Chapitre 29 : Savoir où l'on va

Merci énormément pour vos retours sur le dernier chapitre, ça m'a vraiment fait plaisir de voir votre enthousiasme et votre compréhension du personnage de Heather ! 

Cette semaine, c'est un chapitre un peu de transition que je vous offre, mais je l'aime bien et j'espère que vous l'aimerez aussi. 

Bonne lecture ! 

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Chapitre 29 : Savoir où l'on va

« Les échanges, les retrouvailles, les souvenirs nous rappellent d'où l'on vient et sont indispensables pour savoir où l'on va »

- Guillaume Musso -

// 7 janvier 1980 //

S'il y avait une chose à laquelle Noah ne s'habituerait jamais, c'était Ilvermorny vidée de ses élèves. Comme chaque vacances de noël, il avait eu une dérogation spéciale pour ne pas avoir à retourner jusqu'à New York et prendre le train alors même qu'il habitait au pied du château. La directrice Hicks consentait à faire un écart pour les petites vacances contrairement à la rentrée scolaire de septembre et il ne pouvait qu'apprécier son bon sens pour une fois. Ce matin, il avait donc fait son sac sous l'œil consciencieux d'Hilda qui l'avait embrassé sur le front avant de partir. Il voyait bien qu'elle se sentait coupable à cause de la visite de sa mère et il ne pouvait s'empêcher de lui en vouloir. Il s'était détourné d'un mouvement sec, ignorant son expression blessée. Raphaël était resté un peu plus longtemps. Techniquement, ils pouvaient revenir au château à n'importe quel moment de la journée : il avait juste choisi le plus tôt possible. Le train qui ramenait les autres n'arriverait pas avant ce soir pour le dîner et en attendant il avait presque Ilvermorny pour lui tout seul. Depuis son retour, il n'avait croisé que quelques professeurs – Perrot et Fleming – et William le concierge puckwoodgenie. Le reste des couloirs était littéralement désert. Il pouvait presque entendre ses pas résonner en échos. Ça lui rappelait le bal des fantômes lorsqu'il était monté sur le toit d'Ilvermorny avec Julian pendant que tout le monde était rassemblé dans le parc. Comme si le château leur appartenait et que personne ne pouvait les juger.

D'un coup d'épaule, il ouvrit la porte de son dortoir. Il était lui aussi étrangement figé dans un silence inhabituel, vidé de ses occupants. Pourtant, quelques indices montraient que ses camarades allaient revenir : un tract du Comité des Elèves sur la table de chevet d'Enjolras, la tenue de Quodpot mal pliée de Wilde, des pellicules photos de Liam près de son lit, et des crayons oubliés qui traînaient près du bureau de Julian. Par réflexe, il en ramassa un, puis le fit tourner entre ses doigts. D'après l'usure de la mine, il était facile de voir que Julian était gaucher. Il trouvait ça toujours impressionnant la façon dont il tenait ses crayons pour dessiner, comme s'il contorsionnait son poignet pour avoir un bon angle, et il enviait le style que ça donnait parfois à ses œuvres.

Distraitement, il attrapa une feuille sur le bureau et se mit à dessiner avec le crayon. Son trait était déséquilibré, le côté de la mine qu'il utilisait ayant été moins éprouvé par la main gauche de Julian, mais il ne trouva pas ça trop gênant. Sans motivation, il se décida à esquisser une caricature. Il n'en avait pas fait depuis longtemps, mais repenser à Julian en train de dessiner, toujours l'air si concentré, l'inspira. Il traça un crayon surdimensionné et prit soin de le faire loucher pour faire bonne mesure, accentuant les angles de son visage et la rondeurs de ses pommettes tout en voûtant sa silhouette pour donner l'illusion qu'il dessinait comme une personne âgée. Il termina en moins de cinq minutes.

Il repensa alors à ce que sa mère lui avait dit. Il dessinait bien. En même temps, elle était sûrement tenue de lui dire ça en tant que mère et elle n'y connaissait pas grand-chose. Il ne pouvait pas se fier à son jugement. Julian en revanche... C'était une chose de s'entendre dire par des gens qui savaient à peine tenir un crayon qu'il avait du talent, mais de la part de Julian... C'était différent. Parce que Julian savait de quoi il parlait. Il savait même mieux que lui, ce qu'il avait du mal à admettre. En réalité, il abordait le dessin avec le même esprit d'analyse que les sortilèges et se révélait donc de la même manière un prodige agaçant. A croire que tout lui venait naturellement. Il comprenait les jeux de lumière, de couleurs et de perspective avec facilité, et Noah avait vite senti ses sentiments passer de la curiosité à l'admiration. Et peut-être quelque chose d'autre...

Ce quelque chose d'autre aussi était dur à admettre. Il était même dur à nommer tant le sentiment était informe, nouveau, déstabilisant. Il ne connaissait pas Julian depuis longtemps. Il ne le connaissait même pas vraiment. Quelques mois à partager un dortoir ne suffisaient pas à connaître une personne, mais il s'était quand même retrouvé pris au dépourvu par la façon dont Julian et lui s'étaient mis à évoluer en orbite l'un de l'autre. Il y avait quelque chose qui le fascinait chez Julian Shelton. Il pouvait se targuer d'avoir toujours réussi à bien lire les gens qui l'entouraient – c'était ce qui lui permettait d'appuyer là où ça faisait mal quand il le voulait comme avec Hilda, Liam ou Théa – et il avait fini par entrapercevoir l'illusion que Julian présentait au monde : derrière son apparence calme et réfléchie, il bouillonnait d'émotions intenses qu'il tentait de refouler. La colère, la tristesse, l'incompréhension. Perdre sa mère avait dû être un catalyseur à tout ça et pourtant il essayait quand même de ne rien laisser paraître. Et il ne comprenait pas comment les autres pouvaient se laisser berner. Liam encore, il s'y attendait. Ce gars prenait toute la place et était trop occupé à jouer son numéro de comique dans le but d'oublier la disparition de sa sœur pour remarquer quoique ce soit. Théa était trop centrée sur elle-même, trop égoïste... Aileen, c'était déjà plus surprenant. Elle avait une perception des autres qui frôlait le surnaturel parfois. Peut-être qu'elle laissait simplement faire Julian pour lui laisser du temps et de l'espace. Après tout, il avait mal réagi la dernière qu'ils l'avaient tous acculé au sujet de sa mère décédée. 

Mais Noah n'était pas comme ça. C'était peut-être un défaut, mais il n'arrivait pas à laisser les gens prétendre être ce qu'ils n'étaient pas. Et il voulait voir Julian Shelton exploser. Il voulait qu'il arrête de se cacher derrière sa façade de grand frère responsable qui ne pensait qu'aux autres.

Encore une fois, il avait conscience d'être hypocrite. Doublement hypocrite même. S'il voulait que Julian explose et arrête de se concentrer sur les autres, c'était sans doute aussi pour qu'il commence à se concentrer sur le « sentiment informe, nouveau et déstabilisant » qu'il avait senti naître entre eux depuis le bal des fantômes. Parce qu'il ne voulait pas être le seul à ressentir ça. S'il était seul, il était différent. Il était étrange au même titre que Zack Ledwell. En repensant au visage en sang de son camarade avant les vacances, son estomac se souleva. L'année dernière, il avait passé un peu de temps avec Zack. Il venait parfois regarder les entraînements de Raphaël au stade pour voir ses progrès et Zack était juste venu lui parler. Il l'avait trouvé intéressant. Apparemment, Zack aimait la peinture contemporaine. En tant que sang-mêlé, il connaissait bien le monde Non-Maj' et allait souvent voir des expositions avec des amis à lui à Washington. Noah avait trouvé ça aussi étrange que déstabilisant. A cause de la loi Rappaport, les sang-mêlés étaient encore rare, particulièrement ceux qui vivaient entre les deux mondes. Pour lui, qui n'avait connu que la petite bourgeoisie sorcière, les expositions d'art dont parlaient Zack avaient paru incroyables. Au fil des semaines, ils s'étaient ainsi retrouvés plusieurs fois, au point où Zack l'avait même invité pendant les vacances chez lui pour qu'ils puissent aller voir la galerie d'art américain du Smithsonian. Noah avait failli accepter. Mais il avait entendu les rumeurs. Avec le recul, il se disait qu'il aurait dû le prévoir. Zack ne cachait pas réellement ce qu'il était. Par Morgane, il appelait la moitié de son équipe de Quidditch « mon chou » constamment, garçons compris. Mais Noah avait toujours bien aimé les gens originaux, il avait tenté de se persuader que ça ne voulait rien dire. Il s'en était mordu les doigts.

Il ne mentait pas à Julian quand il lui avait dit qu'être associé à Zack revenait à provoquer les rumeurs sur soi. Avant qu'il ne comprenne bien comment, plusieurs personnes s'étaient mises à le dévisager, voire à refuser de s'assoir à côté de lui en cours. Othilia, mal à l'aise, lui avait demandé si c'était vrai qu'il connaissait Zack. Et il avait alors compris qu'il ne pouvait pas continuer ainsi. Les Douzebranches étaient assez connus comme ça pour être instables. Il n'avait pas besoin d'être catalogué comme détraqué mental en plus.

Du jour au lendemain, il avait donc arrêté de parler à Zack. Il avait même arrêté de se rendre au stade pour voir Raphaël et son frère lui en avait voulu. Il supposait que c'était le prix à payer pour faire taire les voix multiples et anonymes qui chuchotaient derrière son dos. Il le savait pertinemment : il valait mieux étouffer la rumeur avant qu'elle n'embrase le château. Ilvermorny n'était que le reflet – le microcosme – du monde magique et la rumeur incarnait une communauté sorcière toujours prompte à juger. Ce « on » à la voix désincarnée et sans visage, Noah avait appris à s'en méfier. Il était pire qu'un tribunal. Pire que le conseil des guérimages. Il avait refoulé la connexion qu'il avait commencé à ressentir avec Zack et, progressivement, les voix s'étaient tues. Liam avait arrêté de fermer la salle de bain à double tour, ses professeurs avaient cessé de lui parler sèchement – mis à part Fleming qui n'avait jamais changé d'attitude à son égard – et même Othilia s'était remis à se comporter normalement. Plus personne n'avait posé de questions.

Il se demanda si la même chose allait se reproduire avec Julian. Manfred Sullitzer l'avait déjà dans son collimateur, ce qui n'était pas bon signe.

- T'es déjà là et tu ne prends même pas la peine de me le dire ? fit soudain une voix.

Il ne sursauta pas, mais son cœur manqua un battement.

- Bordel, Othilia... jura-t-il.

- Désolée, je pensais que tu m'avais entendu arriver. J'oublie que je pourrais faire explorer un chaudron près de toi quand tu dessines et que tu n'entendrais rien. (Elle passa le seuil du dortoir). T'es là depuis longtemps ?

- Une heure, même pas... je venais déposer mes affaires. Et toi ?

- Je viens d'arriver. Mon père voulait revenir tôt au château pour corriger des copies, je me suis dis qu'il y avait des chances pour que tu sois déjà là alors je suis venue avec lui.

Alors qu'elle s'approchait, il s'empressa de poser sa caricature de Julian sur le bureau en reposant un livre dessus. Il se retourna juste au moment où elle arrivait devant lui.

- Qu'est-ce que tu faisais ? demanda-t-elle en essayant de jeter un œil par-dessus son épaule.

- Un dessin comme ça. Pas grand-chose d'intéressant.

- Hum... T'as été voir la potion ?

- Tu veux dire Albert le chaudron ?

Othilia eut un sourire amusé.

- Techniquement, ce n'est plus Albert. On l'a remplacé. Et puis, tu ne l'a même pas connu.

- Pas en état de marche, non, mais il est dans le coin de la pièce à chaque fois que je viens. J'ai l'impression qu'il me suit du regard. Un peu comme une Joconde version chaudron.

- Noah, il n'a même pas d'yeux...

- Tu dis ça parce que tu as peu d'imagination.

Elle roula des yeux. Il se demanda s'il ne s'était pas coupé les cheveux pendant les vacances : son carré blond ne lui frôlait plus les épaules. Dans le doute, il ne dit rien.

- Non, je n'ai pas été voir la potion, finit-il par répondre. Je me disais que tu serais plus douée que moi de toute façon pour voir si tout allait bien.

- Tu sais, tu pourrais t'améliorer en potion si...

- Non ! coupa-t-il. On ne va pas commencer. J'ai déjà eu Hilda sur le dos pendant deux semaines, je n'ai pas besoin de toi en plus.

- Arrête, ce n'était pas ce que je voulais dire... Commence pas. Je posais juste une question sur la potion, c'est tout.

Il se retint de rétorquer. Le ton ferme d'Othilia lui rappelait avec agacement celui d'Hilda, mais il ne voulait pas en plus se disputer avec elle à peine dix minutes après être revenu. Elle le scruta de ses yeux clairs, perçants, et hésita une seconde avant de demander prudemment :

- Comment ça s'est passé avec ta mère ?

- Lia...

- Ah à ce point... lâcha-t-elle.

Il sourit, ironique. Il avait tendance à l'appeler Lia quand il ne voulait justement pas parler, ce dont elle s'était parfaitement rendu compte.

- Rien de nouveau, avoua-t-il avec un soupir. Elle va peut-être trouver un travail, mais tu la connais... Elle n'a pas pu venir à noël parce qu'elle était en Californie avec un de ses mecs et c'est toujours tendu avec Hilda qui refuse de nous laisser seuls avec elle.

- On ne peut pas lui en vouloir après la dernière fois.

- Quoi ? Tu crois qu'elle tenterait encore de nous enlever ? Elle n'est pas idiote. En plus, j'ai presque dix-huit ans, ça ne servirait à rien.

- Je n'ai pas dit qu'elle était idiote. Elle peut juste être... impulsive. Comme toi. (Elle lui prit la main et joua avec entre eux dans un geste mécanique. Il la laissa faire). T'as décidé d'ailleurs ? Ce que tu ferais quand tu seras majeur ?

Il déglutit. Techniquement, il serait majeur en juillet cette année. Il aurait enfin dix-huit, âge de la majorité américaine chez les sorciers, et la justice ne pourrait plus empêcher sa mère de le voir. Il pourrait partir de chez Hilda pour aller vivre chez elle, mais ça signifiait laisser Raphaël derrière, voire prendre le risque de se brouiller avec lui. Ça voulait aussi dire prendre le risque de quitter Hilda définitivement. Dès qu'elle ne serait plus responsable de lui légalement, il n'était de toute façon même pas sûr qu'elle accepte de le garder. Son incertitude dû se lire sur son visage car Othilia le força à croiser son regard.

- Eh, on en a déjà parlé, rappela-t-elle. Même si tu crois qu'Hilda ne voudra plus de toi, je reste persuadée que c'est faux.

- T'en sais rien...

- Noah, par l'amour de Morgane, cette femme t'a littéralement élevé. Arrête de croire qu'elle ne l'a fait que par obligation ! Et parle-lui. Si ça se trouve elle a aussi peur que tu partes à tes dix-huit ans que toi qu'elle te mette à la porte.

Immédiatement, il secoua la tête. Il refusait de demander à Hilda. Ça aurait été avouer qu'il avait effectivement peur de sa réaction le jour où plus rien ne les relierait d'autre que les liens du sang. Où elle se rendrait peut-être enfin compte qu'elle ne n'avait pas à user son énergie avec lui.

- Réfléchis bien, plaida Othilia. Même si tu seras majeur, il te restera une année à faire à Ilvermorny. Tu ne peux pas juste partir de chez elle.

- Je pourrais quand même faire mon année senior en habitant chez ma mère.

- C'est vrai, mais ça serait plus compliqué. Là tu vis au pied du château, c'est plus simple. Ta mère n'arrête pas de voyager, elle change d'état sur un coup de tête !

- Et alors ? Justement, ça me fera voir autre chose que cette fichue vallée.

Othilia pinça les lèvres. Elle hésita à nouveau avant d'objecter :

- J'habite aussi dans cette fichue vallée. On ne se verrait plus pendant les vacances... On ne pourrait pas se retrouver en avance comme aujourd'hui en ayant le château pour nous tout seuls.

Une pointe de culpabilité mêlé d'égoïsme le traversa. Il n'avait pas songé à ce détail. A vrai dire, il avait totalement occulté Othilia de ses plans, trop concentré sur lui-même et sa relation aussi bien avec sa mère qu'avec Hilda. Mais elle avait raison. Habiter tous les deux au Village avait contribué à forger leur couple. C'était même peut-être aussi à cause de ça qu'il avait accepté de sortir avec Othilia au milieu de leur quatrième année : elle était là, tout le temps, comme une échappatoire dès qu'il le voulait. Ces moments volés avaient cimenté leur relation. Mais aujourd'hui, les choses étaient différentes. Il n'était plus sûr de regarder dans la même direction qu'elle.

- Ca serait juste pour un an, argua-t-il après avoir gardé le silence quelques secondes. Tu vas pas en faire tout un chaudron.

- Je n'en fait pas tout un chaudron, j'aurais juste voulu qu'on en discute avant tous les deux, mais t'as déjà tout décidé.

- Lia, sérieux, ce n'est même pas sûr. Il faut que j'en parle avec ma mère.

- Avec ta mère, mais pas avec moi donc ?

Agacé, il se passa une main dans les cheveux pour contenir sa frustration.

- Par Morgane, on n'est pas mariés, non ? Alors arrête de me prendre la tête sur ça, on verra l'année prochaine. Si t'es revenue en avance pour qu'on s'engueule, c'est pas la peine. T'es pire qu'Hilda quand tu veux et ça te concerne même pas. Arrête de vouloir t'impliquer, c'est clairement pas le sujet !

Chaque mot, plus cruel que le dernier, semblait piquer Othilia dont le visage se contractait un peu plus à chaque seconde. Elle ne répondit rien un moment et Noah fut persuadé qu'elle allait l'envoyer balader avant de partir. Il ne savait même pas si c'est ce qu'il espérait en vérité. Finalement, elle parut prendre sur elle et reprit d'une voix posée :

- Pas besoin de te défouler sur moi, tu sais. J'essayais juste d'être rationnelle, chose que tu n'es jamais dès que ça concerne ta mère ou ta tante. Maintenant, si tu n'as pas envie d'en parler, très bien. Mais il faudra bien le faire à un moment, tout comme ton orientation. Parce que Hilda a raison, une école d'art ça va être compliqué et tu...

- Je croyais que tu venais de dire qu'on n'avait pas à en parler ?

- J'ai dit que toi tu n'avais pas envie d'en parler.

Son ton de fille de bonne famille l'énerva encore plus. Il reprit son crayon en main et le serra avec force à tel point que le bois commença à craqueler. Il s'empressa de le relâcher avant de le briser ou Julian aurait sa tête. Pendant une seconde, il se demanda ce que Julian penserait son idée d'école d'art. Est-ce qu'il le trouverait assez doué pour s'engager dans cette voie ou est-ce qu'il lui dirait ce que tout le monde affirmait ?

- Laisse tomber, finit-il par marmonner pour mettre fin à la conversation.

Othilia soupira. Il fit exprès de ne plus la regarder en face, faisant mine de l'ignorer, et elle réagit comme d'habitude : elle abandonna. Au début, ça n'avait pas été le cas. Seule la lassitude avait fini par l'emporter et il s'étonnait encore parfois de cette évolution qu'il semblait être le seul à déclencher chez elle. C'était une attitude d'abandon assez semblable à celle de ses professeurs, d'Aileen à une époque, et même de son frère. Seule Hilda résistait toujours, mais elle n'était pas le genre de femme à ployer et encore moins à céder.

- C'est bon ? dit-il d'un ton mordant. On peut parler d'autre chose ?

- Comme tu veux...

Elle avait peut-être abandonnée, mais elle était contrariée. Conscient d'avoir sans doute poussé un peu loin, il s'approcha et fit courir ses mains le long de ses bras avant de descendre vers sa taille. Elle plissa les yeux dans une sorte de mise en garde et il s'immobilisa.

- T'as vraiment aucune morale, dit-elle froidement. Quoi ? Tu veux m'amadouer maintenant ? Après avoir fait le Noah Douzebranches que tout le monde déteste ?

- Parce qu'il y en a deux ?

- Tu le sais très bien. Parfois, je me demande si tu ne t'amuses pas à être cruel juste pour voir jusqu'au les autres vont encaisser.

- Avec Théa seulement peut-être...

Elle lui donna une tape sur le bras.

- Je ne rigole pas.

- Désolé, d'accord ? C'est juste que tu me forces à parler des fois alors que j'en ai juste pas envie... Je sais que tu penses à moi, mais tu ne peux pas comprendre, Lia, c'est tout.

- C'est faux.

- C'est vrai. Ton père a toujours été présent pour toi et même s'il est exigeant, il te laisse faire tes choix, il t'accompagne, et Colleen est la belle-mère la plus gentille sur terre : elle m'aime bien, c'est dire. (Il leva le bras pour l'empêcher de l'interrompre, resserrant sa prise sur sa taille de l'autre main). Donc non, tu ne sais pas ce que c'est d'avoir une mère comme la mienne ni d'avoir Hilda comme gardien. Alors arrête, ok ?

Il avait bien conscience de ne pas être juste avec elle, mais il n'arrivait juste plus à supporter tous les gens qui avaient une opinion sur sa situation et particulièrement sur sa mère. Il l'avait dit à Julian : tout le monde jugeait sa mère. L'enlèvement en deuxième année avait marqué les mémoires dont celle d'Othilia. Il ne voulait plus entendre de jugement de personne, ni sur sa famille, ni sur lui, ni sur les personnes qu'il fréquentait.

Pour tenter de détourner l'attention d'Othilia, il l'attira un peu plus contre lui. Elle se laissa faire. Prenant ça pour un bon signe, il se pencha légèrement pour venir déposer des baisers rapides le long de sa mâchoire encore crispée, puis il remonta vers le côté de son visage en accentuant la pression de ses lèvres contre sa peau. Elle se détendit imperceptiblement.

- Si tu veux que je reste, ferme cette porte, murmura-t-elle. Je refuse que William vienne me chasser du dortoir pour conduite inappropriée.

Il étouffa un sourire et s'exécuta en attrapant sa baguette avant de la pointer sur la porte du dortoir. Le battant se referma dans un grincement sec.

- Et voilà, pas de risque de puckwoodgenie en colère...

- Mieux. Maintenant je te préviens, t'as intérêt à faire tout le boulot pour faire pardonner.

A nouveau, il manqua d'éclater de rire. C'était dans ces moments-là qu'il se rappelait pourquoi Othilia et lui s'entendaient si bien : il aimait son esprit d'initiative et son franc parler. D'un geste, il la poussa doucement vers son lit et reposa ses lèvres contre cou.

- Ca peut s'arranger, dit-il en songeant qu'il le méritait. En fait c'est ce que tu voulais depuis le début ?

- Les femmes sont inventives, se contenta-t-elle de répondre, énigmatique.

Il roula des yeux. Et alors qu'ils basculaient tous les deux sur le lit, il plaqua ses lèvres aux siennes avec avidité en se faisant la réflexion que celles d'Othilia étaient familières, rassurantes, bien loin de celles de Zack Ledwell et d'un certain baiser dont il ne voulait plus jamais entendre parler... Dont il ne voulait même pas se souvenir.

**

*

C'était étrange la façon dont un baiser pouvait paraître familier et étrange à la fois après presque dix jours de séparation. En tout cas, Matthew se faisait cette réflexion alors que Charity l'embrassait, alternant entre une des pressions timides et plus aventureuses, et qu'il se sentait perdre le sens des réalités à mesure qu'ils se rapprochaient.

- Ah Matt, je te cherchais part... Oh Merlin !

Avec un sursaut, Matthew s'écarta si brusquement que son dos heurta la fenêtre derrière lui et il faillit tomber de la banquette. Charity le retint par sa cravate au dernier moment et il émit un bruit étranglé, les lèvres encore douloureuses de leur séance de bécotage. Dans l'embrasure du compartiment, Hanna plaquait une main devant ses yeux, les joues rouge.

- Désolée, s'excusa-t-elle précipitamment. Je t'attendais depuis 30min, je commençais à me dire que t'avais loupé le train... Je n'avais pas pensé que tu... enfin...

Elle buta sur ses mots, mal à l'aise, et Charity lissa les plis de sa jupe, le souffle court. Ce fut elle qui arriva à former une phrase cohérente avant lui.

- Pardon Hanna, c'est de ma faute. Je l'ai... intercepté sur le quai de la gare. J'aurais dû me douter que tu l'attendrais...

- Non, non, pas de problème. Je... je peux repartir...

Gênée, Hanna avait rabaissé sa main et pointait désormais le couleur derrière elle. Un élan de culpabilité s'empara de Matthew et il s'empressa de secouer la tête.

- T'inquiète, entre, entre ! (Il désigna la banquette en face d'eux). J'allais venir te chercher de toute façon.

Les deux filles le regardèrent d'un même air dubitatif.

- Enfin, je comptais le faire après... corrigea-t-il en se râclant la gorge. Allez viens Faucett. Un trajet de plus en ta compagnie !

- Trop d'honneur. Mais merci.

Hanna entra donc dans le compartiment, visiblement encore déstabilisée par la présence de Charity, et Matthew ne pouvait pas vraiment l'en blâmer. La plupart du temps, elle passait voir ses amies de Serdaigle, mais faisait le trajet jusqu'à Poudlard avec lui et Julian. Au départ des vacances, ils s'étaient tous les deux rendus compte à quel point c'était étrange de ne plus avoir ce dernier avec eux. Il espérait secrètement qu'en ramenant Charity dans le groupe, les silences seraient peut-être un peu moins étirés.

Conscient d'être toujours de travers dans une position étrange, il se remit à sa place et repoussa ses affaires qu'il n'avait même pas pris le temps de mettre dans le filet au-dessus de leur tête au bout de la banquette. Hanna haussa un sourcil.

- Par la garde-robe de Merlin, qu'est-ce que c'est que ce truc ? s'exclama-t-elle.

Il baissa les yeux sur ce qu'elle désignait. En l'occurrence, une boule de laine orange.

- Oh ça ? C'est le cadeau de Julian ! Regarde !

Fièrement, il attrapa son bonnet et le remit sur sa tête. Le pompon se balança devant son visage. Si Charity tenta de faire passer un rire pour une quinte de toux, Hanna afficha son incrédulité plus franchement.

- Matthew, hum, comment te dire ça... ?

- Il est affreux ! lâcha Charity.

- Eh je te permets pas !

- Mais Matt, elle a raison, soutint Hanna. Déjà, le orange c'est dur à porter, mais alors celui-ci... Et puis il ne va pas du tout avec tes cheveux. Pourquoi Julian t'a offert ça ?

Il prit un air embarrassé.

- Ah c'est peut-être parce que... Bon, c'était une blague, mais je lui ai offert un pull aux couleurs de Gryffondor pour noël. Je pense que c'est sa façon de se venger.

- Non ? Tu crois ? fit Charity, moqueuse.

- Je sais, je sais, ce n'est pas le bonnet le plus à la mode de la terre. Mais je l'aime bien ! Simon l'adore, il a pas arrêté de vouloir me le piquer pendant les vacances. J'ai fini par lui mettre sur la tête mais évidemment c'était trop grand pour lui. Il s'est trimballé avec pendant dix minutes dans le salon à l'aveugle avant que tante Lysandra le libère. (Il grimaça). Elle m'a peut-être un peu engueulé, mais ça valait le coup. Regardez ce mini-botruc.

Il fouilla dans son sac une seconde et retrouva la photo qu'il cherchait. Les deux filles se penchèrent pour mieux voir. Sur le cliché qu'il avait lui-même pris, Simon tanguait sur ses deux jambes, le fameux bonnet orange enfoncé jusqu'au cou sur la tête, l'air perdu. Il manquait même de se prendre la table de la salle à manger.

- Oh le pauvre, roucoula Charity en riant. Je dirais presque le bonnet lui va mieux qu'à toi.

- Pourquoi ? Parce qu'il lui cache sa vilaine tête à lui ?

- Eh ! Ton frère est trop mignon ! objecta Hanna. C'est toi le grand frère indigne.

- Possible.

Sans remord, il haussa les épaules et rangea la photo dans son sac. Il était content d'avoir réussi à la prendre. Au moins, dès que la maison lui manquerait, il pourrait la regarder pour se remonter le morale. Trop amusé par la vision de Simon et du bonnet, il mit une seconde à se rendre compte qu'en face de lui Hanna avait perdu son sourire d'un coup. Il fronça les sourcils.

- Quoi ?

- Rien... Mais du coup, Julian t'a envoyé un cadeau de noël à toi ?

Il voyait bien qu'elle essayait de contrôler son expression, mais le ton de sa voix était équivoque. Charity fit mine de regarder ses ongles.

- Il ne me l'a pas vraiment envoyé. Il l'a donné à Leonidas pour qu'il me le donne, c'était plus pratique. Mais il ne t'a pas oublié !

- Je n'ai rien reçu moi...

- Parce qu'il l'a aussi donné à Leonidas. Tiens.

Sans cérémonie, il sortit une petite boîte de son sac qu'il avait pris soin de ne pas oublier et la lança à Hanna. Elle la rattrapa par réflexe.

- Il... Il t'a envoyé mon cadeau ? Matt ! Pourquoi tu m'as pas prévenu ?

- Je voulais te faire une surprise !

- J'ai passé les vacances à croire qu'il m'avait oublié !

- Oh arrête, c'est Julian. Il avait sûrement un calendrier épinglé au-dessus de son lit pour pas oublier.

Hanna lui fit une grimace pour toute réponse et il s'avoua qu'il aurait peut-être pu la prévenir. Depuis le départ de Julian, elle s'inquiétait à chaque fois qu'elle n'avait plus de nouvelles de lui et il aurait dû anticiper son malaise. Heureusement pour lui, l'agacement d'Hanna se transforma en ravissement dès qu'elle ouvrit la boîte. Elle poussa même une exclamation.

- Qu'est-ce que c'est ? dit-il, curieux. Des moufles violettes fluo ?

- Non parce que moi je lui ai offert un vrai cadeau pour noël. Regarde !

Avec un grand sourire, elle leva alors une chaîne en argent bordée de breloques devant eux. Il mit une seconde à comprendre qu'elles étaient en forme d'étoiles, de soleil et de lunes miniatures. Un cadeau parfait pour Hanna et sa passion de l'astronomie.

- Il est jolie, complimenta Charity du ton de la fille qui n'était pas intéressée par les bijoux. Tu veux que je te le mette ?

La proposition parut faire plaisir à Hanna qui accepta avant de tendre son poignet. Matthew fut reconnaissant à Charity de faire un effort avec sa meilleure amie et il admira l'effet du bracelet contre la peau d'Hanna.

- Y'a pas à dire, il sait faire des cadeaux, commenta-t-il. Même si ça ne vaut pas mon bonnet !

- Garde ton bonnet, je garde mon bracelet.

Heureuse, Hanna joua avec les breloques, un grand sourire accroché aux lèvres. Matthew songea que Julian avait effectivement taper dans le mille, mais un malaise étrange s'installa au fond de sa conscience. Le bracelet lui faisait penser au dessin qu'il avait envoyé à Hanna en début d'année pour s'excuser de ne pas lui avoir écrit plus tôt et il ne put s'empêcher de se demander si Julian compensait son manque d'implication dans leur relation maintenant qu'il était parti aux Etats-Unis par des cadeaux. Comme si ces derniers étaient là pour combler un vide.

Brusquement, Charity lui donna un coup de coude pour avoir son attention. Il se tourna vers elle.

- Puisque c'est le moment des cadeaux, tu veux le tiens ? demanda-t-elle.

- Ah oui, le fameux cadeau ! J'ai eu le baiser, maintenant voyons voir ce que t'as trouvé.

Il lui fit un sourire effronté alors qu'elle rougissait, glissant un coup d'œil vers Hanna qui eu l'obligeance d'ignorer sa remarquer. Elle se leva malgré tout et attrapa un long paquet rectangulaire et plat emballé sans grand soin avant de lui mettre sur les genoux, l'air incertaine. Piqué par la curiosité, il passa les mains dessus, comme s'il pouvait deviné ce qui se trouvait à l'intérieur par la force de son esprit.

- Ouvre-le, allez, intima Hanna, impatiente.

- Oui, oui...

Il entreprit de déchirer le papier sans cérémonie. Il sourit dès qu'il découvrit la boîte en-dessous.

- Un scrabble, s'esclaffa-t-il.

- Je me suis dis que ce n'est pas parce que tu n'avais plus ton partenaire de scrabble que tu ne pouvais plus y jouer, expliqua Charity en souriant à son tour. Alors certes je ne remplacerai pas Julian et « son esprit de Serdaigle », mais on pourra toujours faire quelques parties si tu veux...

- Miss Burbage, c'est une excellente idée !

Sous le coup d'une impulsion, il se pencha pour lui voler un baiser. Il le fit même durer un peu plus longtemps que nécessaire et Charity finit par le repousser en posant ses mains sur son torse.

- Merci... souffla-t-il.

- Avec plaisir.

Il essaya de faire passer dans son regard ce que ce cadeau signifiait pour lui. Elle avait raison : elle ne remplacerait pas Julian, mais il appréciait son attention. Le scrabble, ça faisait parti de lui. Il avait appris à y jouer avec son père quand celui-ci avait encore eu du temps pour ses enfants au lieu de travailler d'arrache-pied ; il s'était pris des défaites cuisantes contre Spencer alors que son frère n'avait que six ans avant de déclarer qu'il n'y jouerait plus jamais contre lui ; et surtout il avait passé d'innombrables soirées à parler avec Julian et à refaire le monde avec lui autour d'un plateau de scrabble. Il était prêt à inclure Charity dans ses souvenirs.

- C'est parfait, intervint alors Hanna, je vais pouvoir reprendre mon rôle d'arbitre. Vous faites une partie ?

- Pourquoi pas...

Il interrogea Charity du regard. Elle hocha la tête.

- C'est parti. Mais n'invente pas des mots, Bones, prévint-elle, ou je te jette un sort !

- Noté miss Burbage.

**

*

- Si t'avances pas, Cooper, je te jette un sort !

- Deux secondes votre Altesse, je veux juste m'assurer qu'on ne va pas tous exploser en passant cette porte.

- Je ne vois pas pourquoi la potion aurait explosé pendant les vacances, rétorqua Théa. Par contre, si on attend dans le couloir en la laissant surchauffer, là tu peux être sûr qu'on va la retrouver au plafond et on devra la refaire. Encore.

L'argument décida Liam. Sans attendre davantage, il ouvrit la porte d'Alberta, leur salle de travail, et Julian s'y engouffra avec les autres, mains dans les poches. Il avait encore du mal à s'habituer à son retour au château, surtout au fait d'être à nouveau entourer de ce groupe hétéroclite. S'il devait être honnête, leurs retrouvailles avaient été pour le moins étranges : Liam et Aileen étaient venus le retrouver dans son compartiment à la seconde où Charly l'avait planté pour aller retrouver ses amies de Oiseau Tonnerre et étonnement Théa était restée avec eux. Elle était quand même restée sur le bord de sa banquette contre la fenêtre, isolée, mais il supposait que c'était déjà un progrès. La conversation avait de toute façon tourné autour de leurs vacances respectives pour ne pas alourdir l'ambiance déjà pesante. Puis, ils avaient retrouvé Noah et Othilia, déjà arrivés à Ilvermorny depuis ce matin. Julian n'avait pas pu s'empêcher de remarquer la marque rouge sur le cou d'Othilia, bien visible à cause de ses cheveux blonds coupés plus courts qu'avant noël. Son estomac s'était contracté et il avait passé le dîner à parler avec Aileen pour éviter de se concentrer sur le couple à sa droite.

Fatigué, il aurait aimé retourner directement au dortoir, mais ils devaient aller vérifier que la potion principale pour le contre-rituel se présentait bien. Il laissa Liam et Othilia s'approcher en premiers.

- Elle est plutôt bien, jugea-t-elle en se penchant au-dessus du chaudron. Peut-être un peu trop pâle, il faudrait rajouter un crochet de serpent et baisser le feu pendant quelques heures, mais sinon ça avance bien.

- Elle sera bientôt prête ?

- D'ici deux à trois semaines, dit Liam. Et elle devra être utiliser dans les deux mois qui suivent.

Julian fit pianoter ses doigts le long de sa jambe.

- Et aucune nouvelle du corbeau ? demanda-t-il.

- Non... Mais Hercules Fischer, le chef des Aurors, est venu nous voir pendant les vacances. On a interrogé des voisins qui étaient là le 4 juillet. Plusieurs personnes se souviennent brusquement avoir vu Emilia partir dans la direction opposée de la maison et certains ont même vu un homme qui l'attendait...

- Tu crois que ça serait lui ? Le corbeau et le kidnappeur ? dit Théa.

Liam haussa les épaules. Il avait l'air tendu et inquiet, mais personne n'aurait pu lui reprocher.

- C'est probable, mais Fischer n'a pas voulu élaborer devant moi... Il a surtout parlé avec mes parents.

- Et tu ne lui a rien dit pour... tout ça ? demanda Aileen en désignant l'ensemble de la pièce où se déployaient leurs recherches diverses pour traduire les runes, comprendre les couches de sortilèges, et réaliser les différentes potions.

- Non, non, évidemment. Ça pourrait mettre Emilia en danger.

- Incroyable, il est capable de ne pas balancer aux Aurors alors... marmonna Noah, bras croisés.

Heureusement, Liam était trop loin pour l'entendre et Julian lui envoya un regard de mise en garde. Noah se contenta de l'ignorer, mais au moins il n'insista pas.

- On a plus qu'à percer le contre-rituel au plus vite alors, asséna Aileen avec détermination. Mais en attendant pour ce soir, je voulais vous offrir quelque chose. Histoire de fêter quand même noël avec vous et de souder le groupe.

Julian ne s'y trompa pas, elle regarda précisément Noah, Liam et Théa sur la fin de sa phrase. Surpris, il s'approcha quand même. Il ne s'était pas attendu à ce qu'elle leur fasse un cadeau et il sourit alors qu'elle se mettait à distribuer un sachet coloré à chacun d'entre eux.

- Ce sont des bonbons canadiens, expliqua-t-elle en lui remettant le sien. Il y en a au sirop d'érable bien sûr, mais plein d'autres. J'ai été les chercher dans une confiserie sorcière. Faites juste attention Guimauves Pétillantes, elles explosent vraiment en bouche donc mangez-les doucement.

- Merci Aileen, c'est vraiment gentil, remercia Othilia, l'air touché.

- Avec plaisir. On se plaint toujours de n'avoir rien à manger ici alors voilà...

- Faudrait ramener à boire aussi ! Eh Julian ? Tu peux pas nous avoir du thé en contrebande ?

Il dévisagea Liam, amusé.

- Pourquoi en contrebande ? Tu peux pas en acheter comme tout le monde ?

- Ca serait moins marrant !

- C'est ça... Bon, j'ai peut-être pas de thé en contrebande, mais j'ai ramené ça. On a qu'à dire que c'est aussi un cadeau de noël.

Il attrapa son sac qu'il avait dû agrandit par magie et en sortit ce qu'il avait été acheter à New York : une collection dépareillée de tasses, de verres, de mugs et de gobelets en tout genre. Il déposa le tout au sol. En les voyant, il s'était dit que ça servirait pour leurs longues heures de travail, mais Aileen avait raison : ça pouvait très bien servir de cadeaux et il fut heureux en voyant les autres sourire.

- Bonne idée, apprécia Théa. Ça nous évitera de boire de l'eau dans des fioles à potions !

- Des fioles à potions neuves alors, lança Othilia. Prenez ça comme mon cadeau à moi, mais regardez un peu.

Elle fit un geste vers le matériel à potions qu'ils avaient entreposé sur le côté et Julian se rendit compte seulement maintenant qu'il avait l'air étrangement brillant et neuf contrairement aux vieilleries qu'ils avaient sorti des réserves en début d'année.

- Du matériel digne de ce nom, je crois que je vais pleurer, fit semblant de s'émouvoir Liam. Tu l'as piqué à ton père ?

- Pas vraiment. J'ai juste prétexté vouloir m'entraîner en potions et il m'a acheté un nouveau nécessaire.

- C'est génial. Rien de remplacera Albert bien sûr, mais c'est génial.

D'un même mouvement, ils se tournèrent tous vers Albert qui profitait de sa retraite dans un coin et Julian éclata de rire en voyant que quelqu'un lui avait dessiné une bouche et deux yeux.

- Qui a fait ça ?

- Je plaide coupable, se dénonça Liam.

- T'aurais au moins pu laisser faire Julian ou Noah, rit Aileen. Ils auraient fait des vrais yeux, pas juste des points.

- On peut toujours le faire, dit-il. Je ramènerai un feutre demain.

Il réalisa avec un temps de retard qu'il n'avait même pas demander à Noah s'il était d'accord, mais celui-ci acquiesçait déjà et il fut soulagé.

- Et alors ? s'exclama Aileen. Quelqu'un d'autre à un cadeau improvisé ?

- Il se trouve que oui ! Son Altesse la reine des glaces me faisait de la peine avant les vacances à presque s'endormir par terre alors j'ai acheté ça à la brocante de ma ville. L'intello, va falloir que tu m'aides à défaire le sort de rétrécissement, j'arrive jamais à le lancer...

Julian mit une seconde à comprendre que Liam lui parlait. Ça faisait longtemps qu'il ne l'avait plus appelé « l'intello » et il soupira avant de s'exécuter. De son sac, Liam venait de sortir un canapé en cuir miniature et Théa émit un sifflement appréciateur dès qu'il lui fit retrouver sa taille normale d'un coup de baguette.

- Pas mal, Cooper !

- Ah ne dis pas que je ne fais rien pour toi. Julian, t'es sûr d'avoir bien jeté le sort ? On peut s'assoir dessus sans qu'il rétrécisse d'un coup ?

- Certain.

Il se retint de rouler des yeux pour ne pas paraître arrogant, mais il maîtrisait ce sort depuis sa quatrième année. Liam ne poussa pas plus loin et se laissa tomber dans les coussins moelleux du canapé.

- Ca commence à se meubler un peu, c'est bien, s'enthousiasma Aileen.

- Et Théa et Noah ? Ils ont pas de cadeaux ? On les vire du groupe sinon !

- Liam...

Mais Théa les surprit tous en allant chercher à son tour son sac. Elle aussi avait dû réduire un objet car elle garda le dos tourné le temps de lui rendre sa taille d'origine et Julian resta sans voix en voyant ce qu'elle avait apporté.

- Un cheval à bascule ? s'étonna Othilia.

Sauf que ce n'était pas n'importe quel cheval à bascule. Il le reconnut en une seconde, c'était celui de la chambre d'enfant que Théa lui avait montré pendant les vacances, celui sur lequel Théophilius jouait avant sa mort.

- Je sais que ça peut paraître bizarre, convint Théa, l'air soudain mal à l'aise, mais je tenais à le ramener ici pour donner un peu de vie à la pièce. Pour rappeler aussi que les personnes qui ne sont plus avec nous le sont peut-être plus qu'on ne le pense.

En prononçant ces mots, elle le regarda une seconde et il sentit l'émotion lui étreindre la poitrine en repensant aux larmes de sa cousine dans la nurserie. Puis, les yeux de Théa glissèrent vers Liam et une certaine entente parut passer entre eux. Julian se fit la réflexion que les mots de Théa pouvaient tout autant s'appliquer à la disparition d'Emilia, comme une sorte de réconfort.

- C'est une bonne idée, articula finalement Liam d'une voix enrouée, toujours assis dans le canapé. (Il retrouva son air amusé en une seconde). On pourra aussi s'assoir dessus pour réfléchir en se balançant. Peut-être qu'on brisera le rituel plus vite grâce à ça.

- Et alors tu me devras toute ta réussite.

- Bien sûr votre Altesse !

Durant l'échange, Noah s'était décalé vers un pan de mur et s'était mis à afficher des feuilles de papiers, parfois froissées ou à moitié déchirées, et Julian s'approcha par curiosité. Il comprit en arrivant près de lui.

- C'est tes caricatures... souffla-t-il.

- Elles traînaient là, autant en faire quelque chose, répondit-il. Comme ça, j'aurais un cadeau pour le groupe aussi.

Julian traça du bout des doigts les différentes feuilles au grain différent. Noah avait saisi plusieurs scènes au cours des derniers jours avant les vacances : Othilia et Liam, perchés sur des échelles immenses à 40m au-dessus d'un chaudron qu'ils observaient au télescope ; Théa effectivement à moitié endormie à même le sol avec un réveil matin posé à côté d'elle qui présentait une ressemblance troublante avec Aileen puisqu'il avait des cheveux roux et une feuille d'érable entre ses aiguilles ; ou encore lui-même englouti sous une pile de livres de sortilèges. Il y avait même une caricature d'Albert le chaudron avec une vieille barbe et des rides dans un hamac sur une île déserte, comme s'il profitait vraiment de sa retraite.

Il se retourna et promena à nouveau son regard le long de la salle. Elle lui parut beaucoup plus chaleureuse que lorsqu'il y était entré. 

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Voilà ! Plusieurs choses sur ce chapitre : il a trois points de vue, ce qui peut paraître beaucoup, mais j'avais besoin de caser chacune de ses scènes pour montrer différentes choses. 

En ce qui concerne Noah, j'ai bien conscience que sa conduite envers Othilia est à la limite du toxique (et si vous n'aviez pas cette impression, je l'affirme: ne vous laissez jamais traiter comme ça par quelqu'un). Donc pas d'inquiétude, j'ai conscience de l'attitude de Noah et c'est fait exprès. Pour moi, on assiste à un couple qui se délite petit à petit et ça passe par ces moments. 

Ensuite, pour la scène avec Matthew, je n'ai pas pu m'empêcher de faire une ref à Perri avec bébé Simon parce qu'il me fait fondre haha ! 

Et enfin la dernière scène était vraiment là pour acter le fait que le groupe se solidifie. Je suis désolée si elle faisait un peu catalogue avec tous les cadeaux mais voilà ! 

Prochain post : chapitre 30 - 22 novembre 

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