Chapitre 34 : La boîte des sentiments

Hello ! Plein de choses à faire demain donc je poste maintenant pour égayer votre dimanche soir haha !

Première chose avant de commencer : merci pour vos commentaires de la semaine dernière et aussi ceux sur les chapitres d'O&P où Julian apparait parce que vos réactions m'ont fait sourire et mourir de rire selon les situations ^^ 

Deuxième chose : un conseil lecture ! Cette semaine, j'ai lu Felix Ever After et je vous le recommande. C'est un roman ado sur un lycéen new-yorkais trans qui vit ses premières histoires amoureuses et ait surtout en quête d'identité. C'était un récit touchant, rythmé, et je n'ai pas réussi à le lâcher de la journée. Ca parle de beaucoup de choses mais notamment la communauté LGBT, les attentes de la société or et dans cette communauté même, d'amitié, d'amour, d'acceptation. Une superbe découverte ! 

Et maintenant bonne lecture ;) 

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Chapitre 34 : La boîte des sentiments

« La vie c'est comme une boîte de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber »

- Forrest Gump -

// 14 février 1980 //

- T'en tires une tête !

- Bonjour à toi aussi, Matt, toujours un plaisir de s'entendre dire ça dès le matin.

Matthew s'assit en face d'Hanna avec une grimace. Il reconnaissait qu'il venait sans doute de manquer de tact, mais à sa décharge, Hanna tirait vraiment une tête de six pieds de long et il n'était même pas encore huit heure et demie du matin. Elle avait rassemblé sa folle chevelure indisciplinée en un vague chignon à l'arrière de sa tête et sa cravate aux couleurs bleu et bronze était même de travers, signe de trouble. Il connaissait suffisamment Hanna pour savoir quand elle n'était simplement pas réveillée et quand elle était contrariée.

- Je ne fais qu'énoncer une vérité, se défendit-il en se servant un verre de jus de citrouille. Qu'est-ce qui se passe ? T'as cassé ton télescope ou quoi ?

- Non... Je pensais juste que je ne te verrai pas aujourd'hui.

- Et pourquoi ça ? On a cours ensemble toute la matinée. A moins que tu veuilles annoncer à McGonagall que tu sèches et là je m'inquiéterai pour ta santé mentale, Faucett.

- Justement, je croyais que tu serais celui qui sècherai comme on n'a pas cours cette après-midi... Tu sais, histoire d'avoir ta journée de libre avec Charity.

Au nom de sa potentielle petite amie – ils n'avaient pas vraiment eu la fameuse conversation pour savoir ce qu'ils étaient – Matthew comprit soudain. Il délaissa son petit déjeuner pour promener son regard le long de la Grande Salle, animée d'une certaine excitation et fébrilité propre à la date du jour. C'était la même chose chaque année. Le 14 février, la Saint-Valentin, la fête de l'amour. Pour l'occasion, des petits angelots qui ressemblaient suspicieusement à des gnomes de jardins affublés d'ailes peintes et de langes blancs voletaient autour des élèves pour chanter des ritournelles. Un peu plus loin, Adrian Connelly en visait d'ailleurs un avec des bouts de toast que l'angelot avalait tout rond, bouche ouverte ; tandis qu'à la table des Serdaigle Artemisia Meadowes enlevait une à une les pétales d'une rose rouge. Techniquement, Hanna aurait dû s'y trouver aussi, mais le petit déjeuner était le seul repas où les professeurs laissaient les élèves se mélanger et ils en profitaient.

- Je verrais Charity cette aprèm, c'est largement suffisant, dit-il, même si une boule d'impatience et de nervosité s'agitait en lui. Je lui ai même acheté une boite de chocolat chez Honeydukes la semaine dernière !

- Elle va être ravie... marmonna Hanna en plantant sa fourchette rageusement dans sa saucisse. Et moi je n'aurais qu'à me morfondre dans mon dortoir.

- Je suis sûr que tes amies de Serdaigle seront ravies de te distraire, arrête.

- Je le sais, elles me l'ont proposé. Apparemment, le fait que mon copain soit de l'autre côté de l'Atlantique me laisse le droit d'infiltrer leur journée « entre célibataires heureuses de l'être ». On va manger des bonbons et faire des jeux toute l'après-midi.

Matthew lui envoya un regard hésitant.

- Ca m'a l'air un bon programme, non ?

- Hum...

Il retint un soupire. En vérité, il comprenait la morosité d'Hanna. Elle était coincée dans un entre-deux avec Julian depuis des mois et aucun des deux n'avait eu vraiment le courage de mettre des mots sur leur relation qui souffrait de la distance et de l'incertitude quant à la durée de son séjour en Amérique. Seulement, il semblait évident que la guerre n'allait pas s'arrêter demain et que la situation n'allait pas évoluer toute seule.

Il prit le temps de mâchonner un bout de toast, songeur, puis avança avec prudence :

- Eh... Tu crois pas que tu devrais lui parler ? A Julian ? Genre, essayer de voir où vous en êtes ?

- Tu crois que je n'ai pas essayé dans mes lettres ? fit-t-elle, poing contre la joue. Il évite la question. Il répète que je lui manque et qu'il a hâte de revenir en Angleterre, mais il ne parle pas vraiment de « nous », tu vois ? En fait, il répond à tout, sauf à ça. Alors je n'ose plus insister...

- Mais peut-être justement qu'il faudrait. Ça te bouffe le cerveau, Hanna ! Déjà qu'une relation à distance c'est pas facile, s'il n'y met pas un peu du sien...

Surprise, Hanna cilla. Elle avait l'air plus résigné qu'autre chose et il eut soudain envie de la faire réagir, frustré.

- Je croyais que les mecs se soutenaient quoiqu'il arrive ? dit-elle, une trace d'amusement dans la voix comme pour dédramatiser. Je pensais que tu serais de son côté.

- Je n'ai pas de côté. Je comprends Julian, ça doit être difficile de garder des liens à un océan d'écart, mais il y arrive très bien pour le reste avec toi et moi donc je ne vois pas pourquoi il n'en serait pas capable pour votre relation. Merlin, rentre-lui dedans ! Vas-y !

- Matt... soupira-t-elle. Bon sang, parfois tu peux être tellement... Gryffondor !

Matthew eut un mouvement de recul, piqué au vif. Il ne s'attendait pas à ce qu'Hanna réplique en s'en prenant à sa maison et il pointa sa fourchette sur elle.

- Quoi « Gryffondor » ? Tu te languis depuis des mois, ma vieille, et moi je te regarde faire. Alors en tant qu'ami des deux partis impliqués, j'essaye d'aider.

- Très altruiste, mais tu crois que je n'y ai pas déjà songé moi-même hum ? riposta-t-elle avec son air de Serdaigle sage et réfléchie. Tu crois que je n'ai pas pensé à lui « rentrer dedans » comme tu dis ? J'ai tenté plusieurs tons, mais... Il évite. Je crois que parler de notre relation par lettre serait étrange en plus, et puis surtout...

- Oui ?

- Je n'ai pas envie d'être méchante avec lui ou de lui prendre la tête...

Le pire, c'est qu'elle avait l'air sincèrement coupable et Matthew resta perplexe une seconde. Il ne voyait pas en quoi demander des explications méritées revenaient à être trop dure avec Julian. Il ne voulait pas non plus les voir s'engueuler, bien au contraire. Mais justement, il redoutait que si la situation continue à s'éterniser, ils finiraient par se disputer pour de vrai parce que tout exploserait tôt ou tard et il ne voulait absolument pas devoir choisir un camp à ce moment-là. Intérieurement, il savait en plus lequel il choisirait... Il aimait Hanna, vraiment, elle était une de ses meilleures amies ici à Poudlard mais avec Julian c'était juste différent. C'était le type d'amitié qui survivait à tout et dépassait les autres. Julian, c'était l'ami d'enfance, celui qu'il invitait à la maison à chaque vacances, celui à qui il avait confié des choses personnelles comme ses parents absents, son inquiétude pour Spencer, ou même son béguin à douze ans pour Dorcas Meadowes. Alors s'il fallait prendre parti, il savait déjà qu'il soutiendrait davantage Julian, même s'il n'en pensait pas moins.

- Tu ne veux pas lui prendre la tête ? répéta-t-il, sceptique, avant de se servir un nouveau verre de jus de citrouille. Mais c'est toi qui te la prend, ma vieille. Pourquoi tu... ?

Il n'eut pas le temps de terminer sa phrase. Quelque chose parut soudain craquer en Hanna et elle donna un coup sur la table du plat de la main et son verre vacilla.

- Matt, il a perdu sa mère ! s'exaspéra-t-elle. Arrête !

Il suspendit son geste, surpris d'avoir enfin réussi à la faire réagir, et plusieurs personnes se tournèrent vers eux à l'entente du coup d'éclat avant de se reconcentrer sur leur petit déjeuner. Hanna rentra la tête dans les épaules, mais elle ne put se cacher derrière sa tignasse frisée puisqu'elle était pour une fois attachée.

- Il a perdu sa mère, reprit-elle dans un chuchotement furieux, les yeux rivés sur son assiette vide. Tu crois vraiment qu'il a besoin que j'en rajoute en ce moment alors que son monde a été complètement bouleversé ? Entre sa mère, le déménagement, sa famille maternelle... Je ne veux pas lui ajouter une charge en plus.

- Hanna...

- Non, Matt. Je sais, je ne peux pas toujours pensé à lui et m'effacer dans cette relation, mais je pense qu'il a juste besoin d'un peu de temps. Si je peux au moins l'aider en lui accordant ça alors... (Elle déglutit, habitée par une certaine mélancolie qui imprégnait tout le monde depuis plus de deux ans et le début de la guerre). Il a un deuil à faire, souffla-t-elle après quelques secondes, et toi comme moi savons qu'il n'a pas vraiment commencé à le faire...

Un poids dans la poitrine, Matthew considéra les mots d'Hanna. Il savait qu'elle avait raison. Il l'avait vu tout l'été avant le départ de Julian. A l'annonce de la mort d'Aurélia Shelton, il s'était attendu à voir son meilleur s'effondrer et il s'était préparé à le soutenir, appréhendant déjà les phrases creuses et vides qu'il allait devoir débiter ou la façon dont Julian allait réagir, mais ça ne s'était pas passé comme ça. Etrangement, Matthew avait réussi à trouver les bons mots dans le silence : il avait été présent et avait surtout laisser la possibilité à Julian de parler parce qu'il savait qu'un deuil passait souvent par le récit de souvenirs. Il en avait fait l'expérience à la mort de ses grands-parents. Le problème, c'est que Julian s'était muré derrière une façade dont il avait le secret. Il n'avait pas parlé, il avait agi. Il s'était jeté à corps perdu dans la paperasse et dans le gestion de sa famille pour tenir. Même à l'enterrement, Matthew ne l'avait pas vu pleurer. Il se rappelait avoir fixer sa nuque, un rang derrière lui, mais Julian avait gardé la tête haute et un masque figé sur ses traits tandis que Charlotte s'accrochait à lui, le visage ravagée par les pleurs. Le plus dur avait sans doute été d'assister à la détresse de monsieur Shelton, plongé dans un état hébété. Au moment où le cercueil vide avait été mis en terre, pourtant, il s'était mis à pleurer silencieusement. Ces larmes qui traçaient des sillons de désespoir sur le visage de monsieur Shelton, Matthew ne les oublierait jamais. Après cela, Julian ne s'était pas arrêté pour faire son deuil. Il avait continué à s'agiter, à gérer le déménagement et la location de l'appartement, et Matthew n'avait pas osé intervenir. Il n'aurait de toute façon pas su comment... A bien y réfléchir, il ne l'avait même jamais vu pleurer.

Pendant toute cette période, Hanna avait été absente, partie en Grèce avec ses parents. Mais si même elle percevait l'incapacité de Julian à faire son deuil, ça voulait dire que le problème était peut-être plus grave qu'il ne l'avait cru.

- Tu l'as remarqué aussi alors ? marmonna-t-il.

- J'ai mis un peu de temps mais oui... A travers ses lettres, les choses qu'il ne dit pas surtout. Il parle beaucoup de sa sœur et de sa famille, mais jamais de lui par rapport à sa mère. C'est flagrant quand tu commences à le remarquer.

- Ca va lui exploser à la figure à un moment.

- Sûrement. Et on sera là pour lui, assura-t-elle, déterminée, avant de se mettre à jouer avec son bracelet aux breloques en forme d'étoiles que Julian lui avait offert pour noël. Tu comprends maintenant pourquoi je ne veux pas lui mettre la pression ? Ce n'est juste pas le moment.

- Mais...

- Mais ça viendra, promis. Je sais bien qu'on ne peut pas continuer comme ça.

Elle pressa ses paumes contre ses yeux, l'air fatigué.

- Rah j'aimerais pouvoir le voir en vrai... ça serait tellement plus simple !

- Tu peux payer un appel par cheminée internationale ?

- Je pourrais, mais j'ai le pressentiment que je vais me ruiner pour pas grand-chose... Non, il faudrait vraiment qu'on parle en face à face.

Matthew lui donna raison intérieurement. Julian avait un certain don pour l'esquive quand il le voulait, mais il était aussi pragmatique : si Hanna se tenait devant lui et exigeait d'avoir une conversation sérieuse, il ne se déroberait pas.

- On pourrait aller le voir aux vacances d'avril si les frontières rouvrent, suggéra-t-il sans conviction.

- Elles ne rouvriront pas... A part si Tu-Sais-Qui disparaît miraculeusement ou est arrêté mais...

Mais Hanna n'y croyait pas, pas plus que lui ni personne. La mascarade du Ministère commençait à se fissurer et la communauté sorcière savait pertinemment que tout n'allait pas bien et que rien n'était « sous contrôle » comme Harold Minchum, le Ministre de la Magie, l'avait affirmé à de nombreuses reprises. Les meurtres s'enchainaient, les disparitions aussi, la Gazette n'était plus indépendante depuis des mois – si elle l'avait jamais été – et pire les mangemorts ne se cachaient plus, signe de l'effondrement du système judiciaire que son père tentait de maintenir à la force de ses convictions.

- Je peux toujours demander à Leonidas s'il arriverait à nous faire passer les frontières...

- Ton oncle ? L'ambassadeur ?

- Ouais, le parrain de Ju'. On a rien à perdre.

Hanna haussa les épaules.

- Je suppose que non. En tout cas... merci de m'avoir écouté, Matt. Et désolée d'avoir fait la tête dès le petit déj.

- Oh t'en fais pas, Faucett, rassura-t-il d'un ton léger. Toujours là pour écouter tes peines de cœur. Ça se trouve, d'ici ce soir c'est toi qui écoutera les miennes.

Immédiatement, Hanna se rebiffa.

- Certainement pas ! T'as intérêt à faire passer à Charity la meilleure St-Valentin de sa vie !

- J'aime cette injonction, lança une voix dans son dos. J'espère que tu l'as bien noté, Bones ?

Matthew manqua de sursauter et se retourna si vite qu'il manqua de tomber du banc. Apparemment, Charity s'était glissée dans son dos sans qu'il s'en aperçoive. Il se sentit rougir alors que Hanna riait sous cape sans discrétion. Avec un éclat de rire, elle posa ses mains sur ses épaules et se pencha pour lui claquer un baiser sur sa joue.

- Salut, miss Burbage, sourit-il. Alors prête pour cette Saint-Valentin ?

- Surtout rassurée que ça ne tombe pas sur une sortie à Pré-au-Lard. Au moins, je suis certaine que je finirai pas dans un salon de thé rose bonbon.

- Parce que tu crois que je t'aurais emmené là-dedans ? Pour qui tu me prends ? Je suis un homme de goût, moi madame !

Charity rit à nouveau et enroula ses bras autour de son cou, le corps pressé contre lui. Il fit semblant de ne pas sentir son ventre faire un soubresaut et enfourna un nouveau bout de toast sous le regard attentif d'Hanna.

- Pardon, je retire, se rétracta Charity. Alors éclaire-moi : qu'est-ce que t'as prévu ?

- Qu'est-ce que tu voulais faire ? répliqua-t-il.

- Non, non, c'est de la triche ça. Allez, Bones, surprends-moi ! Fais-moi miroiter une après-midi de rêve pour supporter McGonagall toute la matinée.

Matthew se creusa la tête pour trouver quelque chose – d'un coup sa balade dans le parc lui semblait un peu trop banale – mais il vit soudain les yeux d'Hanna s'écarquiller et elle rougit avant de plonger son nez dans son assiette, l'air paniqué.

- Quoi ?

- Supporter, miss Burbage ? fit brusquement une voix derrière lui. C'est ainsi que vous qualifiez l'enseignement que je tente de vous prodiguer ?

Contre son dos, il sentit Charity se raidir et il se figea lui-même, son estomac se contractant cette fois pour une tout autre raison. Lentement – horriblement lentement – Charity se retourna et Matthew l'imita pour faire face à McGonagall. Leur professeure de métamorphose se tenait dans l'allée entre la table de Gryffondor et celle de Serdaigle, les traits sévères et les lèvres pincés en un pli réprobateur. Un exemplaire de la Gazette dépassait de sous son bras.

- Je... je suis désolée, professeure... balbutia Charity, mortifiée. Je... je ne vous avais pas vu.

- Et si ça avait été le cas, vous vous seriez sans doute retenue d'être impertinente ?

Charity ne trouva rien à répondre. Sa belle assurance habituelle s'était envolée, mais il ne pouvait pas lui reprocher : McGonagall elle les toisait de toute sa hauteur qui n'était pourtant pas bien grande mais son aura et son chapeau de sorcière la faisait paraître aussi impressionnante que Dumbledore dans un style moins loufoque et plus strict.

- Je vous prierais d'être plus respectueuse, miss Burbage. C'est une leçon de vie à retenir.

- Oui, professeure...

- Pour la peine, vous viendrez en retenu cette après-midi, juste après le déjeuner. J'ai des dossiers qui demandent à être trier depuis un moment dans mon bureau.

- Quoi ? Mais professeure, non, vous ne pouvez pas... !

- Et je vous demanderais de ne pas aggraver votre cas en protestant, miss Burbage.

Poings serrés contre ses flancs, Charity serra les dents. Son visage aux rondeurs équivoques étaient contractés en une expression farouche que Matthew lui avait vu plusieurs fois et il intervint avant de se dire que c'était sûrement une mauvaise idée.

- Professeure, c'était juste une façon de parler, elle ne voulait pas vous manquer de respect. S'il vous plaît !

- Monsieur Bones, je ne crois pas que avoir sollicité votre avis.

- Mais c'est exagéré ! Vous n'allez pas la coller juste pour ça !

Sous la table, Hanna lui donna un coup de pied d'avertissement et il vit soudain les ailes du nez de McGonagall frémir de colère. Visiblement, elle n'était pas dans un bon jour.

- Bones, je fais encore ce que je veux en matière de punition et j'estime que la sévérité dont je fais preuve aujourd'hui aura le mérite de vous rester en mémoire. Mais si vous êtes si indigné que vous l'affirmer, rien ne vous empêche de rejoindre miss Burbage pendant son heure de colle.

Matthew croisa le regard de Charity. La provocation de McGonagall, destinée à le faire enfin taire et ne plus s'en mêler, fit au contraire germer une tout autre idée dans son esprit et Charity lui fit les gros yeux comme si elle avait deviné ce qu'il pensait avant même qu'il n'ouvre la bouche.

- Matt, non...

- J'accepte ! lança-t-il.

- Je vous demande pardon ? s'exclama McGonagall.

- Je proteste contre son heure de colle en acceptant de la faire avec elle, clarifia-t-il, menton relevé.

- Oh Merlin, déplora Hanna.

McGonagall resta sans répondre quelques secondes, prise au dépourvu, puis un la commissure de ses lèvres se relevèrent légèrement. Peut-être qu'elle avait parié sur leur couple et voyait une occasion d'arrondir ses fins de mois grâce à une retenue commune. Elle secoua la tête.

- Vous savez quoi ? Très bien, si ça vous fait plaisir. Ma pile de dossier sera rangée plus vite ainsi. Je vous veux tous les deux dans mon bureau à 14h tapantes.

- Bien professeure.

- Et ne vous avisez pas d'arriver en retard à mon cours. A tout à l'heure.

Sur ces mots, elle repartit d'un pas sec, son chignon bien droit sur sa tête. Dès qu'elle fut hors de portée, Charity se retourna vers lui et lui asséna un violent coup de poing dans l'épaule.

- Aïe ! Espèce de harpie !

- Non mais qu'est-ce qui t'as pris ? Je n'avais pas besoin que tu joues au chevalier sacrificiel, Bones ! C'était une simple heure de retenue !

- Justement, ce n'était pas un chaudron à boire, se justifia-t-il en massant son épaule endolorie. En plus tu me demandais ce qu'on faisait pour la Saint-Valentin ? Et bah voilà ! Tu voulais un rendez-vous original, tu l'as !

La colère de Charity se changea en incrédulité aussitôt et il ressentit une certaine satisfaction et fierté à réussir cet exploit. Goguenard, il poussa le vice jusqu'à la regarder presque avec arrogance, amusé, en continuant à manger son toast. Il aimait surprendre Charity, elle dont émanait un esprit aventureux et curieux qui décontenançait justement en entourage, comme si elle se refusait à apparaître comme le modèle de la fille normale et normée. Un peu plus loin, Adrian Connelly – qui avait visiblement suivi l'échange avec leur directrice de maison – siffla d'admiration.

- Bien joué, capitaine ! Ca c'est une preuve d'amour digne du jour !

Matthew accepta le compliment avec style : il enfila son bonnet orange – celui que Julian lui avait offert – et fit mine de le tirer vers Adrian en guise de salut respectueux. Son attrapeur éclata de rire.

- C'est bon, c'est bon, grommela Charity. Il va encore falloir rendre cette heure de colle mémorable, Bones. Ne crie pas victoire trop vite.

- Pas d'inquiétude, miss Burbage, ça le sera.

Hanna roula des yeux en face de lui.

- Finalement, je suis plutôt contente de passer la journée seule, commenta-t-elle.

**

*

Dès qu'il entra dans le bureau de McGonagall après le déjeuner, Matthew se rendit compte qu'il avait peut-être sous-estimé la « pile de dossiers » dont sa directrice de maison avait parlé. Tout une partie de la pièce était encombrée par des feuilles dans des pochettes marrons entreposées pour le moment dans des grands cartons et l'étagère derrière le bureau de McGonagall avait été vidée d'une partie de ses iconiques trophées et médailles.

A ses côtés, Charity s'arrêta sur le seuil, et ses yeux s'agrandirent sous le coup de la surprise.

- Hum professeure... Vous déménagez ? lâcha-t-elle.

- Contrairement aux apparences, non, miss Burbage, répondit McGonagall en entrant à leur suite. Je réarrange pourrions-nous dire. Vous voyez ces récompenses dans ces cartons ?

- Oui ?

- Elles vont malheureusement devoir, elles, déménager. Je ne peux les garder qu'un temps dans mon bureau avant qu'elles ne soit entreposées dans la Salle des Trophées avec le reste.

- Mais... mais il y a notre Coupe de Quidditch gagnée avec Potter ! protesta Matthew. Et celle du Tournoi de Poudlard !

- Je le sais bien, Bones, mais ces récompenses appartiennent autant à la maison Gryffondor qu'à Poudlard et il est temps pour elles de laisser la place. Vous n'avez qu'à gagner la Coupe de Quidditch cette année pour remplacer le vide.

Même si le ton de McGonagall était léger – signe que sa colère matinale était retombée – il entendit bien qu'elle prenait le sujet au sérieux et le poids de la mission qui pesait sur lui se fit soudain sentir. La défaire contre Serpentard l'année dernière lui restait douloureusement en mémoire, tout comme les larmes de Mary McDonald quand elle avait dû aller serrer la main de Regulus Black qui venait de mener son équipe à la victoire en attrapant le vif d'or avec panache. Et même s'il savait que, contrairement à elle, il aurait encore l'année prochaine pour tenter de remporter le titre, il espérait être à la hauteur de son brassard de capitaine dès cette année.

- Bien, reprit McGonagall, toujours est-il que cette étagère à trophée va devoir bouger puisque je voudrais installer celle de mes dossiers à côté ; ce n'est juste pas pratique de faire des allers-retours en Salle des professeurs. (Elle désigna les cartons remplis des fameux dossiers). Malheureusement, ils ont tous été mélangés pendant le trajet et je vous demanderais donc de me mettre de côté tous ceux qui datent de moins de cinq ans. Le reste, vous pouvez le confier à un elfe de maison pour que ça soit mis aux archives.

- On a des archives dans le château ?

- Archives est sans doute un bien grand mot. Disons une pièce de stockage pour le corps enseignant.

Matthew hocha la tête. Ce n'était pas une tâche bien compliquée, simplement rébarbative.

- Vous avez une heure pour trier le maximum de choses, rappela McGonagall. Et sans magie, bien évidemment. Bon courage.

Quand la porte du bureau claqua, Matthew se fit la réflexion que ce n'était sans doute pas de courage dont il avait besoin mais de motivation. Charity devait se dire la même chose car elle poussa un soupire dépitée en contemplant les cartons.

- Et joyeuse Saint-Valentin surtout, grommela-t-elle. Tout ça pour une remarque même pas sérieuse... Elle y a été dure.

- Je sais. Mais je crois que c'est l'annonce de l'échec du Ministère dans la Gazette qui l'a mis de mauvaise humeur ce matin.

Ils s'assirent à même le sol pour commencer à trier les dossiers.

- Tu crois ? fit Charity.

- C'est juste une supposition, mais ouais... Mon père m'a dit cet hiver que McGonagall faisait partie de ces personnes qui croyaient que le Ministère pouvait encore lutter légalement contre les mangemorts, mais la désillusion est impossible à ignorer à ce stade.

Il passa sous silence l'alternative au Ministère, le fameux Ordre du Phénix dont il n'arrêtait pas d'entendre parler et dans lequel il était désormais persuadé que son père était impliqué. Son nom était plus ou moins connu de la société sorcière depuis son intervention lors des attentats des Archives Magiques en juin dernier – il évita de songer à Aurélia Shelton et son corps enseveli – mais il n'osait pas en parler frontalement devant Charity tant l'existence même de ce groupe de résistants était illégale. Pas besoin d'attirer l'attention dessus. Si les gens savaient qu'Edgar Bones, figure de la justice aussi bien par son nom de famille que par le prénom qu'il s'était fait au Magenmagot, enfreignait la loi en combattant les mangemorts sans aucun contrôle légal du Ministère, c'était le scandale assuré.

- Parfois, j'ai dû mal à me rendre compte qu'il y a vraiment une guerre dehors, avoua Charity en feuilletant un dossier pour en trouver la date. Je veux dire, je vois vite fait les attaques et les disparitions dans la Gazette, mais... ici on dirait que tout va bien.

- « Les murs de Poudlard sont le meilleur des remparts », cita-t-il d'un ton docte.

Charity haussa un sourcil.

- Qui a dit ça ?

Il déglutit. Visiblement, il n'était pas doué pour éviter de penser à quelque chose.

- Aurelia Shelton, dit-il dans un souffle. Elle avait écrit un article sur Poudlard en temps de guerre à travers l'histoire et je l'avais lu en troisième année parce qu'elle voulait savoir si c'était assez accessible pour être mis dans un manuel d'histoire. Elle travaillait en collaboration avec Bathilda Tourdesac, tu sais ? Bref, cette phrase m'a marqué, je sais pas pourquoi...

Il avait beau avoir la tête baissée sur un dossier qu'il venait de sortir du carton devant lui, il sentait les yeux de Charity fixés sur lui.

- C'est une belle phrase, admit-elle finalement. Et Aurelia Shelton avait l'air d'être une belle personne.

- Oui, je suppose... Pour moi, elle était surtout la mère de Julian, mais elle a toujours été... sympa avec moi. Dès que je venais chez eux pour les vacances, elle était là. On faisait des gâteaux parfois quand on était plus jeunes, vers douze ans.

Il se revoyait dans la petite cuisine de l'appartement londonien des Shelton avec Aurélia qui les menait, Julian et lui, d'une spatule brandie pour qu'ils réussissent à faire des cookies. Quelque chose que sa propre mère n'aurait jamais eu le temps de faire, trop absorbée par son travail. Elle était aussi une piètre cuisinière maintenant qu'il y pensait.

Amer, il jeta presque le dossier qu'il tenait avec un peu trop de force sur la pile des dossiers obsolètes et décida de changer de sujet. Il n'était pas prêt à parler de sa famille à Charity.

- C'est de ça dont tu parlais avec Hanna ce matin ? demanda-t-elle alors, curieuse. J'ai juste entendu quelques mots avant de vous rejoindre, mais j'ai cru comprendre que vous parliez du deuil de Julian ?

- Oh ça... Ouais en quelque sorte, admit-il. On se disait qu'il n'arrivait justement pas à le faire, son deuil. C'est compliqué.

- C'était sa mère.

- Je sais, je sais... En fait, si tu veux tout savoir, Hanna n'ose pas le brusquer à cause de ça. Disons qu'il est parti aux Etats-Unis sans vraiment mettre les choses au clair avec elle et maintenant elle a peur de le confronter. (Il piocha un nouveau dossier dans le carton devant lui). Elle lui a demandé par lettres, mais il évite la question.

Charity haussa un sourcil et afficha une moue pleine de jugement qui ne lui échappa pas. Il releva la tête vers elle.

- Un commentaire ?

- Non...

Tout dans sa voix et sa posture criait l'inverse.

- Allez, parle, t'en meurs d'envie, l'encouragea-t-il.

- Ce sont tes amis, je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas.

- Depuis quand t'as des scrupules sur ça ?

En réponse, elle fit exprès de donner un coup dans le carton qui lui frappa la jambe. Il glapit de surprise et de douleur.

- Ah les garçons, dit-elle comme s'il s'agissait d'une insulte.

- Quoi encore ?

- Rien, vous ne comprenez simplement jamais.

- Parce que tu comprends Hanna, toi, peut-être ?

Charity redressa le menton, fière.

- Bien sûr, affirma-t-elle. Enfin, Matt, si elle a déjà relancé Julian plusieurs fois sans réponse, je comprends qu'elle ne veuille plus le faire. Au-delà même de la question de son deuil difficile !

- Mais pourquoi ?

- Mais parce que ce n'est pas à elle de le faire ! Elle a peur de passer pour la fille qui s'accroche, qui va finir par avoir l'air pathétique à force de harceler son copain ! Ce qui est faux, elle aurait raison de le secouer pour avoir des réponses, mais dès qu'elle le fera, tu peux être sûr que tout le monde va la qualifier d'hystérique. Toi compris.

Piqué au vif, Matthew réagit d'instinct :

- N'importe quoi ! s'insurgea-t-il. Pourquoi je ferai ça ? C'est moi qui lui ai conseillé de lui rentrer dedans !

- Et dès que Julian viendra s'en plaindre auprès de toi, tu prendras son parti parce qu'il aura forcément une bonne raison de repousser cette conversation avec Hanna. Et tu te diras qu'elle en aura trop fait parce que c'est comme ça que tout le monde perçoit les filles qui s'accrochent trop à leur copain.

Charity termina sa prise de position par un regard teinté de défi et il tenta de se remettre en question. N'avait-il pas pensé au petit déjeuner que s'il devait effectivement prendre parti il prendrait celui de Julian ? Mais ça n'avait rien à voir avec une perception genrée ou une quelconque guerre des sexes... C'est juste que Julian était son meilleur ami. Pourtant, Charity venait d'insinuer le doute en lui.

Mal à l'aise, il décida d'adopter ironiquement la posture de Julian : l'esquive.

- Et toi alors ? Tes amis ? relança-t-il pour dévier le sujet. J'ai toujours l'impression de te voir toute seule quand on n'est pas ensemble.

- Te flatte pas trop, Bones, tu n'es pas le centre de ma vie.

- Oh allez, ce n'est pas ce que je voulais dire.

Charity se contenta d'hausser les épaules.

- Je ne sais pas trop... Je m'entends bien avec les filles de mon dortoir, mais elles ont surtout un groupe à trois et on n'a pas vraiment les mêmes intérêts.

- Pourquoi ? C'est quoi tes intérêts ?

- T'as rien retenu de notre sortie avant noël ?

Il fit jaillir le souvenir de sa mémoire, se remémorant la silhouette de Charity dans son long manteau qui faisait crisser la neige sous ses pas avant de l'entraîner dans le métro puis une boutique de jouets anciens.

- Les moldus ? se rappela-t-il.

- Prends pas cet air si étonné, j'étais sérieuse quand je disais que je m'y intéressais vraiment.

Le dernier mot avait un accent de défi, comme si elle s'attendait à ce qu'il se moque d'elle, et il fit attention à mieux maîtriser son expression.

- Non, non, désolé, je trouve ça cool en vrai ! Enfin je m'y connais pas trop, mais je trouve ça génial que t'aies une passion comme ça !

- C'est gentil, sourit-elle, même si elle restait sur ses gardes. (Elle écarta un nouveau dossier, puis se pencha vers lui, les deux mains à plats sur le sol). Et toi, Matt ?

- Moi ?

- Ta passion ?

Il ne manqua pas la façon dont elle détournait l'attention d'elle-même. Peut-être qu'elle n'était pas encore à l'aise pour partager sa passion des moldus avec lui, tout comme il n'était pas prêt à lui parler de sa famille. Deux choses intimes. Pourtant, il tenta de réfléchir honnêtement à sa question. Quelle passion le caractérisait ? Le Quidditch ? Il était plutôt doué et il aimait son poste de gardien et de capitaine, mais il savait que d'autres joueurs – comme Artemisia Meadowes – étaient bien plus mordus que lui. Le scrabble ? Non, il aimait y jouer, mais il ne pouvait pas qualifier ça de passion. Il se creusa la tête. Hanna avait bien l'astronomie, Julian le dessin, mais lui...

Pris au dépourvu par l'immensité du vide et des possibilités qui s'ouvraient devant lui, il préféra bifurquer vers ce qu'il maîtrisait mieux : l'humour et le flirt.

- Et si je te dis que c'est toi ma passion ? répondit-il d'une voix qu'il tenta de rendre suave.

La réaction de Charity fut instantanée. Elle éclata de rire et le repoussa d'une pression sur son torse.

- T'es un imbécile, Bones, s'esclaffa-t-elle.

- Quoi ? Tu ne me crois pas ?

- Non. Tu vas devoir le prouver...

Cette fois, ce fut au tour de la voix de Charity de prendre une teinte aguicheuse et elle le regarda sous ses cils, presque mutine. C'était le sourire qu'il préférait chez elle, celui qui annonçait qu'elle entrait dans son jeu et qu'elle le draguait autant qu'il la draguait. Peut-être qu'ils n'étaient pas prêts à avoir des conversations sérieuses... Mais Matthew n'allait pas s'en plaindre, pas alors que Charity le regardait comme si elle n'attendait qu'une chose : qu'il fasse le premier pas. Ça aussi, il l'avait remarqué. Son âme aventureuse avait des limites et elle était souvent rattrapée par une certaine timidité au moment d'agir.

Conscient de leur proximité, il amorça un geste lentement et vint poser sa main sur sa cuisse, juste en dessous du bord de sa jupe d'uniforme. Il lui sembla qu'elle retint sa respiration plusieurs secondes tandis qu'il sentait la chaleur de sa peau à travers ses collants et il poussa l'audace jusqu'à se rapprocher un peu plus. Elle inclina la tête.

Matthew n'eut pas besoin de plus. Il fondit sur ses lèvres, avide, et se mit l'embrasser avec plaisir. La sensation lui était devenue de plus en plus familière au fil des semaines, mais rien que la conscience d'avoir sa main posée sur la cuisse de Charity – il se forçait à la laisser immobile – changeait toutes ses perceptions.

De son autre main, il repoussa la pile de dossiers près de lui et fit levier pour se rapprocher encore un peu plus. Charity, elle, se redressa sur ses genoux pour suivre le mouvement et approfondir le baiser. Il dû enlever la main de sa cuisse, l'esprit embrumé, mais elle la lui reprit à l'aveugle pour venir la placer sous la courbure de sa poitrine. Il laissa échapper un soupire profond.

Les longs cheveux blonds de Charity qui lui arrivaient presque à la taille le gênaient et il les repoussa pour dégager aussi bien son visage que son corps. Il avait l'impression de ne plus réussir à aligner deux pensées cohérentes, trop saisi par les lèvres de Charity qui se mouvaient contre les siennes, s'entre-ouvrant un peu plus à chaque fois. Au bout de plusieurs secondes, il osa glisser sa langue un peu plus loin et remonter sa main un peu plus haut.

- Matthew...

Le murmure de Charity perça brusquement la brume.

Il se rappela alors où il se trouvait. Bon sang, il ne pouvait pas continuer dans cette voie... Pas dans le bureau de McGonagall ! A contre cœur, il s'arracha à elle, étourdi. Elle ne chercha pas à le retenir, mais le dévisagea en une question muette, les pupilles réduites à une tête d'épingle et le souffle haché.

- Ce qu'on était en train de faire ? dit-il d'une voix rauque. Je veux que tu le gardes à l'esprit pour tout à l'heure, ok ?

- Ok...

Un sourire visiblement impossible à endiguer lui barrait les lèvres – les mêmes qu'il venait d'embrasser – et elle cacha son visage rougissant entre ses mains. Il se mit à rire.

- Rah Merlin, miss Burbage, t'es la seule à rendre une heure de colle si agréable.

- Ravie, marmonna-t-elle, amusée.

- Eh, mais ne crois pas que je ne suis pas un gentleman ! Regarde !

Reconnaissant envers lui-même pour cette diversion, il rampa presque pour attraper son sac sous le rire de Charity et il plongea la main dedans avant de brandir fièrement son cadeau.

- Tiens ! Pour toi ! annonça-t-il d'un air cérémonieux.

- Une boîte de chocolats ?

- Joyeuse Saint-Valentin, miss Burbage !

Le sourire de Charity valait toutes les retenues du monde.

**

*

- Sérieusement ? Des chocolats ?

Noah perçut le ton railleur qu'il avait employé, mais il était trop tard pour le ravaler et il contempla le visage d'Othilia qui se crispa un instant avant qu'elle ne fasse preuve de bonne volonté en affichant un sourire artificiel.

- J'ai trouvé que ça serait marrant, juste pour marquer le coup... se justifia-t-elle.

- Mais étouffe-toi avec, Douzebranches, ça me fera des vacances, commenta Théa à côté d'elle, imperturbable.

Il se contenta de lui faire un signe grossier de la main pour toute réponse. Cette Saint-Valentin était une mascarade de toute façon, il l'avait toujours pensé : une fête aussi artificielle que le sourire d'Othilia il y a quelque secondes, même s'il méritait sans doute ce dernier. Il avait simplement été pris par surprise. Pendant la pause déjeuner, il était parti s'isoler dans son dortoir pour dessiner et se vider la tête avant de se rappeler brusquement qu'il devait retrouver Othilia dans le Grand Hall. Ils n'avaient pas cours avant quinze heures à cause de Fleming, exceptionnellement absente, et ils avaient décidé de passer du temps ensemble pour la Saint-Valentin. Quand il était arrivé du Hall, Othilia n'y était cependant déjà plus et il venait de la retrouver dans le Réfectoire, assise avec Théa qui terminait de manger son dessert, blasée. Et évidemment, il n'avait pas réussi à feindre une réaction correcte face à la boîte de chocolats qu'Othilia avait visiblement pris le temps d'acheter pour lui offrir...

- Désolé, marmonna-t-il. Merci, c'est sympa. (Il risqua l'audace d'ouvrir la boîte et de piocher un chocolat avant de la tendre vers Théa. Celle-ci ne se fit par prier pour en piquer un). T'es prête ?

- Depuis vingt minutes contrairement à toi.

Et sans un regard, elle se leva et partit d'un pas vif, son carré blond s'agitant sous la force de son mouvement. Il grogna, agacé, et Théa le contempla depuis le fond de sa chaise, presque méprisante.

- Rattrape-là, espèce d'idiot. Et montre-lui que tu tiens à elle pour changer. S'il y faut, imagine qu'elle est un crayon, ça t'aidera.

- La ferme, Grims.

- Jamais. Tu vas les manger, ces chocolats ?

A nouveau, il ne lui répondit pas, mais il jeta la boîte sur la table devant elle sans cérémonie avant de s'élancer à la poursuite d'Othilia. Alors qu'il remontait vers les grands portes, il repéra Liam, Aileen et Julian qui finissaient eux aussi de déjeuner à leur table habituelle. Dès que Julian l'aperçut, une ombre passa sur son visage. Il avait dû voir Othilia passer.

Noah n'était pas idiot contrairement à ce que Théa aimait affirmer. Il voyait bien que Julian était mal à l'aise avec Othilia depuis leur pacte passé quelque jours après leur baiser... Morgane, encore une situation impossible. En vérité, il comprenait la gêne de Julian, il la ressentait aussi. Malgré ce qu'il avait affirmé, il savait pertinemment que ce qu'ils faisaient était mal. Peut-être que les guérimages avaient raison. Peut-être que la loi qui interdisait ce genre de relation avait été mise en place pour une raison.

Pourtant, il lui suffisait de repenser à la sensation qu'embrasser Julian Shelton avait éveillé chez lui pour faire taire sa conscience. C'était différent. Tout était différent avec Julian. Il était un garçon, ça ne comptait pas... Julian était Julian, il était le prodige en dessin, le responsable du groupe, le génie en sortilèges. Si Julian s'était laissé embarqué dans leur histoire, c'était qu'elle n'était pas si grave que ça. Il ne pouvait peut-être pas se faire confiance à lui-même, mais il pouvait faire confiance à Julian.

En sortant du Réfectoire, il redoubla sa foulée.

- Othilia ! appela-t-il. Attends-moi !

- Cours plus vite !

- Lia !

Sa voix porta à travers le Hall. Résignée, Othilia finit par ralentir et il arriva enfin à sa hauteur.

- Ecoute, Noah, je sais bien que notre relation n'est plus ta priorité en ce moment, mais tu pourrais au moins faire semblant aujourd'hui.

- Sérieux ? Tu n'aimes même pas la Saint-Valentin ! On trouve tous les deux que c'est une fête à la con, pourquoi est-ce que tu me prends la tête d'un coup ?

- Parce que pour une fois j'avais envie de la fêter ! J'avais envie d'être comme les autres filles juste pour une journée, c'était trop demandé ?

- Et alors quoi ? Je devais lire dans ton esprit ? s'agaça-t-il.

- Non, juste être à l'heure comme on l'avait dit.

L'avantage d'avoir grandi avec Hilda, c'était qu'il était presque immunisé à la froideur que les gens mettaient dans leur voix pour le faire réagir et Othilia ne faisait pas exception. Las, il tenta de protester pour la forme :

- Arrête, bien sûr que notre relation est une priorité...

- Toi arrête, je ne suis pas aveugle. Je sais bien qu'avec le Rituel d'Ancrage on est tous occupés, mais je dois en plus te partager avec le dessin, avec les cours, avec tes problèmes... énuméra-t-elle en comptant sur ses doigts. C'est épuisant !

- Qu'est-ce que tu veux que je fasses pour les cours ? Que j'aille demander à Hicks de me filer mon diplôme juste par charité ?

- Noah...

- Et le dessin je te l'ai déjà dit, si je veux intégrer une école d'art, je...

La façade maîtrisée d'Othilia se brisa soudain et elle ne le laissa même pas finir sa phrase.

- Arrête avec ton école d'art ! s'exaspéra-t-elle. Noah, sérieux, tu ne peux pas te lancer là-dedans, on en a déjà parlé ! Tu vas droit dans le mur !

Son manque de confiance le heurta plus violemment qu'il ne s'y attendait. Ce n'était pourtant pas la première fois qu'elle lui tenait ce discours, mais c'était peut-être la première fois qu'il avait la sensation qu'elle y croyait vraiment. Hilda, c'était une chose. Il s'y attendait : elle était dans son rôle de gardien responsable et femme de bonne famille. Il avait cru – stupidement – qu'Othilia finirait par se ranger de son côté, mais ce n'était visiblement pas le cas.

- Ravi de voir que j'ai ton soutien, railla-t-il, venimeux.

- Noah, je...

- Laisse tomber.

Mâchoire crispée, il détourna la tête. Il n'avait aucune envie de s'étendre sur le sujet. Sur le visage d'Othilia, il vit osciller plusieurs émotions comme le remord et la colère. Les deux se battaient pour prendre l'ascendant, la réduisant au silence, et il fut soudain traversé par une prise de conscience brutale.

Un jour, Othilia craquerait.

Un jour, elle réaliserait qu'il ne valait pas son énergie ni son temps et elle partirait... Peut-être que l'idée lui traversait l'esprit à ce moment-même. C'était une vision étrange à envisager. Othilia était devenue une constance dans sa vie depuis deux ans, peut-être même avant. Elle était la béquille sur laquelle il pouvait toujours s'appuyer, mais surtout elle était sa police d'assurance. Tant qu'il était avec elle, personne ne songerait sérieusement aux rumeurs qui avaient circulé l'année dernière sur lui et Zack Ledwell. Personne ne songerait à en répandre à nouveau sur lui et Julian.

Mû par une peur instinctive, il observa Othilia. Il l'observa vraiment. Elle se tenait toujours devant lui et il se souvint brusquement la raison pour laquelle il l'aimait. Peut-être pas de la bonne façon, mais il l'aimait. Il l'aimait parce que justement elle était toujours là. Il en faudrait plus pour faire craquer Othilia et il admira sa force de caractère.

- Lia... ? souffla-t-il.

- Quoi ?

- Tu veux passer la Saint-Valentin avec moi ? S'il te plait ?

Ce n'étaient peut-être pas des excuses, mais c'était ce qu'il avait de mieux. Une lueur surprise brilla dans les yeux d'Othilia et elle porta le poing contre sa gorge, le dévisageant longuement. Il ne saurait sans doute jamais ce qu'elle vit en lui à ce moment, mais elle hocha la tête imperceptiblement.

Et alors il glissa sa main dans la sienne. 

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Verdict ? 

J'ai bien aimé écrire ce chapitre, c'était fun ! J'attends vos réactions avec impatience ^^ 

A dans deux semaines :) 


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