Chapitre 3 : New York, New York
« Figurez-vous qu'elle était debout leur ville, absolument droite. New York c'est une ville debout »
- Louis-Ferdinand Céline -
// 1er septembre 1979 //
Le Nouveau Monde. C'étaient les derniers mots que lui avait adressé la directrice Hicks, juste avant de transplaner sur le perron de sa grand-mère Jeanne. Et c'est sur ce même perron que Julian avait dit adieu à son Ancien Monde ce matin même, le 1er septembre 1979. Il aurait dû être dans le Poudlard Express aujourd'hui. Il aurait dû passer la barrière à King's Cross et traversé le quai 9 ¾, retrouvé ses amis de Serdaigle.
Au lieu de ça, il avait laissé l'Ancien Monde derrière lui.
- Vous ferez attention, hein ? Aux Amériques ? Avait articulé grand-mère Jeanne, la gorge serrée par l'émotion. Ethan ? Tu feras attention aux enfants, n'est-ce pas ?
- Oui maman... Et toi ? Ça ira, toi ? Si tu as besoin, tu as juste à m'appeler, j'essayerai d'avoir un téléphone là-bas... Et... je ne sais pas, mais fais attention et lis les nouvelles dans le journal. Tu-Sais-Qui pourrait s'en prendre aux moldus dans les campagnes...
Julian avait trouvé ça riche qu'il propose son aide à la dernière minute, juste avant de partir comme un voleur. Ce n'était pas comme si son père était resté enfermé dans son bureau pendant des semaines à faire son deuil, puis les semaines encore suivantes à préparer leur déménagement, porte close. C'était lui qui avait dû s'occuper des cartons, de sa sœur, de jeter les sortilèges de protection autour de la maison de grand-mère Jeanne avec la baguette de son père en espérant que le Ministère n'y regarde pas de trop près.
- Ne t'en fais pas pour moi, l'avait-elle rassuré. J'ai survécu aux nazis, ce n'est pas votre mage noir qui m'aura. Occupe-toi des enfants !
Malgré la confiance de sa grand-mère, Julian savait ce que Tu-Sais-Qui et ses mangemorts pouvaient faire. Ce n'étaient pas ses talents magiques qui avaient protégé sa mère le jour de sa mort, et Jeanne Shelton, toute moldue et déterminée qu'elle était, ne pourrait pas les arrêter s'ils décidaient de marquer sa maison de leur marque des ténèbres.
- Et prenez soin les uns et des autres. Faites attention.
Désormais de l'autre côté de l'Atlantique, la tête posée contre la vitre fraîche du taxi jaune qui traversait les rues new-yorkaises, Julian battit des cils pour chasser les larmes qui lui montaient aux yeux en repensant à l'inquiétude de sa grand-mère. Au moment de partir, elle l'avait serré si fort contre elle qu'il avait senti ses côtes protester, mais il l'avait laissé faire, conscient que c'était sans doute la dernière fois avant un moment. Les pleurs qui maculaient son visage ridé se reflétaient sur celui de Charlotte qui hoquetaient, étranglée par les sanglots.
Plusieurs heures plus tard, elle avait arrêté de pleurer mais restait prostrée à côté de lui en regardant par le parebrise en face d'elle le trafic dense de la Grosse Pomme. Julian ne pouvait pas lui en vouloir. Tout lui paraissait fascinant, derrière cette barrière en plexi glace. Les gens arpentaient les trottoirs à toute vitesse en slalomant entre les touristes et leurs appareils photos. Les vêtements aux couleurs fluos et les coupes de cheveux crépues se mêlaient aux costumes trois pièces des banquiers d'affaires. Et puis évidemment il y avait les gratte-ciels qui paraissaient indestructibles ; ces tours de verres et d'aciers qui surplombaient la ville, masquant presque le ciel. New York était autant le symbole d'un pays démesuré que Londres était un témoignage de l'histoire d'un pays qui l'avait été.
Le taxi continua de rouler et passa par Time Square dont les lumières des néons s'imprimèrent derrière les rétines de Julian et il cligna des yeux, déboussolé. A l'avant, son père regardait nerveusement la route devant lui, tout aussi perdu, et il se demanda ce que ça lui faisait de se prendre le monde extérieur si brutalement en pleine face après des mois enfermé dans son « laboratoire ». Cette rancœur qu'il avait appris à reconnaître se réveilla une seconde, mais Julian l'ignora comme d'habitude et reprit sa contemplation par la vitre.
Petit à petit, le chauffeur de taxi, un homme d'une cinquantaine d'année au front dégarni commença à quitter les grands axes en longeant Central Park et ils s'engagèrent dans des quartiers plus résidentiels où la pierre remplaça le verre. Le bras négligemment posé sur le rebord de fenêtre, sa troisième cigarette coincée entre les dents, il appuya sur un bouton pour lancer la musique. Le silence devait commencer à être pesant pour lui aussi. La radio crachota une seconde avant que It's a Heartache, de Bonnie Tyler, ne résonne dans l'habitacle. Julian laissa échapper un rire amer devant l'ironie du titre et Charlotte tourna la tête vers lui.
Elle avait encore les yeux rouges mais ses joues avaient repris des couleurs.
- J'ai l'impression de juste partir en vacances, avoua-t-elle doucement en jouant avec la chaîne de son collier. Qu'on sera de retour à la maison la semaine prochaine et que je pourrais tout raconter à Leah...
Leah était sa meilleure amie et Julian ne comptait plus le nombre de soirées pyjamas où il avait dû taper contre le mur pour faire cesser leurs gloussements. Elle était venue dire au revoir à Charlotte le week-end dernier avec une partie de l'équipe de Quidditch de Poufsouffle et elles s'étaient promis de se revoir à noël, s'ils pouvaient revenir en Angleterre.
- Tu la reverras, assura-t-il, même si intérieurement il n'en savait rien. Ce n'est qu'un océan après tout.
Elle se mordit la lèvre et tira un peu plus sur son collier, l'air peu convaincu.
- Ça ne va pas te manquer toi ? Murmura-t-elle pour que le chauffeur de taxi ne l'entende pas par-dessus la musique. Poudlard ? Ta salle commune ? Matthew et Hanna ?
Le cœur douloureux, la vision de sa salle commune aux étoffes de soie bleues et bronzes, au dôme parsemé d'étoiles, et à la grande bibliothèque nichée dans l'alcôve de Rowena Serdaigle s'imposa dans son esprit. Avec Matthew Bones, son meilleur ami à Gryffondor, il avait passé des heures à discuter et à faire des parties d'échec dans les fauteuils moelleux de la salle d'étude sous la plus grande fenêtre qui donnait sur les montagnes écossaises.
Matthew et lui étaient tout de suite devenus amis, dès le jour de la répartition à leur arrivée à l'école. Ils étaient tous les deux travailleurs, bons joueurs d'échec, et passionnés par l'exploration du château. Les premières semaines, ils s'étaient amusés à arpenter le labyrinthe des couloirs ou à se retrouver coincés sur les escaliers mouvants. Matthew, qui venait d'une famille de sang-pur juriste assez vieille école, avait adoré la liberté qu'offrait Poudlard ; et Julian, pour cette première année-là du moins, avait pu penser à lui sans s'inquiéter pour Charlotte.
La deuxième semaine des vacances de noël de cette première année, il avait même passé un week-end chez les Bones. Il avait fait la rencontre d'Edgar Bones, le père de Matthew, un homme impressionnant à la pipe toujours calée entre les mâchoires ; Spencer, le jeune frère toujours dans leurs jambes ; et la mère de Matthew, Cassie, une femme à l'esprit tranchant et bienveillante. Cette immersion dans un univers traditionnel entièrement sorcier lui avait fait prendre conscience de la modernité de leur propre mode de vie à la maison. Malgré le statut sang-pur de sa mère qu'elle détestait évoquer, leur père avait réussi à faire entrer au sein de leurs murs les innovations techniques avec lesquels il avait grandi en tant que né-moldu. Si les lumières de sort et les flammes des lampes à pétrole amplifiées par magie avaient été amusantes pour un week-end, il était resté bien content de retrouver l'électricité en rentrant.
Concernant Hanna, il avait horreur de l'admettre, mais il ne pouvait pas s'empêcher de ressentir un certain soulagement. Ils avaient commencé à sortir ensemble au retour des vacances de noël de cette année après avoir été camarades de classe à Serdaigle depuis leurs onze ans. Hanna Faucett était une fille intelligente et pleine de vie, il s'entendait avec elle comme avec Matthew ; mais il ne savait pas s'il était amoureux d'elle. Il n'était même pas sûr de savoir ce que ce mot signifiait. Il avait vu beaucoup de personnes amoureuses dans sa vie : sa grand-mère Jeanne, qui regardait avec la même tendresse nostalgique le portrait de son défunt mari décédé pendant la guerre en 1944 alors que son père avait onze ans; ses parents évidemment, qui disaient souvent qu'ils s'étaient sauvés l'un l'autre sans que Julian comprenne réellement ce qu'ils voulaient dire par là ; et les couples de Poudlard, comme James Potter et Lily Evans, deux septième année qui avait fini leurs études il y a un an et sur qui il n'aurait pourtant pas misé au départ.
Quand son père lui avait annoncé leur déménagement, Julian avait quand même envoyé une lettre à Hanna pour la mettre au courant. Il n'avait même pas eu le temps de la revoir, puisqu'elle passait les deux mois d'été en Grèce, et honteusement il était plus soulagé qu'attristé. Il devait déjà gérer les pleurs de Charlotte, il n'aurait pas eu la force de la consoler elle aussi.
- Ju' ? L'interpella Charlotte, le ramenant sur terre.
- Désolé, marmonna-t-il en secouant la tête. Euh... si, si évidemment que ça va me manquer...
Sa sœur le regarda d'un drôle d'air, mais parut comprendre qu'il n'avait pas envie de s'étendre sur le sujet. Elle soupira en reportant une fois de plus son attention dehors où une famille moldue avec une poussette traversait au passage piéton sous le regard torve de leur chauffeur, impatient.
- J'pensais pas que c'était si grand, New York, commenta Charlotte, en mordillant la chaîne de son collier. On doit aller jusqu'où comme ça ?
- Jusqu'à... Carnegie Hill dans l'Upper East Side, répondit leur père à l'avant, la carte sur les genoux. C'est là qu'ils vivent d'après la lettre d'Isadora.
- Mais tu les as déjà vu, papa ? Les Grims ?
Son ton avide trahissait la curiosité que Julian ressentait depuis des semaines. Leur père croisa leur regard dans le rétroviseur et dû le lire sur leur visage.
- Non, répondit-il après une brève hésitation. Non, jamais. Ils ne sont pas venus à notre mariage, ni pour votre naissance. Votre mère ne voulait pas les prévenir de toute façon. Je n'ai jamais su toute l'histoire, mais je crois qu'Aurélia ne s'entendait pas avec sa sœur, Cordelia. Elles se sont disputées pendant des années et le reste de la famille s'est rangé à la cause de Cordelia si j'ai bien compris. Votre mère a finalement pris la décision de partir en Angleterre quand on lui a proposé un stage d'historienne deux ans après ses études pour s'éloigner d'eux.
- Et elle n'est jamais rentrée...
Leur père sourit tristement.
- C'est vrai. Elle l'a décidé définitivement quand on s'est mariés.
- Le 13 août 1959, dit Julian à voix basse.
Il connaissait la date par cœur pour l'avoir vu toute sa vie, gravée dans le bois du chambranle de l'entrée, dans leur appartement londonien. C'était sa mère qui l'avait fait de la pointe de sa baguette lorsqu'ils l'avaient acheté quand il avait un an.
Après ça, Charlotte sembla renoncer à poser des questions et s'enfonça dans son siège. Leur chauffeur alluma sa quatrième cigarette, enfumant l'intérieur du taxi, puis s'engagea dans une longue rue bordée d'arbres où les immeubles immenses en grès et aux façades percées de hautes fenêtres en fer côtoyaient les demeures grand siècle, vestige d'une autre époque.
Julian se demanda à quoi pouvait bien ressembler les Grims. Il n'avait jamais vu de photos d'eux, c'était à peine s'il connaissait leur nom. Sa grand-mère Isadora avait été la seule à communiquer avec son père pour préparer leur arrivée et il en avait déduit qu'elle devait être une sorte de cheffe de famille. Tous les Grims vivaient dans le quartier de Carnegie Hill, près de Central Park, dans une même maison qui était dans la famille depuis des générations. Quand son père lui avait indiqué l'endroit sur une carte, Julian avait haussé un sourcil. Il ne connaissait peut-être pas grand-chose au prix du marché newyorkais, mais il ne fallait pas être agent immobilier pour se douter du coût exorbitant d'un bien pareil. A moins que le dit bien ne soit pas référencé chez les moldus et appartienne exclusivement au monde sorcier, ce qui n'était pas impossible vu son ancienneté.
Julian avait tenté de faire des recherches sur les lieux sorciers à New York, mais il avait trouvé peu de documents dans les affaires de sa mère. La seule carte qu'il avait trouvée indiquait qu'une partie de Central Park était un territoire de Doxy et que le Woolworth Building, au cœur de Broadway, abritait le congrès américain sorcier, le MACUSA, depuis 1893. La gare de Grand Central constituait également un passage vers un quai dissimulé qui permettait de se rendre à Ilvermorny au Massachussetts.
Ce manque de développement s'expliquait avant tout par le caractère récent de la société sorcière américaine. Pendant des siècles, les sorciers avaient vécu aux quatre coins du pays, dans des espaces éclatés. Ils avaient été longtemps persécutés et traqués aussi bien par les moldus, dont les procès de Salem était le symbole, que par d'autres sorciers corrompus qui pourchassaient leurs semblables pour l'appât du gain, les Ratisseurs.
Cette peur incessante d'être découvert avait poussé les sorciers américains à ne jamais se figer quelque part. Leurs institutions, notamment le siège du MACUSA, n'avait pas cessé de bouger au cours du temps. La loi Rappaport en 1790 et sa ségrégation entre moldus et sorcier avaient fini de forger cette spécificité américaine.
Par peur que le secret du monde magique soit révélé, les pouvoirs publics avaient même refusé de créer des lieux dédiés uniquement aux sorciers, ce que Julian avait trouvé paradoxal étant donné qu'ils n'avaient déjà pas le droit de se mêler aux moldus et qu'en plus ils ne pouvaient pas se retrouver entre eux. C'était pour cela que New York comptait une multitude de bars et de cafés clandestins cachés aux moldus, tenus par des sorciers, et dont l'emplacement s'était fait connaître grâce aux bouches à oreille.
- Arrête de penser, lança soudain Charlotte.
Surpris, il manqua de sursauter et son esprit mit une seconde à se reconnecter au monde autour de lui.
- Quoi ?
- Je te regarde depuis dix minutes et tu fais ta tête, dit-elle, amusée.
- Quelle tête ? Je fais pas « de tête », protesta-t-il.
Charlotte se tourna de trois quarts pour lui faire face, son sourire de petite sœur agaçante aux lèvres. Il se retint de la repousser en arrière.
- Si ! Affirma-t-elle. Je suis sûre que tu récites intérieurement tout ce que t'as eu le temps de lire sur les Etats-Unis. Pour avoir l'impression de maîtriser.
Malheureusement, elle avait raison, même si en vérité il n'avait pas eu le temps de lire grand-chose en un mois avec tout ce qu'il avait eu à faire. A peine deux livres.
- Tais-toi, maugréa-t-il malgré tout.
Charlotte eut un rictus supérieur et tira à nouveau sur la chaîne de son collier. Il lui donna une tape sèche sur les doigts.
- Arrête, tu vas le casser, prévint-il.
- Il est déjà cassé...
Là encore, elle n'avait pas tort. Son collier, une horloge imbriquée dans un cœur ouvragé en or suspendu à une simple chaîne dorée, avait appartenu à leur mère. Julian ne l'avait jamais vu sans, à part le jour de sa mort. Elle l'avait oublié à la maison. La petite horloge à l'intérieur du cœur n'avait jamais fonctionné et les aiguilles étaient restées bloquées sur 23h48.
- Je veux dire la chaîne, précisa-t-il.
- Hum, fit-elle, peu convaincue. C'est encore long ?
- C'est l'heure de pointe à New York, il y a juste pas mal de trafic. Essaye de dormir ?
- J'ai dormi 5h dans l'avion.
Julian grimaça. Il n'avait jamais pris l'avion avant aujourd'hui et il n'était pas pressé de renouveler l'expérience. Les secousses lui avaient semblé interminables, sans parler de ses oreilles qui sifflaient encore à cause de leur passage en altitude. Pendant l'atterrissage, il s'était fait la promesse que si un jour il devenait chercheur en sortilège, il essayerait d'inventer un portoloin qui traverserait l'Atlantique. Et il écrirait une lettre ouverte au MACUSA pour que les étrangers tout juste débarqués sur le sol américain puissent emprunter une cheminée ou un portoloin même sans s'être rendu à l'Ambassade au lieu de prendre un taxi coincé dans les embouteillages.
- Je ne sais pas, Lottie, soupira-t-il finalement. Compte les arbres.
Elle leva les yeux au ciel, puis se tourna à nouveau vers lui. Il sut qu'elle allait lui demander quelque chose rien qu'à son expression de bébé veau-de-lune.
- Ju', tu me racontes l'histoire de maman ?
- Lottie...
- S'il te plait ! Tu la racontes trop bien !
Pas aussi bien que maman, songea-t-il avec une pointe de tristesse. Il ne savait même plus quand est-ce qu'elle avait commencé à leur raconter l'histoire du Cercle des Animaux, comme ils l'avaient baptisée avec le temps. C'était un petit conte, ni tout à fait sorcier ni tout à fait moldu, qu'Aurélia avait inventé pour les endormir le soir.
- Il était une fois...commença-t-il d'une voix résignée.
- « Il était jadis », corrigea Charlotte mécaniquement. Maman aimait bien faire dans l'original.
- Alors que la convention poétique d'un conte devrait être...
- Ju' ! L'histoire !
- Oui, pardon... Il était jadis cinq animaux. Tous différents mais unis par un but, ils formaient un Cercle, une égalité parfaite, une harmonie au cœur de la forêt argentée. Il y avait un corbeau qui aimait voler au-dessus des cimes. De tous temps et de toutes circonstances, le corbeau restait au côté de son meilleur ami le rouge-gorge. Le petit oiseau frêle n'était pas originaire de la région et trouvait refuge auprès de la protection du corbeau. L'un téméraire, l'autre prudent, ils volaient côte à côte et exploraient la forêt. La famille du corbeau ne voyait pas d'un très bon bec cette amitié, mais il la tolérait. Le frère du corbeau se joignait parfois à eux. A ce trio étrange se joignit bientôt deux autres animaux : un puma, fort et courageux, et un perroquet aux couleurs chatoyantes. Si les quatre oiseaux voyageaient dans les airs, le puma, lui, arpentaient le sol de la forêt argentée pour prévenir le danger. Un jour, le Cercle des Animaux entendit parler d'un objet magique : un objet si ancien qu'il aurait appartenu à un voyageur, un véritable fondateur de pays lointains, dont le symbole magique aurait été perdu dans les bois. Conscients de l'enjeu que représentait cet objet, les animaux se mirent à le chercher avec acharnement. Le puma parcouraient des lieux entiers chaque jour tandis que les oiseaux écumaient le ciel. Ils en oublièrent le reste, leur famille et les autres animaux de la forêt qui ne pouvaient les approcher tant le Cercle se consacrait à sa recherche. Un jour fatidique, les cinq amis se séparèrent en deux groupes : les frères corbeaux et le puma se rendirent près d'un arbre sacré aux propriétés extraordinaires selon la légende, tandis que le rouge-gorge et le perroquet suivirent un cours d'eau qui s'enfonçaient sous terre dans une grotte obscure.
- Ténébreuse, murmura Charlotte.
Coupé dans son élan, Julian cligna des yeux. Il hocha la tête pour lui accorder le point et reprit son récit :
- Une grotte ténébreuse, oui, dit-il. Le rouge-gorge et le perroquet ne trouvèrent rien, ils voletèrent près des parois sans trouver le mystérieux objet magique, la couleur de leur plumage à peine visible dans le noir de la grotte. Au contraire, le puma et les frères corbeaux crurent enfin découvrir ce qu'ils désiraient tant. L'arbre avait bien des propriétés étranges et semblait l'endroit parfait pour accueillir en son sein un tel objet. Téméraire, peut-être trop, le puma bondit sur l'arbre sous les avertissements des corbeaux. Impuissants, ils ne purent que voir leur ami subir le mauvais sort que réservaient les protections de l'arbre à ceux qui tentaient de s'emparer de l'objet sans connaissance. Sans vie devant eux, le puma avait succombé à sa soif de pouvoir. Alertés par les croassements de leurs amis aux plumes noirs, les oiseaux colorés accoururent...
- S'ils volent, est-ce qu'on peut dire qu'ils accourent ? Coupa soudain leur père à l'avant du taxi.
D'un même mouvement, Julian se retourna vers lui avec Charlotte. La question était si pragmatique, si terre-à-terre, qu'il en resta muet sur le coup avant de réaliser que la remarque n'était pas si bête. Quand leur mère leur racontait l'histoire, il ne s'était jamais posé la question et un doute s'immisça au fond de son esprit. S'il ne l'avait jamais remarqué, c'était peut-être parce que ce n'était pas le mot qu'elle employait... Avait-il confondu ? Comme avec obscure et ténébreuse ? A la simple idée d'oublier ce qu'elle lui avait pourtant raconté une centaine de fois pendant son enfance, il fut pris de panique.
- Maman disait accourir, je crois, dit Charlotte en fronçant les sourcils. Mais c'est vrai que c'est bizarre...
- Les oiseaux peuvent marcher, intervint le chauffeur de taxi avec un fort accent américain. C'est possible, non ?
Cette fois, les trois Shelton le dévisagèrent et Julian retint un éclat de rire. Si même leur chauffeur s'y mettait...
- Peu importe, s'impatienta Charlotte. Continu, Ju' !
- Ah... Euh oui, balbutia-t-il en essayant de reprendre le fil de l'histoire. Donc... Le rouge-gorge et le perroquet arrivèrent sur les lieux. Ils pleurèrent tous leur ami à quatre pattes, si brave et courageux, avant que la réalité ne les rattrape. Les autres animaux de la forêt allaient bientôt se réveiller et découvrir la mort de ce noble animal. Le blâme retomberait sur eux car après tout ils l'avaient entraîné dans leur quête insensée. Que faire ? Il fallait faire passer la mort du puma pour un accident... Mais qui aurait pu vaincre cette montagne de courage et de muscles ? Seul l'ours aurait peut-être pu y parvenir. Les quatre oiseaux se mirent alors à lacérer le corps de coups de bec et de coups de griffes pour faire croire à une attaque d'ours. Le lendemain, les animaux de la forêt découvrirent le puma et lui rendirent hommage, sans jamais se douter de la supercherie. Mais cette aventure ne fut pas sans conséquence. Les quatre animaux du Cercle se séparèrent, rongés par leur secret : les frères corbeaux s'exilèrent chacun à un bout de la forêt, le rouge-gorge resta au même endroit et décida d'honorer la mémoire de son ami défunt. Le perroquet, cet oiseau de paraître qui aimait faire le spectacle devant les autres, fut traumatisé par cette tragique soirée. Il en perdit son éclat et arrêta de chanter. Encore aujourd'hui, on raconte que l'objet magique serait toujours dans la forêt...
Sa voix s'éteignit et seule la chanson qui passait à la radio emplit l'habitacle. Julian coula un regard en direction de sa sœur. Elle s'était remise à jouer avec son collier, la tête contre la fenêtre et un petit sourire nostalgique jouait sur ses lèvres. Le simple fait d'avoir réussi à la faire sourire l'apaisa.
- Arrête avec ton collier, admonestera-t-il.
Avant même que Charlotte ait pu dénouer ses doigts entremêlés, le taxi freina brusquement et ils manquèrent d'être projetés en avant. Instinctivement, Julian tendit le bras pour retenir sa sœur.
- Désolé, s'excusa leur chauffeur. Vous avez dit le n°6 ?
- Oui... Oui c'est ça, confirma Ethan en scrutant la carte. Le n°6 sur 91th Street
- Bah y'a pas de n°6, m'sieur. On est devant le n°4 et ça passe au n°8 ensuite...
- Oh... Oui, j'ai dû... j'ai dû me tromper. On va se débrouiller ici.
- Vous êtes sûr ?
- Certain. Merci beaucoup.
Sans attendre, il tendit un billet de cinquante dollars au chauffeur et leur fit signe de descendre. Julian ouvrit sa portière et se retrouva sur le trottoir, son sac à dos sur l'épaule. C'était le seul bagage qu'il avait gardé avec lui pour le voyage, histoire de conserver au moins sa baguette et quelques affaires. Le reste de leurs valises avait été envoyé la veille de leur départ chez les Grims.
Le taxi s'éloigna avec un signe de la main et un « ces anglais... » sonore.
- Alors ? Dit Charlotte. On toque à quelle porte si le n°6 n'existe pas ?
- Il existe, contredit son père. Mais pas pour les moldus. Avancez un peu tous les deux.
Julian regarda devant lui, incertain. Techniquement, le chauffeur avait eu raison. Les façades brunes des immeubles s'alignaient, séparées du trottoir seulement par de petites allées délimitées par des grilles en fer ouvragé. De ce côté de la rue, les numéros pairs se succédaient, même si le n°6 manquait effectivement à l'appel. Mais si Julian avait appris quelque chose en grandissant entre deux mondes, c'était que les apparences pouvaient être trompeuses du point de vue moldu.
A la suite de Charlotte, il entra dans la petite allée juste devant eux. Dès qu'il passa les grilles, la façade parut se transformer sous ses yeux. Le changement se produit si vite, comme s'il avait franchi un voile invisible, qu'il vit flou un instant. Là où une seconde auparavant deux immeubles mitoyens bordaient la rue, une maison était désormais intercalée entre les deux. Ses murs ne touchaient aucun des deux immeubles : deux bandes d'herbe, de part et d'autre de la maison, l'entouraient et laissaient deviner un jardin à l'arrière.
La maison en elle-même semblait bien plus ancienne que les deux immeubles. Sa pierre de grès, bien qu'identique, était plus patinée par le temps. Elle avait tout du manoir gothique avec sa façade ornée de fioritures architecturales. Son fronton colonial en forme d'arc de cercle soutenait un balcon qui donnait sur le premier étage. Deux rangées de fenêtres, aux rideaux tirés, étaient encore visibles au-dessus et le toit mansardé était percé d'une petite lucarne ronde qui devait être le grenier.
Juste au pied des marches qui menaient au perron, une pancarte en acier devenue presque noir indiquait le nom du manoir : « Le Saranna ».
- Ils habitent là ? Murmura Charlotte, comme si elle avait peur d'élever la voix.
- D'après la lettre d'Isadora... Et je ne pense pas qu'il y ait plusieurs maisons enchantées dans le quartier. Ça ne peut être qu'ici.
Pourtant, ni Charlotte ni son père ne fit mine de s'avancer. Julian roula des yeux. Constatant que ni l'un ni l'autre ne semblait prêt à bouger, il prit les devants et gravit les marches. Avant d'avoir le temps d'hésiter, il empoigna le lourd heurtoir en bronze gravé d'un corbeau en plein vol et donna trois coups secs contre la porte. Le corbeau du heurtoir lui rappela celui du conte.
Il sentit son pouls s'accélérer et, pendant une seconde, espéra presque que personne ne vienne répondre. Il ne savait pas à quoi s'attendre, ni qui comment seraient ces gens. Dans son dos, il entendit son père et Charlotte l'imiter, mais ils restèrent derrière lui.
Brusquement, le battant s'ouvrit et Julian redressa les épaules. Une jeune fille qui devait avoir son âge se tenait devant eux dans l'embrasure de la porte, impassible. Elle avait de longs cheveux bruns, un nez retroussé parsemé de quelques tâches de rousseurs, et le teint pâle. Elle les gratifia d'un regard presque moqueur.
- Bienvenue dans la famille la plus dysfonctionnel d'Amérique, les accueillit-t-elle.
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Merci pour vos commentaires, j'espère vraiment que vous allez continuer à aimer !
Eléments tirés du canon/de Pottermore :
- Le Woolworth Building est bien le siège du congrès américain sorcier, le MACUSA, depuis 1893.
- Loi Rappaport en 1790 instituait une séparation stricte entre moldus et sorcier. J'en reparlerai ultérieurement.
- En ce qui concerne les bars clandestins et l'isolationnisme américain, les premiers sont montrés explicitement dans les Animaux Fantastiques et le second est sous-entendu de part le fonctionnement du monde sorcier aux Etats-Unis, mais j'ai pris des libertés pour extrapoler et proposer ma vision en inventant avec le peu d'indices donnés.
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Prochain post : Chapitre 4 - Mercredi 14 octobre
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