Chapitre 23 : Au royaume de la norme
Bonjour tout le monde ! J'espère que vous allez bien et que la fin d'année scolaire s'est bien passée. Je n'ai pas suivi, mais ça y est le bac est terminé là ? Comment ça s'est passé pour vous ? ^^
Petit warning pour ce chapitre : il dépeint une scène de violence - que j'ai eu beaucoup de mal à écrire au vu du sujet - et il faut la remettre dans le contexte de l'époque, même si malheureusement ce genre d'agressions existent encore aujourd'hui. Enfin voilà, je préfère prévenir pour les personnes qui préféraient lire en diagonale.
Et sinon, je conseille à tout le monde d'aller écouter Eddy de Pretto parce que j'adore ses textes et ses musiques !
Bonne lecture ! On se retrouve en bas pour plusieurs informations ^^
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Chapitre 23 : Au royaume de la norme
« À tous les bizarres (oh), les étranges (oh), les bâtards
À tous les monstres, ceux qui dérangent, les mis à l'écart
À tous les parias (oh), les exclus (oh), sans égards. »
- Eddy de Pretto -
// 15 décembre 1979 //
- Courage au cœur, témérité au corps ! Womatou ! Esprit guerrier avant tout !
- De connaissances nous ne sommes jamais repus chez les Serpents Cornus !
De part et d'autre du stade, les slogans des maisons résonnèrent à travers les gradins. Tous les élèves s'y étaient rassemblés pour le second match de Quodpot de la saison, juste avant de repartir pour les vacances de noël. Emmitouflé dans sa cape d'hiver, Julian contempla le ciel plombé qui annonçait certainement des chutes de neige prochaines. Il avait fait l'effort de venir voir le match pour soutenir sa maison en espérant secrètement une défaite cuisante des Womatou, juste pour effacer l'air suffisant de sa cousine. Assise un rang en dessous de lui, elle se retourna pour lui jeter un coup d'œil malicieux et il lui répondit par une grimace. Ils avaient parié ensemble le matin même cinq Dragots pour leur maison respective. Avec le recul, il entendit la voix de Matthew lui dire au fond de son esprit que ce n'était sûrement pas malin : il n'y connaissait rien en sport et encore moins au Quodpot, et en plus il avait encore du mal à vraiment se rendre compte de la valeur de la monnaie américaine. En somme, Théa avait tout à gagner.
- Tu penses au pari que tu vas perdre ? glissa Noah à côté de lui.
Julian se tourna vers lui. Epaule contre épaule pour regarder le match, il put apprécier les boucles noires de Noah harassées par le vent hivernal.
- Je ne vais pas perdre, assura-t-il. Serpent Cornu va gagner.
- Tu sais que les Womatou ont la meilleure équipe, pas vrai ?
Surpris, il écarquilla les yeux.
- Quoi ?
- Oh Morgane, Jules, dit-il en secouant la tête.
Le surnom lui fit soudain étrange. Ça faisait pourtant plusieurs semaines que Noah l'employait, mais ils étaient toujours seuls quand ça se produisait, généralement le matin dans leur dortoir. Il ne l'avait jamais dit à voix haute devant les autres, même pendant leurs séances de travail pour percer le contre rituel. Au début, la présence de Noah lui avait fait étrange : il était arrivé là par la force des choses après les avoir surpris, lui, Théa et Othilia dans la réserve de potions. Lorsqu'il l'avait ramené à Alberta – le nom stupide de leur salle de classe vide – Liam avait failli en faire une syncope. Il avait fallu qu'Aileen déploie tous ses trésors de patience et de diplomatie canadienne pour le calmer.
Pourtant, même comme ça, Liam et Noah n'avaient presque pas échanger un mot. Ils se tenaient à l'écart l'un de l'autre, chacun à un bout de la pièce en travaillant respectivement avec Othilia sur les potions et avec Aileen sur les recherches générales. Il ne l'aurait pas cru, mais Noah pouvait rester concentré et éplucher les ouvrages ou vieux journaux avec minutie quand il le voulait. A eux six, ils avançaient bien plus vite, et même Liam ne pouvait pas protester devant ce fait.
- Qu'est-ce qu'il y a ? fit Noah qui avait dû remarquer son mouvement de recul.
- Hum, rien... C'est juste bizarre.
- Bizarre ?
- « Jules »... Tu ne le disais pas devant les autres...
Noah haussa un sourcil et il ne sut soudain pas interpréter son expression.
- Je doute que quelqu'un puisse entendre avec le bruit.
Il n'avait pas tort. Les élèves autour d'eux criaient toujours plus forts, faisant monter l'impatience de voir le match commencer. Théa et Othilia étaient juste en dessous d'eux et Liam avait rejoint sa tribune de commentateur. Seule Aileen avait décidé de ne pas venir pour continuer à avancer sur le contre rituel et surveiller leur potion sur le feu.
- Mais je ne le ferai pas devant les autres si tu ne veux pas, reprit Noah, soudain plus froid.
- Ce n'est pas ça...
- Laisse tomber, Shelton.
Il tressaillit. Le nom de famille était un coup bas.
- Noah, je ne voulais pas dire...
- Sorcières et sorciers, bien le bonjour ! coupa brusquement la voix enjouée de Liam par-dessus le vacarme. Merci à Zack Ledwell et son équipe de Quidditch pour la démonstration d'avant-match, tout le monde applaudit bien fort !
Julian retint un juron. Ça ne servait plus à rien d'essayer de parler avec le bruit ambiant qui résonnait en écho dans le stade. Mécaniquement, il applaudit Zack alors même qu'il n'avait même pas vraiment regarder sa démonstration. Au milieu de l'équipe de Quidditch, il repéra sa sœur qui avait accepté de participer. Il préférait cent fois la voir dans son rôle de poursuiveuse habituelle que dans celui d'acrobate sur balai. Autour de lui, les autres applaudirent mollement, signe que les Américains n'étaient pas prêts de remplacer le Quodpot par le Quidditch et il se sentit mal pour Zack et son équipe.
- Je ne comprends toujours pas à quoi sert la petite boule dorée, commenta Théa tandis qu'ils quittaient justement le terrain.
- Le vif d'or, corrigea-t-il. Ça rapporte des points et met fin au jeu.
- Hum...
- Le match du jour va voir s'opposer deux équipes redoutables ! Les Serpents Cornus face aux Womatou ! Les joueurs entrent sur le terrain mais n'oubliez pas : ne faites pas durer le match trente ans, on a un train à prendre à 15h et j'ai pas terminé ma valise !
Les gradins furent parcourus d'un éclat de rire. Julian pensa alors à Tiberius Ackerley, le présentateur de Quidditch il y a quelques années à Poudlard. Son style le faisait un peu penser à Liam. Il se souvint aussi que Tiberius avait perdu sa sœur aînée, Gemma, une jeune Auror apprentie. Le parallèle n'était pas difficile à faire. Perdu dans ses pensées, il n'entendit même pas les noms des joueurs être appelés. De toute façon, il ne reconnaissait presque personne, mis à part Manfred Sullitzer pour les Serpents Cornus et Wilde Wilkinson pour les Womatou. Le premier ne lui avait plus parlé depuis son invective en cours d'Histoire de la magie le jour de la fermeture des frontières, mais il lui jetait parfois des regards noirs en le croisant dans les couloirs. Wilde, lui, était toujours fidèle à lui-même dans le dortoir : sympathique et toujours prêt à sortir une blague – parfois de mauvais goût – mais il l'avait aidé plus d'une fois lorsqu'il avait eu besoin d'aide sur une terminologie américaine.
- Les capitaines se serrent la main... Le Quod est mis en jeu ! Et c'est parti !
Très vite, Julian se désintéressa du jeu. Il sentait surtout la morsure du froid sur ses doigts et regardait sans vraiment les voir les joueurs se lancer le Quod qui explosait à intervalle régulier. Il sortit de sa léthargie lorsque celui-ci explosa deux fois d'affilée en deux minutes, provoquant une onde d'exclamations parmi les gradins. Et lorsque les Womatou creusèrent l'écart de trente points, Théa se retourna vers lui.
- Prépare tes Dragots, chantonna-t-elle d'un air victorieux.
- Le match n'est pas terminé, rétorqua-t-il.
Elle lui adressa malgré tout un sourire provocateur avant qu'Othilia ne lui donne un coup de coude. Pile à cet instant, le Quod explosa entre les mains de Manfred et Julian se reconcentra sur le match juste à temps pour le voir être projeté sur plusieurs mètres. Sa chute fut stoppée par le champ de force qui empêchait les blessures et par les bracelets gravitationnel reliés au balai du joueur.
- Tu peux essayer d'avoir l'air moins content de son élimination, lui fit remarquer Noah, l'air amusé même si une certaine froideur perdurait dans sa voix. Je te rappelle qu'il fait partie de ta maison. Et que t'as parié pour cette équipe.
- Je sais, répondit-il en essayant de garder une expression neutre. Mais voir Manfred tomber de son balai reste satisfaisant.
- Surtout que tu t'y connais en chute de balai...
Julian grogna.
- Je savais que j'aurais jamais dû te raconter ça, grommela-t-il.
- Dommage pour toi. (Pendant une seconde, il eut l'air horriblement suffisant avant de froncer les sourcils). Et au fait, pourquoi tu lui en veux à Manfred ?
- Ah c'est vrai que t'étais pas avec nous...
- Où ?
- En cours d'Histoire. Avec Perrot. C'était le jour où les frontières avec l'Angleterre ont fermé, je ne sais pas si tu te souviens. Manfred était là, il s'est lancé dans un débat avec une partie de la classe sur la Présidente Belva Laker et sur Célestina Rappaport. Pour résumer, il disait qu'elle avait raison de vouloir fermer les frontières, surtout parce que des mangemorts pouvaient se cacher parmi les immigrés anglais qui fuyait la guerre... (Il marqua une pause, une colère sourde grondant toujours au creux de son ventre). Des gens comme moi quoi...
Trop occupé à regarder Manfred quitter le terrain, il ne fit pas attention à l'expression de Noah et sursauta lorsqu'il s'exclama bien trop fort près de son oreille :
- Il a osé dire quoi ?
- Que... commença-t-il.
- Non, laisse, j'ai très bien entendu la première fois. Je vais aller lui deux mots.
Noah amorça un geste pour relever et Julian réagit avec un temps de retard, surpris. Il l'attrapa par le bras pour le faire se rassoir brusquement.
- Shelton, sérieusement ! Laisse-moi lui...
- Qu'est-ce que tu comptes lui faire ? C'étaient y'a des semaines !
- Et ?
- Et tu ne peux pas aller rendre des comptes à Manfred en plein match pour un truc si idiot.
- T'appelles vraiment ça un truc si... ?
Devant eux, Othilia et Théa devaient en avoir assez de leurs chuchotements furieux car elles se retournèrent.
- Eh ! Vous allez arrêter vous deux ? J'entends à peine Liam, ce qui est un exploit au passage.
- Désolé...
Il tendit l'oreille pour se concentrer à nouveau les commentaires de son ami et n'entendit que la fin de sa phrase :
- ... élimination pour Manfred Sullitzer. J'aimerais dire que c'est dommage, mais je ne le penserais pas !
Des ricanements résonnèrent. Même Noah parut satisfait pour une fois des commentaires de Liam. Par réflexe, Julian s'attendit presque à entendre la voix pleine de réprimandes de McGonagall, la directrice des Gryffondor ; mais contrairement à Poudlard, Ilvermorny n'avait pas jugé bon de mettre un référant à Liam. Grave erreur si on voulait son avis. Ça devait d'ailleurs être également celui de la directrice Hicks au vu de sa tête dans la tribune des professeurs.
- Le match reprend ! Womatou mène désormais de quarante points avec trois joueurs en plus que les Serpents Cornus. Autant dire que c'est mal engagé pour une équipe et je vous laisse deviner laquelle !
- Quelqu'un n'aurait pas dû parier, lâcha Théa devant lui.
- Un match n'est jamais terminé avant le coup de sifflet de final.
- Si tu le dis... Un duel non plus, ça ne m'empêche pas te savoir que je vais te battre avant que tu n'ais plus ta baguette en main.
- Eh !
Vexé, il chercha une répartie digne de ce nom, mais fut distrait par le bruit de gorge moqueur de Noah.
- Quelque chose à dire ? lui lança-t-il en haussant un sourcil.
- Non, Shelton. Tout le monde sait que tu es le meilleur mauvais perdant de cette école.
- N'importe quoi...
S'il n'avait pas eu peur de passer pour un enfant en pleine crise, il aurait croisé les bras pour montrer son mécontentement, mais il veilla à les garder le long du corps. Sur le terrain, un joueur Womatou venait d'être éliminé à seulement quelques mètres de la ligne de point et un soupir de frustration parcourut la foule. Il commençait personnellement à trouver le temps long. Il était en train de se demander s'il n'aurait pas dû rester avec Aileen pour avancer sur le contre rituel lorsqu'il le sentit. Un touché si léger qu'il crut une seconde l'avoir imaginé.
Sur le coup, il se figea. Puis, lentement, il baissa les yeux avec l'impression que le sang qui lui battait les tempes recouvrait le bruit du match autour de lui. Noah s'était légèrement décalé jusqu'à ce que leurs genoux se touchent et surtout, dissimulées sous leur cape d'hiver, leurs mains se frôlaient, à peine une sensation... Julian inspira un souffle haché, incapable de se tourner pour regarder Noah et voir si le contact était juste accidentel ou intentionnel... Il avait l'impression de ne plus réussir à réfléchir. Ce n'était pas le genre de Noah d'agir sans intention. En même temps, il ne voyait pas pourquoi il ne s'écartait pas.
- Respire, lui glissa-t-il brusquement.
- Je...
Cette simple syllabe suffit à libérer sa respiration. L'air glacé lui brûla la gorge et il ravala une quinte de toux. Il se mordit l'intérieur de la joue, se fustigeant mentalement d'avoir sûrement l'air si perturbé pour si peu. Il n'avait qu'à s'écarter... il n'avait qu'à enlever sa main. Il devrait même le faire. C'était étrange et Noah n'avait juste pas dû faire attention. Pourtant, comme mue par une volonté plus profonde, il bougea doucement sa main davantage vers Noah jusqu'à recouvrir la sienne. Il ne sentait plus la morsure du froid : il avait même l'impression de brûler de l'intérieur. De peur ou de gêne, il ne savait pas... Par Merlin, Othilia était juste devant eux. Il se demanda comment elle interpréterait son geste... Il se demanda même s'il y avait quelque chose à interpréter. Ils étaient proches par la force des choses, les gradins n'étaient pas grands et Noah cherchait sans doute seulement à le mettre à mal à l'aise pour se moquer de lui, comme à son habitude. La panique commença à gagner son ventre. Il n'osait plus bouger...
- Morgane ! se récria brusquement Liam si fort que sa voix traversa les tribunes comme une onde de choc et Julian rétracta sa main si vivement qu'il sentit ses articulations protester. Deux joueur Womatou éliminés en même temps alors qu'ils tenaient tous les deux le Quod ! Une annonce de remontada surprise pour les Serpents Cornus ?
Le cœur battant à tout rompre, il tenta de comprendre ce que Liam venait d'annoncer, trop conscient de Noah qui s'était lui aussi écarté de plusieurs centimètres pour véritablement y parvenir.
- Non ! protesta Théa devant lui. C'est réglementaire même ?
- Je crois... fit Othilia d'un air désintéressé.
- Tu pourrais au moins encourager ta maison, non ?
- Théa, ce n'est pas moi qui ait parié. Je préfère voir Serpent Cornu écraser les autres à la fin de l'année sur les points scolaires, là c'est intéressant.
Et alors que tout le monde autour d'eux paraissait se demander si l'élimination de deux joueurs était effectivement possible, Julian trouva enfin le courage de se tourner à moitié vers Noah en faisant semblant d'observer les autres. Son expression était indéchiffrable. Il sentit un peu plus son estomac se contracter. Ça n'avait dû être qu'un jeu ou une mauvaise blague pour se venger de sa remarque sur « Jules » tout à l'heure. Il aurait dû le comprendre en une seconde et pourtant il avait été trop surpris pour vraiment réfléchir.
- Le Quod est relancé, les Serpents Cornus s'en emparent ! Wilde Wilkinson essaye de barrer la route à l'adversaire, il le récupère et s'élance vers la ligne de point ! S'il parvient à marquer, l'écart se creusera de façon... Oh ! Non ! Explosion ! Wilkinson est éliminé !
- Mais c'est pas vrai ! pesta Théa en tapant du pied.
Julian sourit en guise de consolation. Il n'avait qu'une envie : sortir de ces gradins, voir le match se terminer. Il était frigorifié et fatigué. Plus que tout, il se rendait compte qu'il avait hâte de rentrer à New York pour revoir son père et Leonidas. Même Isadora en venait à lui manquer avec sa canne, son air revêche et ses hauts cols en dentelle qui cachaient une certaine tendresse.
- Prépare ton portemonnaie, nargua Julian en se penchant par-dessus l'épaule de sa cousine.
- Ce n'est pas terminé...
- Et c'est terminé ! décréta soudain Liam avec enthousiasme. Womatou déclare forfait avec seulement encore deux joueurs sur le terrain. La victoire revient à Serpent Cornu !
- Non !
Il éclata de rire.
- Mauvais perdant, moi ?
- La ferme. Je te donnerai ton argent à New York.
- Merci... Ça fait beaucoup dix Dragots ?
Othilia éclata de rire. Elle tendit sa main à Noah qui l'aida à passer par-dessus sa rangée de gradin et Julian suivit le mouvement des yeux, son estomac se rappelant à son souvenir. Heureusement, Othilia ne parut rien remarquer.
- C'est une jolie somme, répondit-elle maintenant à sa hauteur. Pour te donner une idée, une baguette coûte environ cinquante ou soixante Dragots.
- Oh...
- Oui, oui, tu vas devenir riche, bougonna Théa de mauvaise humeur. Aide-moi à monter !
D'un air impérieux, elle lui tendit également son bras et il la laissa s'appuyer sur lui pour enjamber les sièges. Le ruban rouge noué à son poignet – celui qu'elle ne quittait jamais – ressortait sur sa peau pâle. Pour faire bonne mesure, il poussa le vice à lui adresser une révérence feinte.
- Un honneur de faire affaire avec vous, votre Altesse, s'amusa-t-il.
- Oh non, pas toi aussi ! Allez, bouge de là, je veux retourner au château.
Elle le repoussa pour passer dans l'allée, mais il fut persuadé de voir un sourire à la commissure de ses lèvres et il lui emboita le pas, fier de lui. Dans son dos, Noah et Othilia suivaient aussi et ils se retrouvèrent tous les quatre à la sortie du stade. Liam les retrouva en quelques minutes, étrangement accompagné d'Aileen.
- Salut ! Je me suis dis que j'allais venir vous rejoindre, je commençais à me sentir seule, admit-elle. Et puis j'avoue, j'étais curieuse. Alors qui a gagné le pari ?
Julian afficha son plus beau sourire triomphant. Du coin de l'œil, il pouvait presque voir Théa broyer du noir.
- C'est assez explicite, non ? résuma Liam.
- Je crois, oui... Pour éviter qu'ils ne s'entretuent, on retourne au château ?
- Je voulais trouver Lottie d'abord. Juste histoire de lui rappeler que le train part à 15h.
Liam grogna.
- Mec, on avait dit quoi sur ta frangine ? Laisse-la se débrouiller, tout le monde sait que le train part à 15h.
- Crois-moi, elle pourrait oublier la moitié de ses affaires. Surtout ses devoirs. Elle m'a fait le coup trois fois à Poudlard. C'est vraiment par expérience.
- Dans ce cas... Vas-y, va trouver ta sœur. Moi, je disais la vérité : j'ai une valise à terminer ! On se retrouve aux montgolfières ?
- On vient avec toi, intervint Théa. J'ai encore des affaires à ranger. Et je ne veux plus voir sa tête.
Elle le désigna d'un doigt accusateur, puis entraîna Othilia avec elle d'un air dramatique. Julian secoua la tête. Il regarda Aileen et Noah tour à tour.
- Et vous ?
- Je suppose qu'on peut rester avec toi, dit-elle. Noah ?
- Pourquoi pas...
Il haussa les épaules sans la regarder. Agacé, Julian passa devant lui sans attendre et commença à se diriger vers les vestiaires, endroit le plus probable où trouver sa sœur après sa démonstration d'avant match. Elle était bien du genre à rester pour bavarder avec les auteurs joueurs.
- Alors ? T'as pu avancer un peu pendant le match ? demanda-t-il à Aileen à voix basse pour ne pas être entendu.
- Pas beaucoup. J'ai réussi à feuilleter un livre qui s'appelait Rituels et Contre-Rituels : pour une rhétorique du contraire en sortilèges. (Elle grimaça et lui jeta un regard d'excuse). Je pense que tu devrais y jeter un œil, je n'ai pas tout compris...
- Tu me le passeras dans le train, j'essayerai de le regarder pendant les vacances.
- Elles vont être palpitantes, intervint Noah d'un ton mordant.
- Lui au moins sera à New York pendant que tu te morfondras au Village, rétorqua Aileen en lui tirant la langue.
Julian plongea les mains dans ses poches.
- Oh tu restes ici ?
- Où est-ce que tu veux que j'aille ? Hilda va être ravie de me martyriser pendant deux semaines au café. Au moins, elle a réussi à négocier pour venir nous chercher ce soir. Pas de besoin de faire le trajet jusqu'à Grand Central pour rien.
- C'est plus logique, approuva Aileen. Toi au moins tu ne repars pas dans un autre pays !
- Tu rentres au Canada ?
- Oui, mes parents viennent me chercher. On a une autorisation pour franchir les frontières les jours de retour et de départ de vacances d'Ilvermorny, c'est tout. Le MACUSA est assez strict sur la question.
Julian n'avait pas de mal à le croire. Il se souvenait encore de la règle qui interdisait aux parents et à la famille de rester plus de dix minutes sur le Sous-Quai à la rentrée. Veillant à ne pas glisser sur le sol détrempé, il contourna le bâtiment et arriva enfin devant le vestiaire. Il allait crier le nom de Charlotte lorsque d'autres cris couvrirent le sien, clairement audibles dans le calme de l'après-match. Les voix se mélangeaient, se heurtaient, se mêlaient... Il n'arrivait pas à distinguer les paroles emportées par le vent.
- Qu'est-ce qui se passe ? fit Aileen, sourcils froncés. Il se... battent ?
- Certains ont peut-être pas digéré leur défaite, suggéra Noah en avançant.
D'un coup, Julian s'imagina sa sœur coincée au milieu d'une bagarre et il pressa le pas, inquiet. Pourtant, dès qu'il arriva devant la porte encore entrouverte du vestiaire, il réussit enfin à entendre ce que les voix disaient. Il s'arrêta net.
- ... t'a déjà dit qu'on voulait pas de toi avec nous !
- Espèce de malade !
- Vas-y, Manfred, apprend-lui !
Au nom de Manfred, ils relevèrent la tête tous les trois vivement. Ils échangèrent un long regard, le temps de se mettre d'accord, puis Noah carra les épaules et poussa la porte du vestiaire qui s'ouvrit en grand. La scène se découvrit alors. Quatre garçons se tenaient en demi-cercle, penchés en avant sur une silhouette prostrée au sol. Ils avaient les poings en sang. Leur victime, les bras reliés au-dessus de leur tête, laissa échapper un gémissement de douleur. Personne n'avait remarqué leur arrivée.
- Tais-toi, cracha Manfred, on t'avait prévenu de ce qui se passerait si tu revenais dans le vestiaire !
- Je t'ai vu, tu m'as regardé, ajouta un de ses amis. Espèce de pédé !
L'insulte claqua, violente, implacable. Julian se figea un peu plus et reconnut enfin la personne à terre. Zack Ledwell, le capitaine de Quidditch. Celui qui lui avait parlé le jour de la journée de recrutement des clubs. Celui qui venait de faire une démonstration d'avant-match et qui s'était visiblement retrouvé piégé ici. Son estomac se souleva.
- Eh ! apostropha brusquement Aileen. Mais vous vous croyez où ?
- Merde ! Une Représentante !
Dans un mouvement de panique, les quatre garçons prirent la fuite. Leur course était désordonnée au possible et deux d'entre eux manquèrent de se rentrer dedans. Même Manfred parut effrayé, mais il prit le temps de donner un dernier coup de pied à Zack Ledwell. Julian tressaillit, comme s'il ressentait la douleur par procuration, et il retint la nausée qui lui dévorait le ventre.
- Revenez ici ! s'écria Aileen en s'engouffrant dans le vestiaire. Je vais vous dénoncer à la directrice !
- C'est ça ! gronda Manfred au loin. Soutiens le pédé, McCallum ! T'es pas mieux que lui !
Et dans un bruit de pas précipités, il s'enfouit définitivement. Aileen se précipita vers Zack avant de se laisser tomber à genoux devant lui, les mains tremblantes.
- Oh Morgane... Ledwell, ça va ? Tu m'entends ?
- Hum...
Lentement – horriblement lentement – Zack baissa les bras qui lui protégeaient la tête et se redressa en position assise. Julian retint un hoquet de stupeur. Du sang s'étalait sur son visage et il mit plusieurs secondes à comprendre d'où il venait. Visiblement, ses agresseurs l'avaient atteint à l'arcade sourcilière, au nez et à la bouche. Il était sûr de voir aussi des bleus commencer à se former sur son teint pâle. Son œil droit, celui qui avait dû être le plus touché, était aussi partiellement fermé et gonflé.
- Déjà été plus en forme... avoua-t-il d'une voix rauque.
- Je suis tellement désolée, on vient d'arriver...
- T'excuses pas, McCallum. T'y es pour rien, ce n'est pas la première fois.
- Quoi ? murmura Aileen, l'air assommée.
Zack recracha un filet de sang et se remit sur ses genoux en tanguant. Julian voulut aller le soutenir, mais Noah lui barrait toujours l'entrée, posté dans l'embrasure de la porte. Ses mains étaient si crispées au chambranle que ses jointures en devenaient blanches.
- Fais pas semblant de le découvrir, dit Zack avec amertume. Ils ne m'ont jamais accepté, pas depuis qu'ils ont compris...
- Mais les rumeurs...
- Ca n'a jamais été des rumeurs, McCallum, tu le sais. Je n'ai jamais voulu me cacher non plus. Ça fait au moins trois ans que les équipes ne me veulent plus dans le vestiaire. Je suis obligé d'attendre ou de venir en avance.
- Mais aujourd'hui... ?
- Je suppose qu'ils avaient besoin de se défouler. Qu'est-ce que j'en sais ? (D'un revers de la main, il essuya le sang qui commençait à couler le long de sa gorge et observa le rouge qui maculait sa peau avec un calme qui ne pouvait traduire que l'habitude). Les insultes varient selon les jours... Pédé, contre-nature, malade mental...
- Oh Zack...
Les larmes aux yeux, Aileen sortit un mouchoir de sa poche. Avec douceur, elle le porta vers lui et essuya un filet de sang qui s'écoulait de son nez.
- Heureusement, il n'a pas l'air cassé. Ça ne fait pas comme Wilde la dernière fois...
- Douzebranches avait un meilleur coup droit que Manfred, c'est pour ça, plaisanta Zack.
La blague n'arracha même pas un sourire à Noah. Derrière lui, Julian tenta de le pousser pour qu'il s'écarte, mais il resta planté fermement devant la porte.
- Mets la tête en arrière, conseilla Aileen en guidant son mouvement. Voilà, comme ça. Les garçons, vous venez m'aider ou quoi ?
- On arrive... Noah, allez, avance.
- Non... Si on te voit avec lui après ça...En train de l'aider, je veux dire. Enfin, les gens vont croire que...
- Que quoi ?
Noah se retourna. Il parut pour une fois mal à l'aise.
- Que t'es comme lui, dit-il avec réticence.
- Mais... je veux juste l'aider !
- Ils ne le verront pas comme ça, Shelton !
- Noah ! Julian ! Vous me donnez un coup de main ou non ? s'impatienta Aileen.
Pendant un horrible battement de cœur, ils se dévisagèrent. Dans les yeux bleus de Noah, Julian pouvait lire tout ce qui était inscrit sur le visage tuméfié de Zack Ledwell : une réalité désarmante contre laquelle aucun d'eux ne pouvait lutter. Manfred et sa bande n'étaient pas les seuls à penser que les personnes comme Zack était différente, détraquée, malade... Il avait lu lui-même les textes juridiques sorciers il y a quelques semaines et celui de 1950 lui revint brusquement en mémoire : la Loi des Mauvaises Mœurs considérait désormais l'homosexualité comme un trouble mental selon les recommandations du Conseil National des Guérimages.
Julian déglutit. Zack ne lui paraissait pas dérangé, il lui semblait même plutôt normal les rares fois où ils s'étaient croisés... Mais après tout, il n'y connaissait rien. Il n'avait jamais rencontré un homme avec ces... penchants. Il se souvenait simplement de Dorcas Meadowes à Poudlard et des chuchotements qui la suivaient, elle et Lucinda Talkabot après leur baiser dans la Grande Salle. Mais Meadowes avait eu les Maraudeurs de son côté : elle avait été presque intouchable. Personne n'aurait osé s'en prendre à elle directement. Et les filles étaient souvent plus proches entre elles... C'était étrange pour deux garçons d'agir ainsi. Ce n'était pas normal. Il n'avait rien contre Zack et il trouvait les actes de Manfred et sa bande impardonnables, mais il n'arrivait pas à trouver Zack normal non plus...
Son ventre fit un soubresaut en repensant à la main de Noah frôlant la sienne pendant le match. Si les gens avaient vu, ils auraient pu s'imaginer... La peur le paralysa. Ça non plus, ça n'avait pas été normal, même pour eux. Il y avait des anormalités plus ou moins acceptées, il y avait été confronté. Hanna avait toujours eu une passion étrange pour l'astronomie que personne ne comprenait vraiment, Liam aimait donner des surnoms étranges, son père n'était pas l'être humain le plus normal qui soit, lui-même avait une manie inquiétante à boire du thé trop souvent... Mais là, il s'agissait d'un autre niveau d'anormalité. Il s'agissait de quelque chose d'interdit... Quelque chose de mal. Et si les gens commençaient à croire qu'il était comme Zack alors même qu'on l'accusait déjà d'être un espion des mangemorts venus en Amérique... Il sentit son cœur se faire dévorer par l'inquiétude.
Il dut rester silencieux trop longtemps, incapable de trouver quoi répondre, car Noah reprit la parole le premier.
- Je me casse, décréta-t-il durement. Libre-toi de rester pour l'aider.
Pourtant, il resta face à lui encore quelques secondes, comme s'il attendait une certaine réaction, puis il finit par tourner les talons en constatant qu'il n'en obtiendrait aucune. Julian le regarda s'éloigner, une sensation étrange dans la poitrine. Il ne savait pas bien s'il avait envie de le rejoindre ou de le faire revenir...
- Noah ! s'écria Aileen après lui. Il est sérieux par Morgane ?
- Laisse, rassura Zack. Il a raison. Ce n'est pas la peine de vous impliquer là-dedans.
- Nous impliquer dans quoi au juste ? Ce que Manfred a fait sera puni, tu peux me croire !
- Non, McCallum ! Imagine que ça remonte plus haut. Le MACUSA par exemple. Je pourrais avoir des ennuis. La loi...
- Je sais ce que dit la loi, coupa Aileen avec fureur en l'aidant à se remettre debout. Tu savais qu'on l'avait abrogé au Canada il y a cinq ans ?
Zack parut soudain fatigué. Les jambes tremblantes, il appuya un peu plus le mouchoir contre son nez et nuança d'une voix sourde :
- C'est une chose de le faire devant une cours de justice et de le mettre en pratique. Même au Canada, je doute que j'aurais un traitement différent. Sérieux, laisse tomber, McCallum. C'est juste comme ça.
Aileen serra les lèvres. Visiblement, elle n'osait pas avouer qu'il avait sans doute raison.
- Peu importe, soupira-t-elle. Viens, on va te ramener au château et t'emmener à l'infirmerie. Julian ? Tu viens avec nous ?
Il chercha un moyen de refuser ou une raison d'accepter, mais son esprit se vida soudain. Faute de mieux, il hocha la tête. Tous les trois, ils se mirent en route et entreprirent de traverser le vaste parc aux arbres nus. A chaque pas, Zack s'appuyait un peu plus contre Aileen et il la voyait ployer sous son poids, mais il n'osa pas intervenir. Les mots de Noah résonnaient en lui, tournaient dans son esprit... Dès qu'ils atteignirent la porte du château, il commença à se diriger vers les escaliers menant aux dortoirs.
- Je dois retrouver Charlotte, lança-t-il d'une voix neutre alors que les yeux d'Aileen se posaient sur lui, perçants. Tu t'en occupes à partir de là ?
- Julian...
- A tout à l'heure !
Et sans se retourner, il se mêla à la foule des élèves qui remontaient dans les étages, se fondant dans la masse, anonyme et normale.
**
*
La foule à l'arrivée de la gare Grand Central était dense quand le train s'arrêta dans un soubresaut final. Dans le compartiment, tout le monde était en train de rassembler les affaires disséminées un peu partout. Liam était même à quatre pattes au sol pour ramasser les cartes de bataille explosive que Théa avait envoyé valser il y a une minute.
- Surtout m'aidez pas, votre Altesse, grinça-t-il en remettant le paquet en place.
- Tu bloques la sortie, se contenta-t-elle de lui faire remarquer.
- Deux semaines sans voir ta tête, un bonheur !
Pour toute réponse, Théa lui adressa un signe vulgaire de la main et Aileen roula des yeux. Si même elle commençait à manquer de patience...
- Je ne vois même pas pourquoi on a fait le trajet tous ensemble.
- Pour pouvoir s'organiser et continuer à travailler sur le contre-rituel pendant les vacances, rappela-t-il avec diplomatie. Tout le monde a bien noté d'ailleurs ?
- Oui, professeur Shelton, railla Liam, toujours à genoux. T'en fais pas ! T'as laissé ses instructions à Noah aussi ?
- Il sait ce qu'il doit faire...
Liam hocha la tête, satisfait. Julian repensa à Noah qu'il avait laissé en haut de la falaise du mont Greylock deux heures plus tôt. Il les avait accompagnés jusqu'à la montgolfière, l'air morose. Personne – pas même Aileen – n'avait mentionné Zack Ledwell. Au moment de monter dans l'engin infernal, Julian lui avait jeté un dernier regard et Noah s'était contenté d'afficher un sourire sarcastique en lâchant un « fais pas semblant de tomber cette fois ». Puis, il était reparti vers le château sans se retourner, main dans la main avec Othilia qui restait également puisque son père et sa belle-mère habitaient aussi au Village. En les voyant partir tous les deux, Julian avait ressenti une émotion indescriptible dans la poitrine, mais il avait mis ça sur le compte de la montgolfière entamant sa descente.
- Eh ! Ju' ! Théa ! s'exclama soudain Lottie en débarquant dans leur compartiment. Vous venez ? (Elle baissa les yeux, surprise). Qu'est-ce que tu fais par terre, Cooper ?
- Demande à ta chère cousine !
- Oh allez, ça suffit.
Sans ménagement, Théa enjamba Liam. Charlotte eut juste le temps de s'écarter avant qu'elle ne disparaisse dans le couloir.
- Il devait être animé votre trajet... commenta-t-elle en riant.
- Si tu savais, soupira Aileen. Bon, j'y vais, je dois prendre un autre train si je veux arriver à l'heure dans le grand nord. (Elle leur adressa à tous un sourire chaleureux). Bonnes vacances !
- Bonnes vacances, patronne !
- Bon voyage !
En guise d'au revoir, elle hissa Liam sur ses pieds en le tirant par la main, puis lui déposa un baiser rapide sur la joue avant de s'enfuir dans une envolée de cheveux roux. Elle lui manqua immédiatement. Depuis le début de l'année, il s'était habitué à la présence rassurante et bienveillante de son amie canadienne.
- Allez, Ju' ! On nous attend !
- J'arrive...
Il attrapa sa valise et emboîta le pas à Lottie. Dans le couloir, les élèves se bousculaient, cherchant à sortir du train le plus vite possible. Au loin, il crut apercevoir Zack Ledwell, mais baissa les yeux pour éviter de croiser son regard. Aucun mot n'avait été échangé sur lui durant le trajet, mis à part un laconique « ça ne m'étonne pas, il est un peu bizarre ce gars » de Liam. Mal à l'aise, Julian traina des pieds jusqu'à avoir mis une distance suffisante entre lui et Zack et refoula les images de son agression au fond de son esprit.
Dès qu'il posa un pied sur le quai, il fut assailli par le bruit des conversations et le froid new-yorkais. Il rentra la tête dans les épaules tandis que Lottie fendait la foule pour eux, ouvrant la voie.
- Les enfants ! Par ici !
La voix de son père, portée par le vent, le frappa aussi sûrement que le bruit et le froid. Il manqua de s'arrêter sous le coup de la surprise. Ce n'était pas la voix qu'il avait quittée il y a plus de trois mois, amorphe et vide d'énergie. Celle-ci était claire, enthousiaste... Celle dont il se souvenait avant la mort de sa mère.
- Papa ! s'écria Charlotte, un large sourire traversant son visage.
Elle se jeta dans ses bras ouverts. Figé sur place, Julian dévisagea son père. Sa barbe de trois jours n'avaient plus l'air négligé, elle était soigneusement taillée comme les jours où il se rendait à une conférence. Ses vêtements étaient repassés, ses cheveux coupés... Même sa posture était plus affirmée. Un autre homme.
- Oh ma Charly ! s'exclama-t-il de cette même voix nouvelle et ancienne en même temps. Tu m'as manqué. Alors ? Ilvermorny ? Tu as aimé ?
- Génial ! Je me suis inscrite dans plein de clubs de balais, papa !
- Vraiment ? C'est fantastique ! Et ton frère... ?
- Ju' ? Il est là !
Son père releva la tête et suivit la main tendue de Charlotte. Et alors il le vit. Julian ne savait pas bien quelle image il devait renvoyer. Comme de loin, il se rendit soudain compte de la présence de Leonidas et d'une femme brune, mais aussi de Théa et de grand-mère Isadora qui s'appuyait sur sa canne au pommeau gravé d'un corbeau. Pourtant, il n'arrivait pas à se détacher de la sensation qui l'étreignait. Parce que son père se tenait devant lui. Ce n'était pas l'imposteur au regard vague et perdu qui avait pris sa place pendant des mois, c'était son père. Debout, l'esprit clair, et surtout souriant.
- Alors mon grand, toi aussi ça t'a plu Ilvermo... ?
Il n'eut pas le temps de terminer sa question. Julian venait de lâcher sa valise et de se jeter dans ses bras, incapable de se retenir. Une boule brûlante au creux de la gorge, il referma ses bras autour de son père, le cœur battant.
- Oh Julian...
- Tu m'as manqué... souffla-t-il d'une voix bien trop rauque.
- Moi aussi, mon grand... Moi aussi...
Avec tendresse, son père lui rendit son étreinte et Charlotte se joignit à eux. Julian glissa son bras autour de ses épaules. Il réalisait qu'il s'était accroché à sa sœur pendant des mois autant qu'elle s'était accrochée à lui pour ne pas sombrer et ça faisait du bien de commencer à respirer à nouveau.
- Allons, on a toutes les vacances pour rattraper le temps perdu, dit finalement son père en les serrant une dernière fois contre lui. Ne faisons pas attendre tout le monde.
- Oh ne vous inquiétez pas, Ethan, rassura grand-mère Isadora. Comme vous l'avez dit, nous avons tout le temps. (Elle eut un mince sourire, ce qui devait être beaucoup pour elle). Ravie de vous retrouver les enfants. Vous excuserez à nouveau mes enfants, mais Robert et Cordelia n'ont pas pu venir. Ils nous retrouveront à la maison.
- Ca nous fera au moins un trajet en paix, commenta Théa.
Leonidas sourit, amusé, et tira sur la cigarette qu'il tenait entre ses doigts.
- Ta bonne humeur nous avait manqué, Théa, plaisanta-t-il avant de se tourner vers eux. Julian, Charly, j'aimerais vous présenter quelqu'un.
Avec réticence, Julian quitta l'étreinte de son père pour s'avancer vers son parrain. Il avait bien compris que la femme aux côtés de Leonidas était celle qu'il voulait leur présenter. Elle avait d'épais cheveux noirs, un nez droit et des trais fins qui le perturbaient tant il avait l'impression de les avoir déjà vu sur plusieurs personnes. Mais sa ressemblance principale ne pouvait pas être ignorée. Elle était le portrait de...
- Cassie Bones, lâcha-t-il par réflexe.
Les sourcils de la femme se haussèrent. Leonidas, lui, émit un rire indulgent.
- Mon filleul, l'esprit observateur, présenta-t-il. Julian, voici ma femme, Lysandra. La sœur de Cassiopée effectivement.
- Ca faisait longtemps qu'on ne m'avait pas désignée ainsi, avoua-t-elle d'une voix cristalline. Ravie de te rencontrer.
- Vous êtes la tante de Matthew.
Prise au dépourvu, elle parut encore plus surprise.
- Et on ne m'avait jamais attribué ce titre en guise de reconnaissance !
- Désolé... je... Matthew est mon meilleur ami, je... Enchanté ?
Mortifié, il réalisa que sa phrase sonnait horriblement comme une question, mais elle se contenta de rire et de lui tendre la main. Il s'empressa de la lui serrer.
- Enchantée, Julian. Leonidas m'a beaucoup parlé de toi. Je suis contente de pouvoir te rencontrer, même si c'est en des circonstances un peu particulières. Pareille pour toi, Charly.
- Merci... murmura sa sœur, visiblement impressionnée par la présence altière de Lysandra.
Pendant un instant, un silence presque gênant s'étira entre eux tandis qu'ils se toisaient tous, pas encore familiers les uns avec les autres. Julian n'arrivait pas à passer outre la ressemblance entre les deux sœurs. Mis à part sa chevelure de jais, Lysandra était le portrait de la mère de Matthew. Même leurs yeux gris si saisissants étaient identiques. Heureusement pour eux, l'arrivée brusque d'Archer brisa le moment.
- Ah vous êtes là ! s'exclama-t-il. Je vous attend au bout du quai depuis dix minutes !
- C'est nous qui t'attendons, idiot, lui rétorqua Théa avec un regard dédaigneux dont elle avait le secret. Pourquoi on serait au bout du quai ?
- Pour sortir ? On va être en retard !
- En retard ? En retard pour quoi ? contra grand-mère Isadora. Voyons, Archer, dites-nous bonjour au moins.
- Oui, oui, bonjour. C'est juste... quelqu'un m'attend.
A cet aveu, son teint s'empourpra légèrement mais de manière trop vivace pour blâmer le froid. Un sourire que Julian ne pouvait qualifier que de machiavélique vint ourler les lèvres de Théa et il plaint soudain son cousin.
- Oh quelqu'un, hum ? répéta-t-elle. Ta mystérieuse inconnue ?
- Théodora, reprocha leur grand-mère.
Pourtant, Archer bomba le torse et s'éclaircit la gorge à la surprise générale.
- Si tu veux tout savoir, oui, déclara-t-il avec solennité. Je pense qu'il est temps de vous le dire même si mes parents ne sont pas là, sans grande surprise. Cela fait plusieurs mois que j'entretiens une correspondance avec une... amie. Enfin, elle n'est pas... elle est...
Il perdit soudain ses mots.
- On a compris, Archer, intervint Leonidas pour l'aider tout en essayant vainement de cacher son sourire amusé derrière sa cigarette.
- Oui, voilà... Donc nous nous sommes écrits et vus à plusieurs reprises depuis le mois de mai. Je pense qu'il est temps que vous la rencontriez.
Grand-mère Isadora cligna des yeux, surprise.
- Bien dans ce cas... Je suppose que nous devrions effectivement rentrer. Nous avons tous hâte de la rencontrer et d'en apprendre plus sur elle. Elle doit venir au manoir ?
- Non, elle m'attend dans le hall de Grand Central.
La surprise redoubla parmi eux. Théa lui adressa un regard incrédule et Julian se contenta d'hausser les épaules. S'il s'était rapproché de sa cousine, la même chose ne pouvait pas être dite pour Archer. Il l'avait croisé de temps en temps, mais il ne lui avait finalement peu parlé, à part peut-être le jour où il avait pris sa défense contre Manfred en cours d'Histoire de la magie.
- Alors allons-y ! décida Leonidas en frappant dans ses mains. Théa, donne-moi ta valise.
- Et donne-la-moi tienne, ma chérie, ajouta son père en direction de Charly.
Julian, lui, n'eut pas le droit un tel égard et traîna ses affaires avec difficulté. Le Sous-Quai s'était considérablement vidé depuis tout à l'heure et ils purent rejoindre les ascenseurs assez facilement. Otis Clavis les y attendait, fidèle à lui-même avec son visage rubicond et bienveillant.
- Ah les Grims ! Je me disais justement que je ne vous avais pas vu. Madame Cordelia n'est pas là aujourd'hui ?
- Malheureusement non, Otis, répondit Isadora avec politesse.
Julian retint un sourire devant sa mine désappointée. Il avait presque oublié le béguin du gardien pour sa tante. Alors qu'il entrait dans l'ascenseur, il entendit Lysandra glisser à Leonidas dans un murmure :
- Alors l'inconnue mystérieuse d'Archer existe ? Il ne vend pas de plumes sous le manteau finalement...
Elle avait presque l'air déçu. Pour toute réponse, Leonidas étouffa un rire et ils échangèrent un regard complice. Julian s'empressa de regarder le mur avant de se faire surprendre. Il espérait faire connaissance davantage avec Lysandra pendant les vacances : il aimait déjà son humour. Avec lenteur, la cabine s'éleva alors, et le Sous-Quai disparut, avalé par le sol. Il détesta autant la sensation que la première fois. Ce n'était pas la même que le vertige, mais il trouvait ça toujours dérangeant d'être enfermé dans une cabine d'ascenseur qui traversait la barrière entre le monde moldu et magique. Mais il supposait que c'était une question d'habitude. Après tout, il avait bien foncé dans un mur pendant des années sans se poser de questions.
Finalement, l'ascenseur arriva à destination et la voix métallique annonça « Gare de Grand Central ». D'un même mouvement, tout le monde ressortit. Archer prit la tête, scrutant la foule de voyageurs, et ils le suivirent docilement avec curiosité. Il voyait bien que Théa pensait déjà à toutes les répliques sarcastiques qu'elle allait pouvoir sortir dès qu'elle découvrirait la petite amie mystère. Par réflexe, il cala son rythme sur celui de son père et celui-ci lui adressa un sourire rassurant. La différence entre son assurance au milieu de la foule et son attitude de septembre était flagrante.
- La voilà ! s'exclama brusquement Archer.
Tout le monde se retourna. Et Julian manqua de s'étouffer.
La jeune femme que désignait Archer se tenait sous la grande horloge de Grand Central, auréolée par la lumière naturelle qui filtrait dans la gare. Elle avait de longs cheveux blond doré relevés sur le sommet de sa tête, un visage anguleux et un port fier. Son manteau long soulignait sa taille fine et surtout elle tenait quelque chose dans ses bras. Son cerveau mit plusieurs secondes à comprendre qu'il s'agissait d'un enfant. Ou plutôt un bébé. Elle dut se sentir observée car elle tourna enfin la tête vers eux et Julian eut un mouvement de recul.
Parce que devant lui setenait Elizabeth Yaxley, la fugitive du Tournoi de Poudlard...
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TA DA! Vous allez me détester, je sais ! ^^
Voilà donc pour ce chapitre. Comme je le disais au début en préambule, la scène d'agression homophobe a été assez dure à écrire parce qu'elle me mettait profondément mal à l'aise. Merci à Perri pour la relecture au passage ! Il faut garder à l'esprit que toutes les réactions des personnages s'ancrent dans le contexte de la fin des années 70/début 80, particulièrement dans la société sorcière qui n'est jamais en avance sur grand chose. Ce n'est pas un hasard si j'ai maintenu si tard la loi qui indique que l'homosexualité est une maladie mentale: ça influence fatalement la vision des personnages.
Ensuite en ce qui concerne les références : Lysandra est bien entend empruntée à Perri même si le personnage fait maintenant le lien entre nos deux univers. Elizabeth Yaxley, elle, vient de mon autre fanfiction qui fait aussi partie de l'univers, Au temps des Maraudeurs.
Et maintenant la nouvelle qui fâche.... Pause estivale ! Je suis en train de me refaire une petite avance de chapitre et je prévois de continuer à le faire tout le mois de juillet et août donc on se retrouve lundi 6 septembre pour la rentrée. En attendant, je posterai toutes les semaines sur mon autre fanfiction, la Prophétie d'Hécate.
Mais avant de vous quitter... Vous pourrez trouver juste sur la partie suivante un petit questionnaire de mi-parcours où vous pourrez me donner votre avis sur cette histoire et également de superbes aesthetics réalisés par Perri (encore merciiiii).
Bon été et merci de faire vivre cette histoire, vous êtes incroyables !!!
Anna'
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