Chapitre 28 : Heather Douzebranches

Salut tout le monde ! J'espère que vous allez bien ! Perso j'ai passé un superbe week-end en retrouvant Perri et Cazo samedi, c'était super chouette (et Clem était évidemment avec nous par le coeur haha). 

Sinon point sportif : la saison du Grand Prix de patinage commence et god c'est l'année Olympique donc ça donne déjà une tendance. Et je suis choquée parce que Nathan Chen n'a pas gagné le Skate America. Chez les filles, Alexandra Trusova est incroyable sachez-le. Voilà je me contenterai de ça, même si je pourrais continuer longtemps. 

Sinon bis point lecteur : un très bon anniversaire à SuzanneGranger et à compoteJAN ! J'espère que vous allez passer une super journée ! 

Mais breeeef... Chapitre du jour donc entièrement consacré à Noah pour changer. J'espère que vous allez aimer ! 

Bonne lecture ;) 

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Chapitre 28 : Heather Douzebranches

« Enfant sans mère, c'est comme un nid sans plumes, sans chaleur »

- Arthur Rimbaud -

// 4 janvier 1980 //

Habiter au-dessus d'un café fréquenté par tout un village revenait à toujours vivre dans le bruit. Noah avait fini par s'y habituer et même par apprécier. Il aimait l'agitation, le son des conversations étouffées, les éclats de rire et le tintements des verres ou des couverts contre les tables qui parvenaient jusque dans leur appartement. Ça lui permettait de se concentrer sur quelque chose plutôt que sur ses propres pensées et il en avait besoin pour des jours comme aujourd'hui. Agité, il pianotait du bout des doigts contre la table de la cuisine depuis plusieurs minutes pour essayer de s'occuper, sans grand succès. En face de lui, Raphaël lui envoya un regard agacé.

- Noah, arrête, ça me rend dingue, s'exaspéra-t-il soudain.

Il suspendit son geste une seconde.

- Quoi ? dit-il en se remettant à faire courir ses doigts sur la surface en bois, provocateur. Tu veux dire ça ?

- Tu sais très bien. Arrête.

- Pourquoi ? Ca ne fait pas de mal.

- T'as juste décidé d'être chiant ?

- Ouh Hilda, t'as entendu ? Raph' est de mauvaise humeur, je crois.

A leur droite, occupée à préparer du thé et du café, tante Hilda leur jeta un regard d'avertissement.

- Arrêtez tous les deux, sermonna-t-elle d'un ton sec. Vous n'avez plus cinq ans, non ? Raphaël, je ne veux plus entendre un langage pareil. Et toi Noah si tu pouvais être un peu moins insupportable, ça nous ferait à tous des vacances.

- Moi ?

- Oui toi, lança son frère avec un regard entendu. T'es insupportable depuis ce matin, comme toujours quand elle vient.

- Peut-être parce que moi je m'en soucie.

- Et pourquoi ? Elle vient quelques heures, elle va nous refaire son numéro de mère aimante et repartir jusqu'aux prochaines vacances. Comme à chaque fois.

Noah serra les mâchoires. Ce débat, ils l'avaient eu des dizaines de fois. Et ils n'étaient jamais d'accord. De toute façon, il ne comprenait pas Raphaël. Ils n'avaient que deux ans d'écart tous les deux, ce n'était pas si éloigné et son frère devait bien avoir des souvenirs de leur vie avec leur mère. Quand Hilda les avait pris chez elle, ils avaient six et quatre ans. Jeunes, mais pas assez pour effacer le souvenir de sa mère qui était restée en filagramme de sa vie, lointaine et omniprésente à la fois. A chacune de ses visites, Noah entendait la même promesse : elle les reprendrait bientôt, ils formeraient une vraie famille et tout irait bien. Raphaël n'y avait jamais cru, il ne l'avait même jamais voulu. Noah, lui, s'accrochait à cette promesse. Même s'il savait qu'elle avait peu de chance de se réaliser, il ne voulait pas se résoudre à la lâcher parce que sinon ça signifiait que sa mère n'avait plus aucune place dans sa vie. Ou en tout cas, elle n'en aurait plus en tant que mère...

- Bon, tous les deux, qu'est-ce que je viens de dire ? intervint Hilda en haussant la voix. C'est mon seul jour de congé, je n'ai pas envie de le passer à vous entendre vous chamailler. Raphaël, je ne veux entendre aucun commentaires sur ta mère, c'est clair ? Elle fait l'effort de venir.

- Grand effort... marmonna-t-il.

- Tu veux passer le reste des vacances dans ta chambre sans balai ?

Raphaël n'eut pas à répondre à la menace, sauvé par la porte de l'appartement qui s'ouvrit brusquement. Noah se retourna. Dans l'encadrement, sa mère apparut alors, un grand sourire sur le visage. C'était toujours perturbant de la voir après tant de temps. Physiquement, elle n'avait pourtant pas changé, mais sa ressemblance avec Hilda semblait s'accentuer avec l'âge. Elles avaient les mêmes yeux bleu, la même forme de visage et les mêmes cheveux noirs bouclés, bien que Hilda les portait beaucoup plus courts. Ceux de sa mère cascadaient autour de son visage, mal définies dans une masse sombre qui lui arrivait à la poitrine dans un esprit de liberté revendiqué. Ces boucles noires, c'était un peu le symbole de la famille Douzebranches. Noah tenait du côté maternel, là où Raphaël avait hérité davantage de leur père.

- Mes garçons ! s'exclama-t-elle en ouvrant grand les bras. Vous m'avez manqué !

Avec réticence, Noah se leva en même temps que son frère et, ensemble, ils se laissèrent entraîner dans une étreinte empressée. Il réalisa, pris au dépourvu, qu'ils dépassaient tous les deux leur mère désormais et il sentit son ventre se contracter. Quand elle s'écarta, elle déposa un baiser sur chacune de leur joue, habitée par une énergie nerveuse.

- Vous avez encore grandi, c'est impressionnant. (Elle enleva son manteau et le déposa sans cérémonie sur le dossier d'une chaise avant de se tourner vers sa sœur). Hilda...

- Heather, répondit-elle avec un hochement tête ferme. Ravie de te voir.

- Moi aussi. Je suis désolée de ne pas avoir pu venir pour noël, j'ai été retenue...

- Par quoi ? voulut savoir Raphaël.

Noah reconnut son ton. D'ordinaire, Raphaël était un garçon poli, joyeux, enthousiasme. Il n'y avait qu'en présence de leur mère qu'il pouvait devenir... comme lui s'il devait être honnête. A cet instant, il savait pertinemment que tout ce que Raphaël voulait faire, c'était mettre leur mère au pied du mur pour son absence à noël. Il le savait parce qu'il n'aurait pas agi autrement s'il avait voulu faire la même chose.

- Oh hum... J'étais en Californie, dit sa mère, mal à l'aise. Ça aurait été compliqué de revenir et...

- Qu'est-ce que tu faisais en Californie ?

- Rien de particulier, j'allais voir quelqu'un.

- Quelqu'un ? Encore un de tes « amis » ?

Face à l'insinuation, Hilda posa avec brusquerie plusieurs tasses sur la table. Ses yeux s'étaient soudain obscurcis et Noah avait assez vu sa colère se tourner vers lui pour savoir que Raphaël venait d'arriver à la limite de sa patience. Et si lui-même n'avait aucun problème pour la franchir, ce n'était pas le cas de son frère. Celui-ci rentra la tête dans les épaules.

- Désolé, marmonna-t-il avant même qu'Hila ait pu lui faire une réflexion.

- Je préfère ça. Allez, asseyez-vous tous. Thé ou café ?

Sa mère et Raphaël s'essayèrent côte à côte et répondirent d'une même voix :

- Café.

- Thé, dit-il.

Hilda lui jeta un regard surpris.

- Tu bois du thé, toi ? s'étonna-t-elle en le servant.

- Et alors ?

- Et alors rien, c'était une simple question. Pas besoin d'être sur la défensive par Morgane.

Il se mordit l'intérieur de la joue pour éviter de répliquer. Il avait conscience d'avoir utilisé un ton peut-être un peu trop sec, mais contrairement à Raphaël il ne prit pas la peine de s'excuser. Sans attendre, il porta sa tasse à ses lèvres et se brûla la langue au passage. Il retint une grimace pour ne pas se prendre une réflexion d'Hilda, même si sa mère lui envoya un regard équivoque, amusée. Il ne savait même pas pourquoi il avait décidé de prendre du thé. Il ne détestait pas ça, mais ce n'était pas non plus sa boisson de prédilection contrairement à un Anglais de sa connaissance légèrement obsédé. C'était bien simple, les matins où ils dessinaient ensemble Julian ne pouvait pas tracer un seul trait sans avoir avalé au moins une tasse de thé et il pouvait râler des heures dans le cas contraire.

Après avoir servie tout le monde, Hilda finit par s'assoir à son tour. Ils devaient offrir une parodie de réunion de famille : tous les quatre autour de la table, tendus et mal à l'aise à se regarder dans le blanc des yeux.

- Alors, qu'est-ce que vous avez à me raconter ? demanda finalement sa mère, un brin trop enthousiaste. Je veux tout savoir !

Au vue de l'expression de son frère, Noah devina que le « tu saurais tout si tu avais été là » était sur le bord de ses lèvres, mais qu'il avait bien trop peur d'Hilda pour le sortir. Il le fit à sa place.

- Si tu avais été, tu le saurais...

Sa mère tressaillit.

- Les garçons, je sais, soupira-t-elle. Je suis désolée, vraiment. Mais je savais que vous étiez avec Hilda et que vous alliez bien... (Elle sourit piteusement). Allez, racontez-moi. Raph', les recruteurs sont venus te voir ?

Elle avait prononcé les mots magiques. A la mention de recruteurs, le visage de Raphaël s'éclaira, toute rancœur oubliée.

- Oui, ils sont venus ! Pas pour une vraie course, mais ils m'ont vu voler. Ils m'ont dit que je devais continuer à m'entraîner et que j'étais vraiment doué. L'année prochaine, si j'arrive à battre mon chrono, ils envisagent de me proposer un stage d'été !

- C'est vrai ? C'est fantastique !

- Proposer est un bien grand mot, intervint Hilda, crispée. Le stage coûte cher.

L'enthousiasme de sa mère se fana.

- Oh...

- Je sais que tu ne penses pas souvent à l'argent, Heather, mais c'est à prendre en compte. (Elle secoua la tête). Dans tous les cas, les encouragements des recruteurs sont un bon signe. Raphaël m'aide un peu au Café pour compenser et je devrais réussir à lui payer.

- Ca serait vraiment une bonne opportunité. Merci... Et je te promets d'essayer de t'envoyer de l'argent dès que je peux. J'ai peut-être trouvé du travail à New York.

- Vraiment ? Un travail que tu comptes garder cette fois ?

Noah aurait dû voir la remarque venir. Depuis qu'elle les avait laissé vivre avec Hilda, sa mère n'avait jamais eu d'emploi stable. Son record devait être les huit mois durant lesquels elle avait travaillé dans une galerie d'art moderne juste avant son entrée à Ilvermorny. Il n'avait jamais autant aimé lui rendre visite qu'à cette époque. A côté de lui, sa mère redressa le menton avec dignité et avala une gorgée de café avant de répondre.

- Oui, je pense qu'il peut me convenir. C'est un travail de serveuse.

- De serveuse ? Heather, le nombre de fois où je t'ai proposé de travailler ici...

- Ce n'est pas la même chose. Ici, c'est ton Café. On se serait hurlées dessus au moindre verre cassé. Et puis le Village, c'est toujours les mêmes têtes.

- Une clientèle fidèle, corrigea Hilda. Ce qui veut dire un revenu assuré pour élever tes fils.

L'accent sur le « tes » n'échappa à personne, tout comme son regard entendu. Raphaël hocha la tête pour marquer son accord et Noah serra les dents. Il ne voyait pas en quoi c'était un argument raisonné. Pour lui, c'était encore un rappel qu'Hilda consentait à les garder sous son toit par obligation et son ventre se serra en repensant pour la énième fois à son expression le jour où elle avait refermé la porte après avoir obtenu leur garde quand il avait douze ans. Solennelle et déterminée. Puis, elle s'était décomposée quand il s'était mis à vouloir retourner auprès de sa mère pendant que Raphaël allait déjà explorer sa nouvelle chambre.

En face de lui, sa mère ne laissa pas atteindre et elle se redressa, comme pour se donner un air important.

- C'est vrai, consentit-elle après quelques secondes sans relever la pique. Mais je te le promets, ce travail paye bien et le patron a besoin de moi pour toute l'année minimum. C'est dans un bar gay de Brooklyn, la clientèle est fidèle aussi et...

- Pardon ?

La voix d'Hilda s'étrangla tandis que Raphaël plongeait son nez dans sa tasse de café pour étouffer une exclamation. Noah, lui, redressa la tête si brusquement que ses cervicales protestèrent.

- Heather, dit-elle d'une voix sourde. Je t'en prie, ne me dis pas que tu vas travailler dans ce genre d'endroit !

- Quoi ? C'est juste un bar comme un autre. Tu as dit toi-même que je devais trouver du travail !

- Un travail respectable !

- Je vais être serveuse, ce n'est pas si éloigné de ce que tu fais ici...

Immédiatement, Hilda leva un doigt sévère pour l'interrompre.

- S'il te plait, ne compare pas mon Café à ce genre... d'établissement.

- D'accord, d'accord... Mais avoue que ça sera l'occasion d'avoir une certaine stabilité et un bon salaire. Tu disais que le stage de Raphaël coûtait cher, ça sera parfait pour le soutenir.

- Je suis prête à lui payer entièrement pour qu'il réussisse et s'épanouisse dans ce qu'il aime faire, argua Hilda. Ne me remets pas en cause. Mais je préférerais que tu trouves un travail... plus convenable avant d'envisager autre chose.

- Pourquoi ? C'est exactement la même chose qu'un bar classique à New York.

- Ne joues pas à l'idiote, Heather. Ces gens sont différents et tu le sais.

A ces mots, Noah sentit son corps entier se crisper. Il avait toujours détesté ce mot. Différent. Toute sa vie, il avait été classé comme différent. Il venait d'une famille éclatée au père absent et à la mère instable ; il avait été élevé par sa tante contrairement aux autres enfants ; il avait toujours préféré les arts au Quodpot ; et Hilda lui avait répété des dizaines de fois qu'il était trop impertinent pour son bien et qu'il ne savait pas se taire quand il le fallait. Comme si quelque chose clochait chez lui. Et aujourd'hui, il se demandait si l'impulsion qui l'avait saisi en prenant la main de Julian Shelton pendant le dernier match de Quodpot avant les vacances le rangeait à nouveau dans cette case. Différent.

Nerveux, il avala la fin de sa tasse de thé pendant que sa mère rejetait sa lousse masse de boucles informes dans son dos.

- Oui, ils sont un peu spéciaux, reconnut-elle avec une nonchalance étudiée qui sonnait fausse. Et alors ? S'ils laissent des pourboires, je ne demande rien plus. Je ne suis pas du Conseil des Guérimages. Chez les Non-Maj', ce n'est même plus pénalisé.

- Magnifique, prenons les Non-Maj' comme exemple maintenant.

- Hilda, s'il te plait... Laisse-moi essayer au moins. (Elle lui envoya un regard suppliant). Pour les garçons...

- Ne mêle pas les garçons à ça. Je te l'ai dit, je m'occupe du stage de Raphaël. Il le mérite, c'est une fierté que les recruteurs s'intéressent déjà à lui et il a progressé en vol sans négliger son travail scolaire.

Les compliments d'Hilda parurent illuminer Raphaël qui eut un grand sourire. Noah roula des yeux. Malheureusement pour lui, sa tante intercepta son geste.

- Je te déconseille de faire le moindre commentaire, toi, prévint-elle. Ou est-ce que tu veux qu'on reparle de tes notes ce semestre ? De ton projet d'orientation qui n'avance pas ?

- Hilda...

- Non Heather, ce n'est pas parce que tu es là qu'on doit éviter ce genre de sujet. C'est même l'inverse. Peut-être que tu devrais commencer à t'en soucier. (D'un geste sec, elle fit léviter leur tasse vers l'évier et Noah se retint de protester qu'il n'avait pas terminé la sienne). Tu as réfléchi depuis la dernière fois ? demanda-t-elle en s'adressant cette fois à lui. Tu as revu ta directrice de maison ?

- Everard est toujours occupée.

- Professeur Everard, Noah. Un peu de respect. Et je suis sûre que Miranda Fleming pourrait t'aider si ta directrice n'est pas disponible. Elle me l'avait dit.

A nouveau, il roula des yeux. Ce n'était peut-être la chose la plus intelligente à faire, mais ça traduisait assez bien son sentiment pour qu'il ose le faire. Il ne se voyait pas aller demander des conseils d'orientation à sa professeure de sortilèges qui ne ferait que répéter encore le même discours : s'il travaillait un peu, il aurait les capacités de choisir sa voie après son diplôme. Il n'était pas mauvais en sortilèges, ni en histoire... Mais à la simple idée de devoir continuer à suivre ce genre de matière l'ennuyait déjà.

- Il n'est pas obligé de poursuivre dans des études, suggéra sa mère avec prudence. Il pourrait avoir une place d'apprentie quelque part pour faire quelque chose de concret ? Chez un apothicaire ou un fabricant de balai ?

- Tu m'as pris pour Raphaël ?

- Oh hum... Je ne sais pas... Qu'est-ce que tu voudrais, toi ?

Elle le regarda, l'air sincèrement intéressé, et il se fit la réflexion que ça changeait d'Hilda et de ses attentes préconçues. Sans sa tasse pour s'occuper les mains, il se remit à pianoter du bout des doigts sur la table, hésitant. Raphaël se tendit, mais il n'arrêta pas avant de répondre :

- Une école d'art, lâcha-t-il.

La réaction fut immédiate. Hilda émit un claquement de langue réprobateur.

- Et encore cette idée, grommela-t-elle. Vous ne m'épargnerez rien tous les deux...

- Quoi ? Tu trouves que l'école d'art est pire que le bar gay ? provoqua-t-il.

- Non, mais c'est irréaliste. On en a déjà parlé. Qu'est-ce que tu veux faire avec une école d'art ?

- Hum de l'art ? C'est dans le titre, je crois.

- Ne joues pas au plus malin avec moi, Noah. Un diplôme d'art, très bien, mais après ? Qu'est-ce que tu feras après ? Ce n'est pas une carrière simple ni sûre, il vaudrait mieux...

- A quoi ça sert de me demander si tu te fous de ce que je veux ?

Hilda pinça les lèvres.

- Un autre vocabulaire, s'il te plait, sermonna-t-elle. Et je ne m'en fiche pas, j'essaye d'en discuter mais... Noah ! Noah reviens !

- Non, c'est bon, j'en ai assez entendu.

Brusquement, il se leva, le corps tendu et traversa la cuisine avant même qu'Hilda ait pu faire un geste pour le retenir. Il avait envie de sortir d'ici le plus vite possible. Il n'avait pas attendu de revoir sa mère depuis des mois pour se retrouver coincer autour d'une table dans une parodie de conseil de famille où il n'avait pas voix au chapitre. Pendant une seconde pourtant, il vit l'éclat blessé qui traversa le visage de sa tante et il songea à revenir en arrière avant de renoncer. Il ne voulait pas avoir l'air de céder.

Deux par deux, il monta l'escalier étroit qui menait aux chambres en ignorant les appels dans son dos. Pour faire bonne mesure, il referma la porte un peu plus fort que nécessaire, même s'il se retint de la claquer par égard pour le loyer qu'Hilda s'acharnait à payer. Les mains tremblantes, il chercha son paquet de cigarette sur son bureau recouvert de parchemin, de plumes cassées et de matériel à dessin en tout genre sans le trouver et il poussa un grognement frustré. Il aurait dû tout ranger depuis le début des vacances, mais il avait évidemment laissé les jours passer. Agacé, il finit par attraper un cahier et un crayon avant de s'assoir à même le sol, dos contre son lit. Il laissa sa main courir sur la première page blanche qui se présenta sans réellement réfléchir, traçant des traits au hasard juste pour se défouler.

Ses doigts étaient si crispés autour du crayon qu'il en avait mal, mais il se refusa à céder, même face à la douleur. Il sentait sa colère obstruer sa poitrine et c'était la seule façon de la canaliser un tant soit peu. De toute façon, son cerveau n'arrivait même plus à comprendre contre quoi il était en colère. Raphaël pour être tout ce qu'il n'arrivait jamais à être ? Sa mère pour entrer et sortir de sa vie tous les trois mois ? Hilda pour toujours vouloir tout contrôler ? Avec ironie, il se souvint de ce qu'il avait dit à Julian lors de leur première conversation : « je ne sais pas contre quoi tu es en colère, mais je plains sincèrement ton crayon ». Le karma avait un drôle d'humour.

Rageur, il continua à maculer la page blanche de lignes noires et faillit manquer le moment où la porte se rouvrit. Il leva les yeux.

- Tu te souviens encore du chemin jusqu'à ma chambre ? lança-t-il d'emblée.

Dans l'encadrement, sa mère soupira, las.

- Noah... Je viens en paix, allez.

Il garda le silence. Elle parut prendre ça comme une acceptation et entra franchement dans la chambre en refermant la porte derrière elle. D'une démarche qui n'était décontractée qu'en apparence, elle se mit à faire le tour, observatrice. Il garda un œil sur elle, curieux de voir ses expressions alors qu'elle découvrait certains détails de sa vie. En vérité, il n'avait pas beaucoup d'affaires ici puisque la plupart était dans son dortoir à Ilvermorny, mais il supposait qu'il y en avait assez pour entrapercevoir la personne qu'il était. Au mur, sa mère contempla plusieurs photos qu'il avait accroché plus jeune : lui et Othilia posant devant le mur d'enceinte d'Ilvermorny l'année dernière ; Liam et Aileen s'envoyant des boules de neige en deuxième année juste avant qu'ils arrêtent de se parler ; son dortoir avec Enjolras, Wilde et lui debout sur leur lit respectif pour fêter les vacances en quatrième année ; Raphaël et lui assis sur le comptoir du café à sept et neuf ans en faisant des grimaces pendant que Hilda tentait – presque hors cadre mais pas complètement – de les faire se tenir tranquille. Mais sa mère s'arrêta particulièrement sur la plus ancienne des photos. Elle était plus petite par rapport aux autres et de mauvaise qualité, mais elle occupait une place centrale : elle y était représentée, âgée d'une trentaine d'année, allongée dans un lit d'hôpital. Sa tête était à moitié baissée et cachée par sa lourde masse de boucles indisciplinées, mais on pouvait quand même discerner l'expression de joie presque transcendantale sur son visage. Dans ses bras se tenait un nourrisson enveloppé dans une couverture et elle lui souriait en passant doucement le bout de son doigt contre sa joue.

- Je ne savais pas... je ne savais pas que tu avais encore cette photo...

- C'est Hilda qui l'avait. Elle me l'a donné.

- Oh...

Avec une retenue qu'il n'avait jamais vu chez sa mère, elle traça le bord de la photo, comme un miroir du geste qu'elle avait effectué dix-sept ans plus tôt.

- 4 juillet 1962, murmura-t-elle d'une voix enrouée. Tout le monde fêtait la fête nationale et moi je hurlais de douleur dans une salle d'accouchement. (Elle émit un rire étouffé en secouant la tête). Ton père n'arrivait pas alors j'ai fini par demander Hilda... Elle t'a tenu dans ses bras avant moi...

Noah sentit une boule se glisser dans sa gorge tant la symbolique de cette anecdote était forte. A bien y regarder, il n'avait jamais tout à fait quitté les bras d'Hilda... Sa mère continua d'observer la photo un long moment et finit par se détourner avant de reprendre :

- Mais quand elle t'a enfin déposé dans les miens... dit-elle. Morgane, les autres pouvaient bien s'extasier devant des feux d'artifice, moi je t'avais toi.

- Je n'étais pas aussi brillant.

- Et pourtant je ne voyais que toi. (Elle sourit, soudain plus familière, et sortit une cigarette de la poche de sa veste pour la porter à ses lèvres). Tu sais, quand tu étais petit tu me demandais toujours pourquoi les voisins décoraient leur maison pour ton anniversaire. Ça me faisait rire.

- Tu me disais que c'était tout le monde voulait le fêter avec moi mais ne pouvait pas venir à ma fête.

- Il fallait bien que je trouve quelque chose pour te faire plaisir.

Il roula des yeux, trahissant seulement son amusement par le coin de ses lèvres qui tressaillit malgré tout. Sa mère reprit son tour et alluma sa cigarette. Elle avisa la pile de papiers et de livres sur son bureau avant de le désigner d'un coup de menton.

- C'est quoi tout ça ?

- Des trucs pour les cours... Mon matériel à dessin aussi...

- Hum... Tu dessines toujours alors ?

Elle avait beau avoir posé sa question d'un ton neutre, il perçut sa prudence. Vu sa réaction tout à l'heure à la mention de l'école d'art, il ne l'en blâmait pas, mais il se crispa tout de même et se remit à tracer ses lignes noires mécaniquement sans la regarder.

- Faut croire, marmonna-t-il.

- Je peux voir ?

- Voir quoi ?

- Ce que tu dessines. Je peux... regarder là-dedans ?

D'un geste vague, elle désigna son bazar et il hésita une seconde, anxieux, avant d'hausser les épaules en espérant avoir l'air détaché.

- Vas-y, accepta-t-il, mais c'est juste des brouillons ou des croquis comme ça.

- Hum...

Elle ne parut pas vraiment entendre ce qu'il disait, trop occupée à fouiller parmi toutes les feuilles. Sa cigarette pendait entre ses lèvres et elle prit le temps d'en tirer une bouffée une seconde. Il la regarda avec envie. Peut-être qu'elle arriverait à retrouver son paquet là-dedans. Il faudrait juste qu'il trouve une excuse pour justifier sa présence si Hilda venait lui demander des comptes.

- Tu veux ? demanda-t-elle soudain en interceptant son regard.

Surpris, il arrêta même de dessiner pour la dévisager. Il s'attendait presque à ce qu'elle se mette à rire, mais elle avait l'air sérieuse et il tendit la main.

- Ouais...

Sans cérémonie, elle lui passa donc sa cigarette et se remit à chercher dans ses dessins. Il ravala un rire incrédule. Parfois, il oubliait à quel point sa mère pouvait être différente de Hilda ou de toutes les mères ordinaires. Elle avait un esprit libre depuis toujours – peut-être un peu trop – et elle n'avait jamais bien compris les responsabilités qu'impliquaient d'avoir des enfants. Il en avait encore la preuve à cet instant, mais il tenta de faire taire son esprit en tirant sur la cigarette.

- C'est plutôt réussi, jugea-t-elle alors en faisant défiler plusieurs feuilles à la suite. Enfin je ne m'y connais pas mais j'aime bien les caricatures. Celles de Hilda ou de Hicks sont drôles. (Elle sourit). Cette série là aussi est pas mal...

Noah plissa les yeux pour voir celles dont elle parlait et se figea. C'étaient des dessins qu'il avait ramenés d'Ilvermorny et qu'il avait dessiné tout le semestre lors de ses séances matinales avec Julian. Il y avait un peu de tout dedans : des esquisses du dortoir, du parc en contrebas, d'objets en tout genre. Mais le principal sujet de cette série était Julian lui-même. Il l'avait représenté sous plusieurs angles. Assis sur son lit en train de dessiner ou de boire du thé, simplement ses yeux ou ses mains, et parfois sa silhouette pour s'entraîner. Il ne trouva rien à répondre et sa mère garda un visage neutre en contemplant avec attention chaque dessin.

- C'est un de tes camarades de dortoir ? interrogea-t-elle finalement.

- Jules ? Hum je veux dire Julian ? Ouais... Il est nouveau.

- Oh ?

- Il vient d'Angleterre.

Un éclair de compréhension traversa le visage de sa mère.

- A cause de la guerre ? devina-t-elle. Ça doit être dur pour lui le pauvre.

- Plutôt. Il a perdu sa mère dans un attentat. Les mangemorts ont fait explosé le bâtiment où elle travaillait. Tu sais, les Archives Historiques de Londres ? Ils en ont parlé dans le journal.

- Les Archives... (elle s'interrompit et baissa brusquement les feuilles qu'elle tenait encore à la main). Attends comment tu as dit qu'il s'appelait ? Ton camarade ?

- Julian.

- Non, son nom de famille.

- Oh... Shelton. Il s'appelle Julian Shelton. C'est le cousin de Théa Grims.

Perplexe, il se demanda pourquoi sa mère s'intéressait soudain à Julian et il scruta les changements d'expression sur son visage. Elle gardait les sourcils froncés, l'air concentré, avant que le choc ne prenne le dessus.

- Grims... Archives Historiques... Londres... se mit-elle à murmurer comme si elle énumérait les pièces d'un puzzle.

- Maman ?

Le mot lui fit presque étrange à prononcer tant il le disait peu, mais il s'inquiéta soudain en la voyant blêmir. Il amorça un geste pour se lever. Une autre chose qu'il avait compris avec l'âge sur sa mère : elle n'était pas ce qu'il pouvait appeler « stable ». Quand il était tout petit – pendant sa deuxième grossesse – elle avait fait un séjour en psychiatrie à l'Hôpital Sorcier de New York pour dépression. Son état s'était amélioré, mais Hilda lui avait un jour expliqué qu'elle avait toujours été comme ça, entre haut et bas selon les périodes. Ça s'était accentué à l'adolescence. Quand elle les avait pris sans rien dire à personne en deuxième année, les emmenant en cavale pendant des semaines, les juges avaient exigé qu'elle soit réinternée quelque temps. A chaque fois qu'il la voyait, c'était comme jouer à pile ou face. Elle pouvait être excitée et heureuse ou apathique et habitée par une tristesse mélancolique selon ses humeurs. Raphaël détestait être pris au dépourvu à ce sujet, à tel point qu'il en était venu à ne plus vouloir la voir un moment. Noah, lui, avait persévéré. Les guérimages n'avaient de toute façon pas d'explication. Elle n'était pas bipolaire : elle ne correspondait pas à tous les critères médicaux. Mais elle en avait certains aspects dû à sa personnalité et sa vie chaotique. Et si aujourd'hui elle avait eu l'air d'aller bien jusqu'ici, il savait qu'un rien pouvait la faire basculer parfois.

- Maman ? répéta-t-il.

- Sa mère... C'est Aurélia Grims ? Elle est morte dans l'attentat ?

Il fronça les sourcils.

- Oui mais... Tu la connaissais ?

- Un peu. Il y a longtemps... On était à Ilvermorny ensemble, elle avait deux ans de moins que moi. Je ne pensais pas... je n'aurais pas pu imaginer qu'elle était morte. Surtout comme ça.

- Je pense que personne ne peut imaginer ce genre de choses. C'est tordu.

- Oui, oui bien sûr mais... Elle m'avait toujours paru si forte. Tu sais c'était le genre de fille qui captait l'attention. Morgane, mourir comme ça...

L'air perturbé, elle baissa à nouveau les yeux vers les feuilles qu'elle tenait et vint s'assoir à côté de lui. Il lui repassa la cigarette sans réfléchir.

- Il lui ressemble, commenta-t-elle soudain en la portant à ses lèvres comme si elle voulait changer de sujet. (Elle déposa la série à leur pied, étalée à la suite). Enfin, je veux dire que si tu dessines bien, je dirais que son fils lui ressemble en tout cas.

- « Si » ? Eh, je dessines très bien je te ferais dire. Mes dessins ressemblent plus à Julian que Julian lui-même.

Sa mère rit, amusée.

- Ca ne veut rien dire, ça !

- Bien sûr que si, maintint-il, buté.

- Si tu le dis... Je comprends pourquoi Hilda a du mal avec toi parfois. T'as la tête dure, mon fils.

La remarque, prononcée sur le ton de l'humour, effaça malgré tout son sourire et il se tendit. Elle le remarqua immédiatement. D'une main ferme, elle lui attrapa le menton pour le forcer à se tourner vers elle et il émit une protestation sourde, en vain. Elle planta ses yeux bleus dans les siens, si semblables.

- Oh Noah... souffla-t-elle. Il va falloir que tu arrêtes de lui en vouloir pour quelque chose qu'elle n'a pas fait. Ne lui pas payer mes erreurs.

- A cause d'elle, t'as perdu la garde...

- Non. Hilda n'a rien fait à part vous protéger et tu le sais. J'ai perdu la garde à cause de moi. Je n'étais pas bien ce jour-là, je n'aurais jamais dû vous prendre comme ça sans rien dire à personne... Tout ça pour retrouver un homme qui n'a jamais assumé son rôle de père. C'était complètement irréfléchi.

- Tu voulais qu'on soit une famille...

- Mais on l'est. A notre façon. Et je promets qu'un jour vous pourrez revenir avec moi.

Il déglutit, les yeux brûlants. Il se refusa de laisser sa voix trembler en demandant :

- Quand ?

- Bientôt, répondit-elle sans hésiter. Je te le promets.

Malgré la ferveur qu'elle mettait dans ses mots, il ne put s'empêcher de douter. D'un coup sec, il se dégagea et se remit à griffonner furieusement. Sa main formait maintenant des boucles répétées sans qu'il fasse vraiment attention.

- Ca ne change rien au fait qu'Hilda ne m'aime pas...

- Qu'est-ce que tu racontes ? Evidemment qu'elle t'aime. Elle a juste du mal à le montrer, un peu comme toi.

Il secoua la tête.

- Elle n'arrête pas de crier, protesta-t-il. Tout ce que je fais, ce n'est jamais assez... J'ai l'impression de la décevoir dix fois par jour.

- Comme je disais, tu as juste la tête dure. Il faut que tu l'écoutes un peu et vous arriverez déjà à mieux communiquer.

- C'est le gobelin qui se fout du nifleur. Tu n'écoutes jamais Hilda.

Elle considéra le point et grimaça. Lentement, elle pris une nouvelle bouffée de sa cigarette puis rejeta la fumée vers le plafond. Il la lui reprit des mains sans demander.

- C'est vrai, concéda-t-elle finalement. Mais ça a toujours été comme ça, même quand on était petites. Tu as de la chance d'avoir presque le même âge que Raphaël. Quatre ans de différence entre deux filles, c'était infernal. Ça l'est toujours d'ailleurs, ajouta-t-elle après quelques secondes de réflexion. Elle est une sorte d'hybride entre une grande sœur et une mère toujours sur mon dos. Ou sur le tien. C'est une déformation professionnelle je pense à ce stade. Mais garde en tête qu'elle le fait parce qu'elle tient à nous, d'accord ?

- Hum...

- Ce n'est pas une réponse ça.

- Si elle acceptait pour l'école d'art...

Il n'eut pas le temps de terminer sa phrase que sa mère soupira.

- Noah, ça ne va pas être simple ça...

- Pas grave. J'aurais dix huit ans cette année. Elle ne pourra pas contrôler ma vie après Ilvermorny.

- Déjà, je te rappelle que tu as encore une année à faire. Et je suis sérieuse, mon fils. Tu vas terminer tes études. Si je l'ai fait, tu peux le faire crois-moi. Ensuite, elle ne pourra peut-être pas contrôler ta vie, mais une école d'art va coûter cher. Comment tu veux faire sans elle, hum ?

- Je sais pas... Je trouverai bien.

Elle émit un rire étouffée.

- Ca c'est un plan, se moqua-t-elle.

- Tu pourras me la payer, non ? Avec ton nouveau job ?

Son sourire disparut.

- Tout miser sur moi, c'est un risque important... Certains te diraient que tu es inconscient.

- Ou que je crois en toi.

Elle se figea. Pendant de longues secondes, ils se regardaient et une forme de compréhension passa entre eux. Elle sourit alors tristement et passa une main douce dans ses cheveux, comme lorsqu'il était petit. Il se laissa aller contre elle.

- Parfois je me dis que tu es bien le seul, souffla-t-elle, mélancolique.

Sa main retomba entre eux. Elle regarda dans le vide un moment et il tenta de chasser le poids qui était revenu peser sur sa poitrine. Il détesta ce sentiment. Il avait l'impression d'être coincé dans son propre corps... ou peut-être dans sa propre tête. Plus que tout, il détestait savoir que sa mère devait ressentir cette sensation encore plus intensément que lui. Il baissa les yeux sur le dessin qu'il griffonnait depuis tout à l'heure et découvrit alors ce qu'il avait fait : un amas noir sur tous les contours de la feuille, comme une manifestation de son humeur, et au centre une masse de boucles informes encadrant deux yeux féminins. Il supposa avec ironie que pour un portrait de sa mère, il était plutôt symbolique.

- Bon on a assez parlé de choses déprimantes, décida-t-elle soudain en secouant la tête comme pour s'éclaircir l'esprit. Parlons de quelque chose de mieux, d'accord ?

- Comme quoi ?

- Je ne sais pas. Tout ! Raconte-moi ta vie. Tu es toujours avec... comment elle s'appelle déjà ?

- Othilia. Mais sérieux...

- Ah ah ! Allez, juste pour satisfaire ma curiosité. Ça va faire combien de temps que vous êtes ensemble ?

- Deux ans...

Il supposait que c'était une réponse en partie vraie. Il s'était rapproché d'Othilia en troisième année, juste après tout le fiasco avec Aileen et Liam. Ils avaient partagé plusieurs cours et s'étaient juste bien entendus. A l'époque, son amitié avec Wilde – fils de Gouverneur – et son nom de famille ancestral lui avaient valu d'être parmi les élèves populaires. Il avait commencé à développer ses réparties aussi, ce qui avait aidé. Très vite, son amitié avec Othilia Fontaine, la fille parfaite, avait été l'objet de rumeur dans toute l'école. Les gens les disaient ensemble, spéculaient, faisaient circuler des rumeurs... Il était à peu près certain que la plupart de ses camarades pensaient qu'il était déjà en couple avec Othilia à ce moment-là. En vérité, ils n'avaient commencé à sortir ensemble officiellement qu'en milieu de quatrième année. Et encore, ça avait plus été une injonction sociale qu'autre chose. Mais les sentiments avaient été là au moins. Il aimait sincèrement Othilia qui avait été là pour lui, sans condition, même si elle avait une affreuse tendance à vouloir jouer les Hilda 2.0 quand elle s'y mettait. Ils avaient déjà eu la conversation sur leur orientation plus tôt cette année et elle s'était par exemple rangée du côté de sa tante, arguant que l'art n'allait pas le mener loin et qu'il avait les capacités de faire plus... Il était parti en claquant la porte. En y repensant, il songea qu'il n'aurait peut-être pas dû réagir si excessivement, mais il n'avait pas pu s'en empêcher. Même maintenant, des mois après, il sentit l'agacement monter en lui rien qu'en y repensant.

- Deux ans, répéta sa mère, songeuse. C'est bien... Tu crois que je pourrais la rencontrer un jour ?

- Pourquoi est-ce que tu voudrais la rencontrer ?

- Parce que ta vie m'intéresse ? (Elle haussa un sourcil). Quoi ? Tu as honte de mère ?

- Non, dit-il un peu trop vite, incertain lui-même quant à la véracité de sa réponse. De toute façon, elle a déjà affronté Hilda. Tu ne fais pas le poids.

- Vraiment ? Et elle a survécu ?

- On peut dire ça. Hilda dit qu'elle me distrait et que je devrais arrêter de me préoccuper des filles au lieu de penser à mon avenir. Elle l'a plutôt bien fait sentir pendant tout le dîner et Othilia a déclaré en repartant qu'elle ne voulait plus jamais revenir. Au moins, elle n'a pas pleuré.

- Une fille forte, apprécia-t-elle. Hilda exagère sur ce point. Je lui parlerai si tu veux.

Il haussa les épaules.

- Ne t'inquiète pas, ça ne me dérange pas.

- Quoi ? Qu'elle n'aime pas ta copine ? s'étonna-t-elle avant de plisser les yeux, suspicieuse. Pitié, ne me dis pas que tu sors avec elle juste pour énerver Hilda ?

- Non, rassura-t-il avec un rictus. Si je voulais vraiment l'énerver, il y aurait des moyens plus efficaces.

- Comme ?

- Sortir avec une Non-Maj'. Ou une femme mariée ! Un mec même !

- Noah !

L'air indigné, elle lui donna une tape sur le bras et il éclata de rire. Pourtant, il n'arriva pas à ignorer le léger malaise qui se diffusa au fond de son esprit, comme un grain de sable impossible à ignorer. Il se demanda si sa mère le soutiendrait vraiment s'il lui annonçait avoir une relation avec une Non-Maj' ou un homme. Il pouvait au moins rayer une femme mariée de la liste pour le moment. Ce n'était même pas de la provocation pour une fois, juste une véritable curiosité. Il ne comprenait pas vraiment les limites que les gens s'imposaient. Il avait toujours aimé les faire exploser de toute façon, les dépasser... Mais il supposait que ce n'étaient pas réellement des limites dont il était question ici. C'étaient des lois. Même si la loi Rappaport qui interdisait une époque le mariage entre sorciers et Non-Maj' avait été abrogée, son poids continuait à peser sur les consciences. Celle sur les Bonnes Mœurs continuait quant à elle d'exister.

Il ne dut pas aussi bien maitriser son expression qu'il l'aurait voulu car sa mère cessa soudain de sourire, sérieuse.

- Eh, tu sais que ça ne changerait rien pour moi, pas vrai ? murmura-t-elle avec gravité.

- Quoi ?

- Si c'était une Non-Maj'.

Il sentit son cœur lui remonter dans la gorge. Il n'était pas sûr que ça soit la réponse qu'il aurait voulu entendre.

- Tout ce truc de garder la famille pure que mes parents m'ont inculqué... je n'y ai jamais cru. De toute façon, ils ont déjà de la chance. Avec deux filles, le nom des Douzebranches aurait dû s'éteindre. Finalement, ils devraient être reconnaissant du fait que je vous ai eu hors mariage toi et ton frère.

Il se força à afficher un sourire crispé.

- Ouais sûrement... Mais non t'inquiète pas, je compte rester avec Othilia encore un peu normalement.

Au moins, elle est sang-pure, songea-t-il. Il débattit tout de même avec lui-même pour savoir s'il osait pousser la limite à lui demander ce qu'elle penserait si c'était un gars qu'il ramenait un jour, juste pour voir sa réaction. Il songea à Julian et à leurs mains qui s'étaient rejointes pendant le match... Mais les mots restèrent coincés en lui. Il aimait peut-être jouer avec les limites, mais pas avec les lois. Parce que si sa mère pouvait finir en psychiatrie, lui aussi. Vu les antécédents de sa famille, la communauté magique et les guérimages seraient même ravis de l'y mettre.

Ramassant les feuilles et le carnet éparpillés à ses pieds, il se releva brusquement pour éviter de s'attarder sur la question et se retourna vers sa mère.

- On devrait redescendre, suggéra-t-il. Raph' va m'en vouloir sinon de te monopoliser.

- Il n'avait qu'à monter.

- Je suis sûr qu'Hilda le retient prisonnier.

Elle sourit et inclina la tête en accord.

- T'as raison, dit-elle en se relevant à son tour. Allons le délivrer.

Alors qu'elle ouvrait la porte, il déposa tout sur son bureau toujours aussi mal rangé. Son regard s'attarda une dernière fois sur l'esquisse du portrait de Julian qu'il avait réalisé et son ventre se tordit en réponse avant qu'il ne suive sa mère. Il claqua la porte avec un peu trop de force derrière lui. 

**************

Verdict ?

ATTENTION : La semaine prochaine, ne loupez pas le retour de ATDM avec le début de publication régulière du tome 3. Il sera publié en alternance avec LHDI

Prochain chapitre : 8 novembre - chapitre 29

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