Chapitre 18 : Le ciel pour seul témoin

« On aime d'abord par hasard,

Par jeu, par curiosité,

Pour avoir dans un regard

Lu des possibilités »

- Paul Géraldy -

//31 octobre 1979//

Le reflet des lumières bleutées sur le corps argenté des fantômes aveuglait Julian. A moins que ça ne soit les larmes qui pressaient contre ses paupières mais qu'il refusait de laisser échapper. Au fond de lui, il savait simplement que s'il laissait ses émotions sortir, il serait submergé. Et être submergé au milieu du bal des fantômes annuel d'Ilvermorny était bien la dernière chose qu'il voulait. L'estomac noué, il se fraya un chemin parmi la foule et bouscula Clémence Laveau au passage. Elle poussa un cri de surprise et ses cartes de tarot s'éparpillèrent autour d'elle. Il ne s'arrêta même pas pour s'excuser. Il voulait juste arriver au château le plus vite possible. Son corps avançait presque à l'instinct et seul la masse imposante du château à quelques mètres le guidait vraiment.

Le souffle comprimé au creux de la poitrine, il remonta l'allée principale. Plus il avançait, plus le bruit des conversations s'amenuisait. Il n'était même pas sûr que ça soit une bonne chose : le silence le laissait avec ses propres pensées. Pour éviter ça, il accéléra encore. Immédiatement, ses jambes protestèrent : visiblement, elles n'aimaient pas l'effort subi aujourd'hui entre sa remontée du Village jusqu'en haut de la montage et maintenant sa fuite effrénée à travers le parc. Pourtant, la douleur de ses jambes courbaturées était une distraction bienvenue. Ou du moins, elle le fut un temps. Très vite, son esprit le rattrapa et il visualisa les expressions accusatrices de ses amis. Il avait de toute façon toujours été incapable de faire taire son cerveau. Matthew aimait plaisanter en disant que c'était son côté Serdaigle.

D'un côté, il comprenait Aileen et Liam. Depuis deux mois, ils passaient leur journée ensemble et Liam lui avait fait confiance avec la traduction des runes qui pouvait en théorie être la clé pour sauver sa sœur disparue. Le manque de réciprocité devait blesser. Il l'avait compris à force de le fréquenter : sous ses airs de garçon détaché et trublion, Liam pouvait être d'une honnêteté désarmante. Il prenait les réactions des autres à cœur, il fonctionnait à l'instinct et n'avait jamais peur d'affirmer ce qu'il pensait. C'était sans doute pour ça que sa relation avec Noah s'était si vite détériorée quand ils étaient plus jeunes. Quant à Aileen... Elle avait un côté doux et psychologue propice aux confidences. Mais Julian n'avait pas pu se résoudre à se confier sur quoique ce soit. Ni sur l'Angleterre qui lui manquait, ni sur son angoisse par rapport à Hanna, et encore moins sur la douleur sourdre qui ne le quittait jamais à cause du décès de sa mère. Et Merlin, même s'il savait qu'il aurait pu se confier à eux, il en leur en voulait aussi d'avoir réagi comme ça envers lui ce soir. Parce qu'après tout, il ne leur devait rien. Il gardait pour lui ce qu'il voulait. Il connaissait Aileen et Liam depuis seulement deux mois. Ils ne pouvaient pas remplacer Matthew juste en un tour de baguette.

Les émotions en bataille, Julian arriva enfin aux portes du château. Dans sa hâte, il faillit les ouvrir sans remarquer la créature au pied de la statue de Isolt Sayre qui nettoyait la pierre. Ce fut sa voix qui interrompit son élan.

- Eh bien, vous n'êtes pas au bal ? Qu'est-ce que vous fichez ici ? Vous allez salir ce que je viens de nettoyer !

Julian s'arrêta net. La créature lui arrivait à peine à la taille. Son apparence se rapprochait un peu de celle d'un gobelin, même si sa peau virait vers le gris et que deux grandes oreilles se dressaient de chaque côté de sa tête. Une touffe de cheveux clairsemés tirant vers le blanc couronnait sa tête.

- Pardon... répondit-il instinctivement. Je ne savais pas...

- Le bal est le seul moment où je peux nettoyer la statue d'Isolt sans avoir les sales gamins dans ton genre dans les pattes ! Quelle idée de revenir à cette heure !

- Je...

A nouveau ce soir, les mots lui manquèrent. Son esprit était trop surchargé par ses émotions vis-à-vis de sa mère pour réussir à appréhender les paroles de la créature. Faute de mieux, il se décida à demander, incertain :

- Excusez-moi mais... qui êtes-vous ?

- Moi ? Qui je suis ? Mon garçon, en voilà une question ! Je suis William ! Je vis ici.

- Ici ? A Ilvermorny ?

- Non, en Arkansas ! Evidemment ici ! Ce château était à moi bien avant votre arrivée, espèce d'insolent.

- Ah...

Brusquement, Julian se souvint enfin. Liam lui en avait parlé : William, le puckwoodgenie concierge de l'école. Il le surnommait Willy le Pucky. Avec ça, ce n'était pas étonnant que William déteste les élèves. Ou alors c'était une règle universelle des concierges, ce qui expliquerait l'attitude de Rusard.

- Je ne voulais pas vous déranger, dit-il finalement en retrouvant ses esprits. Je vais vous laisser...

- Et pourquoi tu es parti, hum ? Le bal n'était pas à ton goût ?

- Non... ce n'est pas...

Le puckwoodgenie le scruta intensément. Un voile léger troublait ses yeux, preuve supplémentaire de son grand âge. Il n'avait pas non plus l'air d'avoir trois cents ans comme les rumeurs le prétendaient, mais il n'était certainement pas tout jeune.

- Eh bien ? Parle ! Ou les sorciers ont-ils perdu le peu d'intelligence qu'ils avaient ?

- Non, ce n'était pas une question de goût, s'énerva-t-il. J'aurais juste voulu... Enfin, je m'attendais à voir une personne mais elle n'est pas apparue. C'est tout.

William l'observa, l'air de le juger, et il détesta le sentiment.

- Ah c'est un danger ça... Les morts et les vivants ne font pas bon ménage, petit. Parfois, il faut savoir dire adieu.

- Qu'est-ce que vous en savez ?

Il eut conscience d'être un peu trop agressif, mais il s'en fichait. Pendant un court instant, William parut sincèrement sur le point de lui répondre et une émotion étrange joua sur son visage. Mais le moment fut brisé avant même d'avoir lieu lorsqu'une voix héla derrière eux :

- Julian !

Il se retourna. Noah remontait vers le château. Sa cape ondulait autour de son corps au rythme de ses pas et ses boucles noires se confondaient presque dans l'obscurité ambiante, loin des lueurs tour à tour chaleureuses et bleutées de la colline des sorcières de Salem. Julian sentit sa gorge se fermer à mesure que Noah approchait. Il n'arrivait pas à décider s'il le maudissait de l'avoir suivi ou s'il était soulagé que tout le monde ne l'ait pas juste laissé partir. Il se trouvait étrangement démuni, seul. Et à choisir, il préférait être avec Noah qu'avec William le puckoowgenie.

- Qu'est-ce que tu fais là ? Demanda-t-il malgré tout lorsque Noah arriva devant lui.

-Je t'ai laissé un peu d'avance, c'est tout. Mais j'ai cru comprendre que tu ne voulais pas vraiment rester au bal, non ?

- Pas vraiment...

- Parfait, moi non plus. Viens.

Julian fronça les sourcils.

- Où ?

- Tu verras, dit Noah d'un air mystérieux.

Il le narguait ouvertement. Julian débattu avec lui-même quelques secondes pour savoir s'il avait la force de s'opposer à Noah, mais il renonça.

- Je te suis, se contenta-t-il de dire.

Noah parut satisfait. Il commençait à comprendre que Noah aimait être aux commandes. Lors de leurs séances de dessin, c'est lui qui choisissait le thème la plupart du temps et Julian acceptait ses idées. Il devait avouer qu'elles étaient plutôt bonnes de toute façon. Alors que Noah ouvrait la porte du hall, il remarqua soudain que William avait disparu. Il tourna sur lui-même, fouillant le parc du regard, mais le concierge n'était nulle part en vue.

- Julian ?

- J'arrive, désolé...

Décidant d'oublier sa rencontre fortuite, il s'engouffra dans le hall. La chaleur l'enveloppa immédiatement et il fut encore plus ébloui que ce matin par les décorations. Sans la lueur du jour, les bougies dans les bouches des citrouilles ressortaient plus vivement et le jeu des ombres étaient saisissants. Même Noah s'arrêta une seconde.

- Ca ferait une belle peinture, jugea-t-il.

- Je trouve aussi...

Le visage de Noah se découpait justement dans la lumière et toute l'esthétique que produisaient les décorations le rendait plus fascinant que d'habitude, sûrement à cause de son physique aux traits fins et en même temps volontaires. Il haussa un sourcil en remarquant que Julian le dévisageait.

- Je parlais du hall, précisa-t-il, rictus aux lèvres.

Julian sentit ses joues et son cou chauffer.

- Moi aussi, s'empressa-t-il de dire.

- Hum... Allez viens, Picasso.

Et sans même s'assurer que Julian le suivait, il traversa le hall et pénétra dans le Réfectoire pour prendre les escaliers. C'était étrange de parcourir le château vidé de ses élèves : tout était plongé dans un silence angoissant et calme à la fois. Julian détestait ça. Il ne savait même pas d'où lui venait cette certitude viscérale, mais il tenta de s'imaginer Poudlard sans le bruit ambiant qui accompagnait sa vie quotidienne et n'y parvint pas. L'idée même semblait contre nature. Or, c'était exactement l'impression qu'Ilvermorny renvoyait. Une sorte de carcasse vide. Heureusement, Noah faisait du bruit en marchant. Ses pas frappaient le sol avec assurance et l'écho se répercutait contre les pierre de grès. Au premier étage, Julian s'attendait presque à ce qu'ils se dirigent vers leur dortoir, mais Noah poursuivit sa montée. Et il n'arrêta pas, enchaînant les étages.

La respiration de plus en plus courte, Julian se força à rester silencieux. Il ne voulait pas paraître impatient ou pire apeuré. Noah savait ce qu'il faisait. Ou du moins il en avait l'air. Sa crise de panique tout à l'heure devant tous les autres était déjà assez embarrassante comme ça. Maintenant qu'il avait mis de la distance entre lui et les fantômes, ses émotions se rendormaient progressivement et il avait le sentiment qu'il en reprenait le contrôle. Il avait été juste idiot d'espérer. C'était évident que sa mère n'aurait jamais pu apparaître ici. Elle n'était même pas morte sur ce continent. La déchirure dans le voile entre le monde des vivants et celui des morts à Halloween avait ses limites.

Les poumons douloureux, il ralentit sur le pallier du quatrième étage et Noah lui jeta un coup d'œil par-dessus son épaule.

- Encore un effort, allez, l'enjoignit-il. On est bientôt arrivés.

- Arrivées où ?

Il grimaça instinctivement. Il s'était pourtant refusé à poser la question depuis plusieurs minutes.

- Tu verras bien. A moins que tu ais la trouille, Shelton ?

Le défi était perceptible. Haut et fort. Julian tenta de se composer un visage neutre.

- Avance, se contenta-t-il de dire.

Noah émit un rire moqueur. Ils continuèrent leur ascension. Plus ils montaient, plus les escaliers se faisaient étroits et sombres. C'était évident que cette partie du château n'était pas destinée aux élèves. Il réalisa qu'il avait sérieusement perdu la main – ou plutôt le souffle – depuis l'année dernière. Il avait l'habitude de monter jusqu'en haut de la tour d'Astronomie. Ilvermorny était deux fois moins haut. Sans pouvoir s'en empêcher, penser à la tour d'Astronomie le fit penser à Hanna. Il la revoyait monter les marches presque deux par deux, pressée d'arriver en haut pour ne pas louper un phénomène céleste qu'elle avait calculé pendant la journée grâce à ses cartes du ciel et ses calendriers lunaires. Soudain, l'image d'Hanna lui donna la clé et il comprit.

- On monte sur le toit, c'est ça ?

- Ah l'esprit Serpent Cornu a encore frappé, déclara Noah, même s'il semblait déçu que Julian ait deviné.

Il s'en voulu presque aussitôt d'avoir verbalisé sa découverte, mais sa curiosité le poussa à continuer :

- Mais... on a le droit ?

Cette fois, Noah ne prit pas la peine de répondre. Il lui renvoya simplement un regard équivoque comme s'il se moquait d'un élève plus jeune et innocent. Pour la énième fois, Julian rougit.

- T'as peur d'une retenue, Shelton ? Lança Noah.

- Non...

- Parfait. Alors bienvenu dans l'envers du décor.

Et d'un coup d'épaule, il ouvrit la porte qu'ils venaient d'atteindre après avoir gravi une dernière volée de marche poussiéreuse et biscornue. Le plafond, qui s'était fait de plus en plus bas, laissa place à l'infinité du ciel. Julian passa l'embrasure, incertain. Devant lui se déployait un vaste belvédère : la terrasse s'élançait au-dessus du vide au milieu des tours et des tourelles du château qui perçaient le firmament. Le vent soufflait encore plus fort ici et produisait un bruit implacable, comme s'il cherchait à compenser le silence du château vidé de ses élèves. Julian avança lentement jusqu'au parapet. En contre-bas, il avait une vue imprenable sur le parc éclairé par les fantômes et les lumières de sort. Ses camarades formaient des points minuscules qui se mouvaient de loin.

- C'est incroyable... souffla-t-il. Comment... ? Comment tu savais ?

- Je viens souvent ici, révéla Noah en s'accoudant à la balustrade à côté de lui. Fleming laisse toujours la porte ouverte quand elle vient fumer. Je pense qu'elle en avait marre de la fermer et de l'ouvrir à chaque fois. (Il haussa les épaules). Pas de chance pour elle, j'ai tendance à traîner là où je devrais pas, ajouta-t-il non sans une certaine fierté.

Julian tenta de s'imaginer sa nouvelle directrice de maison et professeur de sortilèges en train de fumer seule sous les étoiles. L'image avait quelque chose de poétique et triste à la fois.

- Et t'es sûr qu'elle va pas débarquer ce soir ?

- Elle est au bal à superviser les fantômes et les autres, assura Noah. Le toit est à nous !

D'un geste grandiloquent, il écarta les bras comme pour englober tout l'espace et Julian se surprit à sourire, ce qu'il n'aurait pas crut possible il y a trente minutes. Noah sembla le remarquer car il le pointa du doigt, tête inclinée sur le côté.

- T'as une meilleure tête, commenta-t-il.

- Pas très dur, rétorqua-t-il, embarrassé. Désolé pour tout à l'heure, ça a dû vous paraître bizarre... C'était idiot...

- Quoi ? De vouloir revoir ta mère ? Plutôt normal, si tu veux mon avis...

Il haussa les épaules et plongea la main dans sa poche pour en sortir un paquet de cigarette. D'un geste, il en sortit une du paquet et la porta à sa bouche avant de l'allumer du bout de sa baguette. Julian, qui avait déjà dû subir l'odeur du tabac avec Leonidas, fronça le nez.

- Tu fumes ? Dit-il.

Immédiatement, il se trouva ridicule à énoncer l'évidence et il aurait voulu pouvoir ravaler sa phrase.

- Perspicace. Et toi tu serais pas anglais ? Rétorqua Noah avec sarcasme avant de tendre le paquet vers lui. T'en veux une ?

- Non...

- Laisse-moi deviner. T'as jamais essayé ?

- Pour faire comme tout le monde ? Non merci, je suis pas intéressé. J'ai déjà du mal à monter les escaliers jusqu'ici, mes poumons ont pas besoin de ce genre de trucs.

Au moins, la réponse lui était venue facilement. Il était sincère, il détestait l'idée de fumer. Matthew avait essayé quelques fois l'année dernière pendant des fêtes, mais il n'avait eu l'air d'apprécier et la réaction de son meilleur ami l'avait conforté dans son choix. Noah parut apprécier sa réponse car il tira une bouffée, le coin de la bouche relevée.

- Je fume seulement de temps en temps, expliqua-t-il au bout de quelques secondes. Pour me détendre.

- Et comment tu les trouves ? Ta tante tient un marché noir en plus de son café ?

- Morgane, non. Ça serait bien la dernière chose qu'elle pourrait faire. Non, je les achète à Grand Central à la rentrée. J'en prends plusieurs paquets pour le semestre.

- A Grand Central ? S'étonna Julian. Tu dois quand même aller à New York pour prendre le train ? Mais... tu vis littéralement au pied du château !

- Avancer, revenir en arrière, retour à la case départ, énuméra Noah en prenant un air philosophe. L'histoire de ma vie !

Sur le coup, Julian ne sut pas quoi faire de cette remarque. Comme souvent, il n'arrivait pas à déterminer si Noah faisait de l'humour ou non et il ne le connaissait pas encore assez pour savoir s'il disait la vérité. Faute de mieux, il se contenta de secouer la tête en souriant.

- Tu devrais dire ça à la directrice, elle y réfléchirait peut-être.

- Hicks ? Tu parles... Elle est perchée dans sa tour d'ivoire. Ou du moins elle l'est quand le MACUSA n'est pas là.

D'un geste, Noah désigna le parc du château en contrebas. De là où ils étaient, ils ne pouvaient pas distinguer précisément les silhouettes, mais Julian se souvenait parfaitement de la directrice qui discutait avec les hommes au logo du MACUSA brodé fièrement sur leur robe de sorcier. Plus il l'observait, plus il remarquait que Noah avait un problème avec l'autorité : la directrice, les professeurs, sa tante... Il passait son temps à les fuir ou à leur répondre et il ne comprenait pas pourquoi. Aucun d'eux n'avait pourtant paru hostile envers lui. Les professeurs, comme Fleming au club de duel, l'encourageaient même à exploiter ses capacités.

- Pourquoi tu ne les aimes pas ? Eut-il le courage de demander sur un coup de tête, enveloppé par l'obscurité. Les profs ou la directrice.

- Quoi ? Je devrais faire des soirées pyjama avec eux ?

- Je n'ai pas dit ça, protesta-t-il en riant. Mais ils ne m'ont pas semblé si mal depuis que je suis arrivé.

- T'es là depuis deux mois, c'est pour ça, dit Noah avant de de porter sa cigarette à ses lèvres et d'en exhaler la fumée. Je sais pas... reprit-il finalement après avoir réfléchi quelques secondes. Je crois que ce qui m'agace chez la plupart des adultes, c'est leur esprit fermé.

Julian fronça les sourcils.

- Comment ça ? Dit-il, intéressé.

- Je veux dire... Prends le dessin par exemple. L'art en général même. Ça ne t'énerve pas que personne ne s'en soucie ? Pourquoi on arrive à voir quelque chose qu'ils n'arrivent pas à voir ? (Il marqua une pause avant de répondre à sa propre question). Parce qu'ils ne prennent pas le temps de s'y intéresser ni de regarder. Si ça n'a pas un intérêt direct, comme une bonne note, un métier à la clé ou de l'argent à gagner, ça ne les intéresse pas. Ma tante dit que le dessin ne me mènera nulle part.

Julian pencha la tête. L'amertume de Noah, il la ressentait en écho au fond de lui. Il n'y avait peut-être jamais prêté attention, mais maintenant qu'il posait des mots sur cette impression, il sentit s'agiter en lui aussi un sentiment d'injustice : tout le monde l'avait toujours encouragé à travailler les sortilèges à cause de ses pré dispositions en la matière, mais à part sa mère personne n'avait considéré le dessin comme quelque chose de sérieux. Instinctivement, il voulut la défendre.

- Pas tous les adultes, nuança-t-il. Ma mère aimait l'art, elle trouvait que c'était important. Quand elle m'emmenait pas aux Archives magiques, on allait à des expositions. Je m'ennuyais au début, mais elle me montrait toujours des tableaux avec des personnages à la tête bizarre. Ça me faisait rire.

- T'avais quel âge ?

- Je ne sais plus... Huit ou neuf ans.

Noah eut un sourire tordu.

- Le prodige en tout, s'exclama-t-il. Laisse-moi deviner, tu reproduisais du De Vinci à dix ans ?

- N'importe quoi...

Piqué au vif, il détourna le regard. Il avait aussi remarqué ça sur Noah : il mettait derrière ses blagues apparemment anodines une pointe ardente qui atteignait toujours sa cible, comme s'il changeait d'humeur ou ne pouvait s'empêcher de se servir de sa langue acérée pour éviter de se dévoiler. Pourtant, incapable de supporter le silence, il reprit :

- Je me suis déjà demandé pourquoi les sorciers ne s'intéressaient pas à l'art, tu sais. Je pense que c'est plus une question de mentalité que d'adultes. Je veux dire, les moldus s'y intéressent eux.

- Les moldus, répéta Noah en faisant rouler les sonorités anglaises, l'air amusé.

- Les Non-Maj', c'est pareil, se corrigea-t-il d'un geste de la main impatient. Bref, je pense que c'est pour des raisons historiques. Tout nos attributs sont hérités du Moyen-Age : les plumes, les parchemins, nos architectures les plus importantes... C'était justement l'époque où on interagissait encore avec les moldus – les Non-Maj' pardon – et que la magie faisait partie du quotidien, même si elle faisait peur. Avec le Code du secret magique, les interactions se sont arrêtées. La société moldu a continué à avancer techniquement pendant qu'on prenait du retard. La plupart des sujets de nos tableaux datent d'il y a plusieurs siècles... On n'a même pas commencé à investir le cinéma !

Noah, attentif, hocha la tête même si Julian voyait bien qu'il ne savait pas ce qu'était le cinéma.

- J'aime bien ta théorie, approuva-t-il malgré tout. J'ai toujours trouvé ça idiot qu'on n'ait pas de musée d'art. Hilda refusait que j'y mette les pieds chez les Non-Maj'.

- Les sorciers ne voient de la beauté que dans la magie, c'est pour ça... Regarde la photo ou la peinture, ça n'a d'intérêt pour eux que s'ils les ensorcellent.

- Eux ? Ou nous ?

Julian lui accorda le point. En tant que sang-mêlé, il avait toujours été entre deux mondes, même si la magie faisait partie intégrante de sa vie. Il avait juste appris à cloisonner pour certaines choses. En ce qui concernait l'art, il avait clairement choisi son camp.

- C'est juste que... Les sorciers travaillent tellement la magie, ils l'ont poussé et en ont repoussé les limites. La magie est l'équivalent d'un art pour eux. Pourquoi ils auraient besoin d'autres choses ?

- Parce que l'art exprime quelque chose de la vie que la magie ne pourra jamais faire, répondit Noah sans hésitation.

Julian acquiesça. A nouveau, l'absolu exprimé par Noah raisonna en lui.

- Je pense vraiment que le Code du secret a tout changé, reprit-il, pensif. Ça a marqué la fracture symbolique et politique avec le monde moldu. L'art s'est délité chez les sorciers et le gouvernement devait avoir peur que des moldus tombent par erreur sur des peintures qui bougeaient, des dessins ensorcelés... Ca aurait été dur à expliquer.

- T'imagines ? Railla Noah. John-Mr-Tout-Le-Monde qui rentre du travail et se fait provoquer en duel par une peinture de chevalier ?

- Tu serais capable de faire ça, je suis sûr.

- Quoi ? Ensorceler un dessin pour qu'il provoque les autres en duel ?

- Non, ensorceler un dessin pour rendre la vie impossible à Liam par exemple.

Noah éclata de rire. Il avait un rire étonnement grave et la fumée de sa cigarette tournoya dans l'air, informe. Il n'avait pas le talent de Leonidas pour lui donner des formes en tous genres.

- N'empêche, même si le gouvernement avait peur, je trouve que c'est des conneries qu'on nous apprenne rien d'artistique, s'agaça Noah, vindicatif. Je veux dire, on comprend assez facilement par nous même comment animer un dessin, mais la technique pour peindre un portrait en donnant une âme à un sujet, ça c'est intéressant.

- Tu pourrais apprendre, suggéra-t-il. Après Ilvermorny. Il doit y avoir des instituts de magie supérieure qui propose ça...

- Comme si Hilda me laisserait. Aucune chance. Avec elle, je dois finir au MACUSA ou reprendre le café. « Faire quelque de ta vie, mon garçon », imita-t-il d'un ton sec assez proche de celui de sa tante.

- Mais Raphaël... Elle le laisse faire du balai à haut niveau, non ?

Noah émit un rire étouffé et cynique.

- Seulement parce que les recruteurs s'intéressent à lui depuis quelques mois. Sinon, elle n'aurait jamais changé d'avis.

- Un trait de famille, peut-être ? Suggéra Julian innocemment.

Il l'avait bien constaté, Noah n'était pas la personne la plus souple au monde et ses avis étaient souvent tranchés.

- Eh ! Protesta-t-il. Je peux changer d'avis : je l'ai fait sur toi.

- Moi ?

Etonné, il se tourna vers Noah pour lui faire face. Il n'avait pas eu l'impression que son camarade de dortoir l'ait traité différemment ces deux derniers mois : depuis le début, Noah se contentait de se moquer de lui à ses heures perdues et de lui imposer sa présence dans le dortoir lors de ses séances de dessin. Leurs séances de dessin en vérité désormais.

- Toi, acquiesça Noah avant d'expliciter sans ambages comme à son habitude. Je te trouvais agaçant avec ton accent, ton air de premier de la classe et ta manie de tout ranger. C'est presque angoissant.

- Angoissant ? S'amusa-t-il, moitié vexé moitié surpris que Noah ait relevé ce genre de détails à son sujet. Excuse-moi de vouloir retrouver mes affaires. Si je ne fais pas ça, je peux passer une heure à rechercher mes crayons avant de les retrouver sous ton lit !

- Je sais toujours très bien où je les laisse, assura Noah.

- C'est ça...

Julian secoua la tête, peu convaincu. Vivre au quotidien avec Noah, Liam, Enjolras et Wilde n'était pas la chose la plus facile. Il ne comptait plus les fois où il avait trébuché sur un accessoire de Quodpot qui traînait par terre ou retrouvé ses affaires déplacées. Il avait failli faire une crise de nerf lorsque Wilde avait bougé son écharpe de Serdaigle sans le prévenir et qu'il l'avait cherché pendant une heure. Vu son regard, Noah s'en souvenait aussi car il tendit la main et attrapa le bout de la dite écharpe avant de tirer doucement dessus.

- C'est celle de Poudlard, c'est ça ?

- De Serdaigle, se sentit-il obligé de préciser.

- J'aime bien les couleurs.

- Moi aussi... De toutes les maisons, le bleu et le bonze ont toujours été mes préférées. Ça énervait Matthew et sa foutue fierté de Gryffondor.

- Matthew... Le meilleur ami, hum ?

Noah fixait à nouveau le parc en contrebas et Julian n'arriva pas à distinguer son visage, mais quelque chose dans sa voix le fit tiquer. Il se contenta d'acquiescer.

- Ouais... Matthew Bones.

- Et ta copine ? Sarah ?

- Hanna, corrigea-t-il en grimaçant.

- Ah oui, elle... Alors ? Tu lui as écrit finalement ?

- Oh oui, ça fait un moment... On s'envoie des lettres, ça va mieux. T'avais raison, le dessin était sans doute une bonne idée pour rétablir le contact. Ça me faisait juste bizarre de lui reparler, mais c'est passé je crois.

- Et pourquoi ça te faisait bizarre ?

Toujours sans le regarder, Noah écrasa sa cigarette sur la balustrade du parapet. La lueur grésillante qui avait faiblement éclairé son visage jusque-là disparu et Julian se concentra sur ses mains. Il hésita pendant un court silence à révéler à Noah ce qu'il avait enfin compris cette après midi en discutant avec son parrain, mais le poids des mots fut finalement trop lourd dans sa poitrine et il s'en déchargea :

- Tu vas trouver ça tordu mais... On ne s'étaient pas revus elle et moi après... la mort de ma mère.

Si Noah fut surprit, il ne le montra pas.

- Tu pensais qu'elle ne comprendrait pas ? Dit-il.

- Non, c'est pas ça... Hanna est une fille empathique, elle m'aurait soutenu, je le sais. Mais... Elle aurait été là trop tard. Je sais que ce n'est pas de sa faute si elle n'était pas là, personne n'aurait pu prévoir. Mais le temps qu'elle revienne, l'enterrement avait déjà eu lieu, j'avais été au Ministère subir les discours des politiques sur le drame que l'attentat avait été pour notre communauté et toutes leurs conneries... C'était idiot de lui faire un résumé de ce que je ressentais depuis des semaines. Je ne savais pas quoi lui dire, ni comment lui dire...

- Et maintenant ? Avec le recul ? Tu trouves quoi dire ?

Julian baissa la tête, l'estomac lourd.

- On évite le sujet on va dire, avoua-t-il. On parle de plein de choses comme d'habitude, de ce qui se passe à Poudlard et ici, mais pas de ma mère... C'est sans doute plus simple comme ça, je ne veux pas lui imposer...

- Comme tu n'as pas voulu l'imposer à Aileen et Liam ?

Le ton n'était pas accusateur, mais Noah le mettait clairement et volontairement face à ses choix. Presque embarrassé, il se tordit les mains et repéra des tâches de fusain noire sur sa peau. Il les frotta mécaniquement.

- Liam avait assez à gérer avec la disparition d'Emilia, se justifia-t-il. Et Aileen a déjà fait beaucoup pour moi depuis que je suis arrivé au château, je ne voulais pas ajouter ça en plus...

- Le « ça » en question te pèse plutôt pas mal pourtant. A juste titre.

Cette fois-ci, Noah laissa filtrer une certaine compréhension dans ses paroles et Julian se souvint brusquement de ce qu'il lui avait dit sur sa propre mère : il savait ce que c'était de ne plus en avoir une parce que la sienne avait décidé qu'elle ne voulait pas de ses fils. La curiosité le poussa.

- Qu'est-ce qui s'est passé avec la tienne ? Pour que tu vives chez ta tante ?

- T'essayes de détourner la conversation de toi ?

- Non, je veux vraiment savoir. C'est toi qui en a parlé une fois.

Noah le fixa longuement, comme s'il tentait de le percer à jour et voir s'il disait la vérité. Il soutint son regard et Noah soupira. Avec un dernier coup d'œil au bal des fantômes en bas, il se retourna puis se laissa glisser au sol, dos contre le muret et jambes repliés devant lui. Julian l'imita. Assis par terre, ils ne subissaient plus l'assaut du vent et il sentit les muscles de son corps se détendre. Il avait mal partout, surtout au niveau du torse. Sa crise de panique de tout à l'heure lui avait coupé le souffle douloureusement et il en ressentait encore les effets.

- C'est compliqué et simple à la fois, commença à raconter Noah d'une voix désincarnée. Ma mère a toujours été un peu spéciale. T'as vu ma tante ? Imagine l'exact opposé. Hilda a toujours eu un esprit assez terre à terre, elle a conscience des choses je pense... Ma mère ? Elle aime vivre. Elle n'a pas besoin de l'approbation des autres, elle n'aime pas les convenances. Avec Raphaël, quand on était petits, elle nous laissait faire ce qu'on voulait. On pouvait partir en vacances à l'improviste et revenir des jours plus tard. Hilda détestait ça : elle disait qu'on ne devait pas louper l'école et qu'on devait faire ce qu'elle disait parce qu'elle était l'adulte.

Julian se retint d'intervenir. A ses yeux, les revendications de Hilda paraissaient légitimes. Il comprenait mieux le portrait que lui avait dressé Théa lorsqu'elle lui avait raconté que Heather Douzebranches ressemblait à une adolescente sur le tard. Et ça ne l'étonnait pas non plus que Noah, au vu de sa personnalité, oscille entre colère et admiration pour elle. Parce que dans le fond, il ne paraissait pas bien différent. Il lui donna raison en poursuivant :

- Elle nous laissait souvent chez Hilda enfants... Parfois, elle pouvait décider de partir avec des amies ou en voyage et elle pouvait pas nous emmener. Elle nous laissait sur le pas de la porte du café et Hilda nous récupérait à l'ouverture. Dès qu'elle nous voyait, elle avait l'air en colère. Je la revois encore se figer à chaque fois quand elle ouvrait le rideau. Et puis elle ouvrait la porte d'un coup de baguette comme si on venait de foutre en l'air sa journée. On était un peu un fardeau pour les deux, j'imagine.

A nouveau, Julian s'empêcha d'intervenir pour ne pas couper l'élan de Noah maintenant qu'il s'était décidé à parler. Mais s'il avait dû faire une hypothèse, il n'était pas sûr qu'Hilda ait été en colère après les deux enfants déposés devant sa porte. Sa sœur en revanche... Il supposa que la nuance avait dû être dure à percevoir pour un petit garçon balloté entre deux maisons et que, même aujourd'hui, la vision de Noah était trop influencée par son ressenti enfant pour être complètement objectif.

- Mais y'avait du bon aussi... continua Noah, insensible à ses pensées. (Il leva les yeux vers les étoiles). Hilda nous faisait toujours à manger, elle n'oubliait jamais si on avait un contrôle ou un mot à signer pour le lendemain. Elle nous lisait des histoires. Raphaël voulait toujours celle des Trois Frères... Je ne sais pas si vous la connaissez en Angleterre ?

- Si, si, elle est connue... Le père de Matt lui lisait souvent, je crois, se rappela-t-il.

- Hum... Enfin bref, un jour Hilda en a eu assez. Elle s'est mise à dire les quatre vérités à ma mère et elles se sont disputées. Ma mère disait qu'elle n'avait jamais prévu de nous avoir, qu'elle ne savait juste pas comment mais qu'elle allait faire mieux maintenant. Qu'elle allait nous emmener à Chicago pour tout recommencer.

- A Chicago ?

Noah déglutit. Ses doigts se crispèrent, comme s'il avait envie de reprendre une cigarette.

- C'est là où habite mon père, lâcha-t-il en regardant droit devant lui. Aux dernières nouvelles du moins...

- Oh...

C'était idiot, mais Julian n'avait pas songé un instant où pouvait bien être le père de Raphaël et Noah dans le tableau. Hilda remplissait très bien le rôle de deuxième parent et naïvement il s'était imaginé que le mari d'Heather était mort aux alentours de la naissance des garçons.

- Ils ont divorcé ? Demanda-t-il après quelques secondes.

- Ils n'ont jamais été mariés, corrigea Noah. Là encore, c'est compliqué et simple à la fois. Une histoire vieille comme le monde : elle était amoureuse de lui et lui se fichait d'elle. Leur histoire a duré par intermittence. Elle a tenté de lui faire deux enfants pour le retenir, mais il l'a quitté à chaque fois. Ça ne l'empêchait pas de vouloir nous emmener à Chicago en espérant qu'on vive en famille. C'était assez paradoxal, elle ne voulait pas d'une vie classique, mais elle se disait justement qu'avec lui elle pourrait continuer à être libre, mais qu'on aurait un père...

- Ca n'a pas fonctionné, devina Julian.

- Non, pas du tout. La dernière fois qu'on s'est pointé chez lui, il a dit qu'il voulait bien nous donner un peu d'argent mais pas nous laisser rester.

Sous l'éclairage du ciel nocturne, les traits de Noah paraissait plus figés que jamais. Ses boucles noires prenaient un reflet argent et ses mains s'étaient repliées en poings contre ses genoux. Julian n'arrivait pas à détacher ses yeux du portrait qu'il offrait. Il sentit une vague de colère monter en lui envers les adultes de la vie de Noah : la mère irresponsable qui n'avait pas su être mère alors que deux petits garçons en avaient fait les frais, la tante qui s'était vu imposée un rôle qui n'était pas le sien sans essayer prendre en compte leurs émotions, le père qui n'avait pas assumé ses actes...

- Qu'est-ce qui s'est passé alors ? Souffla-t-il. Pour que vous restiez chez Hilda ?

- Comme je disais, ma mère et elles se sont engueulées. Hilda a accusé ma mère d'être incapable de s'occuper de nous et ma mère s'est vexée. Elle nous a demandé avec laquelle on voulait vivre...

- Elle a... quoi ? Mais vous aviez quel âge ?

- Six et quatre ans, dit Noah avec un rire amer. Je te laisse imaginer ce qui passe dans la tête de deux gamins quand les deux seules femmes qui s'occupent d'eux leur demandent de choisir...

- Merlin...

Il ferma brièvement les yeux. Quand il les rouvrit, il s'aperçut que Noah s'était enfin tourné pour lui faire face. Il déglutit. Dans la nuit, ses yeux bleus se confondaient avec l'obscurité.

- Vous avez choisi qui ? Osa-t-il demander, hésitant.

- Raphaël a choisi Hilda. Ils sont toujours mieux entendus, tous les deux. Moi... j'ai hésité. J'aimais la vie avec ma mère. C'était toujours drôle, imprévu... Elle peignait beaucoup, version Non-Maj'. Ça rendait mes grands-parents dingues apparemment quand elle était plus jeune. Elle me laissait peindre avec elle. On mettait nos mains dans la peinture et on faisait des toiles comme ça.

Julian sourit devant l'image. Il n'avait pas de mal à imaginer Noah et son aversion pour les règles s'épanouir dans ce genre d'environnement créatif et libre. Plus que tout, ça lui faisait penser à sa propre mère et à leur matinée à dessiner ensemble. Il eut l'impression que le lien qui l'unissait à Noah par le dessin se renforçait soudain : ils ne devaient pas leur passion à eux-mêmes, mais à leur mère. Et même si elles étaient radicalement différentes l'une de l'autre, elles avaient été habitées par la même énergie.

- Alors tu l'as choisi ? Ta mère ?

Noah se mordit la lèvre. L'attente parut interminable et quand il ouvrit la bouche, sa voix se réduisit à un murmure.

- Non...

- Tu... Tu as choisi ta tante...

- Non plus. Je n'ai rien dit. Je n'ai pas réussi... (Il s'étouffa à moitié et se râcla la gorge avant de reprendre). Alors ma mère a attrapé sa cape et elle est partit. Juste comme ça. Elle nous a laissé chez Hilda.

Agité, il se passa une main dans les cheveux et tira sur une de ses boucles. Julian eut envie de l'arrêter, mais il n'osa pas le toucher.

- Je lui ai couru après, Jules... J'ai essayé de la rattraper, mais elle m'a repoussé. Elle a dit que je devais rester avec ma tante et que c'était mieux comme ça... Voilà, c'est tout.

Dans cette fin abrupte, Julian entendit tout ce que Noah ne disait pas : les sentiments chaotiques qu'avaient dû ressentir un petit garçon de six ans, les années suivantes avec ce qui s'était passé entre ce fameux jour et aujourd'hui, comment tout ça avait forgé sa vision du monde qui l'entourait... Pourtant, il tiqua sur autre chose et haussa un sourcil.

- Jules ? Répéta-t-il.

- Plus court que Julian, se défendit Noah en accentuant de façon exagérée son accent américain pour faire sonner son prénom étrangement.

Il retint une grimace, puis laissa le surnom résonner dans sa tête avant de l'essayer à voix haute :

- Jules... J'aime bien.

- Charly avait déjà pris « Ju' ».

- Tout le monde a déjà pris « Ju' ». Matt, Lottie, mes parents... Ma mère m'appelait comme ça quand j'étais petit, c'est pour ça...

Et il réalisait à cet instant qu'il était reconnaissant envers Noah de ne pas utiliser ce surnom. C'était la marque de son nouveau départ aux Etats-Unis, celui qu'il ressentait depuis son arrivée dans le nouveau monde.

- Tu pourras me parler d'elle un jour si tu veux... proposa soudain Noah avec une prudence peu coutumière chez lui, les doigts crispés sur ses genoux.

- De ma mère ?

- Hum... Vraiment en parler, je veux dire. Pas juste quand il faut annoncer ce qui s'est passé aux autres comme ce soir.

Avec force, le rappel de Liam et Aileen qu'il avait planté au bal lui revint à l'esprit et il contrôla son anxiété avant qu'elle ne s'empare à nouveau de lui. Il pourrait gérer ça demain. Derrière la proposition de Noah, il percevait aussi surtout sa vulnérabilité à s'être confié et sa tentative pour le pousser à en faire de même, comme pour être à nouveau sur un pied d'égalité.

- Je le ferai... promit-il, la gorge obstruée. Juste... pas ce soir, ok ?

- Pas ce soir, répéta Noah en hochant la tête. Ce soir, c'est juste toi et moi.

Julian eut un léger sourire. Il aimait cette idée. Juste Noah et lui sur le toit d'Ilvermorny le temps d'un soir.

Après tout, les fantômes ne pouvaient pas les atteindre ici. 

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Ce chapitre marque un peu un tournant dans la fanfic : le lien entre Noah et Julian commencent vraiment à naître. Au passage, je remercie les trois autres filles du Quatuor Infernal pour leurs idées sur l'art chez les sorciers, ça m'a énormément aidé ! Et dernière précision : je précise que l'idée de Noah qui doit choisir entre sa mère et sa tante m'a été fortement inspiré par le film Nowhere Boy que je conseille à tous! 

Eléments tirés du canon/Pottermore: 

- William le concierge puckwoodgenie

Prochain post : Chapitre 19 - Lundi 10 mai 

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