Chapitre 30 : A l'ombre de nos désirs

Eh mais on est déjà lundi ! C'est donc l'heure du chapitre. Encore merci pour vos commentaires sur le dernier chapitre, franchement j'adore lire vos réactions, c'est le soleil de ma semaine en ce mois de novembre haha ! 

Bonne lecture ! 

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Chapitre 30 : A l'ombre de nos désirs

« If I fell in love with you

Would you promise to be true

And help me understand

'Cause I've been in love before

And I found that love was more

Than just holding hands »

- The Beatles -

// 18 janvier 1980 //

- JOYEUX ANNIVERSAIRE !

L'acclamation figea Julian sur place, la poignée de la porte encore dans la main. Il ne pouvait pas dire qu'il ne s'y attendait pas, mais il fut quand même pris par surprise et il cligna des yeux une seconde, le temps que sa vision s'ajuste à la lumière brusque. Toute la matinée, il avait entendu Liam et Aileen chuchoter entre eux pendant que Théa prenait la peine d'aller parler à Noah : il ne fallait pas être un génie comme Dumbledore pour comprendre que ses amis préparaient quelque chose le jour de son anniversaire. Son instinct ne l'avait visiblement pas trahi puisqu'ils étaient tous devant lui dans la salle Alberta. Othilia tenait un gâteau dans ses bras et il s'approcha pour mieux voir. Le glaçage prenait la forme de l'Union Jack.

- Comment... où est-ce que vous avez eu ça ? s'exclama-t-il, sonné.

- On a nos combines, répondit Liam d'un air mystérieux sans pourvoir retenir un sourire.

Aileen roula des yeux.

- Disons qu'on sait où sont les cuisines et que les puckwoodgenie qui y travaillent sont sensibles aux élèves dont la maison les représente. (Elle désigna l'emblème de sa maison sur le devant de sa robe). Ils ont accepté de nous faire le gâteau !

- Tu nous excuseras, il est à la fraise, il n'y avait plus goût « thé », lança Théa, goguenarde.

Il s'empressa de secouer la tête, étrangement ému.

- Il est génial ! Merci...

- Attends ! Il faut qu'il souffle ses bougies ! dit Othilia. Noah, allume-les !

A côté d'elle, Noah s'exécuta et donna un coup de baguette sur les bougies. Les mèches s'enflammèrent immédiatement.

- N'oublies pas de faire un vœu, lui rappela-t-il avec un regard entendu.

La lumière des bougies jetaient des petits éclats de lumières sur son visage avant qu'il ne recule pour lui céder la place et Julian mit quelques secondes à détourner les yeux pour se reconcentrer sur le gâteau. Il ne savait pas vraiment ce qu'il pouvait souhaiter... Retrouver Emilia Cooper ? Arriver à percer le contre-rituel ? La fin de la guerre en Angleterre et la chute de Vous-Savez-Qui ? Revoir Matthew ? Il y avait trop de choses. Une pensée insidieuse se glissa même dans son esprit pour souhaiter que Noah et lui évoquent ensemble ce qui s'était passé avant les vacances lorsqu'il lui avait pris la main pendant le match de Quodpot, mais il la rejeta bien vite.

- Allez souffle ! encouragea Liam. Je veux le manger ce gâteau !

Il renonça à arrêter son esprit sur un vœu précis et gonfla ses poumons d'air avant de souffler de toutes ses forces. Les flammes vacillèrent au sommet des bougies, puis s'évanouirent dans un panache de fumée à l'odeur caractéristique. Ses amis applaudirent.

- Joyeux anniversaire Julian ! clama Aileen à nouveau.

- Merci...

- Qui veut découper le gâteau ?

Théa leva la main.

- On est sûr qu'on veut lui confier un couteau ? s'alarma Liam.

- Le gâteau, je le découpe avec un sort coupant, rétorqua-t-elle. Mais donne-moi un couteau et je m'en sers contre toi.

- Julian, ta cousine redeviens flippante !

- Alors laisse-lui la plus grosse part du gâteau, se contenta-t-il de répondre.

Théa parut apprécier sa réponse car elle lui adressa un sourire malicieux qui anima ses traits, notamment son nez retroussé et ses tâches de rousseurs. Il la trouva soudain plus détendue depuis leur retour des vacances de Noël. Sans son éternel air renfrogné, elle se métamorphosait.

Pendant que Liam et Théa se battaient pour couper le gâteau, il se laissa tomber dans le canapé que Liam avait ramené de sa brocante d'hiver et faillit se faire engloutit entre les coussins. Aileen arriva vers lui, enthousiaste, comme si elle absorbait littéralement la bonne humeur ambiante.

- On a un cadeau pour toi, annonça-t-elle d'emblée.

- Un cadeau ? Mais vous n'avez pas besoin... On a déjà eu les cadeaux de noël !

- Noël et ton anniversaire sont deux choses différentes, non ? répliqua Noah en venant s'assoir à côté de lui mais en se perchant sur le dossier du canapé pour le surplomber. Je croyais que t'étais assez intelligent pour le savoir.

Il ignora la pique. Ses vrais amis – comme Matthew et Hanna – se faisaient toujours un devoir de lui offrir deux cadeaux pour distinguer noël et son anniversaire même si les deux dates étaient rapprochées, mais beaucoup de personnes ne prenaient pas cette peine et il avait fini par s'y habituer. Il ne s'attendait pas à ce que le groupe d'Ilvermorny rentre dans la première catégorie.

- C'est Noah qui a eu l'idée, avoua Aileen en sortant un petit paquet de sa poche. On cherchait ce qu'on pouvait t'offrir et il s'est renseigné...

- S'il s'est trompé, toute la faute lui revient ! lança Liam, occupé à répartir les parts de gâteau dans des assiettes en carton.

- Et si j'ai visé juste, tout le mérite est pour moi aussi, répliqua l'intéressé.

Curieux, Julian se saisit du paquet. Il n'était pas bien gros, à peine plus gros qu'un nid de pixies, et il dénoua le ruban avec précaution. Il découvrit une boîte toute simple dont il souleva le couvercle sans attendre. A l'intérieur, dans un socle en velours, reposait une montre au bracelet en cuir marron et au cadran bordé d'étoiles. Entre les aiguilles, une paire d'ailes noires avec un véritable mini sablier étaient peints et se mouvaient dans un geste mécanique pour marquer le passage du temps. Julian reconnut le symbole de Chronos, le dieu romain du temps. Il en resta muet, incapable d'articuler les remerciements coincés dans sa gorge, fasciné par l'objet.

Noah s'agita, impatient, et se mit à expliquer pour combler le silence :

- Apparemment, la majorité sorcière en Angleterre est à dix-sept ans, pas dix-huit, et c'est une coutume d'offrir une montre pour marquer le coup. Alors je me suis dit que même si tu étais aux Etats-Unis, on pouvait appliquer la tradition.

Julian acquiesça. En vérité, c'était une coutume de sang-pur qui s'était répandue et démocratisée, mais avec un père né-moldu et une mère américaine, il ne s'était jamais attendu à la respecter. Matthew lui en avait juste parler parce qu'il avait hâte de récupérer la montre de son grand-père Nicholas, mais sa connaissance sur cette tradition s'arrêtait là. Il n'arrivait pas à croire que Noah ait pris la peine de se renseigner.

- Elle est magnifique, souffla-t-il en traçant le bord de la montre du bout du doigt avant de relever la tête vers Noah. Comment t'as su ?

- Un peu par hasard. Aileen venait de m'écrire pour me demander si j'avais une idée pour ton cadeau pendant les vacances et j'étais en train d'aider Hilda au café. Fleming est passée pendant que Raphaël me balançait des idées à la volée et elle m'a demandé pour qui je cherchais un cadeau, tu sais juste pour faire la conversation en attendant sa commande. C'est elle qui m'a parlé de la coutume. Apparemment, elle a passé l'été en Angleterre, elle accompagnait Hicks en voyage en tant que directrice adjointe. Elle m'a dit qu'elle y avait vécu quand elle était jeune aussi dans les années 50 pour ses études... Donc en vérité, l'idée est plus de celle de Fleming.

Visiblement, ça coûtait à Noah de l'avouer, mais il préférait être honnête et Julian s'imagina la scène : Noah discutant de son cadeau d'anniversaire avec leur professeur de sortilèges qu'il ne portait pas plus que ça dans son cœur. Personnellement, il aimait plutôt bien Miranda Fleming et son impression se renforça devant cette anecdote. Il se demanda s'il l'avait croisé cet été à Londres sans savoir qui elle était. Maintenant qu'il y repensait, la directrice Hicks lui avait effectivement dit qu'elle était en Angleterre pour traiter d'affaires relatives à l'école, comme s'entretenir avec Dumbledore, et ce ne n'était pas étonnant que son adjointe l'ait accompagnée.

- L'information vient peut-être de Fleming, nuança Othilia, mais c'est toi qui a été acheté la montre. Le choix te revient.

- Mais c'était mon argent, toussota Théa sans essayer d'être discrète.

Liam lui envoya un jet de crème pâtissière.

- Eh ! s'offusqua-t-il. Ces choses-là ne se disent pas, votre Altesse. C'est un cadeau commun ! (Il passa son appareil photo autour de son cou avant de le vriller vers lui). Eh l'intello ! Fais-moi un sourire avec ton super cadeau !

Julian sourit d'instinct. Il tenta d'enfiler la montre, mais le bracelet lui glissait des doigts et Noah intervint après sa troisième tentative.

- Laisse, donne-la-moi.

Sans attendre de réponse, il attrapa la montre et lui passa au poignet droit pour l'attacher. Julian se rendit compte seulement à cet instant d'un détail.

- Elle est pour un gaucher, observa-t-il. Tu t'es souvenu que...

- Que tu me donnais des coups de coudes dès que je dessine à côté de toi ? Morgane, ça serait dur à oublier, Shelton.

La remarque n'était pas dite sur un ton méchant, mais elle était assez teintée de l'ironie mordante et familière de Noah pour qu'il sente ses joues s'empourprer. Plus que tout, il n'arriva pas à ignorer le « Shelton », comme un écho à leur conversation dans les gradins du stade où il lui avait fait remarquer que c'était presque étrange qu'il l'appelle Jules devant tout le monde. Noah n'avait plus employé le surnom depuis.

- Et voilà, déclara-t-il finalement après avoir attaché correctement la montre. Cooper, tu peux prendre ta photo.

Dès qu'il s'écarta, Julian ressentit l'absence de son toucher contre sa peau. Il le regretta même. Heureusement pour lui, son attention fut détournée par Liam qui leva son appareil et le flash l'aveugla quelques secondes, comme d'habitude.

- Maintenant le gâteau ! clama Théa.

Elle arriva à leur hauteur, les assiettes ensorcelées lévitant dans son dos. Tout le monde en attrapa une avec bonne humeur. Sa cousine n'avait pas menti : le goût fraise était bien présent et il savoura chaque bouchée en discutant surtout avec Aileen au sujet de son exposé sur Isolt Sayre, la fondatrice d'Ilvermorny. Le professeur Perrot lui avait demandé de le terminer pour la semaine prochaine.

- Et t'as réussi à trouver d'autres sources que sa biographie officielle ? demandait-elle.

- Hum ? Oh oui, dit-il entre deux bouchés de gâteau. J'ai été chercher la retranscription des carnets intimes de sa fille. Il y a plusieurs informations dedans.

- Laquelle ? Rionach ou Martha ?

En plus de ses deux fils adoptifs, Webster et Chadwick, Isolt Sayre avait en effet eu des jumelles du nom de Rionach et Martha issues de son mariage avec James Steward, le co-fondateur d'Ilvermorny, et Julian fouilla dans son sac à ses pieds pour en sortir le livre qu'il avait emprunté à la bibliothèque. Son marque page dépassait au milieu.

- Martha. Je sais, c'est un choix un peu étrange, les historiens s'intéressent très peu à elle, se justifia-t-il en voyant le haussement de sourcil d'Aileen. Mais ma mère m'a toujours dit que c'étaient justement les sources les plus rares les plus intéressantes.

- Mais Martha... Elle était Cracmol, non ?

La protestation d'Aileen, si typique de la mentalité sang-pur même s'il savait qu'elle ne pensait pas à mal, le fit grimacer. Il lui tendit le livre.

- Je sais, mais regarde par toi-même. Ce n'est pas parce qu'elle était Cracmol qu'elle n'apporte pas un témoignage éclairant sur son époque. Je dirais même que ses réflexions sont presque plus intéressantes que celles de sa sœur. Elle observait tout de l'extérieur, un peu en décalage, et elle était proche de sa mère.

Aileen, l'air sincèrement intéressé, se mit à feuilleter le livre, son assiette de gâteau en équilibre précaire sur son genou. Il la laissa se plonger dans le récit de Martha Steward. A sa gauche, Othilia était perchée sur l'accoudoir du canapé et s'appuyait lourdement sur Noah pour ne pas tomber. Celui-ci dessinait sur son bras d'un air distrait au crayon. Il aurait aimé se pencher pour voir ce qu'il faisait, mais il avait conscience que ça reviendrait à s'immiscer entre eux, et il se détourna, frustré, pour observer la partie d'échecs que se disputaient Théa et Liam.

Apparemment, il n'était pas le seul à se faire battre à plat de couture par sa cousine. Liam manqua d'envoyer valser les pièces en constatant qu'il était échec et mat.

- A chaque fois, grommela-t-il. A chaque fois que j'ai l'impression que je vais enfin y arriver...

- Le fou ne pas bat pas la reine comme ça, commenta Théa d'une voix chantante.

La métaphore était bien trouvée et Julian éclata de rire.

- C'est ça... Je vais aller vérifier que la potion chauffe bien.

Drapé dans son ego blessé, Liam se releva et se dirigea vers le chaudron qui bouillonnait au milieu de la pièce et qui n'avait pas vraiment besoin de lui. Théa eu assez de tact pour ne pas lui faire remarquer et Julian s'approcha d'elle. Elle avisa la nouvelle montre à son poignet.

- Elle te plaît alors ?

- Je l'adore, approuva-t-il. Je ne pensais pas en avoir une, mes parents ne sont pas... n'étaient pas vraiment portés sur les vieilles traditions comme ça. Merci.

- Oh tu sais, je n'ai pas fait grand-chose, se déroba Théa dans un rare accès de modestie. Noah et Aileen s'en sont surtout occupés.

- Mais c'est toi qui a payé...

- En partie. Et c'est l'argent des Grims techniquement. Si on y réfléchit, ton argent.

Le raisonnement était un peu tiré par la baguette, mais il ne releva pas. Elle se mit à jouer avec son ruban rouge, puis demanda :

- Des nouvelles de Leonidas au fait ?

- Une lettre. Il est bien arrivé en Angleterre avec Lysandra et ils vont y rester jusqu'en février normalement.

- Ce n'est pas dangereux ? Avec les mordremorts ?

- Mangemorts, corrigea-t-il en laissant percer une pointe d'irritation dans sa voix. Si, sans doute... Il m'a dit qu'il évitait les lieux à risque comme le Chemin de Traverse ou les abords du Ministère. Il doit gérer les grèves de la British Steel en tant qu'Ambassadeur sorcier... Les rassemblements des ouvriers moldus pourraient devenir une cible pour les mangemorts, mais Thatcher ne veut rien entendre et elle n'est pas prête de plier. C'est stressant pour lui.

Théa cligna des yeux, l'air de ne comprendre à moitié ce dont il parlait, et il retint un soupir. Il supposait qu'il ne pouvait pas lui en vouloir : elle connaissait beaucoup plus la situation politique entre Belva Laker, la Ministre américaine, et Celestina Rappapport, sa principale rivale, mais elle n'avait aucune raison de s'intéresser plus précisément à la situation en Angleterre.

Pourtant, de là où il était, Noah semblait avoir entendu leur conversation car il arrêta de dessiner sur le bras d'Othilia et intervint.

- J'ai lu que le Ministère anglais voulait créer un poste exprès pour gérer les négociations et les échanges entre le cabinet de Margaret Thatcher et celui de Minchum. En plus des Ambassadeurs, je veux dire. Pour que les autres pays ne s'impliquent pas et que ça reste au niveau de l'Angleterre.

Etonné, Julian le dévisagea. Depuis qu'il le connaissait, Noah ne lui avait pas paru être quelqu'un de très intéressé par la politique étrangère et sa soudaine connaissance parut surprendre les autres également. Penché au-dessus de son chaudron, Liam haussa un sourcil.

- Comment est-ce que tu sais ça ?

- Parce que contrairement à toi, je sais lire Cooper.

- Noah, soupira Othilia.

Elle dégagea son bras et le crayon que son petit ami tenait roula par terre, faute de support. Julian le ramassa par réflexe alors qu'il arrivait jusqu'à lui. Il se mit à griffonner distraitement sur le sol avant de répondre :

- Un poste qui ferait le lien entre les deux mondes n'est pas une mauvaise idée, jugea-t-il. Reste à voir si la personne sera compétente. Mais je doute que Minchum reste en place encore longtemps de toute façon. Sa tête va finir par tomber.

Théa lui jeta un regard inquiet et il s'empressa de préciser.

- Pas littéralement ! Enfin quoique... J'espère pour lui que...

- Julian ! appela soudain Aileen d'une voix sourde.

Tout le monde se tourna vers elle. Ses cheveux roux lui cachaient une partie du visage et elle tenait toujours le carnet de Martha Steward entre les mains, penchée en avant alors qu'elle regardait la page sur laquelle elle s'était arrêtée avec intensité.

- Qu'est-ce qui se passe ?

- Julian, viens voir ! Je crois... Je ne suis pas sûre, mais peut-être que toi tu comprendras mieux...

Le ton de sa voix, entre excitation et perplexité, le poussa à se lever pour venir lire par-dessus son épaule. Elle pointa un passage en bas de la page 394 auquel il n'était pas encore arrivé lui-même au cours de sa lecture.

- Là, dit-elle alors que les autres approchaient, poussés par la curiosité. Ça fait des semaines que je cherche dans tous les livres de sortilèges possibles une mention de notre rituel à contrer et je n'avais rien trouvé. Mais là, regarde ce qu'elle décrit... Tu ne trouves pas que... ça y ressemble ?

Le cœur battant plus vite, il se mit à lire avant même qu'elle ait terminée sa phrase.

« Aujourd'hui il pleut et je dois encore rester à l'intérieur alors même que tout le monde est dehors. Je sais ce qu'ils font... Comme d'habitude, je ne peux pas y participer. Le don magique ne m'a pas été attribuée à la naissance et je dois en porter le poids chaque jour, mais certains sont plus difficiles que d'autres. Ceux où Lilith jette son emprise sur la maison sont sans doute les pires. A travers la fenêtre, je ne peux que regarder Mère et Père partirent avec Rionach, Chadwick et Webster pour jeter à nouveau le sortilège. Je sais que le Rituel ne doit jamais être brisé. Il a besoin d'eux pour rester fort, mais moi aussi j'aurais besoin d'eux... Je pourrais au moins aider à écraser les crochets de serpents et la poudre de rose pour la Goutte du Mort vivant. Ou tenir son grimoire à Webster lorsqu'il jette son sortilège Incassable pendant que Chadwick réalise son Charme de Fortification. Ils se battent toujours pour lire les instructions et manquent de se mettre la baguette dans l'œil. Rionach, elle, n'en a évidemment jamais besoin pour venir clore le Rituel avec son Enchantement de Scellement. Elle pourrait au moins donner son sang et ne pas laisser Mère le faire, mais je suppose qu'elle refuse de lui céder la place. Je me demande si je pourrais le faire, moi... Sûrement pas. Tout est question de magie et c'est bien la seule chose qu'il me manque, comme les élèves aiment tant me le rappeler. Je me demande si Rionach sera en charge toute seule du Rituel plus tard. Je suppose que oui, la relique de la langue de serpent doit être protégée. Mais est-ce que je devrais encore la regarder par la fenêtre ? Je ne sais pas si j'en aurais la force... »

Le paragraphe suivant continuait sur le sentiment de solitude de Martha et Julian arrêta de lire. Quand il releva la tête, Aileen l'observait avec espoir et il sentit le même sentiment se répandre en lui. Il attrapa immédiatement un parchemin qui traînait, le crayon que Noah avait fait tomber toujours en main.

- Ok, laisse-moi réfléchir... marmonna-t-il.

- Toi aussi tu trouves que ce qu'elle décrit est proche de ce qu'on est en train de faire ?

- La ressemblance est troublante. Si je comprends tout correctement, elle est en train de décrire un Rituel d'Ancrage.

- Un quoi ? fit Liam, perplexe.

Il releva à nouveau la tête, la pointe de son crayon suspendu au-dessus de feuille, et avisa les expressions de ses amis. Ils attendaient tous patiemment ses explications, une touche d'impatience dans les yeux, et Noah semblait même prêt à le secouer pour qu'il se mette à parler. Il décida de se lever, puis leur présenta son parchemin.

- Un Rituel d'Ancrage, répéta-t-il. C'est assez rare et surtout très compliqué à faire par rapport à d'autres sortilèges de protection. Ça permet de lier quelque chose à un endroit : impossible de le retirer sans avoir effectué le contre rituel.

- Ce qu'on est en train de faire donc ?

- Exactement. Sauf qu'un contre rituel est par essence un rituel à l'envers. Or, le Rituel d'Ancrage est vraiment complexe puisque c'est un des rares à mélanger plusieurs éléments magiques : potion, sortilège, botanique, astronomie, métamorphose... Et surtout, il dépend de celui ou celle qui le jette.

- Comment ça ? Il est aléatoire ? demanda Théa.

- Non, pas complètement non plus. Ça n'existe pas de la magie aléatoire. Disons que le Rituel d'Ancrage a une base commune, mais le sorcier ou la sorcière qui le met en place peut ajouter un détail en plus, comme une sorte de signature.

Une lueur de compréhension s'alluma dans les yeux d'Aileen.

- Une signature comme le sang... ?

- C'est ça ! Ce que Martha décrit, c'est un Rituel d'Ancrage, c'est pratiquement certain. On retrouve plusieurs étapes : le charme de Fortification pour renforcer les défenses magiques autour de l'objet qu'on veut protéger ou garder, un sortilège Incassable pour rendre ces défenses encore plus solides, et un enchantement de Scellement pour « verrouiller » le tout. C'est ce qu'on essaye de défaire avec Théa depuis des mois, mais les trois couches ensemble sont dures à démêler. On n'était pas sûrs des sorts sur lesquels on travaillait, là ça va nous aider à aller plus vite.

- Complètement ! s'extasia Théa. Si on arrive déjà à les isoler théoriquement pour comprendre comment les défaire, ça sera déjà plus simple en pratique !

Liam leva la main comme pour mesurer son enthousiasme.

- Attends, attends ! Personne n'a parlé de pratique pour l'instant. Le corbeau nous demandait juste de déterminer le contre rituel, pas de le réaliser.

- Et si c'était la prochaine étape avant de libérer Emilia ?

Immédiatement, le visage de Liam se ferma. Julian fut à nouveau pris de pitié pour lui. Il savait à quel point Liam espérait retrouver sa sœur au plus vite, mais il lui semblait peu probable que le corbeau se contente de leur demander d'étudier théoriquement le contre rituel. S'il les avait mis sur la piste, c'était pour le réaliser. Et il commençait à avoir une idée de pourquoi la tâche leur revenait à eux, simples étudiants.

Pour éviter toutefois de se laisser distraire par ses pensées qui se bousculaient, il claqua des doigts, réclamant l'attention des autres. Noah eut l'audace de sourire, amusé devant son éclat d'autorité, et il reprit avant qu'il ne puisse lui lancer une pique dont il avait le secret.

- Un Rituel d'Ancrage repose aussi sur plusieurs potions. Elle ne parle pas de la principale dans ce passage, mais c'est généralement un élixir d'Enfermement et c'est précisément ce que Liam et Othilia sont en train de préparer. (Il désigna leur chaudron qui bouillonnait toujours). Notre traduction des runes étaient bonnes !

- Et la Goutte de Mort vivant dont Martha parle ? intervint à nouveau Aileen. Qu'est-ce que c'est ?

Cette fois, ce fut Othilia qui se chargea de lui répondre :

- Un autre nom assez ancien pour désigner un philtre de Mort Vivante. C'est la même chose.

- Mais je croyais que c'était un philtre de sommeil puissant ? Quel rapport avec un Rituel d'Ancrage ?

- Je ne sais pas, ça doit être lié aux sortilèges... ?

Elle l'interrogea du regard en formulant son hypothèse et il s'empressa d'hocher la tête avant d'ajouter l'information sur son parchemin.

- C'est le plus probable, approuva-t-il. Un philtre de sommeil doit aider à dissimuler la présence magique de l'objet que le rituel enferme, ce n'est pas seulement pour les humains selon sa préparation. (Il tenta de visualiser le contre rituel pour mieux l'expliquer et se mit à faire des gestes avec ses mains). Si vous voulez, il faut voir le Rituel d'Ancrage comme une sorte de coffre-fort immatériel pour contrôler quelque chose de puissant et surtout empêcher quelqu'un d'autre de s'en emparer. Les barrières magiques mises en place grâce au Rituel doivent servir à le protéger.

- Et alors c'est quoi ce « quelque chose » ? lança Liam. Elle dit quoi déjà ? Une relique de langue de serpent ? Lilith ?

- La mention à Lilith doit désigner une superstition de l'époque pour parler de l'emprise de la magie noire, supposa Aileen, le nez plongé dans le carnet de Martha. Par contre, la relique de la langue de serpent... Aucune idée.

Noah se pencha pour lui arracher le livre des mains et se mit à tourner les pages.

- C'est peut-être littéral, suggéra-t-il. Peut-être que le Rituel sert à protéger une vraie langue de serpent.

- Et pourquoi ? lui rétorqua Théa avec condescendance. Ça n'aurait aucun intérêt.

- Qu'est-ce que j'en sais moi ? Elle a peut-être des propriétés magiques celle-ci !

- N'importe quoi. Donne-moi ça.

Elle tenta d'attraper à son tour le livre, mais Noah sembla se faire un malin plaisir à le mettre hors de sa portée.

- Douzebranches, grogna-t-elle. File-moi ce livre !

- Je n'ai pas fini de le lire !

- Oh bon sang, arrêtez tous les deux, soupira Othilia. Pour une fois qu'on avance, il faut que...

Julian n'eut pas sa diplomatie. Sans chercher à parlementer avec Noah ou sa cousine, il s'avança jusqu'au canapé et attrapa le livre fermement. La main de Noah se referma sur du vide avec un temps de retard. Il se redressa en repoussant Théa, surpris.

- Jules ! s'exclama-t-il avec colère.

Les sourcils d'Othilia se haussèrent de surprise. Julian, lui, se figea une seconde, partagé entre l'embarras de se voir appeler ainsi devant tout le monde et le ravissement d'entendre Noah utiliser son surnom à nouveau. Pourtant, il ne flancha pas et reprit ses explications comme si de rien était.

- On s'en fiche de ce que garde le Rituel d'Ancrage. Enfin pour le moment, nuança-t-il en devançant la protestation d'Aileen. Ce qui compte, c'est que je crois savoir pourquoi le corbeau nous a demandé de travailler sur le contre rituel.

- Sérieux ? dit Liam. Pourquoi ?

- Parce que si ce Rituel d'Ancrage est le même que celui dont parle Martha – et ça ne serait pas une si grande coïncidence que ça vu leur ressemblance et la rareté de ce genre de protections magiques – alors ça veut dire que le contre rituel sera à réaliser à Ilvermorny. Or, une personne de l'extérieur ne peut pas le faire. Il faut y travailler ou y être élèves. Comme nous.

Il marqua une pause, le temps que ses mots fassent effet, et tous ses amis se redressèrent, soudain plus alertes.

- Mais oui ! s'écria Aileen si fort que Liam tressaillit. Martha habitait Ilvermorny avec sa famille, l'école commençait tout juste à prendre forme puisqu'elle parle des autres élèves. Le château ne devait pas encore être entièrement construit donc ça veut dire que l'objet que protège le Rituel d'Ancrage doit être situé dans la partie ancienne, celle qui était déjà construite l'époque !

Julian voulut objecter, mais Noah fut étonnamment plus rapide :

- Non, ce n'est pas à l'intérieur du château, dit-il en secouant la tête. Martha écrit qu'elle regardait sa famille renforcer le Rituel comme d'habitude « par la fenêtre ». C'était dans le parc.

- Il a raison.

Son approbation parut prendre Noah pars surprise car il tourna à nouveau les yeux vers lui après l'avoir évité à cause du vol du livre. Julian mit un point d'honneur à soutenir son regard.

- Il ne devait pas y avoir grand-chose au XVIIe siècle dans le parc, supposa Othilia. Si on trouve une carte de l'époque et qu'on compare à aujourd'hui, on pourrait déterminer l'endroit...

- On va voir à la bibliothèque, l'interrompit Noah, déjà sur ses pieds. Julian, tu viens avec moi. (Il lui reprit le livre des mains avec vivacité). Vous avez qu'à regarder si Martha dit autre chose sur le Rituel d'Ancrage.

- Mais...

Noah ne laissa pas la possibilité à Othilia de protester : il était déjà à la porte de la salle. Julian ne chercha pas à réfléchir, il lui emboîta le pas et le battant se referma sur le « lâcheurs ! » de Théa. Ils restèrent immobiles quelques secondes.

- Tu voulais vraiment aller à la bibliothèque... ? osa-t-il demander, mal à l'aise.

Un rictus amusé se dessina sur les lèvres de Noah, visiblement fier qu'il ait compris si vite.

- Pas vraiment, on peut sauter cette étape. Il y avait une carte d'Ilvermorny en 1715 au début du livre, j'ai regardé.

- Et alors ? Quel endroit du parc existait déjà ?

Mentalement, il raya de la liste le stade, les écuries et les serres, trop récents pour avoir été là à l'époque de Martha Steward. Il ne restait plus grand-chose. Même si le parc était vaste, il était surtout constitué d'étendus arborées comme à Poudlard et Noah se mit à marcher vers les escaliers qui descendaient vers le hall.

- Un seul élément était déjà là, dit-il par-dessus son épaule. Le rocher.

- Le... ? Oh celui sous lequel se jette le court d'eau ?

- C'est ça.

Dans les pas de Noah, Julian percevait la même énergie nerveuse qui l'habitait à l'instant. Ils stagnaient sur le mystère du contre rituel depuis des semaines et c'était leur première grande avancée, trouvée sur un coup de chance, mais ils voulaient tous les deux en découvrir plus. Ils traversèrent le hall sans s'arrêter, même lorsque Charly et Raphaël les dépassèrent en sens inverse, leur balai sur l'épaule, et il manqua de renverser Clémence Laveau dans sa précipitation.

Le rocher se trouvait au milieu du parc. Julian se retourna pour observer la façade du château quand ils arrivèrent près de lui et il distingua avec précision la partie la plus ancienne de l'édifice, celle qui n'avait dû être qu'une maison en pierre de grès au départ et dont les fenêtres donnaient sur le parc. Martha avait dû se tenir derrière l'une d'entre elles lorsqu'elle observait sa famille renforcer le Rituel d'Ancrage au fil des ans.

Ils longèrent le cours d'eau, à peine un ruisseau, qui serpentait paresseusement en coupant presque le parc en deux. D'après ce qu'il voyait, il devait prendre sa source plus haut dans la montage, près de la réserve indienne, et il terminait donc sa course sous terre, sous le fameux rocher creux. Il fut pris d'un doute en voyant Noah commencer à s'y engouffrer.

- T'es sûr qu'on peut aller là-dessous ? dit-il, yeux plissés pour distinguer le fond sans parvenir à percer l'obscurité. Quelqu'un a déjà essayé d'y aller ?

- On est dans une école remplis de jeunes. A ton avis ?

- Tu veux dire que les gens ont déjà exploré l'intérieur ?

- A peu près tout le monde, oui. Ce n'est pas profond, à peine quelques mètres. Viens, tu vas voir, ça se termine par une source d'eau chaude et une espèce de grotte.

Julian hésita encore une seconde, avisant les parois du rocher, puis se décida. Il s'engouffra à son tour à l'intérieur. L'air y était plus humide, moins glaçant que le vent d'hiver, et il sentit ses muscles se détendre en réponse. Devant lui, Noah avançait comme s'il connaissait le chemin par cœur et il supposait que c'était le cas si tout le monde venait ici régulièrement. Il veilla à accélérer pour ne pas le perdre de vue.

- Mais les profs ne disent rien ? s'étonna-t-il en sentant le sol glissant sous ses pieds. Ce n'est pas dangereux ?

Un court silence suivit sa question et il comprit avant que Noah ne réponde :

- Techniquement, on n'a pas vraiment l'autorisation.

- Un peu comme la sortie à Thanksgiving ? se moqua-t-il.

- Tu commences à comprendre la vie de délinquant, Shelton.

Immédiatement, il retint un grognement agacé, autant face au terme de « délinquant » que l'utilisation de son nom de famille.

- Tu peux arrêter avec ça... grommela-t-il.

- Avec quoi ?

Au ton de la voix de Noah, il sut très bien qu'il avait compris ce qu'il voulait dire mais ne voulait pas le reconnaître. Il donna un coup de pied dans un caillou, frustré.

- Avec « Shelton », précisa-t-il avec agacement. C'est bon, j'ai compris, je t'ai vexé. Mais t'as bien vu la réaction d'Othilia tout à l'heure quand tu m'as appelé « Jules »... C'est bizarre...

- Bizarre pour qui ? Toi ou les autres ?

Le défi sous-jacent qu'il percevait cette fois dans les paroles de Noah, toujours de dos devant de lui, le fit hésiter avant de répondre.

- Je ne sais pas... Les autres, je suppose... marmonna-t-il.

Noah émit un « hum » qui ne voulait rien dire. Il aurait aimé voir son expression, mais le chemin était trop étroit pour qu'ils marchent côte à côte, et il posa sa main à plat contre la paroi rocheuse pour ne pas perdre l'équilibre. S'il basculait sur sa gauche, il tomberait dans le ruisseau qui continuait sa course toujours plus profondément sous terre. Le pente avait beau être douce, il n'aimait pas la sensation d'être sous la surface et le plafond bas n'aidait pas. Noah, qui était un plus grand que lui, devait presque courber la tête pour ne pas frôler la pierre.

- On est encore loin ?

- A peine une minute. Ne me dis pas que t'es claustrophobe en plus d'avoir le vertige ?

- Non, non, pas vraiment...

Il ne mentait pas. Les endroits clos ne l'avaient jamais dérangé outre mesure, mais il ne pouvait pas dire qu'il les appréciait non plus. Il ne dût de toute façon pas vraiment être convaincant car Noah s'arrêta brusquement et il manqua de lui rentrer dedans à cause du peu de lumière qui les entourait. Avant qu'il ne puisse s'excuser, il sentit quelque chose lui frôler la main. Il sursauta.

- Qu'est-ce que tu... ?

- Laisse-moi faire, je vais te guider.

Sa protestation mourut sur ses lèvres alors que Noah entrelaçait leurs mains ensemble, exactement comme le jour du match sous leur cape d'hiver. Aujourd'hui, la sensation n'était pas si différente : l'obscurité se chargeait de les cacher cette fois-ci, comme s'ils franchissaient une limite interdite qui ne devaient être vue par personne à part eux. Il avait l'impression que sa main le brûlait tant ses perceptions se réduisaient à la peau de Noah contre la sienne et à sa prise ferme.

L'un derrière l'autre, ils se remirent à marcher, liés par leurs mains jointes. Julian avait l'impression que son cœur avait doublé de volume et qu'il prenait trop de place dans sa poitrine... A moins que ça ne soit celle-ci qui ait rétrécie sous le coup de l'émotion. Il ne savait même plus s'il voulait lâcher la main de Noah ou s'y agripper plus fermement, coincé dans un entre deux étourdissant.

Finalement, au bout d'une minute qui s'étira horriblement, ils arrivèrent au bout du chemin. Le rocher se terminait par une grotte au plafond en forme de coupole. Le sol, en inversé, avait la même forme mais contenait une sorte de petit lac qui devait faire la moitié du hall d'entrée d'Ilvermorny, assez large pour qu'il ait du mal à voir l'autre rive de là où il se trouvait. Tout autour de l'eau, un rebord en pierre était préservé et il devait être possible d'en faire le tour facilement.

Julian scruta les murs, tentant de repérer un indice ou un quelconque signe qui rappelle le Rituel d'Ancrage, mais il faisait trop sombre pour qu'il distingue quoique ce soit. Et surtout, il n'arrivait pas à se concentrer sur autre chose que Noah qui lui tenait la main par Merlin...

- T'arrives à voir quelque chose ? demanda-t-il, la voix enrouée.

Il aurait voulu disparaître sous terre tant il devait paraître ridicule, mais il supposait qu'il y était déjà d'une certaine façon.

- Pas vraiment... Attends, on peut... Lumos !

La lumière de sort surgit, brusque et crue, et Julian ferma les yeux par réflexe le temps de s'habituer. Quand il les rouvrit, il put distinguer Noah comme en plein jour, si proche de lui qu'il recula instinctivement. Leurs mains se détachèrent et il laissa retomber son bras le long de son corps.

Ils se contentèrent de se faire face, silencieux. L'atmosphère était étrange ici, presque éthérée. Ils étaient coupés du monde et du reste d'Ilvermorny, personne ne pouvait les atteindre, et Julian eut l'impression de ressentir la fascination qu'il éprouvait depuis sa rencontre avec Noah exploser. La gorge sèche, il déglutit.

- Qu'est-ce qu'on fait là... ? souffla-t-il.

La question englobait tant de choses. Qu'est-ce qu'ils faisaient sous ce rocher, juste tous les deux, alors que tout le groupe aurait pu les accompagner ? Est-ce qu'ils allaient réussir à trouver quelque chose en rapport avec le Rituel d'Ancrage que décrivait Martha et sur lequel ils s'acharnaient depuis des semaines ? Qu'est-ce qui se jouait entre eux chaque fois qu'ils se retrouvaient seuls ?

Parce qu'elle était là l'ambiguïté. Pour Noah, rien ne semblait être sérieux : tout était un jeu, un défi à relever, une limite à dépasser. Il ne doutait de rien, à part peut-être qu'il y laisserait sa peau en essayant, et Julian ne s'était jamais reconnu dans le rôle de suiveur, mais il découvrait que pour ce genre de personnes, il était prêt à braver les interdits lui aussi.

- On ne fait rien, objecta Noah, les épaules tendues. On n'a rien fait.

Le « pas encore » implicite était si prégnant qu'il aurait pu le prononcer. Julian se mit à pianoter du bout des doigts contre sa jambe dans un geste nerveux.

- L'autre jour, avant les vacances... Pendant le match... ?

- Je pensais que tu ne voudrais pas en parler.

- Tu ne m'as pas demandé.

Noah le dévisagea. Une émotion indéchiffrable passa sur ses traits et il se mit à marcher, examinant les murs avec un intérêt feint. Julian le regarda faire, toujours figé sur place. A un moment, il se baissa et déposa sa baguette à terre de manière à éclairer toute la grotte, puis il se pencha vers le lac pour y tremper sa main.

- Viens voir, dit-il avec un mouvement de tête. L'eau est chaude. Je t'ai dit, elle prend sa source dans les montagnes et elle est glacée pendant tout son parcours, mais il y a une source de chaleur ici, encore plus profondément, et elle se réchauffe.

- Ca n'a rien à voir avec le match...

- Viens, allez.

Agacé, Julian obtempéra. Il se baissa à son tour et plongea sa main dans l'eau. Il faillit la retirer immédiatement : il ne s'était pas attendu à ce qu'elle soit si chaude, presque comme l'eau d'un bain. Noah sourit, amusé.

- Tu vois, dit-il, l'air fier de lui.

- C'est pas mal, admit Julian. Pas étonnant que les élèves viennent aussi.

- Oh ils viennent pour autre chose. (Cette fois son sourire se fit plus équivoque). Et ça fait tout autant monter la température tu me diras.

Le sous-entendu le frappa avec force et il sentit ses joues s'embraser. Il aurait dû s'en douter. Un endroit comme ça était aussi idéal que les placards de Poudlard. Priant pour que la lueur de sort ne soit pas assez forte pour que Noah distingue la rougeur de son visage, il répliqua sans prendre la peine de réfléchir :

- Et c'est pour ça que tu m'as emmené ici ?

- Ça dépend, riposta Noah, est-ce que c'est ce que tu voudrais ?

Merlin, le jeu prenait une pente glissante... Julian avait l'impression d'étouffer désormais.

- T'as vraiment aucune subtilité, lâcha-t-il, incrédule.

- Quoi ? Tu voudrais de la subtilité ? Je me suis trompé sur... ce qui se passe ?

Pendant une seconde, Noah eut l'air presque prêt à reculer, pris en faute, et il savait qu'il n'avait qu'à faire cesser l'ambiguïté entre eux et à mettre les choses au clair pour que le jeu cesse. Pourtant, il savait que s'il faisait ça, il perdrait Noah. C'était certain. Le début de relation fragile qu'il avait noué autour du dessin et de leur mère absente se fracturait et Noah se mettrait à agir avec lui comme il agissait avec tout le monde.

- Je ne sais pas... murmura-t-il. Je ne suis pas sûr de tout comprendre. Pendant le match, tu... tu m'as pris la main, pas vrai ?

- C'est toi qui le dit.

Il contracta la mâchoire de frustration. Rationnellement, il comprenait pourquoi Noah préférait rester vague. Ce n'était pas un sujet sur lequel on pouvait parler ouvertement et son cours de Droit magique lui brûla la mémoire : « L'homosexualité est désormais considérée comme un trouble mental par le Conseil National des Guérimages ». Il devait effectivement être détraqué avec le genre de pensées qui lui tournaient dans la tête à cet instant, face à face avec Noah. Il aurait voulu ignorer la force dans sa poitrine qui le poussait vers lui, qui faisait dévier ses yeux vers ses lèvres...

- Oui, je t'ai pris la main, reconnut soudain Noah et il s'empressa de redresser son regard, le cœur battant. Mais tu ne me l'as pris en retour... non ?

- Si...

L'aveu était sorti en une seconde, impossible à retenir. Noah parut soulagé.

- Alors ? insista-t-il en voyant qu'il n'ajoutait rien. Ça voulait dire quoi ?

- Honnêtement... ? Je ne sais pas si tu veux le savoir. Morgane, Jules, c'est interdit...

Le fait qu'il reconnaisse l'interdiction de ce qui était en train de se jouer entre eux lui fit l'effet d'un coup de poing. Il déglutit à nouveau avec difficulté.

- Je croyais que c'était parce que c'était interdit que t'aimais briser les règles ?

- En partie... admit Noah en passant une main dans ses boucles noires, agité. Mais ça a peut-être aussi un rapport avec toi.

- Moi ?

- Tu veux vraiment me le faire dire, hum ?

Oui ! voulut-il crier. Il voulait que Noah pose les mots qu'il était lui-même incapable de trouver pour désigner ce qui se passait, là, maintenant. Ses jambes commençaient à protester à force de rester baisser près de l'eau si longtemps, mais il n'osait pas bouger. Il ne voulait pas que Noah se dérobe, ni se donner la possibilité à lui aussi de le faire. Autour d'eux, les lueurs en clair-obscur plongeaient la grotte dans un univers en dégradé qui suspendait le temps et découpait le profil de Noah en deux. Ses boucles noires prenaient des reflets presque gris à cause de la lumière crue. Sur le sol dansaient des tâches et des ombres qui se mêlaient à chacun de leur mouvement et, le souffle bloqué par l'attente, il se concentra sur le lac rendu brillant par endroits, comme s'il scintillait, perlé de centaines de cristaux de lumière.

- Jules, sérieux, soupira Noah après quelques secondes. Si tu ne te barres pas maintenant, je vais faire quelque chose qu'on va regretter...

- Quelque chose comme quoi ?

C'était une provocation. Il savait très bien ce dont Noah parlait et il baissa encore une fois les yeux vers ses lèvres entrouvertes, paralysé. Il aurait voulu que Noah se décide à combler la distance entre eux, juste pour connaître la sensation qu'un baiser avec lui aurait. Il en mourrait d'envie par Merlin. C'était comme si son cerveau n'arrivait plus à lui rappeler les raisons de refuser.

- Arrête de poser des questions stupides, Jules, s'exaspéra-t-il. Si tu veux dire un truc, dis-le toi-même.

- Mais c'est justement le problème ! Je... je ne sais pas... Ca fait des semaines que ça dure... Tu...

Les mots s'emmêlèrent, se bousculèrent, trébuchèrent... Il inspira un souffle haché, déboussolé, et tenta de réajuster sa position, la jambe douloureuse. En un instant, il sentit le sol se dérober sous lui et il battit des bras avec déséquilibre. Un éclair de surprise passa sur le visage de Noah. Il tendit le bras et sa main se referma sur son poignet au moment même où Julian sentit l'eau lui mordre la jambe et il laissa échapper une exclamation de surprise.

- Merlin, jura-t-il.

- Bon sang, qu'est-ce que tu fous ?

- Je prends un bain de minuit, ça se voit pas ? répliqua-t-il, acide, toujours incapable de retrouver son équilibre, une jambe dans l'eau et l'autre encore posée de façon étrange sur le rebord.

- Il est même pas quinze heures.

La réponse de Noah, goguenarde, alluma une étincelle de rébellion en lui. Il plongea sa main libre dans l'eau et lui envoya une éclaboussure en pleine figure. Noah recula instinctivement.

- Bordel Jules !

Dans son mouvement, il l'avait évidemment lâché. Julian aurait dû le prévoir. Sans ancrage, il perdit complètement l'équilibre et, en une fraction de seconde, il bascula en arrière avec horreur. L'eau se referma sur lui. Le lac sous-terrain devait être profond car il ne sentit aucun fond sous ses pieds et il battit des jambes pour crever la surface, avalant une goulée d'eau au passage. Il se mit à tousser en même temps que Noah éclatait de rire.

- Tais-toi, gronda-t-il, mort d'embarras en rejoignant le bord à la nage.

- Oh Morgane, je n'ai jamais autant voulu que Liam et son appareil photo soit là !

- C'est ça... Aide-moi à sortir de là !

Mortifié, il s'agrippa au bord et la pierre s'enfonça douloureusement sous ses paumes. Au moins, l'eau n'était pas désagréable. Elle était même tiède et l'enveloppait dans une chaleur réconfortante qui lui collait à la peau tout autant que son uniforme trempé. Le surplombant depuis la berge, Noah continuait à rire.

- Y'a pas à dire, Shelton, tu sais briser une ambiance, s'amusa-t-il.

- Noah...

- Elle est bonne au moins ?

Dans un coin de son esprit, Julian se dit que Matthew aurait trouvé une remarque de mauvais goût à sortir dans ce genre de situation, comme « moins bonne que ta mère », mais il n'était pas prêt à faire pareil.

- T'as qu'à venir, tu le sauras, répliqua-t-il avec ironie en battant des bras pour se maintenir à la surface. Sérieusement, ce n'est pas drôle, aide-moi à...

Il s'étrangla tout seul. Noah avait visiblement pris la plaisanterie acerbe pour un vrai conseil et se débarrassait de sa cape, une lueur triomphante dans le regard. Il n'eut pas le temps de protester que Noah s'était déjà replacé au bord du lac avant de se laisser glisser dans l'eau avec un légère pression des jambes. Il disparut sous la surface une seconde. Julian le regarda faire, incrédule, et se débattit un peu plus à cause des vagues que son entrée dans l'eau avait entraîné.

Il se mit à lui crier dessus dès que Noah émergea à nouveau, ses boucles noires plaqués contre son front.

- Mais qu'est-ce que tu fous toi ? invectiva-t-il, à moitié sonné. T'es complètement fou ! On devait chercher des indices du Rituel et toi tu...

- Milles gorgones, Jules, arrête de penser deux minutes ! Profites !

- Profites ? De quoi ? D'être tombé dans un lac tout habillé ?

- Si tu ne veux pas de tes vêtements, ça peut s'arranger.

Il manqua d'avaler une nouvelle goulée d'eau sous le coup de la surprise. Les yeux écarquillés, il mit trois battements de cœur affolé à comprendre que Noah ne faisait que se moquer de lui alors qu'il éclatait de rire. Julian sentit son embarras remonter en flèche. Plus que tout, leur conversation avant leur baignade improvisée lui revint brutalement en pleine face et il se retrouva sans voix. Noah parut percevoir son changement d'attitude car son sourire s'effaça lentement.

L'atmosphère se chargea d'ambiguïté à nouveau, encore plus forte que tout à l'heure. Julian ne voulait même plus mettre le rythme erratique de son cœur sur le compte de l'adrénaline qui l'avait envahie à cause de sa chute. L'envie était revenue : elle courrait dans ses veines, lui hérissait la peau et pulsait au creux de sa poitrine. Il en avait la tête qui tournait.

Incapable de se retenir, il se laissa dériver vers Noah qui le rejoint dans une brasse empressée. Ils s'accrochèrent l'un à l'autre pour se maintenir à flot. Littéralement.

- Jules...

Son nom sembla résonner en écho, comme un secret chuchoté, contre les parois de la grotte. Noah était partout, pareil à l'eau qui l'entourait : il lui tenait les épaules et entremêlaient leurs jambes sous la surface, là où personne ne pouvait voir leur proximité, ni leur corps portés par le courant, si proches l'un de l'autre qu'il pouvait sentir chacun de ses mouvements. La pression qui lui oppressait la poitrine était devenue douloureuse... Il avait envie de quelque chose dont il n'avait jamais eu envie auparavant.

Il ne devait plus réussir à maîtriser son expression, ni le désir qui l'habitait, car Noah le dévora soudain du regard et un long frisson lui remonta la colonne vertébral. Et alors enfin...

Noah combla la distance qui les séparait, à peine un souffle moite entre eux. Ses lèvres se posèrent sur les siennes, hésitantes et fermes, presque brûlantes à cause de la chaleur qui ne cessait de l'envahir par vagues littérales, ballotant son corps et ses émotions dans tous les sens. Il avait l'impression que l'apesanteur n'avait plus aucune prise sur lui... C'était le cas dans un sens. Il ne pesait plus rien dans l'eau et Noah n'eut qu'à descendre sa main autour de sa taille pour les rapprocher un peu plus, leurs hanches s'entrechoquant ensemble.

Ils perdirent le rythme une seconde, incapable de se maintenir au-dessus de la surface en s'embrassant, et Julian ressortit à regret une main de l'eau pour se tenir au bord, les ancrant dans une étreinte plus stable. Noah fondit à nouveau sur ses lèvres.

La sensation était grisante. Elle lui volait son souffle et ses pensées. Ses perceptions se réduisaient à Noah qui était partout autour de lui, dont les lèvres se mouvaient contre les siennes, réclamant l'accès à sa bouche dans un désir mêlé d'envie. Il émit un bruit de gorge et la prise de Noah se resserra contre sa hanche alors qu'il penchait un peu plus la tête, accentuant la ferveur de ses lèvres. A cause de leur instabilité, ils faillirent repasser sous l'eau, mais Julian força sur son bras pour les ancrer au bord. Ils reprirent leur souffle une seconde, puis il réclama à nouveau la bouche de Noah, humide et chaude, peu familière mais si enivrante.

Julian n'avait jamais brisé aucune règle de sa vie... Mais si transgresser la loi faisait cet effet-là, alors il voulait bien finir emprisonné pour le restant de ses jours. C'était impossible que des gens aient décidé que ce qu'il était en train de vivre n'était pas moral.

Et il savait qu'il faudrait un jour retourner à la surface : pas celle de l'eau, celle au-dessus de la terre, au-dessus du rocher, là où l'attendaient la réalité prête à le juger pour le crime qu'il venait de commettre. Mais pour l'instant, il embrassait Noah Douzebranches et il ne voulait penser à rien d'autre.  

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Alors ? Vous l'aviez vu venir ça ? *rire diabolique* 

Bon plusieurs choses sur ce chapitre : 

- Le début avec l'histoire familiale de Isolt Sayre est canon : elle avait bien deux fils adoptifs et deux filles biologiques avec son mari. L'une d'elle, Martha, était Cracmol. 

- Le Nolian maintenant ! Le premier baiser peut paraître prématuré, mais j'ai plusieurs justifications à cela. Le Nolian n'est pas le Simoria déjà, je ne pouvais pas attendre 3 tomes pour entamer la relation mouahaha. Julian et Noah, avant d'avoir une connexion plus sentimentale/mentale, ont une attirance physique indéniable. C'est une sorte de fascination qui s'exerce depuis des mois et qui se concrétise aujourd'hui. Ca ne veut pas dire que le chemin n'est pas encore long pour eux... Croyez-moi ! Ce baiser n'est pas une mise en couple, mais la mise en branle d'un processus entre eux. Après, ça ne veut pas dire que vous ne pouvez pas fangirler haha ! 

- J'espère que ce chapitre n'aura pas été trop confus pour vous... ? Les explications du début sur le Rituel d'Ancrage peuvent un peu embrouillés, j'en ai conscience, mais j'ai essayé d'être le plus claire possible. Quant aux dialogues entre Julian et Noah, je suis restée volontairement floue : aucun n'arrive à poser les mots ou ne veut être celui qui arrêtera de tourner autour de la vérité, d'où l'aspect un peu décousu peut-être. Est-ce que ça a été quand même pour vous niveau compréhension ?

- Et enfin je vous jure que le coup du "ils plongent dans l'eau" a été écrit avant le fameux chapitre de Perri sur le Simoria, genre quand on a découvert qu'on avait fait un peu la même chose on étai morte de rire. L'Hydre en action haha ! 

Prochain post : chapitre 31 - lundi 6 décembre 

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