Chapitre 37 : Supprimer la distance

Hello ! 

J'ai cru comprendre que le chapitre était attendu par HarryStranger et Camilledll ! Le voici donc haha ! Franchement j'étais trop impatiente de vous donner celui-ci ^^ 

Petite remarque en passant... Je l'avais déjà évoqué dans ATDM, mais le constat est le même pour LHDI : je vois depuis quelques chapitres une baisse flagrante des commentaires (genre divisé par deux vraiment) et j'essaye de comprendre du coup... Manque de temps, manque d'intérêt, délais de postage trop long... ? Comme c'est la même chose pour mes deux histoires, je m'interroge, surtout que certains chapitres n'étaient pas de "transitions" comme parfois. Le dernier avait pas mal de Nolian par exemple. Donc voilà, je voulais juste avoir votre ressenti à vous si ça vous tente ^^ 

Et dernière chose : j'avais oublié de mettre l'aesthetic de Aurélia et Ethan Shelton sur le dernier post, je les ai rajouté le lendemain haha ! Donc n'hésitez pas à aller voir pour celles.eux (pas sûre de moi sur cet inclusif haha) que ça intéresse ! 

Bonne lecture ;) 

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Chapitre 37 : Supprimer la distance

« Supprimer la distance, c'est augmenter la durée du temps. Désormais, on ne vivra pas plus longtemps ; seulement, on vivra plus vite »

- Alexandre Dumas -

// 5 mars 1980 //

Le train approchait de New York. Julian pouvait le deviner grâce à la nature qui cédait la place progressivement aux zones de banlieues et aux immeubles de plus en plus présents. Il trouvait presque leur présence rassurante. Il avait beau adoré vivre loin de tout au château, il aimait retrouver l'agitation familière de la ville. Même à Poudlard, les montagnes écossaises avaient leur charme seulement un temps. A chaque vacances, il retrouvait Londres comme un membre de sa famille : il avait arpenté ses rues animés toute son enfance, il avait joué dans ses squares, il avait passé des dimanches dans des musées et ses magasins avec ses parents – parfois de mauvaise grâce – et c'était cette familiarité qui était réconfortante. Il y a avait toujours quelque chose à faire à Londres. New York n'avait rien à lui envier sur ce plan.

Il n'était pas le seul à observer le paysage. Sur la banquette en face de lui, Liam avait le nez presque collé contre la fenêtre.

- C'est le premier week-end que je vais passer dans la Grosse Pomme, marmonna-t-il en jouant avec le cordon de son appareil photo. J'arrive toujours pas à croire que mes parents aient dit oui...

- Moi non plus, se renfrogna Théa. Dire que je dois te loger chez moi...

Julian lui donna un coup de coude.

- Chez nous, lui rappela-t-il.

- Tu squattes aussi chez moi, ça ne compte pas.

S'il n'avait pas appris à connaitre sa cousine, il aurait sûrement mal pris sa pique. Aujourd'hui, il l'ignora tout simplement et Liam se décolla de la fenêtre pour lui répondre :

- Tiens, tiens... En plus de ne pas avoir d'humour, vous n'avez même pas le sens de l'hospitalité Votre Altesse ?

- On ne commence pas, tous les deux, prévint Aileen, à moitié allongé sur sa banquette à lire un livre. Déjà que je ne peux pas rester avec vous...

- T'es sûre que tes parents ne veulent pas... ?

- Sûre. J'ai demandé au moins trois fois si je pouvais passer le premier week-end à New York, mais ma mère veut qu'on parte ce soir chez mes grands-parents. Je vais passer ma journée à voyager. Heureusement que le MACUSA m'a accordé un portoloin pour rentrer au Canada !

Un silence déçu tomba sur leur compartiment. Julian devait avouer qu'il aurait aimé qu'Aileen puisse rester avec eux, mais ils s'y étaient pris à la dernière minute. Littéralement. Tard hier soir, Noah avait reçu un hibou de sa tante qui lui disait qu'elle devait se rendre à New York pour quelques jours. Une histoire de réunion entre gérants d'établissements sorciers pour obtenir des subventions du MACUSA. Elle ne lui laissait pas le choix : il ne pouvait pas rester seul au Village avec Raphaël, pas alors que les deux frères étaient mineurs. En apprenant la nouvelle, Liam avait suggéré qu'ils essayent tous de passer le week-end à New York pour avancer sur le Rituel d'Ancrage ensemble, hors des murs d'Ilvermorny. La réponse positive de ses parents était arrivée ce matin. Othilia et Aileen n'avaient pas eu cette chance. La première leur avait dit au revoir ce matin : elle restait au Village avec son père et ne prenait donc pas le train.

De toute façon, leur plan était bancal. Ils n'avaient même pas réellement de plan et Julian savait au fond de lui qu'ils avaient plus envie de passer un week-end ensemble hors de l'école qu'autre chose. Finalement, c'était peut-être une bonne idée pour que Liam se change les idées et échappe un peu à l'ambiance étouffante chez lui.

- Et toi ? demanda soudain Théa en se tournant vers Noah, assis en retrait à l'autre bout de leur banquette. Tu vas loger où ?

Il releva la tête de son carnet à dessin. Julian baissa la tête aussitôt. Depuis hier soir, dès qu'il croisait le regard de Noah, il ne pouvait s'empêcher de repenser à leur baiser dans la salle de bain. Il avait passé une partie de la nuit à y penser, comme en témoignait son mal de tête dû au manque de sommeil.

- A l'hôtel Sorcellelit, je crois, dit-il après quelque secondes. Dans le Bronx. C'est un des seuls hôtels sorciers de New York et le mieux dissimulé.

- Oui, je connais, il est bien, approuva sa cousine. Et j'ai pas compris... T'y vas maintenant ou tu viens au manoir avec nous pour qu'on bosse sur le rituel ?

Noah fit tourner son crayon, hésitant.

- Avec vous, je suppose. Pas envie de me retrouver coincé avec Raph' et Hilda.

- Tu veux dire que tu nous préfère, nous ? se moqua Théa. Je suis touchée, Douzebranches.

- Je préférais surtout te planter ça entre les deux yeux.

Théa loucha presque sur la pointe du crayon et l'écarta d'un geste sec. Plus personne ne tenta de parler, pas même Aileen, plongée dans son livre. Julian regarda à nouveau par la fenêtre, mais il n'avait plus rien à observer. Le train venait de rentrer sous le tunnel qui menait au quai désaffecté sous Grand Central, signe de leur arrivée proche. Par pure volonté, il s'entêta à fixer l'obscurité qui se mouvait lentement à mesure que le train ralentissait. Il essayait de capter le moindre éclat de lumière pour éviter de se concentrer sur le reflet évanesçant que renvoyait la vitre. Il pouvait distinguer Noah, juste derrière Théa. Il avait replongé la tête dans son carnet, celui qu'il utilisait la plupart du temps pour dessiner. Julian eu l'image fugace de leur baiser sous forme d'esquisse au fusain en tête : il voyait la fuite du trait qui découpait leur silhouette face à face, à moitié entremêlée tant ils avaient été proches, lui glissé entre les jambes de Noah.

Une vague de chaleur lui monta au visage. Merlin, il était temps qu'ils arrivent.

Dès que le train s'immobilisa enfin, il attrapa sa valise en premier. Plus lent, Liam s'étira et lui bloqua le passage. Il prit son mal en patience. De toute façon, sortir du compartiment ne l'éloignerait pas de Noah : il venait avec eux au Manoir. Nerveusement, il fit jouer ses doigts en haut de sa jambe pour se calmer. La maison des Grims était devenue en environnement presque familier depuis qu'il était arrivé aux Etats-Unis, mais y faire venir Noah lui donnait l'impression de faire entrer deux monde en collision.

- Eh l'intello ? interpella Liam en passant les portes. Tu viens ?

Julian avança par automatisme. Tous les élèves voulaient sortir en même temps et ils se retrouvèrent à piétiner plusieurs minutes. Théa, qui faisait léviter sa valise au-dessus d'eux, manqua de l'envoyer dans la tête de Noah « par accident » à un moment, mais il avait sa baguette à la main et pu la dévier une seconde avant. Sa cousine lui jeta un regard presque agacé qu'il ignora pour fixer son attention sur Aileen. Elle était restée collée contre les portes vitrées de leur compartiment pour éviter la cohue et il se demanda soudain si elle avait peur des foules. Elle avait la même expression pendant le match de Quodpot et à chaque fois qu'ils se retrouvaient dans le Foyer bondé.

Il n'eut pas le temps de lui demander. La file avança soudain et il suivit le mouvement. Sur le quai, il chercha un visage familier et le trouva en la personne de Leonidas contre toute attente.

- Leo !

Son parrain tourna la tête.

- Ah Julian, enfin ! (Il les rejoignit en se frayant un chemin parmi les parents ressemblés). J'avais peur de vous avoir loupé.

- Qu'est-ce que tu fais là ? s'exclama Théa à côté de lui.

Julian remarqua seulement sa sœur à ce moment, juste derrière Leonidas. Elle avait dû sortir avant lui du train et elle se chargea de répondre :

- Il y a une surprise et il ne veut rien dire ! dit-elle, visiblement frustrée.

- Charly, c'est le but d'une surprise, s'amusa Leonidas, cigarette au coin des lèvres. Lysa va déjà me tuer pour avoir vendu la mèche.

- Et quel est le rapport entre la surprise et le fait que tu sois le seul à être venu nous chercher ?

- Tu comprendras assez vite, Théa. Venez, suivez-moi. On va sortir d'ici et discuter après.

D'un signe, il les enjoignit à le suivre. Ils obtempérèrent et Julian fixa avec insistance la nuque de son parrain, comme s'il pouvait deviner la surprise s'il y mettait assez d'effort. Le sourire enjoué et presque malicieux de Leonidas l'intriguait.

Devant l'ascenseur qui permettait de sortir du Sous-Quai, Otis Clavis était fidèle au poste et son visage rubicond s'anima en voyant leur groupe :

- Ah les Grims ! Miss Cordelia n'est pas là aujourd'hui ?

- Malheureusement non, Otis, mais elle vous passe le bonjour.

Théa haussa un sourcil sceptique face au mensonge, mais Julian trouvait toujours autant amusant le béguin que le gardien d'Ilvermorny avait pour sa tante.

- Bon alors ? Quel genre de surprise ? relança Charlotte dès qu'ils furent dans le hall de Grand Central.

- Une surprise qui en restera une jusqu'à ce qu'on arrive, affirma Leonidas en expirant un nuage de fumée. (Il devait avoir conscience d'être entouré de moldus car, pour une fois, elle ne prit aucune forme originale). Mais je n'ai même pas demandé. Qui vient avec nous ?

Ensemble, Liam et Noah levèrent la main.

- Liam Cooper et Noah Douzebranches, c'est ça ? se remémora son parrain. Parfait, montez.

Comme si tout était normal, la diligence des Grims était garée sur l'esplanade de Grand Central. Les moldus la contournaient sans paraître étonnés, même si certains fronçaient les sourcils, et Julian supposa qu'ils devaient se demander comment des travaux et des barrières de chantiers avaient pu apparaître si soudainement. A la suite de sa sœur, il se hissa dans l'habitacle et se retrouva assis entre elle et Noah. Celui-ci se pencha vers lui au moment où les chevaux les faisaient décoller dans un soubresaut.

- Et ton vertige ? dit-il à voix basse.

- Il souffre.

Noah émit un rire étouffé. Julian, lui, se contenta de serrer les dents. Maintenant que la nouveauté de voler à bord d'un véritable fiacre victorien ne le distrayait plus, il refusait de regarder ne serait-ce qu'un peu sur les côtés pour voir le ciel. Autour de lui, tout le monde discutait avec animation, mais il n'arrivait pas à se concentrer sur une conversation en particulier, trop stressé.

- Respire, glissa Noah sans le regarder.

- La prochaine fois que tu me dis ça, je te jure que... articula-t-il à travers ses mâchoires contractées.

A nouveau, Noah retint visiblement un éclat de rire. Simplement, Julian ne comptait plus les fois où Noah lui avait conseillé de respirer. Quand il lui avait pris la main pendant le match de Quodpot, le jour où ils s'étaient expliqués après leur premier baiser... Il se sentit rougir à nouveau rien que d'y penser. L'épaule de Noah contre la sienne ne l'aidait pas non plus, mais il s'accrocha à sa présence physique pour éviter de penser au vide sous lui.

- Eh ! s'exclama brusquement Charly après plus de dix minutes de trajet, manquant de le faire sursauter. On a oublié Archer !

Liam haussa un sourcil.

- Sérieux ? C'est possible ça, d'oublier un cousin ?

- Non, nous n'avons oublié personne. Archer rentrera ce soir, il passe la journée avec Elizabeth.

- Ses parents et grand-mère sont d'accord ? s'étonna Théa.

Leonidas fit mine de regarder par la fenêtre. Il était très mauvais acteur.

- Lysandra et moi avons arrangé... la rencontre, se contenta-t-il de dire.

- Ils ne sont pas au courant, traduit Julian.

- Peut-être bien, j'avoue. Mais que voulez-vous ? J'ai un faible pour les histoires d'amour tragiques et vu comment les choses se sont passées à Noël, nous avons jugé bon... de mettre un peu de distance entre les protagonistes de cette affaire.

- Mais...

- Mais assez parlé d'Archer, nous arrivons, regardez !

Bêtement, Julian suivit l'ordre de son parrain et sentit son estomac se retourner en voyant le sol se rapprocher de manière fulgurante. Il ferma aussitôt les yeux. La pression contre son épaule se fit un peu plus forte et il laissa Noah faire, inspirant et expirant avec concentration. Après quelques secondes, la diligence atterrit enfin.

- Je vais enfin découvrir votre palais, Votre Altesse, fit Liam, enthousiaste. A vous l'honneur.

Il rouvrit les yeux pile à temps pour voir sa cousine descendre en mettant un coup de coude à Liam au passage.

Les jambes tremblantes, il suivit les autres, mais s'attarda en arrière en voyant que Noah traînait. Il s'était arrêté et contemplait la façade du manoir des Grims, la tête légèrement renversée en arrière. Julian, lui, se retrouva à le regarder. Les yeux bleus de Noah tiraient vers le gris grâce à la lumière hivernale et le ciel de plomb au-dessus de sa tête, mais c'étaient ses boucles qui le fascinèrent comme d'habitude. Là où Hilda et Raphaël les avaient disciplinées en les coupant les courtes, celles de Noah se mouvaient avec le vent, sans cesse changeantes. Selon les jours, elles pouvaient être plus ou moins définies, et aujourd'hui elles arboraient une forme fuyante, entourant Noah d'une sorte de halo sombre.

Pour la énième fois depuis leur rencontre, Julian ressentit ce tiraillement dans la poitrine, celui qui le poussait vers Noah Douzebranches contre toute logique, tout bon sens, et toutes les lois. Il aurait traversé la distance entre eux si la voix de Charlotte, postée sur le perron, ne l'avait pas ramené à la réalité.

- Ju' ! s'écria-t-elle d'un ton étrange. Viens voir la surprise !

Il se retourna. Le manoir était toujours aussi imposant et il ne chercha pas à se perdre dans sa contemplation : il rejoignit les autres dans le hall. Théa, qui avait déjà enlevé sa cape, le fixait étrangement.

- Quoi ?

- Rien... Demande-lui, dit-elle en désignant Leonidas d'un coup de menton, énigmatique.

Perplexe, il pivota vers son parrain alors que Noah entrait et refermait la porte derrière eux.

- Qu'est-ce qui se passe... ?

- Avance ! enjoignit sa sœur.

Elle le poussa dans le dos et il obéit, encore plus étonné. Il n'était resté dehors qu'une minute de plus que les autres. Qu'est-ce qu'il pouvait bien y avoir dans la pièce d'à côté pour que tout le monde fasse autant de mystère ? En quelques pas, il dépassa le hall et ralentit prudemment dans l'encadrement du salon. Il repéra son père, grand-mère Isadora, tante Cordelia et Lysandra rassemblés en une ligne étrange devant la cheminée et il haussa un sourcil.

- Merlin, pourquoi vous... ?

- Tourne la tête, idiot.

Il se figea. Dans son dos, il pouvait sentir les autres qui le scrutaient avec attention, mais son esprit sembla se vider en une seconde, incapable de comprendre ce qui se passait. Et enfin, avec lenteur, il se résolut à tourner la tête...

Perché sur le rebord de fenêtre, Matthew Bones en personne eu l'audace lui adresser un sourire moqueur.

- Je t'ai manqué ? lança-t-il.

**

*

Matthew aurait pu passer sa journée à contempler l'expression de Julian quand il réalisa qu'il était vraiment là. Pas à un océan d'écart, mais dans le salon des Grims. Il passa par plusieurs émotions en seulement quelques secondes : perplexité, appréhension, choc, compréhension, émotion. S'il avait tourné la tête de l'autre côté, il aurait repéré Hanna près de la bibliothèque, mais Matthew n'avait pas pu attendre. Il avait parlé. Il avait forcé le destin parce qu'il n'avait jamais été patient et il fut le premier à descendre du rebord de fenêtre en un bond, le corps déjà en mouvement avant qu'il ne touche le sol.

Il ne traversa que la moitié de la distance avant que Julian ne l'atteigne. Ils rentrèrent presque en collision.

Dans un éclat de rire, Matthew se laissa engloutir dans une accolade étouffante. Sous la joie qui bouillonnait dans sa poitrine, il se fit quand même la réflexion que quelque chose avait changé dans cette étreinte. Déjà, Julian et lui avaient peu l'habitude de s'en faire, même avant, et il le dépassait maintenant de quelques centimètres. C'était à la fois déstabilisant et familier. Mais très honnêtement, il n'en avait rien à faire : il venait de retrouver son meilleur ami.

- Merlin, je te déteste... marmonna Julian contre lui.

Il sourit, amusé, et resserra sa prise. Il avait vaguement conscience que quelqu'un prenait une photo du côté des adultes – monsieur Shelton ? – mais il ne se détourna pas.

- Surprise ? se moqua-t-il finalement, faute de mieux.

- Comment... ?

Incapable de former une phrase complète, Julian finit par reculer de quelques pas. Il n'avait pas changé en plus de six mois, du moins presque pas. Ses cheveux étaient peut-être une teinte plus foncée que la dernière qu'il l'avait vu, mais c'était au mois d'août dernier quand le soleil avait fait son effet. Vu le temps hivernal de New York, Matthew doutait que Julian ait beaucoup vu le soleil depuis.

- Je croyais que les frontières étaient fermées !

- Elles le sont. Mais tu me connais, j'ai des contacts, se vanta-t-il.

Tante Lysandra intervint immédiatement :

- Il a demandé à Léo. Ça a mis plus d'un mois, mais on a réussi à leur avoir un visa pour une semaine.

- « Leur » ? répéta Julian à qui rien n'échappait comme d'habitude.

Matthew sentit son sourire s'élargir.

- Tu ne croyais quand même pas que les adultes responsables de moi allaient juger que je pouvais voyager tout seul ?

Sur ces mots, il prit Julian par les épaules et le fit pivoter dans l'autre sens. Il le sentit se tendre de surprise en découvrant Hanna, toujours debout devant la bibliothèque à attendre son tour. Malgré la joie qui illuminait son visage, son sourire se fit presque timide et Matthew se souvint brusquement de ce que Charity lui avait dit sur la situation de Hanna : « elle a peur de passer pour la fille qui s'accroche, qui va finir par avoir l'air pathétique à force de harceler son copain ». Une pointe de pitié pour son amie le traversa et il donna une légère pression pour réveiller Julian, bloqué par la surprise. Ce dernier réagit enfin.

- Hanna !

Comme pour eux deux, il fit un pas en ouvrant les bras et Hanna n'en attendit pas plus. Elle les rejoignit en quelques enjambées et Matthew s'écarta juste au moment où elle se jetait contre Julian. Pendant plusieurs secondes, il n'arriva plus à distinguer leur visage, dissimulé par la tignasse folle de Hanna. En revanche, il entendit son rire incrédule teinté de larmes.

- Tu m'as manqué, souffla-t-elle. J'ai dû supporter Matt toute seule, c'était affreux.

- Eh ! Je t'entends, Faucett !

- Viens-là, toi !

D'un bras, elle l'attrapa par le col et l'entraîna dans leur étreinte. Il lui fut reconnaissant de sacrifier son moment avec Julian pour l'inclure et il se mit à sautiller sur place en riant. Il avait l'impression – juste le temps d'une seconde suspendue – d'avoir onze ans à nouveau.

- Quand est-ce que vous êtes arrivés ? articula Julian, la voix serrée par une émotion mal contenue.

- Il y a une heure ? Même pas ? Tante Lysa et ton père sont venus nous chercher à l'aéroport ! On n'a pas eu le droit à un portoloin transatlantique, mais on voulait arriver avant que tu rentres d'Ilvermorny.

- On est partis dès que le Poudlard Express est arrivé à Londres, raconta Hanna, les yeux rouges. Mes parents m'attendaient et on a tous pris l'avion cette nuit.

- Tes parents sont là aussi ?

- A l'hôtel. Je les ai convaincus de passer des vacances à New York dès que Matt a eu l'idée de venir. Donc... surprise, je suppose ?

Matthew éclata de rire en l'entendant répété ce qu'il avait lui-même dit quelques minutes auparavant. Avec vivacité, Julian se tourna vers Leonidas.

- Tu savais depuis quand qu'ils avaient les visas ?

- Une semaine environ, sourit-il, visiblement fier de lui en passant un bras autour de sa femme.

- Au Village... Tu aurais pu...

- Te le dire ? Non, le but était de voir ta réaction !

Julian secoua la tête, incrédule. Un bras toujours passé autour des épaules de ses amis, Matthew observa soudain les autres personnes dans la pièce. Il avait eu du mal à retenir les noms en arrivant, mais il se rappela que la vieille dame avec un sourire attendrie était la grand-mère Isadora et la femme au chignon auburn la tante Cordelia. Toujours à moitié dans l'entrée, il s'attarda sur les nouveaux venus. Il fut d'abord frappé par Charly. En six mois, elle avait beaucoup plus changé que son frère : elle avait perdu du poids, ses cheveux blonds foncés étaient plus lisses, et elle ressemblait moins à la gamine qu'il avait connu qu'à une jeune fille. Il repéra aussi une autre fille, adossée à l'embrasure en bois, qui les toisait avec amusement au-dessus de son nez en trompette. Il n'eut aucun mal à deviner qu'il s'agissait de la fameuse cousine Théa, celle dont Julian s'était plaint dans ses lettres avant de changer progressivement de discours à son égard. Il ne connaissait en revanche pas les deux autres garçons présents.

La chose polie aurait sûrement été de se présenter ou de leur demander leur nom. Sa mère l'aurait voulu en tout cas. Mais il sentait déjà l'impatience courir dans ses veines, incapable de réfréner l'énergie qui s'était emparée de lui depuis que Julian était entré dans le salon.

- Bon, on a une semaine à passer ensemble ! déclara-t-il avec grandiloquence. Et je ne compte pas perdre une minute. Tu m'emmène voir New York ou quoi ?

- Maintenant ?

- Non, au mois de juin ! Evidemment, maintenant, Ju' !

- Pas si vite, intervint tante Lysandra en levant une main gracile pour l'arrêter dans son élan. Tu crois vraiment que je vais te lâcher dans New York sans supervision ? Et ensuite ? Je me vois déjà appeler Cassie par cheminette pour lui dire que j'ai perdu son premier né.

Matthew roula des yeux.

- Elle en a deux autres pour compenser, t'inquiète pas, rassura-t-il.

- Matt.

- Oh allez ! Juste un tour ! Pour pouvoir parler tous les deux et on revient dans une heure, promis !

Lysandra échangea un long regard avec Leonidas. Celui-ci soupira.

- S'ils veulent vraiment y aller, ma chérie, je suppose qu'on peut les laisser... Ethan ?

- Hum ? Oh oui, bien sûr !

Le père de Julian, l'air toujours un peu hagard malgré les mois passés, hocha la tête avant d'émettre un doute :

- Enfin, si tes amis sont d'accord pour t'attendre ? Les pauvres viennent d'arriver...

- Je m'en occupe, assura Théa. Vous allez adorer rester avec moi, pas vrai ?

- Votre temps nous honore, Votre Altesse... marmonna le garçon à côté d'elle.

Celui avec les boucles brunes se contenta d'hausser les épaules, même si Matthew percevait une certaine tension émaner de lui. Il se demanda même s'il se faisait des idées, mais il avait l'impression qu'il lui jetait un regard chargé d'animosité.

Du coin de l'œil, il remarqua aussi soudain le mouvement de recul de Hanna et son expression crispée. Il se traita mentalement d'idiot. Gêné, il tenta de se rattraper.

- T'inquiète Faucett, je l'accapare une heure et après je te le rends, il garde le meilleur pour la fin comme ça ! Et puis, on pourra parler de toi, il pourra me confier son amour infini pour tes beaux yeux et après je le dépose direct dans ta chambre. Il sera tout à toi !

L'effet ne manqua pas. Hanna s'empourpra en une seconde ; Julian parut vouloir disparaître et lui donna un coup dans les côtes ; Leonidas laissa échapper un rire amusé, ; et plusieurs personnes secouèrent la tête. Le mec aux boucles brunes, lui, se contenta de le fixer avec encore plus d'agacement si possible.

- Merci pour ta considération, Matt, railla Hanna.

Pourtant, elle avait l'air plus détendu et il sut qu'il l'avait rassuré. Enthousiaste, il jeta son bras autour des épaules de Julian et lança :

- Allez ! On a assez traîné ! New York, nous voilà !

**

*

Julian aurait aimé être un guide digne de ce nom, mais la vérité étai décevante. Il avait passé plus de temps à Ilvermorny que chez les Grims et devait connaître New York aussi bien que Matthew. Heureusement, en bon touriste qu'il était, il en fallait peu à son meilleur ami. Des étoiles plein les yeux, Matthew déambulait dans les rues de la ville aux mille gratte-ciels d'une démarche bondissante et Julian n'arrivait toujours pas à croire qu'il soit vraiment là.

Pourtant, Matthew était dur à ignorer. Il n'avait pas perdu sa tendance à parler fort – son accent anglais s'entrechoquait avec celui américain autour d'eux – et il portait l'horrible bonnet orange qu'il lui avait lui-même offert pour Noël.

D'une main, il l'arracha de sa tête alors que son ami regardait de l'autre côté de la rue.

- Eh ! Mon bonnet !

- J'arrive pas à croire que tu le portes vraiment, dit-il avec un éclat de rire. C'était juste pour me venger du pull aux couleurs de Gryffondor, tu sais.

- J'avais deviné oui, répliqua Matthew en lui reprenant le bonnet des mains et en l'enfonçant d'un geste ferme sur ses cheveux auburn. Mais j'ai appris à l'aimer. Simon n'arrête pas de vouloir me le piquer quand je rentre à la maison.

- Donc tu as autant de goût qu'un enfant de trois ans. Félicitations.

Pour toute réponse, Matthew lui donna un coup dans l'épaule et manqua de l'envoyer dans un réverbère. Il éclata de rire à nouveau.

- Comment ils vont d'ailleurs ? demanda-t-il après avoir contourné l'obstacle. Tes frères et tes parents ?

- Bien, je crois. Je ne les vois pas beaucoup. Spencer a dû mal à se faire des amis à l'école, tu sais comment il est...

Julian savait. Il revoyait encore le cadet de la fratrie Bones assis à la longue table de leur salle à manger, yeux rivés sur un puzzle à trois cents pièces avec concentration. Spencer avait de toute façon toujours été un enfant particulier. Enfermé dans son monde, il laissait peu de personne y entrer et avait une vision sur les choses souvent bien à lui. Et il s'était révélé un élève catastrophique pour apprendre à faire du vélo.

Mains dans les poches, Matthew s'arrêta soudain devant la devanture d'un café.

- Eh, ça te tente ? proposa-t-il d'un mouvement de tête. Je gèle. Et j'ai des choses à te raconter.

- Pas de problème.

Il entra en premier, intrigué. Le café était simple, typiquement New Yorkais, et plusieurs clients se réchauffaient autour de chocolats chauds dans un bruit de fond indistinct. Ils n'attendirent même pas qu'un serveur les repèrent et prirent une table de libre contre le mur du fond. Mécaniquement, Julian promena son regard sur les personnes présentes. La dernière fois qu'il était allé dans un café – celui d'Hilda au Village – le corbeau l'avait suivi et il devenait un peu paranoïaque depuis.

- Tu cherches quelqu'un ?

- Hein ? Oh non... Désolé. Tu me parlais ?

Matthew lui envoya un regard étrange, mais laissa couler.

- Non, mais tu me demandais des nouvelles de mes parents...

- Ils vont bien ? s'inquiéta-t-il.

- Oui, oui, ça va. Ma mère a repris le boulot. C'est la vieille McDougal qui s'occupe des petits... Un jour, ça va mal se terminer, je te le dis. Elle est à moitié sénile celle-là. (Il se défoula en tirant sur un fil de laine de son bonnet, posé entre eux sur la table). Mais bon, je crois que ça a fait du bien à maman de sortir de la maison.

- Elle aime l'action.

Si Cassie Bones avait bien quelque chose en commun avec son fils, c'était son tempérament Gryffondor et Julian eut l'image d'une lionne sortant enfin de sa cage. Au-delà de ça, il ressentit un certain malaise. Ça allait faire des mois qu'il n'avait pas eu Matthew en face de lui et la familiarité qui les caractérisait d'habitude semblait s'être distordue avec la distance. Rien d'insurmontable, mais c'était étrange pour eux. Nerveux, il se décida à rester sur le sujet de la guerre, plus neutre. Il suffisait de briser la glace.

- C'est Maugrey qui a dû être content, commenta-t-il alors finalement en se souvenant que Matthew lui avait dit que le patron de sa mère râlait à cause de son absence.

- Sûrement. Ils ont du boulot à revendre. T'as entendu ce qui se passait un peu ?

Immédiatement, Julian sentit son humeur s'assombrir. Une boule dans la gorge, il pianota des doigts contre sa jambe et secoua la tête.

- Pas trop. Les médias américains ne donnent pas de détails et je n'ai pas cherché à... enfin, je me suis dis que s'il arrivait quelque chose à quelqu'un, tu me l'auras dit. (Il déglutit). Tout le monde va bien, pas vrai ?

- Oui, oui, t'inquiète. Personne qu'on connait... Rah, c'est compliqué !

- Je me doute, mais je ne voulais pas... On est venu ici pour tenté d'avoir un nouveau départ, tu comprends ? Je me suis dis que si je me tenais au courant de l'actualité au jour le jour, je n'arriverai pas à...

Il laissa sa phrase en suspens. A quoi ? A oublier, à avancer, à arrêter de faire des cauchemars des Archives Magiques en train de s'écrouler sur sa mère ? Matthew parut comprendre, mal à l'aise, et une ombre tomba sur son visage.

- Eh, c'est normal... Si tu ne veux pas en parler, je...

- Non, non, coupa-t-il, déterminé. Vas-y, dis-moi dans les grandes lignes. Je ne peux pas fermer les yeux pour toujours. Alors ? Qu'est-ce qui se passe ?

Il carra les épaules, près à encaisser, et son meilleur ami hésita seulement une seconde avant d'obtempérer face à son choix. Il avait toujours aimer ça chez Matthew.

- Par où je commence, hum ? T'as entendu parler de l'attaque sur le Chemin de Traverse en novembre ?

- Quoi ?

- Ah, lâcha-t-il. A ce point. (Il tordit un peu plus son bonnet entre ses longs doigts). Une horreur. Mes parents ne m'ont même pas laissé aller du côté sorcier à Noël à cause de ça. Les mangemorts ont débarqué par surprise en plein jour alors que le Chemin était blindé de monde. La Gazette a publié quelques photos : la vitrine d'Ollivander avait explosé, les robes de Madame Guippure traînaient par terre et l'entrée du Chaudron Baveur a pris feu. Un pan de mur s'est même écroulé sur une passante apparemment. Des témoins ont dit qu'elle s'en était sortie, c'est sa jambe qui a pris.

Devant les images horrifiques qui jouaient dans son esprit, Julian sentit la boule grossir dans sa gorge. La situation avait empiré. L'été dernier, lorsqu'il était parti, les mangemort n'hésitaient pas à frapper les lieux fréquenter, mais s'attaquer au Chemin de Traverse relevait d'un autre niveau. C'était le symbole d'une communauté. Le pilier de la société sorcière et de Londres.

- Il y a eu des morts... ? souffla-t-il avec crainte.

- Quatre...

- Merlin...

- Ouais, je sais. Et encore, ça aurait pu être pire. Des... gens sont intervenus.

Julian fronça les sourcils.

- Intervenus ? répéta-t-il.

- Hum... Tu sais, on en avait parlé le jour où t'es venu à Terre-en-Lande me dire au revoir ?

Le souvenir paraissait remonter à une autre vie. Il se revoyait prendre le Magicobus et descendre sous une chaleur étouffante au petit village avant de croiser le pasteur local et sa fille. Il avait retrouvé Matthew dans sa chambre en train de lire un comics, puis ils avaient parlé de la guerre qui grondait. Matthew, comme le stupide Gryffondor qu'il était, voulait se battre. Il voulait agir et Julian se souvint d'avoir craint le feu qui avait brûlé au fond de ses prunelles. Un feu près à consumer ceux dont l'âme devenait trop téméraire.

- Le groupe de résistance de Dumbledore ? se remémora-t-il soudain. C'est lui qui ait intervenu ?

- J'en suis pratiquement sûr, ouais, confirma Matthew avec sérieux. Ça fait des mois que les rumeurs gonflent si on sait écouter. Ils ont même un nom. L'Ordre du Phénix.

L'Ordre du Phénix. De l'avis de Julian, on aurait presque dit le nom d'une légende. Une histoire transmise au coin du feu pour émerveiller les enfants. Mais il n'y avait rien de merveilleux dans ce qui se passait en Angleterre, dans son pays, et il se passa une main sur le visage pour s'éclaircir les idées.

- T'es sûr de toi ? demanda-t-il quand même.

- Plutôt. Je suis pratiquement sûr que papa en fait partie. Des gens viennent à la maison parfois, ça devient suspect. Ma mère fait semblant de fermer les yeux, mais elle sait. Elle ne peut juste pas s'impliquer plus à cause de Simon et Spencer, ça serait trop dangereux.

« Simon, Spencer et toi », ajouta Julian silencieusement. Matthew avait trop tendance à oublier que lui aussi était un enfant. Un enfant sur lequel ses parents veillaient, même s'ils n'étaient pas toujours présents.

- Et ils font quoi ? Les gens du groupe ?

- C'est encore un peu flou, reconnut Matthew, penaud. Je tente de comprendre à chaque vacances en restant attentif, mais à Poudlard c'est assez dur de se tenir au courant.

C'était toute l'ambiguïté de Poudlard. Ses murs étaient à la fois une protection contre le monde extérieur et une séparation trop béante avec celui-ci. « Le meilleur des remparts » avait un jour écrit sa mère dans un de ses articles. Il se demanda quelle vision elle aura posé sur le tour qu'avait pris cette guerre...

- Mais d'après ce que j'ai compris, reprit Matthew, ils essayent d'appréhender les mangemorts, surtout lors des attaques. Mon père veut les faire tomber aussi à la justice magique, mais... bon, on le sait, il y a des noms importants dans le lot. Du genre intouchable.

- Tu veux dire comme Regulus Black ?

Le nom venait de lui revenir brusquement, écho d'une conversation début janvier avec Archer qui venait de recevoir les inquiétudes d'Elizabeth Yaxley par lettre. Matthew le dévisagea.

- Tu sais pour lui ? s'étonna-t-il.

- Vaguement. Il a disparu, non ? Alors qu'il faisait parti des mangemorts ou de leur cercle ?

- Ouais, c'est à peu près ça. Mais aux dernières nouvelles, il est mort. Sa famille l'a enterré en février, sans corps. C'était dans la rubrique nécrologique.

Julian cilla. Il ne savait pas pourquoi, mais l'information lui fit l'effet d'un coup au ventre. Les gens comme Regulus Black ne pouvait pas mourir dans cette guerre. Comme Matthew venait de le dire, ils étaient intouchables.

- Merlin, ça dégénère... marmonna-t-il.

- Je te le fais pas dire. Et attends, pendant les vacances de Noël j'ai entendu mon père parler d'une bataille dans le métro de Londres avec McKinnon.

- Marlène McKinnon ? La blonde de Gryffondor avec les Maraudeurs ?

- Ouais, c'est ça. Je pense que toute la bande en est aussi. J'ai revu Potter à la maison. Apparemment, il va se marier.

- Avec Lily Evans ? s'étrangla Julian, se souvenant de leur couple fard à l'école après sept ans à s'être tapés dessus.

- Je sais, j'ai eu la même réaction.

Ils échangèrent un regard incrédule et complice face au portrait de James et Lily prêts à s'unir pour la vie. C'était le genre de détail qui lui mettait pourtant du baume au cœur. Il n'y avait pas que des tragédies. Des petites étincelles d'espoir venaient percer les ténèbres qui s'étaient abattues sur l'Angleterre. Ou peut-être que les gens avaient peur et se mettaient à vivre plus fort, plus vite...

Vivre plus vite pour battre le fanatisme rampant qui gangrénait la société sorcière.

Il allait demander d'autres détails à Matthew quand le serveur arriva à leur hauteur, son carnet de commande à la main.

- Vous avez choisi ? demanda-t-il d'une voix empressée.

La café s'était effectivement rempli à l'approche des coups de seize heures.

- Euh... Un soda, dit Matthew, pris au dépourvu. Celui avec les bulles là.

- Un coca ?

- Voilà.

Le serveur pinça les lèvres, mais se contenta d'écrire avant de se tourner vers lui.

- Un thé. Un Earl Grey, si vous avez.

- Tout de suite.

Le serveur tourna les talons, mais Julian fut à peu près sûr de l'entendre marmonner dans sa barbe un « encore des anglais ». Matthew eut un rictus amusé.

- Je vois que même les States n'ont pas réussi à te faire changer sur le thé.

- Jamais. Blasphème, Bones.

Ensemble, ils éclatèrent de rire. Merlin, il avait oublié à quel point il aimait rire et parler avec Matthew. Leur amitié était aussi inattendue que forte. Ils n'avaient pas tant de choses en commun, mais ils se retrouvaient sur leur sens de la famille, leur vision du monde, leur envie de réussir. Ils se complétaient bien.

- Bon, rien d'autre sur l'Angleterre ? reprit-il après quelques secondes.

- Rien d'aussi énorme et public que le Chemin de Traverse. Des disparitions évidemment, des coups d'éclats politiques aussi. Minchum va valser avant l'été.

- J'ai lu ça, ils organisent des élections pour le mois de mai, c'est ça ?

Matthew acquiesça.

- Millicent Bagnold est en tête des sondages.

- Ca pourrait être pire, jugea-t-il.

- C'est sûr, mais les gens espèrent encore que Dumbledore va se présenter. Ça serait géant.

- Je ne pense pas qu'il le fera... je veux dire, il aurait pu le faire il y a des années.

- Mais cette fois c'est la guerre. Ce n'est plus comme Grindelwald, c'est juste chez nous. S'il y a quelqu'un qui peut vaincre Tu-Sais-Qui, c'est lui.

Julian était d'accord. Aucun sorcier ne pouvait prétendre atteindre l'aura et la puissance du directeur, mais si Matthew disait vrai, celui-ci s'impliquait déjà autrement dans la lutte contre les mangemorts. L'Ordre du Phénix n'avait pas pu être fondé par n'importe qui.

- En plus, il n'y a pas que les mangemorts, continua Matthew. Ça y est, ça fait quelques mois qu'il a recruté des créatures. On parle de loups-garous dans les campagnes et même de Géants qui descendent des montagnes. Mon père avait une entaille quand je l'ai revu à l'aéroport. Il était venu me dire au revoir avant le voyage. Quand je lui ai demandé ce qui s'était passé, il n'a pas voulu répondre, mais je crois qu'il y a eu une bataille que le Ministère essaye de cacher.

- Pourquoi le Ministère ferait ça ?

- Aucune idée. Pour éviter que tout le monde sache qu'ils sont des incapables et que c'est un groupe de résistance illégal qui risque sa vie pour nous aider ?

Ça se tenait. C'était bancal, mais connaissant Harold Minchum, ça se tenait. En tant que Ministre, il avait construit sa carrière sur la sécurité et la stabilité du Ministère en tant qu'institution. Ce n'était pas étonnant qu'il cherche à étouffer la moindre trace de faiblesse dans la guerre contre les forces du mal.

- Ah tiens, je ne sais pas si tu sais aussi, mais Evan Rosier a failli se faire prendre, lui apprit brusquement Matthew. En janvier. C'est ma mère qui me l'a dit, mais il leur a échappé au dernier moment. Il est dans la ligne de mire des Aurors maintenant. 

Surpris, il encaissa la nouvelle et réalisa qu'elle ne lui faisait pas tant d'effet que ça. Il n'avait jamais aimé ce type de toute façon.

- Merlin... Elizabeth le sait ?

- Aucune idée. C'est toi qui devrait savoir ! J'arrive toujours pas à croire que t'ais passé Noël avec elle et son mioche.

Le ton incrédule de Matthew lui fit monter un rire dans la poitrine. A vrai dire, lui non plus n'en revenait pas.

- Elle n'est pas si mal finalement, la défendit-il. Elle a changé.

- Sûrement... Son dossier est classé d'ailleurs. Ma mère me l'a dit.

- C'est bien. Elle a le droit à une seconde chance, Matt. Je suis sûr qu'elle n'a pas tué Gemma Ackerley. Peut-être qu'on ne sera jamais qui l'a fait, mais Elizabeth a tourné la page. Elle a voulu éloigner son fils de ses erreurs.

Matthew le contempla, songeur. Il voyait bien qu'il avait du mal à croire en la rédemption de celle qui avait été la princesse des Serpentard, mais il avait toujours été intransigeant et buté. Encore une fois, il ne faisait pas partie de la maison or et rouge pour rien. La gloire et le sang, le renom et le sacrifice. Pas de place pour la mesure dans ce tableau.

- Allez, j'ai assez rattrapé sur l'Angleterre. Parle-moi d'autre chose. De Poudlard !

- Toujours pareil, le bon vieux château, dit Matthew en haussant les épaules. Peeves me rend dingue, les entraînements m'épuisent, Slughorn m'invite systématiquement à ses « petites soirées », Hanna manque de se brûler les cheveux à chaque cours de potion et Charity est une teigne mais elle embrasse bien.

- Charity... Elle quoi ?

Il écarquilla les yeux, choqué, et Matthew parut réaliser ce qu'il venait de dire car son long nez et ses pommettes se parèrent d'une couleur écarlate.

- Matthew Bones !

- Julian Shelton, répliqua-t-il d'une voix aigüe. C'est bon, c'est bon, j'allais t'en parler !

- Mais tu vas en parler !

Heureusement pour Matthew, il eut quelques instants de répits grâce au serveur qui revint à cet instant. Il déposa leur commande sur la table et repartit aussi sec. Julian se pencha par-dessus la table, ignorant sa tasse pour le moment brûlante. Le mal l'aise ressenti tout à l'heure s'était évaporé au fil des mots et il ne ressentait plus que la familiarité habituelle entre eux, ce lien unique qu'il n'avait qu'avec son meilleur ami. Il lui donna d'ailleurs un coup de pied léger sous la table.

- Alors ? insista-t-il. Charity Burbage ? Parle !

- Oui, oui... Hum, en vrai c'est compliqué. Disons qu'on s'est un peu rapprochés, elle et moi. (Il joua des sourcils). Enfin, beaucoup rapprochés.

Le ton équivoque leur arracha un nouveau rire.

- Tu sors avec elle ? dit-il, curieux.

- Oui et non ?

Indigné, il leva les mains vers le plafond.

- C'est toi qui devrais savoir !

- Je sais, je sais ! Mais Charity est plutôt dure à suivre, figure-toi. On a commencé à flirter sérieusement après les vacances d'halloween et on a fini par s'embrasser. On a même été acheter nos cadeaux de Noël ensemble cet hiver. C'est elle qui m'a emmené dans la boutique moldue où j'ai acheté ton pull, figure-toi !

C'était sans doute un détail, mais entendre quelqu'un d'autre utiliser le terme « moldu » avec autant de familiarité provoqua en Julian un sentiment de réconfort certain. Il hocha la tête, intéressé, et fit signe à son meilleur ami de continuer.

- Depuis ça, on continue à pas mal se voir. On fait nos devoirs ensemble dans la Salle Commune, on a fêté la St-Valentin tous les deux... en heure de colle.

- Quoi ?

- McGo était dans un mauvais jour, éluda Matthew en balayant l'histoire de la main. Bref, ça se passe plutôt bien donc. Comme je disais, on... s'embrasse pas mal. Mais on n'a pas vraiment eu de conversation pour définir ce qu'on... était. (Embarrassé, il aspira la moitié de son coca avec sa paille et toussa une seconde avant de reprendre). Bon, après, je suppose que ça ne veut pas dire grand-chose. Je veux dire, on est clairement en couple d'une certaine façon. Mais Charity a du mal à s'ouvrir aux autres, tu vois ?

- Je m'en souviens, un peu, oui.

En vérité, il avait dû échanger à peine quelques phrases avec la Gryffondor durant sa scolarité. Charity connaissait mieux Matthew à cause de leur appartenance à la même maison et il l'avait de toute façon toujours trouvé très... fuyante. Charity Burbage avait l'air d'être le genre de fille éprise d'un vent de liberté, toujours à contre-courant des attentes. Une fille qui correspondait bien à Matthew maintenant qu'il y pensait.

- Bref, elle est plutôt cool, on s'entend super bien, mais faudrait sans doute qu'on prenne le temps de parler à un moment.

- Pourquoi vous n'avez pas parlé avant ?

- Je te dis, elle a du mal à avoir des conversations... sérieuses et profondes. Enfin, quand ça la concerne je veux dire. Parce que sinon, elle a des supers avis sur plein de choses ! La culture moldue notamment. Elle en est dingue, un peu comme Hanna et l'astronomie.

- Hum...

Matthew le regarda, incertain, et joua avec son verre.

- En parlant d'Hanna... commença-t-il.

Julian l'avait vu venir. Seulement, il n'était pas encore prêt à lâcher le sujet Charity.

- Plus tard, éluda-t-il. Quand tu dis que tu embrasses beaucoup Burbage... Tu veux dire que... ?

Il n'osa pas terminer sa phrase, mais la question venait de surgir dans son esprit. S'il lisait bien entre les lignes, la relation de Charity et Matthew était axée sur le physique et entrecoupée de moments de complicités. Il ne put s'empêcher de songer à Noah... A leur pacte. Aucun mot sur ce qu'ils étaient, ils n'en avaient pas besoin. Une expérience, rien de plus. Est-ce que dans un monde où ils n'auraient pas risqués l'hôpital psychiatrique, ils auraient été comme Matthew et Charity ?

La question lui donna la nausée et il attrapa sa tasse pour boire une longue gorgée de thé. La brûlure de sa langue l'ancra au moment présent. Il se reconcentra sur son meilleur ami dont les joues avaient repris une couleur proche de son horrible bonnet.

- On n'a pas été plus loin, élabora finalement Matthew d'une voix enraillée. Je ne veux pas... enfin, elle n'a rien dit et... Pendant l'heure de colle ou dans les vestiaires parfois, on a... mais... C'était bien, mais...

Certainement conscient de s'enfoncer dans un trou noir grammatical, il arrêta soudain de parler. Julian le dévisagea longuement, puis cacha un rire derrière ses mains.

- Tais-toi ! réagit immédiatement Matthew. Arrête ! Tu ne peux pas... On es au milieu d'un café bondé, par Merlin !

- Désolé, désolé !

Pour toute réponse, Matthew lui donna un coup avec son bonnet.

- C'est ça. Bon maintenant, Hanna. Allez.

L'effet fut instantané : il arrêta de rire.

- Matt...

- Non. Je veux savoir. Tu n'es pas là avec elle tous les jours, mais moi si. Elle mérite mieux, Ju', dit-il avec une soudaine gravité. Je me doute qu'un océan d'écart est difficile, mais...

Il le coupa d'une voix sourde, le cœur lourd.

- Je ne veux pas lui faire de la peine.

Matthew secoua la tête.

- Elle en a déjà, rétorqua-t-il. Elle ne peut pas rester dans un entre-deux éternellement.

- Je sais, je sais... Laisse-moi le semaine, d'accord ? Voir comment ça se passe entre nous ?

Il ne savait pas d'où l'idée lui venait. Ce n'était sûrement pas une semaine qui allait le faire enfin aimer Hanna comme il devrait, mais il voulait essayer. Noah refusait de quitter Othilia, il ne voulait pas qu'il croit qu'il avait rompu avec sa propre copine juste après leur pacte. Ça aurait paru suspect.

En face de lui, Matthew fit peser un regard lourd sur lui, méfiant. Il voyait bien que son meilleur ami n'était pas dupe, même s'il n'arrivait pas à deviner la vérité. Vaincu, il soupira.

- Ok, comme tu le sens. Mais tu lui parles avant la fin de ses vacances à New York, on est d'accord ?

- Promis !

- Génial. Je serai là pour votre mariage ou pour ramasser les morceaux.

Un rictus aux lèvres, Matthew retrouva son air jovial et Julian se sentit respirer à nouveau. Il se rendit soudain compte de l'heure quand ses yeux tombèrent sur sa montre dont le sable et les ailes noires s'agitaient pour marquer les secondes.

- On devrait rentrer, Lysandra va nous tuer sinon.

- Ouais, je tiens à ma vie. Viens. (Il remit son bonnet sur sa tête et vida son verre en une gorgée). Elle est nouvelle ta montre ? demanda-t-il en lorgnant dessus.

- Hum ? Oh, oui. Un cadeau de mes amis à Ilvermorny.

- Sympa. Pas mieux que le mien, mais sympa. Ils ont l'air cool, d'ailleurs. Enfin, ta cousine et le gars avec l'appareil photo.

- Liam.

- C'est ça. Par contre, celui avec les boucles là, il est un peu bizarre non ?

Julian déglutit. Il se détourna en enfilant son manteau, anxieux. Il avait été trop perturbé tout à l'heure pour observer la réaction de Noah à l'arrivé de ses amis, mais le connaissant il avait encore dû faire des siennes.

- Il faut apprendre à le connaître, éluda-t-il finalement. Prêt ?

Heureusement, Matthew n'insista pas et ils ressortirent dans le froid new-yorkais après avoir payé au comptoir. L'air frais lui éclaira l'esprit. Il avait appris trop de choses en trop peu de temps et la sensation était vertigineuse. Matthew devait ressentir un peu la même chose car, pour une fois, il garda le silence et se perdit dans la contemplation de l'agitation urbaine autour d'eux.

Il repensa soudain à la phrase à laquelle il avait songé tout à l'heure au sujet des personnes en pleine guerre. Vivre plus vite, vitre plus fort. Peut-être que c'était vrai, mais prendre le temps avait ses avantages aussi... Prendre le temps de vivre l'instant présent était aussi fort qu'essayer de courir après la vie. 

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Le retour de Matthew Bones ! Alors ? Vous sautez de joie haha ? 

Hâte d'avoir vos retours ! Prochain chapitre le lundi 14 mars ^^ 

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