Chapitre 15 : This is Halloween

Sans que ça soit très explicite, il y a des mentions à des éléments de Ombre et Poussières qui ne sont révélés que plus tard dans l'histoire de Perripuce. Pour ceux qui ont lu les deux premiers tomes, aucun soucis, mais par respect pour les autres : ne spoilez pas dans les commentaires ce que j'ai volontairement laissé un peu flou ^^ Merci beaucoup !! 

Bonne lecture! 

*****************************

« Double, double toil and trouble; Fire burn and caldron bubble. »

Macbeth, Shakespeare – 


// 31 octobre 1979 //

Julian aurait aimé dire que le Village ne tenait pas la comparaison face à Pré-au-Lard. Malheureusement, son patriotisme entra en collision avec la réalité et il fut ébahi dès qu'il posa un pied dans la rue principale. Comme à chaque fois qu'il découvrait une nouvelle chose en Amérique, son esprit ne put s'empêcher de faire la comparaison avec l'Angleterre. Contrairement à Pré-au-Lard, le Village n'avait pas une architecture médiévale, mais plus récente. Les rues et ruelles étaient presque alignées parfaitement, formant des blocs sur le modèle newyorkais, et une rue principale coupait la ville en deux. De chaque côté, des hautes maisons bordaient la route : elles étaient souvent divisées en deux avec une échoppe au premier niveau et ce qui semblaient être des habitations juste au-dessus. Selon les immeubles et les maisons, le style variait et Julian s'amusa à promener son regard sur les structures en bois, les façades en briques ou en pierre, mais aussi plus étonnement sur un véritable mini building en verre haut comme l'église de Terre-en-Lande. Le tout dégageait une impression de joyeux bazar hétéroclite, accentué par les passants et les élèves qui marchaient et bavardaient en tout sens.

S'il avait eu plus de temps, il aurait aimer s'arrêter et dessiner. Le soleil voilé par quelques nuages était haut dans le ciel et éclairait le Village d'une lueur dorée mais pâle qu'il adorait. Au lieu de ça, il redoubla l'allure sans vraiment savoir quelle direction prendre. Dans sa lettre, Leonidas lui avait dit que le Deux Souafles était le bar-café le plus populaire du Village au milieu de la grande rue. Il aurait aimé qu'il soit un peu plus précis.

Indécis, Julian décida de continuer à suivre la foule. Les mains enfouies au fond de ses poches, il sentait toujours le stupide avion en papier de Noah et il songea un instant à le jeter avant de renoncer. Il sortit ses mains et resserra son écharpe aux couleurs de Serdaigle. Il aurait aimé qu'Aileen et Liam soient avec lui pour tout commenter, l'une d'un ton docte et pédagogue et l'autre avec moquerie. Il se rendit compte que c'était la première fois qu'il découvrait un morceau d'Ilvermorny – en quelque sorte – sans eux. Cette constatation lui fit étrange.

Perdu dans ses pensées, il aurait dépassé les Deux Souafles si un mouvement n'avait pas accroché son regard à la périphérie de sa vision. Il tourna la tête. Le café-bar n'avait pas l'air bien grand, mais il dégageait une aura indéniable. Il avait l'air plus ancien que toutes les échoppes qui l'entouraient et son ossature en bois lui donnait un certain charme. Julian leva la tête. Le toit pointu formait un angle étroit au-dessus d'une fenêtre ronde. Puis, en-dessous, il devina deux étages dont l'un devait être un appartement et le deuxième une salle de service supplémentaire car il apercevait des clients – un couple avec des capes d'Ilvermorny – par la fenêtre. Encore en-dessous, son regard tomba enfin sur l'entrée du café. Il pouvait voir à l'intérieur grâce à la vitrine et il réalisa que c'était elle qui avait attiré son regard. Déjà, il n'était pas habitué à en voir une. Les Trois Balais étaient trop ancien pour en avoir une. Sur la vitre, une écriture qui prenait la forme d'un ruban se mouvait pour inscrire tour à tour le nom de l'établissement, le prix des cafés, et annoncer une promotion sur la bière au beurre. Des citrouilles et des fantômes apparaissaient et disparaissaient sous forme de brume et Julian crut même distinguer la trace d'une main ensanglantée qui faisait la même chose dans le coin gauche.

Il aurait pu passer un moment à détailler la vitrine du regard s'il n'avait pas soudain vu Leonidas. Son parrain était assis en terrasse à une table de quatre, une tasse de café devant lui. La cuillère tournait toute seule pendant qu'il lisait un article du Fantôme de New York, le journal local de la ville. Sa mâchoire carrée était rasée de près, ce qui faisait ressortir ses yeux bleu cobalt. Il dû se sentir observer car il releva la tête. Un large sourire s'épanouit sur son visage dès qu'il l'aperçu.

- Julian ! Appela-t-il. Viens !

Julian traversa la rue en slalomant entre les passants. Il se laissa tomber sur la chaise en face de Leonidas.

- Désolé, je suis en retard...

- De deux minutes, nuança Leonidas en jetant un coup d'œil à sa montre à gousset attachée à son veston. Je pense que je survivrai à cet affront. Mais ne tente pas la même chose avec Isadora, elle serait capable de te donner un coup de canne.

- Tu parles d'expérience ? Se moqua Julian.

Il visualisait encore précisément la canne de sa grand-mère. Leonidas se renversa contre le dossier de sa chaise et rit.

- Il se peut que ma jeunesse en ait été ponctuée, oui. Mais je ne suis pas le seul. Robert et Cordelia n'étaient pas en reste.

- Et ma mère ?

- Aurélia ? Non, elle était toujours la petite dernière, la petite fille sage !

- Sérieusement ?

Julian avait dû mal à imaginer sa mère en petite fille modèle. Il l'avait vu à huit ans sur le tableau du hall du manoir des Grims et malgré sa coiffure et sa robe impeccables, elle n'avait pas eu l'air très ravie de poser pour le portrait de famille.

- Elle s'est rattrapée à l'adolescence, avoua Leonidas, un sourire nostalgique aux lèvres. C'était inattendu d'ailleurs. Cordelia s'est assagie au moment où Aurélia se découvrait un esprit rebelle. Je plains honnêtement mon oncle et ma tante. (D'un coup sec, il referma son journal, puis le mit de côté). Mais peu importe. Je suis ravi de te revoir enfin !

- Moi aussi, dit-il.

Avec surprise, il réalisa qu'il était sincère. Il avait passé deux mois enfermé dans le tourbillon qu'était Ilvermorny, mais Leonidas lui avait manqué. En septembre, ils n'avaient pu passer que quelques heures ensemble à New York, pourtant Julian avait eu envie d'apprendre à mieux le connaître. Leonidas était le seul qui semblait prêt à lui accorder du temps et qui répondait à ses questions. Rien que pour ça, il lui en était reconnaissant.

- Comment ça se passe à New York ? Demanda-t-il.

- J'essaye d'y passer une fois par semaine pour déjeuner avec ton père, lui apprit Leonidas. Le reste de la semaine, je suis à Boston pour le travail comme tu le sais, mais j'ai quelques amis au service des transports. Ils ont bien voulu relier ma cheminée à celle du « Saranna », ça rend les choses plus faciles.

Julian mit une seconde à se rappeler que le « Saranna » était le nom du manoir des Grims, baptisé d'après la femme de Robert Ier.

- Et Lysandra ? S'inquiéta-t-il en se souvenant de la femme de Leonidas qu'il n'avait jamais rencontré mais dont le nom était revenu plusieurs fois lors de leurs échanges épistolaires. Ça ne la dérange pas que tu fasses des allers-retours ?

- Pas du tout. En ce moment, elle est en Angleterre. Sa sœur a eu un bébé il n'y a pas longtemps.

Julian allait répondre avec enthousiasme – il avait toujours eu un faible pour les bébés – mais la lueur malicieuse dans les yeux de Leonidas l'arrêta. Il haussa un sourcil, sentant qu'il passait à côté de quelque chose.

- Quoi ? Dit-il.

- Rien, tenta de nier Leonidas, mais le sourire dans sa voix le trahi.

- C'est ça et moi je suis Merlin.

Son parrain éclata de rire. Il tenta de dissimuler son sourire en prenant une gorgée de café, sans succès.

- Je savais que je n'arriverais pas à garder le secret, il va me tuer. Il voulait te le dire lui-même en personne je crois.

- Il ? Répéta Julian, perplexe.

- Oui. Avant que je te dise ce que je sais, sache que je ne l'ai appris qu'il y a quelques semaines quand mon neveu m'a envoyé une lettre.

- Ton neveu ?

- Par alliance. Il est plus le neveu de Lysa techniquement parlant.

- Tu veux dire le bébé ?

Julian réalisa que ce qu'il venait de dire était idiot. Un bébé n'avait pas pu envoyer une lettre.

- Non, pas le bébé. Son frère.

- Je ne comprends rien, avoua-t-il honnêtement.

Leonidas croisa les mains sur la table, l'air amusé.

- Et si je te disais que mon neveu s'appelle Matthew Bones ?

Julian aurait aimé que Liam soit présent pour immortaliser son expression à cet instant précis. Il était sûr que sa bouche resta entre-ouverte plusieurs secondes et il manqua de s'étouffer en se redressant brusquement, abasourdi. Le nom de Matthew était la dernière chose à laquelle il s'attendait. Au début, il cru même avoir mal entendu.

- Tu me fais marcher, dit-il, incapable d'y croire. Comment... comment tu connais Matthew ?

- Non, c'est la vérité, je t'assure. Tu l'as vu sur l'arbre généalogique, non ? Lysandra est née Croupton et il se trouve qu'elle a une sœur. Cassiopée. Et je crois que tu la connais puisqu'elle s'est mariée à un certain Edgar Bones.

- Je... Quoi ?

Il laissa échapper un rire incrédule. Depuis qu'il était ami avec Matthew, il n'avait jamais pensé à demander le nom de jeune de fille de sa mère. Peut-être qu'il avait été mentionné au détour d'une conversation lorsqu'il était en première année et qu'il avait rencontré Matthew, mais l'information ne lui était pas restée en mémoire.

- J'avoue avoir été aussi étonné que toi, convint Leonidas en finissant sa tasse de café. Matt m'a envoyé un hibou express quand il l'a découvert après la rentrée. Apparemment, tu lui avais parlé de moi dans une lettre et il a tout de suite compris évidemment.

Sans pouvoir s'en empêcher, Julian sentit son visage rougir. Il savait qu'il n'avait pas à se justifier d'avoir parlé de Leonidas à son meilleur ami, mais il joua quand même avec le bout de son écharpe, mal à l'aise. Heureusement, son parrain ne releva pas et continua :

- Je ne le vois pas souvent et on ne s'écrit jamais, lui et moi. Alors quand j'ai reçu une lettre qui commençait par « Salut tonton », je me suis douté qu'il se passait quelque chose. Morgane, ce gamin est agaçant. Je lui ai dit trente fois de ne pas m'appeler comme ça.

- Matt a tendance à faire le contraire de ce qu'on lui dit, l'informa Julian, amusé.

- Crois-moi, j'ai bien remarqué. (Il secoua la tête). Enfin, peu importe. Il s'avère que vous aviez plus en commun que vous ne le réalisiez. Vous êtes amis depuis vos onze ans, c'est ça ?

Julian acquiesça.

- Meilleurs amis, corrigea-t-il pour la forme. Mais oui, on s'est rencontrés en arrivant à Poudlard avec Hanna.

- Hanna ?

Le nom lui avait échappé et il se maudit intérieurement. Pour lui, ils avaient toujours été un trio, mais il aurait préféré Hanna en dehors de la conversation pour aujourd'hui.

- Notre amie à Serdaigle... Ma... ma copine en fait, expliqua-t-il avec hésitation.

Leonidas dressa un sourcil.

- Oh, lâcha-t-il. Je ne savais pas que tu...

- C'est un peu compliqué, se justifia Julian en voyant qu'il laissait sa phrase en suspens. Hanna et moi... On s'est mis ensemble en début d'année, juste après mon anniversaire, mais on se connaît depuis notre arrivée à Poudlard. Elle a toujours été un peu ma meilleure amie, mais pas comme Matthew. Avec Hanna, on rigolait bien, on avait les mêmes cours, la même maison. C'était facile de bien s'entendre. Et puis il y a eu... enfin il y a eu l'attaque des mangemorts. (Il s'humecta les lèvres, la gorge sèche). Papa a décidé qu'on devait déménager, mais je n'ai pas pu revoir Hanna entre temps, elle était en Grèce en vacances. C'est juste étrange de ne pas l'avoir revu depuis...

- La mort de ta mère, compléta Leonidas avec gravité.

Julian hocha la tête. Un poids se souleva soudain de ses épaules : il avait enfin mis les mots sur ce qui le dérangeait vis-à-vis d'Hanna. Il n'avait pas menti, sa relation avec elle avait toujours été différente de celle Matthew. Ils ne se disaient pas des choses aussi personnelles. Avec Hanna, par contre, il pouvait avoir de longues conversations sur des sujets improbables qui allaient du dessin à l'astronomie. Hanna avait souvent un point de vue auquel il ne s'attendait pas et il adorait débattre avec elle. Là où Matthew s'ennuyait vite et se laissait des grandes conversations pseudo-philosophiques, lui et Hanna restaient parfois tard le soir dans leur salle commune à enchaîner les conversations sans véritable but. Pourtant – et il en avait horriblement conscience – il ne s'était jamais vraiment confié à elle. Hanna ne connaissait pas ce qu'il vivait à la maison quand son père s'enfermait un peu trop dans son monde et oubliait qu'il avait une famille qui l'attendait pour dîner ; elle ne savait pas à quel point il s'angoissait pour Lottie à la moindre égratignure ; elle n'avait pas été là pour voir sa détresse quand il avait compris qu'il ne reverrait jamais sa mère. Matthew, lui, savait. Matthew, lui, avait été là.

Surtout, il avait fini par comprendre pourquoi il était si réticent à l'idée de lui reparler. Il se sentait incapable d'agir comme avant, d'être le même Julian que l'année dernière, et Hanna allait le voir. Elle allait le mettre face à l'inéluctable : la mort de sa mère l'avait plus marqué qu'il ne voulait l'admettre. Lottie lui avait bien dit, non ? « Tu n'aurais pas pu la sauver ! Tu ne peux pas... réparer ce qui s'est passé ce jour-là en me surprotégeant ». Pourtant, il n'arrivait pas à concevoir l'idée de laisser Hanna entrevoir ce qu'il ressentait depuis des mois. L'incendie qui avait emporté sa mère avait eu lieu le 22 juin, trois jours seulement après l'arrêt des cours. Hanna était déjà partie en vacances et il ne l'avait pas revu physiquement depuis. Il ne se rendait compte que maintenant à quel point ce détail avait son importance. La dernière fois qu'il avait vu Hanna, il avait encore une mère. Elle n'avait pas fait partie de son processus de deuil comme Matthew, Lottie ou son père. Il l'avait laissé en dehors de sa douleur pour garder cette part de sa vie intacte, mais il réalisait aujourd'hui qu'il n'arrivait pas à revenir en arrière. Il ne savait plus comment réintégrer Hanna dans cette nouvelle réalité qu'il avait tant de mal à appréhender lui-même.

Une boule chauffée à blanc lui brûla les entrailles lorsqu'il déglutit.

- Julian ? Dit soudain Leonidas, le ramenant à la réalité, l'air préoccupé.

- Hum ? Oh pardon... Je pensais à... Bref...

Il agita la main comme pour balayer Hanna de son esprit et revint sur l'annonce principale.

- J'arrive pas à croire que Matt... Enfin, je veux dire c'est la chose la plus improbable au monde ! Mais tu le connais depuis... (son cerveau réalisa enfin le calcul) depuis plus longtemps que moi !

- J'en ai peur, approuva Leonidas. Une vraie terreur cet enfant. Il tient de ses parents.

L'image de Edgar et Cassie Bones s'imposa dans son esprit et Julian ne put qu'acquiescer.

- Tu peux me dénoncer et dire que je t'ai annoncé la nouvelle, je ne m'en formaliserai pas promis.

- Je dois répondre à sa lettre demain, je le ferai sans doute... Ou alors j'attends Noël pour le revoir.

Il s'imaginait déjà la scène. Matthew, avec un air malicieux, qui s'apprêtait à lui révéler la vérité sur leur lien avant que Julian ne lui coupe le feu sous le chaudron. Matthew allait être vert. A cette simple idée, Julian sentit son sourire s'accentuer. Merlin, son meilleur ami lui manquait.

En face de lui, Leonidas l'observait avec amusement, comme s'il devinait ses pensées.

- Je te laisse gérer comme tu le souhaites, dit-il. (Son expression s'assombrit soudain). Mais n'oublies pas que vous ne pourrez peut-être pas rentrer à Noël. J'ai quelques contacts à l'Ambassade qui sont spécialisés dans les relations avec l'Angleterre et son gouvernement. Les choses ne vont pas mieux là-bas et les attaques continuent. Ça ne serait pas prudent.

- Ma grand-mère est là-bas, protesta-t-il. La mère de mon père, je veux dire. Elle est moldu. Enfin, Non-Maj' pardon.

- Moldu me va très bien, Lysa n'a jamais réussi à dire autre chose, le rassura Leonidas. Et je sais bien que ce n'est idéal, mais elle serait peut-être plus en sécurité si vous n'attiriez pas l'attention sur elle en revenant. (Il prit l'air sincèrement désolé). Mais je te promets que si vous devez rester ici pour Noël, j'essayerai de la faire venir si tu veux.

- Vraiment ?

Leonidas haussa les épaules.

- Je ne peux rien garantir, mais comme je t'ai dit, je connais quelques personnes... Ca ne veut pas dire que je suis Ministre non plus.

- Je sais...

Il allait lui demander comment il comptait faire venir grand-mère Jeanne s'il le pouvait lorsqu'une ombre tomba sur la table. Julian releva la tête, éblouie momentanément par le soleil. Une femme avec un plateau et un carnet se tenait devant eux. Elle devait avoir la cinquantaine, même si son corps sec et ses cheveux bruns coiffés dans un style années 50 lui donnaient l'air un peu plus âgée. Elle avait des pommettes hautes et des yeux bleus qui lui rappelaient quelqu'un, mais il n'aurait pas su dire qui. Sur son nez droit étaient perchées des lunettes en demi-lune au bord évasé et rattachées à une chaîne en argent qui entourait son cou maigre. Elle les dévisagea, une main parfaitement manucurée sur la hanche.

- Tiens donc, monsieur Grims, dit-elle d'une voix rauque. Ça faisait longtemps que je ne vous avais pas vu dans mon café. Vous ne venez plus dire bonjour, même lorsque vous arrivez ?

Elle désigna délibérément la première tasse de vide posée devant Leonidas. Ce dernier lui adressa un sourire et sa main se porta à sa large mâchoire.

- Ma chère Berthilda... Pardon Hilda, se corrigea-t-il en la voyant le regarder avec sévérité par-dessus ses lunettes. Je suis désolé, j'allais venir vous saluer bien sûr. C'est juste que c'est un week-end de sortie à Ilvermorny et je retrouvais simplement mon filleul.

D'un geste de la main, il le désigna et Julian tenta d'afficher un léger sourire poli. La dénommée Hilda se contenta de le scruter de haut en bas.

- Filleul, hum ? Répéta-t-elle. En voilà une nouvelle. Je ne savais pas que vous aviez un filleul.

- Le fils d'Aurélia, précisa Leonidas.

- Ah.

Elle fit tenir dans cette simple syllabe un étonnement et un jugement non dissimulé, mais Julian ne parvint pas à les interpréter. Son ventre se contracta et il tenta de soutenir le regard de Hilda. Il ne faisait aucun doute qu'elle avait connu sa mère, peut-être il y a longtemps à l'époque où elle vivait encore aux Etats-Unis. Vu son âge approximatif, elles n'avaient pas dû aller à Ilvermorny ensemble ou simplement un ou deux ans.

- Aurélia est revenue au bercail alors ? Supposa-t-elle. Il était temps, Isadora doit être heureuse. Dommage que ce pauvre Gibert ne soit plus là pour voir ça.

Julian se tendit en même temps que Leonidas. Sa voix l'abandonna. Il n'avait pas le courage d'annoncer encore une fois la mort de sa mère et il laissa son parrain répondre. Malheureusement, Leonidas n'eut le temps que de s'éclaircir la gorge avant que Hilda ne reprenne, son plateau désormais contre la hanche.

- Je n'ai jamais bien compris pourquoi elle est partie, commenta-t-elle. Enfin, j'ai mes doutes, comme tout le monde. Elle ne s'entendait pas avec lui, n'est-ce pas ? (Elle n'attendit aucune réponse). Ne vous inquiétez pas, monsieur Grims, personne ne l'aimait beaucoup. Seule Cordelia a été surprise de ce qui est arrivé.

- Hilda, s'il vous plaît, ce n'est pas le moment d'en reparler, intervint Leonidas. Pour tout vous dire...

Il hésita un instant sur ses mots et Julian s'enfonça dans sa chaise, le nez dans son écharpe de Serdaigle. Il ne voulait pas entendre.

- Je suppose que vous avez entendu ce qui se passe en Angleterre ?

- Le mage noir ? Le nouveau Grindelwald ? Dit Hilda. Oui, je lis les journaux, bien sûr. Comme je vous disais, on en revient toujours à lui, non ?

- Je ne voulais pas le dire dans ce sens-là. Il s'avère que ce mage noir terrorise le pays et a des partisans dévoués. Il y a eu une attaque aux Archives Magiques en juin. Aurélia était en poste là-bas.

Il accentua la fin de sa phrase d'un regard éloquent et Julian n'arriva pas à se retenir : il releva les yeux pour voir la réaction de Hilda. A sa décharge, elle dissimula bien sa surprise, mais ses sourcils se froncèrent quand même et elle pinça les lèvres en inhalant profondément. Julian se mordit l'intérieur de la joue. Un silence inconfortable s'étira quelques secondes autour d'eux.

- Je suis désolée de l'apprendre, dit-elle finalement. Je ne savais pas...

- Vous ne pouviez pas le savoir, la rassura Leonidas.

- C'est une sale époque, monsieur Grims. J'espère que la guerre s'apaisera vite.

- Comme nous tous, Hilda.

Elle soupira, puis vrilla son regard sur lui. Elle parut vouloir dire quelque chose et Julian pria pour que ça ne soit pas des condoléances. Heureusement, elle passa à autre chose.

- Bien, qu'est-ce qui vous ferait plaisir ? Un café ? Un jus de citrouille ? Quelque chose de plus fort ?

- Un autre café, Hilda, s'il vous plaît.

- Hum... Vous avez du thé ?

Leonidas sourit face à lui. Il savait que son accent anglais rendait sa commande clichée au possible.

- On a du thé à la menthe ou à l'orange, confirma Hilda. Ou alors... (Ses yeux perçants se vrillèrent soudain au-delà de leur table). Raphaël !

Le cri de la patronne le fit presque sursauter. Il tourna la tête si vite que sa nuque craqua et il découvrit Raphaël Douzebranches, son balai sur l'épaule, planté au milieu de la rue. Il grimaçait, comme s'il se maudissait de s'être fait prendre. Julian ne l'avait pas revu depuis la journée de recrutement des clubs, mais il se surprit à mieux le regarder maintenant qu'il l'avait sous les yeux. Instinctivement, il chercha les ressemblances avec Noah. Ce n'était pas difficile, il avait passé des matinées entières ces deux derniers mois à dessiner face à Noah et il avait retenu ses traits avec la précision qui le caractérisait dès qu'il s'agissait de dessin. Même avec le bonnet enfoncé sur sa tête, Julian distingua ses cheveux bouclés d'une teinte plus claire que ceux de son frère. Il avait aussi quelques grains de beautés sur le visage et un sourire joyeux vissé au lèvres, ce qui contrastait fortement avec l'air souvent revêche de Noah.

- Raphaël, je peux savoir où tu vas ? Exigea Hilda, l'air sévère.

A la place de Raphaël, Julian serait parti en courant.

- Oh tante Hilda... C'est drôle de te voir ici...

- Dans mon propre café ?

- Euh...

Il crispa ses mains autour du manche de son balai, nerveux. Julian, lui, resta figé. S'il n'avait pas été si surpris, il aurait sûrement fait la navette entre Hilda et Raphaël juste pour être sûr d'avoir bien entendu. Tante Hilda... Brusquement, il comprit pourquoi la forme et la couleur des yeux de Hilda lui disaient quelque chose. Elle avait les mêmes que Noah. Pris au dépourvu par cette révélation, il la dévisagea ouvertement après avoir tenté d'échapper à son regard intensif depuis tout à l'heure. Il revit Noah, perché sur son bureau, qui lui racontait que sa tante ne voyait en lui qu'une déception. Selon lui, si elle le pensait sincèrement, c'est qu'elle n'avait jamais vu son neveu dessiner.

- Ne me dis pas que tu vas encore monter sur ce balai, invectiva-t-elle en direction de Raphaël. Tu n'as pas des devoirs à faire ?

- Ils sont pratiquement tous terminés... Je ferai l'herbologie ce soir. Promis !

- Et tu ne voudrais pas donner un coup de main à ta vieille tante ? J'ai du monde aujourd'hui !

- Roh Hilda...

Les épaules de Raphaël s'affaissèrent. Julian le plaignait sincèrement. Lui aussi n'aurait pas voulu mettre son samedi entre parenthèse pour servir des cafés.

- Je ne peux pas aujourd'hui. J'avais promis à Charly de lui montrer le point de vol près de la réserve. S'il te plait !

Il se décala soudain, révélant une silhouette cachée derrière lui. Julian se redressa. Les cheveux tirés en queue de cheval, Charlotte rougit dès qu'elle se retrouva le centre de l'attention et agita la main piteusement. Elle avait son balai serré contre elle.

- Bonjour, madame Douzebranches, lança-t-elle. Ravie de vous rencontrer.

- Appelle-la Hilda, toussa Raphaël à voix basse, mais le son porta malgré tout jusqu'à eux.

Sa tante plissa les yeux.

- Tu sais bien que je n'aime pas que tu ailles là-bas tout seul, lui reprocha-t-elle. Où est ton frère ? Il pourrait t'accompagner.

- Noah ? Aucune idée. Je ne l'ai pas vu aujourd'hui...

- Il est avec Othilia, révéla Julian avant que son cerveau ne réfléchisse.

Tout le monde se tourna vers lui et Hilda lui jeta un regard perçant par-dessus ses lunettes. Il regretta immédiatement d'avoir ouvert sa bouche.

- Othilia ? Répéta-t-elle. Ça lui arrive de quitter cette gamine, par Morgane ?

- Voyons Hilda, nous avons tous été jeunes, tempéra Leonidas.

- S'il pensait un peu moins à elle et plus à ce que je lui demande, comme m'aider au café ou réviser ses cours, croyez-moi j'arriverai peut-être à faire quelque chose de ce garçon. Enfin, ce ne sont pas vos affaires, désolée. (Elle secoua la tête, faisant danser ses boucles courtes). Et toi, ajouta-t-elle à l'attention de Raphaël, tu as intérêt à passer me voir avant le couvre-feu.

- Promis, tante Hilda !

- Bien. Je vous apporte votre café et votre thé.

D'un pas aussi sec que sa façon d'être, elle repartie avec son plateau sous le bras. Julian la regarda slalomer entre les tables et il repensa à Noah et Othilia qui descendaient devant lui le chemin vers le Village. Il espéra pour Noah qu'il ne passerait pas voir sa tante s'il voulait s'en sortir vivant.

- Une femme charmante, commenta platement Leonidas.

- Hum... Oui, je suppose... Eh Lottie ! Appela-t-il soudain en voyant sa sœur tenter de s'éloigner sans se faire remarquer.

Charlotte se raidit et se retourna lentement. Elle lui adressa le même signe de la main qu'à Hilda.

- T'es sûre que c'est une bonne idée ? Vérifia-t-il. Où est-ce que vous allez exactement ?

- Ju' ! Dit-elle en roulant des yeux. Près de la réserve, c'est tout. On va s'entraîner à la course.

- C'est pas au bord de la falaise ?

- Non, répondit Raphaël, il n'y aucun risque ! Promis !

Julian le jaugea du regard. Il trouvait que Raphaël promettait beaucoup de choses sous ses airs de garçon sage et son sourire confiant. Il ne savait pas ce qui le déstabilisait là-dedans : l'impression qu'il s'en servait pour parvenir à ses fins ou le décalage complet que son attitude avait avec celle de Noah ?

- Ne t'inquiète pas Ju', on sait ce qu'on fait ! Tu te souviens de ce qu'on avait dit ?

Elle lui lança un coup d'œil équivoque et il soupira. Il se souvenait parfaitement de leur dispute sur le bord du terrain de Quodpot à la fin de laquelle il lui avait promis de faire des efforts, de ne plus l'étouffer, et de la laisser faire ses propres expériences. Et même s'il n'appréciait pas l'idée de la voir vagabonder hors du château avec pour seule compagnie Raphaël, il abdiqua.

- Amuse-toi bien, se contenta-t-il de dire avec un faux sourire.

Sa sœur parut le percer à jour, mais elle ne commenta pas. Soudain enthousiaste, elle faucha le coude de Raphaël et l'entraîna d'un pas bondissant le long de la rue. Julian les suivit des yeux jusqu'à ce qu'ils disparaissent à l'angle.

- Un problème ? S'enquit Leonidas, l'air soucieux.

- Non, non... Désolé. Je suis juste inquiet de la voir partir à l'aventure...

- Compréhensible. Je lui avais proposé de nous rejoindre aujourd'hui aussi, mais elle m'avait dit qu'elle avait déjà des plans de prévus. Je comprends mieux, je ne suis pas aussi intéressant qu'une course sur balai.

- Tu envoies aussi des lettres à Lottie ? S'étonna-t-il.

- On en a simplement échangé deux à vrai dire. Charly n'est pas très assidue en matière de correspondance j'ai l'impression.

Il n'y avait aucun reproche derrière ses mots, il ne faisait que poser un constat. Julian ne put qu'approuver et au fond de lui, presque mesquinement, il ressentit un certain soulagement. Il en était venu à attendre les lettres de Leonidas chaque semaine comme un rituel, un lien avec le monde extérieur au-delà des murs d'Ilvermorny et il trouvait ça réconfortant d'avoir établi cette relation particulière avec son parrain.

- Mais je ne lui en veux pas, reprit Leonidas, je suis content qu'elle se fasse des amis. (Il l'observa de biais et ses prunelles bleu cobalt brillèrent de curiosité). Et toi ? Tu as mentionné des amis dans tes lettres sans rentrer dans les détails. Et comme tu as accepté de venir me voir aujourd'hui, je me demandais...

- Oh... Si, si, je me suis fais des amis. Ils sont juste partis à Salem aujourd'hui. Liam Cooper et Aileen McCallum.

- Cooper, hum ? Un lien avec Emilia Cooper ? Je ne sais pas si tu as entendu parler d'elle depuis ton arrivée.

- La fille disparue, dit Julian. C'est la sœur adoptive de Liam.

- Pauvre garçon. Les Aurors s'arrachent les cheveux sur cette affaire. Comme s'il n'avait pas déjà assez de travail avec...

Brusquement, il s'interrompit. Il parut hésiter, sans savoir comment terminer sa phrase, puis fit un geste vague de la main. Julian aurait aimer lui arracher les mots de la gorge. Il détestait lorsque Leonidas faisait ça.

- Avec quoi ? Pressa-t-il.

- Rien, pardon, je pensais à autre chose. Aileen McCallum, tu disais ? Je connais ses parents. Des investisseurs canadiens influents. Pas étonnant qu'ils envoient leur fille à Ilvermorny.

Julian se mordit l'intérieur de la joue. Il n'en avait rien à faire des parents d'Aileen. Il tenta une autre approche pour poser ses questions :

- De quoi parlait Hilda ? Demanda-t-il. Elle a mentionné un « lui » quand elle a évoqué tante Cordelia. Que ça avait été une surprise pour elle mais pas pour les autres.

- Julian...

- Quoi ? La patronne du café a le droit de savoir, mais pas moi ?

Leonidas soupira. Il se frotta l'arrête du nez, puis le sourcil, et sembla réfléchir profondément à ses prochaines paroles.

- Ce n'est pas ça, c'est juste que c'est de l'histoire ancienne, se déroba-t-il. Le mari de Cordelia, si tu veux tout savoir, n'était pas quelqu'un de bien.

- Le mari de...

- Mais si tu veux, je préférerais qu'on évite d'en parler. Théa ne va pas tarder à nous rejoindre et son père n'est pas un sujet qu'elle apprécie vraiment.

Le ton de Leonidas se fit plus ferme et Julian se retrouva incapable de protester. Il n'arriva cependant pas à retenir sa surprise :

- Théa ? Répéta-t-il. Théa doit nous rejoindre ?

- Oui, je lui ai proposé. Elle a accepté. Archer devait voir quelqu'un. Encore sa mystérieuse inconnue sûrement. J'espère que nous en saurons plus à Noël, cette histoire commence à être intrigante. Lysa est persuadée qu'il vend des plumes en contrebande.

- Quoi ?

Il éclata de rire en essayant d'imaginer Archer, sous ses airs pompeux, se cacher dans une allée sombre pour vendre des plumes sous le manteau. Il avait hâte de rencontrer Lysandra Grims.

- Enfin, tout ça pour dire que Théa ne devrait pas tarder à arriver. Je lui ai donné une heure un peu plus tardive pour qu'on ait le temps de discuter tous les deux. Je me suis dis que tu préférerais ça.

D'un coup, Julian reprit son sérieux. Ils en venaient au sujet sensible. Comme pour lui laisser le temps d'organiser ses pensées, Hilda revint à ce moment-là et déposa en coup de vent une tasse de café et une tasse de thé en face d'eux avant de repartir en faisant littéralement léviter son plateau dans son sillage. La terrasse s'était considérablement remplie. Avec précaution, Julian attira sa tasse vers lui et joua avec l'anse.

- Comment va mon père ? Souffla-t-il.

- Il s'en sort, jugea Leonidas, regard au loin. Comme je te disais, je viens déjeuner une fois par semaine avec lui. Il a pris le rythme, il m'attend même à la porte et fait la conversation. Au début, ce n'était pas évident. Il me disait que ses recherches demandaient beaucoup d'investissement et qu'il n'avait pas le temps. Cordelia l'a un peu... bousculé, je crois.

- Comment ça ?

- Tu n'as jamais vu Cordelia s'énerver, mais crois-moi, si elle veut que tu fasses quelque chose, elle te le fait savoir. Ton père n'avait aucune chance. Mais ne t'inquiète pas, je penses qu'elle l'a fait avec l'intention de vraiment l'aider. Elle n'en donne pas l'air, mais la mort d'Aurélia l'affecte plus qu'elle ne veut l'admettre et je pense qu'aider ton père est sa façon de se faire pardonner.

- Pardonner quoi ?

- De ne pas l'avoir contacté toutes ces années, sûrement. Elle n'a jamais pu régler ses problèmes avec sa sœur, j'imagine que c'est dur à vivre.

Julian fit semblant d'être absorbé par l'intérieur de sa tasse dans laquelle l'eau se colorait. Le sachet de thé ondulait doucement par magie, diffusant sa saveur avec lenteur.

- Justement... Quels problèmes ? Pourquoi elles ne se parlaient plus ?

- Julian, on ne va pas y revenir...

- Quoi ? Ca a un lien avec le mari mystérieux ?

Leonidas ne répondit même pas et se contenta de boire une gorgée de son café. La frustration enfla dans son ventre, mais il n'insista pas, conscient qu'il n'obtiendrait aucune explication. Il ne voulait pas énerver son parrain alors qu'il le revoyait pour la première fois depuis la rentrée.

- Bon... Et mon père, alors ?

- Oui, pardon. Comme je te le disais, Ethan a fini par apprécier nos déjeuners je dirais. Cordelia et Isadora se joignent souvent à nous. Même Robert est passé la semaine dernière mais il n'a parlé que du cours des Dragots, c'était ennuyeux. (Il leva les yeux au ciel). On essaye de distraire Ethan du mieux qu'on le peut. Je l'ai même emmené voir Central Park au début du mois.

- Vraiment ? Et il a aimé ?

- Crois-le ou non, mais il ne voulait partir. J'ai dû lui rappeler qu'Isadora exigeait qu'on soit de retour pour le repas du soir !

- Papa ? Il ne voulait pas... rentrer ? S'étonna Julian.

- Tout à fait. On a marché presque trois heures dans New York en évoquant nos souvenirs d'Aurélia. Il se souvenait aussi de ce fameux nouvel an, le dernier qu'on avait fait tous ensemble à Londres peu avant qu'elle accouche. En comparant nos souvenirs, on s'est rappelés qu'elle n'arrêtait pas d'aller aux toilettes dès qu'elle buvait un verre de jus d'orange pendant que nous buvions nos coupes de champagnes. Lysa devait l'aider à se relever du canapé à chaque fois.

- Oh...

Un sourire nostalgique flottait sur les lèvres de Leonidas et Julian enroula ses mains autour de sa tasse. La chaleur contre ses doigts correspondait à celle qui se diffusait dans sa poitrine. A vrai dire, la chaleur envahissait son corps aussi sûrement que le thé s'était mêlé à l'eau : impossible à endiguer et à séparer. Après des mois à voir son père s'enfoncer dans son travail – plus que d'habitude, bien plus que d'habitude même – il aurait aimé exprimer toute sa reconnaissance envers Leonidas, voire Cordelia et Isadora aussi. Parce que lorsque son père avait coulé après la mort de sa mère, c'était toute la famille qui avait sombré. Julian avait bien essayé de les maintenir à la surface, mais il devait reconnaître qu'à la fin de l'été, même lui commençait à avoir la tête sous l'eau.

Heureusement, Leonidas parut comprendre et lui adressa un sourire. Il allait reprendre la parole lorsque son regard se riva au-delà de sa tête. Julian eut à peine le temps de se retourner qu'une main tira la chaise à côté de lui. Il reconnut le ruban rouge qui y était noué avant que Théa ne rentre dans son champ de vision.

- Je ne savais pas que Julian serait là aussi, dit-elle d'emblée.

- Bonjour à toi aussi Théa, répliqua Leonidas. Ravi de te revoir. Je vais bien et toi ?

- Très drôle...

Elle se laissa tomber dans le fond de son siège, bras croisés sur la poitrine. Julian lui coula un regard de biais et il constata qu'elle n'était pas plus enjouée que lui à l'idée de partager Leonidas.

- Je n'avais pas mentionné que Julian venait aussi ? Dit celui-ci avec un faux air contrit. Désolé, Théa, j'ai dû oublier. Ça ne te dérange pas ?

Il n'en aurait pas juré, mais il était à peu près sûr que Leonidas n'avait pas « oublié » de les prévenir de la présence mutuelle de l'autre par mégarde. A sa droite, Théa plissa les yeux.

- Non, aucun problème, lâcha-t-elle du bout des lèvres.

Leonidas fit la navette entre eux et haussa un sourcil. Il n'était visiblement pas dupe.

- Un problème entre vous deux ?

- Non...marmonna Julian.

- Il n'arrive toujours pas à se remettre de ses défaites au club de duel, dénonça Théa en même temps.

Sa tasse émit un tintement sonore quand il la reposa avec un peu trop de force en s'étouffant d'indignation. Il pivota vers Théa. Depuis septembre, sa cousine l'avait effectivement battu à trois reprises et, même si ça l'agaçait, il ne lui avait jamais rien dit à ce sujet. Il gardait ses plaintes pour Aileen et Liam. Ou pour Noah occasionnellement lorsqu'ils dessinaient ensemble le matin.

- N'importe quoi, nia-t-il. Ça n'a rien à voir !

- Donc il y a bien un problème ? Insista Leonidas.

- Si le problème c'est juste qu'elle refuse de nous parler depuis qu'on est arrivé, alors oui. Mais aucun rapport avec le club de duel.

- Tu parles ! Tu fais la tête parce que Fleming avait dit que t'étais le meilleur en sortilège et que je t'ai battu quand même.

- Je ne t'ai pas vu essayer de me parler même avant, protesta-t-il.

Il avait conscience de ne pas vraiment réfuter ce qu'elle disait et il fusilla Leonidas du regard en le voyant sourire, amusé et concerné à la fois. Comment il arrivait à combiner ses deux émotions, Julian n'en avait aucune idée.

- Je ne voulais pas m'en mêler, dit-il, mais il faut avouer Théa que ton accueil n'a pas été le plus chaleureux qui soit.

- Tu vas me faire la morale, Leo, sérieusement ? Tu te montres trois fois par an, c'est facile !

Julian écarquilla les yeux devant l'audace et le ton mordant de sa cousine. Il s'attendit à voir Leonidas s'énerver ou la remettre à sa place, mais il se contenta de la fixer calmement avec cet air serein qui le caractérisait. A croire qu'il gérait des adolescents en crise tous les jours.

- Mon sens de la famille n'est pas la question ici, Théa. Et tu sais très bien que ce n'est pas complètement de ma faute si je viens si peu au manoir. C'est une décision... collective.

- Parce que tu avais choisi le camp de tante Aurélia.

- Il n'y avait pas de camp, voyons. Juste une famille qui avait du mal à se comprendre et ça ne concerne aucun de vous deux.

- Mais...

Le regard sévère de Leonidas arrêta Théa dans sa protestation. Julian trouva une certaine satisfaction dans le fait qu'elle ait les mêmes questions que lui. C'était un lien mince, mais un lien tout de même.

- Ce que je veux dire, Théa, c'est que Julian et Charlotte sont arrivés dans un pays inconnu et dans une famille qu'ils ne connaissaient pas. Tout ça après avoir perdu quelqu'un. (Il marqua une pause, l'air grave). Et je pensais que toi, plus que personne, pourrait comprendre ça.

Le ton solennel pesa sur eux tous. Mal à l'aise, Julian baissa les yeux, son thé oublié. Il ne savait pas quoi penser de ce lien-là. Il avait même essayé de ne pas y penser depuis qu'il avait appris la vérité en septembre sur Théophilius, le frère jumeau de Théa décédé à cinq ans d'une maladie infantile. La photo du petit garçon souriant dans les Chroniques des Grims était assez tragique en elle-même sans qu'il ait besoin d'y songer davantage. A ses côtés, Théa avait pâli. Ses tâches de rousseurs ressortaient sur son nez en trompette.

- C'est un coup bas, murmura-t-elle.

- Tu penses ? Ou est-ce simplement la vérité ?

- Je ne suis pas venue ici pour un cours de philosophie ni voir un psychomage, s'énerva-t-elle vertement. Je n'aurais même pas dû venir !

- Et pourtant tu as accepté, rétorqua Leonidas sans se départir de son calme. Maintenant baisse la voix ou tu vas attirer l'attention de toute la terrasse et je n'ai aucune envie de devoir m'expliquer avec Hilda aujourd'hui.

Théa serra les dents. Pendant une interminable seconde, Julian fut persuadé qu'elle allait continuer à faire une scène, puis sa colère retomba. Elle avait simplement l'air fatigué et il réalisa qu'elle arborait cette expression plus souvent qu'il ne l'aurait cru. Il connaissait le sentiment.

- Désolée... dit-elle dans un souffle. Je ne voulais pas...

- Tout va bien, assura Leonidas. L'important, c'est que tu sois avec nous, non ?

- Oui, oui... (Elle se râcla la gorge). Vous parliez de quoi alors ?

- De ma mère...

Les mots s'étaient échappés de sa bouche avant qu'il n'ait pu les retenir. Théa lui coula un regard en biais.

- Restons dans le thème alors, décida-t-elle. Parle-nous d'Aurélia. 

*****************************************

J'ai plus qu'un chapitre d'avance, c'est l'angoisse les amis haha! J'espère vraiment réussir à en maintenir au moins un pouvoir continuer à poster de façon régulière ^^ 

Sinon, ce chapitre était super à écrire et je suis contente d'avoir pu écrire à nouveau sur Leonidas  ! N'hésitez pas à me dire ce que vous avez pensé du chapitre et on se retrouve dans deux semaines ! 

Eléments tirés du canon/Pottermore :

Rien pour aujourd'hui je crois ^^

Prochain post : chapitre 16 - lundi 29 mars 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top