en trente ans, une chercheuse comme elle n'avait pas trouvé la solution ? Tu crois qu'elle avait abandonné ses recherches ?

Théa eut l'impression de se prendre un mur en pleine face. Elle avait tellement été préoccupée par le conte et par l'idée de comprendre ce qui s'était passé en 1950 qu'elle n'avait pas songé à « l'après ». Aucun d'eux n'y avait songé. La résolution du Contre Rituel les avait trop accaparés, mais son père énonçait pourtant une évidence : Aurélia Shelton était au cœur de cette histoire. Elle en avait fait un conte pour enfant, ce qui prouvait qu'elle n'était jamais passée à autre chose. Elle avait été historienne. Tout portait à croire qu'elle avait dû vouloir avoir le fin mot de l'histoire même après être partie d'Ilvermorny et des Etats-Unis. A côté d'elle, Julian pâlit. Ses pensées avaient dû suivre le même cheminement que les siennes.

- Même si elle avait trouvé la solution, elle ne me l'aurait jamais dit... objecta-t-il finalement d'une voix rauque. Je ne savais pas...

Son père émit un souffle méprisant. D'instinct, Théa se rapprocha de Julian.

- Pas « si », gamin. Elle avait trouvé la solution. (Il roula des yeux). Je passe pour celui avec une obsession, mais Aurélia... oh Aurélia n'était pas du genre à abandonner plus. Elle avait peut-être abandonné sa famille et reconstruit une vie en Angleterre, mais elle voulait savoir aussi. L'échec de ce soir-là l'a hanté et l'a suivi de l'autre côté de l'Atlantique, vous pouvez me croire.

Et pour une fois, elle le crut. Après ce qui était arrivé à Diego Calderon, ça semblait évident qu'Aurélia avait dû être habitée par le besoin de trouver ce qui avait tout fait dérailler. Un détail – une phrase – attira pourtant son attention.

- Comment tu le sais ? Qu'elle avait trouvé la solution ? demanda-t-elle soudain. Elle avait coupé les ponts avec tout le monde, même Leonidas.

Pour la première fois, le regard sombre de son père tomba sur elle sans détour. Un tic nerveux agita le coin de sa bouche.

- Parce qu'elle me l'a dit elle-même, révéla-t-il sans hésiter.

Ce fut comme un deuxième mur en pleine face. Théa se tourna vers Julian d'un bloc, habité par la certitude qu'il allait s'exclamer que son père mentait, mais elle ne vit que sa main trembler. Il avait l'air dépassé, figé par l'angoisse, et elle ne put lâcher qu'un juron venu du fond de sa conscience :

- Par Morgane et tous ses damnés, qu'est-ce que ça veut dire ? Tu n'as pas pu... Tu es entré en contact avec elle ?

- Voyons Théodora, tu crois vraiment qu'entre ma libération en mai et le moment où Emilia m'a rejoint dans la clandestinité en juillet, je n'ai rien fait ? Retrouver l'héritière de Serpentard demandait de nombreuses recherches, il fallait que je lui prouve ensuite que j'étais digne de confiance, que je lui apporte des preuves. Puis, surtout, il fallait que je comprenne comment enfin briser le Rituel. Je me suis naturellement tourné vers la personne la plus amène de m'aider.

- Mais comment... ?

- Aurélia ne se cachait pas. Il m'a suffi de payer quelques contacts – la prison est très utile pour s'en faire – et j'étais à Londres un mois après ma sortie de prison.

Du coin de l'œil, elle vit Julian tressaillir.

- Un mois ? répéta-t-il. Vous étiez à Londres en juin l'année dernière... ?

Le ton de sa voix était étrange et Théa mit une seconde à comprendre pourquoi. Juin 1979. Le moment de la mort d'Aurélia. Une pierre glacée lui tomba dans l'estomac et elle jura qu'elle sentit sa respiration se couper. Ce n'était pas possible... L'homme devant elle avait beau être le paradoxe d'un parent et d'un inconnu dans un même corps, il n'était pas un meurtrier. Pas de sang-froid. Il voulait la suprématie de la magie, il avait voulu libérer Grindelwald et retrouver la baguette de Serpentard, mais il n'avait pas pu faire ça...

- Oh Morgane... Non, ne me dis pas que...

L'horreur devait se peindre sur leur visage car son père pencha la tête sur le côté, presque étonné.

- Vous croyez que... ? dit-il avant d'éclater de rire, même si aucun amusement n'y perçait. Théodora, allons. Bien sûr que non. Je n'ai rien à voir dans la mort d'Aurélia. Au contraire, je voulais... continuer à collaborer avec elle. Je voulais qu'elle soit à mes côtés pour enfin déterrer la baguette. (Il serra les mâchoires). Elle a refusé... Et avant que j'ai pu retourner la voir, elle était morte.

Le mot, si brusque, les fit tressaillir cette fois tous les deux. Malgré tout, le besoin insatiable de savoir et les centaines de questions qui bouillonnaient en elle depuis des années n'avaient pas été apaisées.

- Et t'es revenu juste pour ça ? lança-t-elle, amère. Pour ta baguette ? Pour finir ce que vous aviez commencé en 1950 ?

Elle détesta entendre le craquement dans sa voix. On aurait dit une petite fille.

- Théodora... soupira son père à nouveau.

Les sonorités de son nom complet – que presque personne n'utilisait désormais – résonnèrent dans l'air entre eux.

- Si j'avais le temps de te parler, de te parler vraiment, je le ferai. J'aimerais t'expliquer tellement de choses, tu étais si petite à l'époque... Mais pas ce soir...

- Alors quand ? Parce que tu étais en prison pendant dix ans, tu réapparais comme ça, tu as eu le temps de passer un an avec Emilia Cooper et de monter un plan pour récupérer une fichue baguette, mais moi je n'ai le droit à rien, c'est ça ? Même pas un mot, même pas des excuses ?

- Tu ne comprends pas, ce que j'essaye de faire me dépasse...

- Oh arrête, ne te fais pas passer pour une noble âme qui vient sauver le monde sorcier ! Personne n'en a besoin ! Personne n'a rien demander !

Elle savait qu'elle criait trop fort, incapable de retenir ses émotions, et la colère la saisit un peu plus en voyant son père jeter un regard nerveux autour d'eux. Plus il s'attardait, plus il risquait de se faire prendre.

- Ne penses même pas à partir, menaça-t-elle en pointant sa baguette vers lui. Il va falloir que tu t'expliques devant les Aurors !

- C'est ça que tu veux alors ? Me livrer aux Aurors ?

Pendant une fraction de seconde, il parut presque blessé par l'idée.

- Ne me mets pas la faute sur le dos, t'as pris tes décisions. Dix ans auraient pu te faire réfléchir, mais visiblement t'es toujours le même. La magie noire avant la famille, non ?

- Je l'ai fait pour Théophilius la première fois...

- Non ! Non, tu n'as rien fait pour lui ! refusa-t-elle. Tu l'as juste laissé mourir sans toi ! Tu n'étais pas là !

Cette fois, la colère s'empara vraiment de son père face à l'accusation. Elle le vit dans la façon dont ses yeux se plissèrent, assombris, et il s'avança vers eux en deux grandes enjambées. Instinctivement, Julian recula, mais elle se refusa à faire pareil. Elle veilla même à se tenir aussi droite que possible pour compenser sa taille, animée par un feu brûlant. Dans son esprit valsaient des images qu'elle croyait oubliées depuis longtemps : les murs blancs d'un institut, le chignon d'une infirmière, le visage grave de son grand-père qui la tenait dans ses bras, sa mère qui s'effondrait en hurlant à l'annonce de la mort de Théo... Tout passait comme des flashs d'une pellicule abîmée, puis son père pointa un doigt autoritaire vers elle.

- Grindelwald avait une magie et des savoirs infinis, proclama-t-il, la voix rauque. Il aurait pu... Si on m'avait laissé...

- Il ne l'aurait pas sauvé ! Arrête de t'enfermer dans un mensonge ! Grindelwald était un mage noir, pas un guérimage !

- Et tu crois qu'il n'avait pas exploré des facettes de la magie inconnues ? Tu crois que tous ceux qui le suivaient ne voyaient pas qu'il était infiniment plus puissant qu'aucun de nos dirigeants corrompus ? Notre médecine est en retard, elle ne cesse de s'enliser d'années en années ! Tout ça à cause du secret magique qui nous enferme dans la clandestinité. Qui nous limite ! Si des gens comme Grindelwald gouvernait enfin...

- Si Grindelwald avait continuer son règne, il n'y aurait eu que des morts ! Bon sang, papa, regarde ce qui se passe en Angleterre !

Elle ne réalisa le mot qui avait franchi ses lèvres qu'un battement de cœur trop tard. L'expression de son père refléta son propre choc. « Papa ». Elle n'avait plus prononcé ce terme depuis sa petite enfance, comme s'il était devenu un secret tabou. Les larmes lui montèrent aux yeux si vite que le monde se brouilla à nouveau, même si aucune explosion magique n'était responsable cette fois-ci. A ses côtés, Julian lui coula une œillade inquiète.

- Théodora... murmura son père.

- Théa, coupa-t-elle, exaspérée. C'est Théa maintenant.

Il n'eut pas l'air d'apprécier, mais inclina la tête pour lui concéder.

- Théa, écoute-moi. Vous êtes tous trop jeunes pour comprendre, vous êtes coupés du monde ici à Ilvermorny... Je le sais parce que je l'ai vécu. Pendant mes études, je ne comprenais pas Grindelwald et malheureusement le temps que je sorte d'ici il venait d'être mis en prison. Mais... rien n'a changé. Le MACUSA continue à nous étouffer ! Que ça soit Celestina Rappaport qui veut nous replier sur nous-même en fermant les frontières ou la Présidente Belva Laker qui veut s'allier à la Commission Internationale, elles veulent toutes les deux nous maintenir dans l'ombre des Non-Maj' !

- Mais si les lois sont en places c'est parce qu'elles sont nécessaires ! On ne peut pas vivre avec les Non-Maj' !

- Vivre avec eux ? Non, pas sans être persécutés, c'est vrai, convint-il. Et tu sais pourquoi ? Parce que s'ils apprennent notre existence, ils comprendront que nous sommes plus puissants. Ils comprendront que nous finirons par les dominer si on nous en laisse la chance malgré notre nombre. Et ils ne se laisseront pas faire. Ils nous traqueront avant même qu'on ai pu se défendre, ils nous remettront sur des bûchers. Tu as vu les sorcières de Salem.

- Elles n'avaient pas respecté le secret magique...

Son père la regarda avec gravité.

- Elles avaient simplement osé être ce qu'elles sont. Des sorcières. Je ne vois aucun tort là-dedans.

- Mais...

- On ne peut donc pas vivre avec les Non-Maj', mais on peut leur être supérieurs. On peut ce que la nature nous a destiné à être : des hommes doués de magie, plus évolués.

Théa ravala le goût de bile dans sa bouche. Ces mots faisaient échos à d'autres, ceux que les peu de cours d'Histoire des Non-Maj' lui avaient appris sur une autre guerre. Elle ne s'y connaissait pas assez pour relier tous les enjeux entre eux, mais elle savait quelle violence se cachait derrière la promesse d'un monde où la magie ne serait justement plus cachée derrière des passages secrets. Le sacrifice serait trop grand.

- Mais tu t'entends ? s'indigna-t-elle enfin quand sa voix réussit à fonctionner à nouveau. Tu ne peux pas vraiment croire que... que...

- Bien sûr que si ! Ouvre les yeux, Théodora ! s'emporta-t-il. (Elle sursauta). Regarde où en est la société sorcière, regarde le retard de notre éducation, de nos mœurs, de notre médecine ! Comprends d'où tout ça vient !

Avec rage, il pointa la silhouette du château qui se découpait en noire derrière eux, imposante et figée depuis des siècles à l'abri de la montagne... A l'abri des regards, loin de la présence humaine.

- Et vous pensez briser le secret magique avec la baguette de Serpentard ? intervint soudain Julian, resté silencieux jusque-ici. Ça n'a pas de sens !

- Les symboles ont du sens, objecta son père. Et si je veux commencer à rallier des gens à ma cause, il me faut des symboles. (Il marqua une pause). Et puis la baguette... la baguette est particulière...

Il ne termina pas sa pensée, mais Théa crut réussir à lire entre les lignes. La baguette était une obsession de jeunesse, une quête inachevée, un échec à surpasser. Dans le grand plan de son père après sa sortie de prison, la baguette représentait un renouveau après avoir été un commencement en 1950. Au fond, elle ressentit une satisfaction mesquine à l'idée que l'échec se répétait. La baguette était toujours enfouie sous terre à l'image des idéaux de son père, simples mots dans le vent pour l'instant. Du moins, de ce côté de l'Atlantique...

Et alors qu'elle allait encore vocaliser sa colère – tenter de le raisonner en vain, incapable de le laisser sortir de sa vie une fois de plus – des voix se firent brusquement entendre au loin. Ils se figèrent tous, alerte, et Julian se retourna.

- Qu'est-ce que... Théa, baisse-toi !

Elle n'eut pas le temps de comprendre. Elle ne fit que s'exécuter, traversée par l'urgence dans la voix de Julian qui l'attrapa à moitié pour se jeter à terre. Ils s'effondrèrent tous les deux à terre et elle eut l'impression de lui donner un coup de coude au visage dans sa chute, mais son cœur battait trop fort pour qu'elle en soit sûre. Le visage dans l'herbe humide, elle ferma les yeux aussi forts que possibles alors que des sorts sifflaient au-dessus de sa tête.

- Ils sont là ! Lally, ils sont là !

- C'est Fleming... murmura Julian.

Il avait raison. Théa mit du temps à la reconnaître, mais la voix appartenait bien à leur professeure d'Enchantements. Celle de la directrice, Eulalie Hicks, lui parvint également. Privée de sa vue, elle ne fit qu'entendre un bruit de course, des cris, des sorts qui fusaient... Tétanisée, elle chercha à se fondre avec le sol et à se détacher de son corps qui vibrait presque. Elle faillit crier en sentant soudain quelque chose la frôler, avant de se rendre compte que c'était Julian. Il prit sa main dans la sienne et elle s'y agrippa de toutes ses forces.

- C'est fini... ne bouge pas, c'est fini...

Tremblante, elle acquiesça, même si une sensation sourde au fond d'elle lui disait que tout ne faisait que commencer...  

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Voilà ! Chapitre plus court que d'habitude puisque je l'ai coupé en deux comme je vous le disais au début ^^ Mais ça me semblait mieux pour apprécier vraiment les différents moments de la fin. Pour cette partie, je voulais vraiment mettre l'accent sur deux choses : Théa qui retrouve son père avec des sentiments ambivalents et surtout l'évolution de la relation entre Théa et Julian. Leur relation n'était pas prévue comme quelque chose que je volais explorer - au début l'idée était plus de se centrer sur Charly et Julian - mais petite à petite le curseur s'est déplacé parce que j'aime leur dynamique si particulière ! 

Verdict pour vous ? ^^ 

On se retrouve donc soit dans une semaine soit dans deux semaines en fonction de ma vitesse d'écriture ! Mais on ne se quitte pas sans notre rdv habituel, à savoir les memes de la grande Lina ! 

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