Chapitre 11 : Saisir le réel



« Le réel n'est pas malléable, il est dur et froid, et si vos mains ne parviennent pas à le saisir, il glisse et s'échappe. »

- Pierre Ducrozet -  

// 8 septembre 1979 //

Assis en tailleur sur son lit, Julian profitait de la lumière du matin. Il avait remarqué que le soleil entrait selon un angle précis avant neuf heures et il aimait son intensité. Depuis trois jours, il laissait les autres aller déjeuner et restait seul dans le dortoir pour dessiner, tentant désespérément de saisir cette lueur. S'il arrivait à terminer son dessin avant la prochaine lettre de Matthew, il pourrait lui envoyer par hibou pour qu'il ait une idée des dortoirs d'Ilvermorny. Un dessin serait sûrement bien plus parlant qu'une description. Il aurait pu aussi simplement demander à Liam d'emprunter son appareil photo, mais Julian aimait ces matins, seul, et il savait que Matthew avait toujours aimé ses dessins. Il en avait épinglé quelques-uns dans sa chambre à Terre-en-Lande : un dessin de lui, les cheveux roux flamboyants devant ses buts et perché sur son balai ; un dessin d'eux avec Hanna dans le parc de Poudlard, leurs écharpes bleu et bonze enroulées autour d'un Matthew grimaçant ; et un dessin de la maison des Bones avec les vélos sur la pelouse un jour d'été.

Sa main gauche crispée sur son crayon, Julian se repositionna contre le dossier de son lit. Celui-ci faisait partie de la boîte que sa mère lui avait offert et il le contempla un instant, le regard dans le vide. Il se rappela leurs dimanches après-midi à dessiner la même chose, juste pour voir qui allait le mieux réussir, et il se demanda comment sa mère aurait tenté de saisir ce dortoir. Est-ce qu'elle aurait commencé par la forme des meubles ? Aurait-elle utilisé des couleurs ou du fusain ? La gorge serrée, il se fustigea mentalement de penser ainsi. Julian le savait, il était coincé dans un entre-deux sombre dont il lui était impossible de s'échapper. Un entre-deux entre le moment où il avait perdu sa mère et le moment où le monde avait continué à avancer. Il était coincé là, mais ce même monde continuait à tourner autour de lui. La terre ne s'était pas arrêtée avec elle et il détestait ça. Il aurait voulu que le monde se fige, juste le temps qu'il arrive à comprendre l'incompréhensible : il n'avait plus de mère.

- T'es encore là, toi ?

Julian en lâcha son crayon qui alla rouler par terre. Il se râcla la gorge pour essayer de ravaler les larmes qui lui étaient montées aux yeux et releva la tête. Noah Douzebranches était revenu au dortoir plus tôt que prévu. Appuyé contre la colonne de son lit, ses boucles noires étaient à peine coiffées et il semblait se moquer de lui, comme à son habitude.

- Ca fait depuis le début de la semaine que tu loupes le petit déjeuner pour rester ici, dit-il. Tu joues à l'ermite ?

- Tu joues au voyeur ? Rétorqua-t-il tout à trac.

Noah haussa un sourcil.

- Je veux dire...

- Non, je ne t'espionne pas si c'est ce que tu crois. C'est juste qu'Othilia met trois heures à se préparer le matin et je n'aime pas particulièrement rester seul à une table à regarder le mur d'en face.

- Et Théa ?

Il se rappelait avoir vu sa cousine avec Noah et Othilia à chaque fois qu'il les avait croisés.

- Théa me supporte à cause d'Othilia, elle ne m'aime pas plus que ça. En fait, je crois que Théa n'aime personne à part elle-même.

- Je ne la connais même pas en vérité...

- J'ai cru comprendre, oui. T'as découvert les Grims récemment ?

Julian hocha la tête. Il piocha un nouveau crayon rouge pour commencer à reproduire les couleurs de l'école qui se retrouvaient sur tout le linge de lit. Noah tendit le cou pour mieux voir.

- Tu dessines ?

- Non, je fais des claquettes.

La répartie lui valut un éclat de rire étouffé.

- L'humour anglais, je présume. Bien.

- Ecoute, je n'ai juste pas le temps de parler. J'aimerais avancer sur ça avant le début des cours. Tu voulais quelque chose ?

- Juste récupérer mon sac. Mais tu sais que tu pourrais avoir un meilleur résultat en appuyant moins ?

- Quoi ?

Noah se baissa pour attraper le crayon qu'il avait laissé tomber quelques minutes avant. D'un geste précis, il le fit tourner entre ses doigts et Julian eut du mal à suivre la forme tourbillonnante. Sans même demander, il attrapa une feuille vierge qui traînait au pied du lit, puis se dirigea vers le sien. Il lui fit un mouvement vague de la main.

- Vas-y, dit-il, continu. On compare à la fin.

- Tu dessines ?

- Non, je préfère les claquettes.

Julian retint un sourire. Il ne l'avait pas volé. Après une seconde de réflexion, il finit par hausser les épaules et se replongea dans son dessin. Il n'avait pas menti : il voulait avancer avant le début des cours, peu importe si Noah Douzebranches avait décidé qu'il s'ennuyait assez pour rester. Concentré, Julian laissa sa main courir sur le papier et il bloqua le souvenir de sa mère. C'était simplement une esquisse de dortoir pour Matthew, rien de compliqué, ni d'émotionnel là-dedans.

- T'es venu à Ilvermorny à cause de la guerre ? Demanda soudain Noah sans relever les yeux.

- Ce n'était pas pour la nourriture en tout cas...

- Quoi ? Quelque chose contre les repas ?

- Le thé est imbuvable.

- Je prends du café.

- Quelle chance...

D'un trait, Julian fit émerger la silhouette de Noah perchée sur son lit. Il ne savait pas pourquoi il avait décidé de l'inclure, mais puisqu'il était là, autant rendre le dessin plus vivant. Il prit un crayon plus épais pour dessiner ses boucles noires.

- Les clubs commencent cette après-midi. J'imagine que t'as suivi docilement Aileen et Liam au journal.

- Je suis resté avec mes amis, si c'est ça ta question. Quelque chose qui t'échappe je crois.

- Ah ! Lâcha Noah avec sarcasme. Je vois que Liam n'a pas perdu de temps. Il m'a traité de quoi ? De con égoïste ou de traitre infidèle ?

- Ni l'un ni l'autre... Un mélange des deux ?

Noah secoua la tête.

- Rien d'étonnant. Tout est noir ou blanc avec lui. Le chevalier et sa princesse. Au moins Aileen est plus diplomate.

Dans son esprit, Julian s'imagina Liam sur un échiquier géant aux côtés d'Aileen dont les cheveux roux auraient tranché vivement avec les cases monochromes. Il voyait souvent les choses en opposition de couleurs, c'était comme une déformation de sa passion pour le dessin. Sans s'en rendre compte, il accentua le drapé rouge du lit à baldaquin et renforça les contours de la porte.

- Mais c'est vrai ce qu'il a dit ? Demanda-t-il, curieux malgré tout. Vous étiez amis et puis... tu as jute arrêté de leur parler ?

- C'est un peu plus compliqué que ça, Shelton.

Avec son accent américain, Julian trouvait que Noah avait une drôle de façon de prononcer son nom.

- Compliqué comment ? Pressa-t-il. T'avais redoublé non ? Vous étiez enfin dans la même classe, ça devait être plus simple justement.

- Ils t'ont dit ça aussi... Et après c'est moi qui suis indigne de confiance.

Il lança son crayon en l'air deux fois et le rattrapa avec habilité avant de lui envoyer un regard plein de défi.

- Ton pire cauchemar ça, Shelton ? De redoubler ?

- Non.

- Pourquoi ? T'es sûr que ça ne peut pas t'arriver ?

- Exactement.

Cette fois-ci, ce fut lui qui lui glissa une œillade bravade. Noah sourit, amusé. Ensemble, ils se remirent à dessiner quelques secondes en silence. Le soleil était monté dans le ciel et Julian avait perdu la luminosité qu'il cherchait, mais il décida de continuer. En trois jours, il n'avait finalement pratiquement pas parlé à ses camarades de dortoir à part Liam. Wilde Wilkinson et Enjolras Fontaine étaient toujours en mouvement, toujours partis quelque part, soit à un entraînement de Quodpot soit à une réunion du syndicat des élèves ; et c'était difficile de faire connaissance dans ces conditions. Pourtant, Julian tenait à les connaître et à ne pas reproduire le même schéma qu'à Poudlard où il ne s'était pas lié avec ses camarades de dortoir à Serdaigle. Les garçons avec qui il avait partagé étaient sympathiques, mais Julian n'avait jamais réussi à vraiment leur parler comme il le faisait avec Matthew et Hanna. Assez vite, il s'était résigné et enfermé dans leur amitié restreinte en se disant que ça lui suffisait. Et même si c'était en partie vrai, sa sœur lui avait bien dit : Ilvermorny pouvait être un nouveau départ.

- Pour répondre à ta question, j'ai aussi pris le club de duel, avoua-t-il soudain. En plus de celui de journalisme. Aileen m'a dit que je ne ferais que les illustrations de temps en temps et que je pouvais m'inscrire dans un autre. A Poudlard, je n'ai jamais pris la peine d'y aller, alors je me suis dis que ça serait l'occasion.

- Le club de duel ? Ce n'est pas contre le pacifisme et l'éthique des deux justiciers journalistes ?

Julian roula des yeux.

- En fait, tu as autant une dent contre Liam que lui contre toi.

- Si tu savais...

- Explique-moi, proposa-t-il en essayant de maitriser la curiosité dans sa voix.

Noah eut un rictus clairement provocateur.

- T'aimerais bien, hum ?

Son crayon filait à toute vitesse sur sa feuille et il regardait à peine ce qu'il faisait.

- A quoi ça sert de m'en parler sans m'expliquer ? Rétorqua Julian.

- A te faire poser des questions.

- C'est idiot.

- Calme-toi, Shelton.

Julian soupira. Parler avec Noah, du peu d'expérience qu'il en avait, revenait en fait à se lancer dans un combat semblable à un duel rapide, vif, incisif. Tout pour avoir l'ascendant. Une idée lui vient soudain à l'esprit et il plissa les yeux.

- Laisse-moi deviner, dit-il lentement. Tu es aussi au club de duel ?

- Belle déduction. Théa aussi d'ailleurs.

Il retint un grognement de dépit.

- Et tu ne connaissais vraiment pas Théa avant ça ? S'enquit Noah. Avant de venir ici, je veux dire ?

- Non... Ma mère avait coupé les ponts avec sa famille. On a appris l'existence des Grims en juin dernier.

- Parce qu'elle a bien voulu reprendre contact pour échapper à la guerre ?

Julian sentit ses épaules se tendre et il répondit d'une voix plate qui le surprit :

- Parce qu'elle est morte.

Un long silence suivit. Il n'osa pas relever la tête pour croiser à nouveau les yeux de Noah et continua :

- Aucune répartie spirituelle pour celle-là ? Pas de « désolé » ou « toutes mes condoléances » ?

- Est-ce que ça t'aiderait ?

- D'expérience non, mais c'est une question de politesse.

En une seconde, Noah retrouva la flamme insolente qui le caractérisait. Il leva son crayon, comme pour prouver quelque chose.

- J'ai l'air de pratiquer la politesse de convenance ? Répliqua-t-il.

- Pas vraiment...

- Exactement !

Et il se remit à dessiner. Julian l'observa plusieurs secondes, songeur, et remarqua sa façon de croiser les jambes de manière étrange. Il s'empressa de gommer et de corriger son ébauche. La frénésie qui s'emparait de lui pour certains dessins ne s'était pas manifestée depuis longtemps et il ne voulait pas perdre son élan créateur.

A nouveau, ils restèrent silencieux un moment avant que Noah ne brise le calme :

- Je sais ce que ça fait, tu sais, déclara-t-il. De ne pas avoir de mère... Ou de ne plus en avoir une, se corrigea-t-il après une seconde.

Julian déglutit.

- Toi aussi elle est... ? Murmura-t-il.

- Non, mais c'est tout comme, crois-moi. C'est même pire d'une certaine façon : la mienne a choisi qu'elle ne voulait pas de ses fils. (Il laissa échapper un rire amer). La mère de l'année, pas vrai ?

- Je suis désolé...

- Je savais que t'étais le genre à t'excuser pour ça, toi, se moqua-t-il, presque acerbe.

Piqué au vif, Julian se rebiffa. Il ouvrit la bouche pour protester, mais Noah lui coupa le feu sous le chaudron en se relevant souplement. Il s'approcha et laissa tomber sa feuille sur le couvre-lit en face de lui. Julian attrapa le dessin au vol. Il manqua de s'étrangler. Noah n'avait pas dessiné le dortoir, ni la lumière matinale, ce qui aurait été difficile avec un simple crayon noir. Il avait comme zoomé au maximum et Julian découvrit une esquisse de ses mains – il reconnaissait son grain de beauté sur le poignet droit – en train de dessiner. Contrairement à son propre style, le trait était fuyant, vif, léger. Noah dessinait comme il parlait, réalisa-t-il. Sans réfléchir, instinctivement. Il aurait presque pu croire qu'il n'avait pas terminé, mais il savait qu'il n'y avait rien à ajouter : l'idée était saisie.

D'un coup, Julian fut surpris du regard extérieur que Noah avait porté sur lui. Il tenait son crayon de la main gauche avec force, presque violemment, et il relâcha mécaniquement la pression sur celui réel en s'en rendant compte. Une marque rouge fleurit sur sa peau.

- Je ne sais pas contre quoi t'es en colère, commenta Noah sur le même ton railleur, mais je plains sincèrement ton crayon. (Il lui rendit le sien, le noir qu'il avait emprunté, et recula). Bon, à tout à l'heure Shelton ! On se retrouve en club de duel.

Et il disparut de la pièce aussi vite qu'il y était apparu.

**

*

- Morgane, t'étais où ? Lui lança Liam dès qu'il entra dans la salle de classe.

Le souffle court, Julian se glissa entre lui et Aileen contre le mur. Il n'était pas vraiment en retard au club de duel, mais il ne pouvait pas dire qu'il était en avance non plus. Après le départ de Noah, il avait encore passé du temps sur son dessin, énervé contre lui-même de s'être laissé distraire. En plus, désormais, il n'arrivait pas à se sortir de la tête le style si vivant de Noah qu'il n'arrivait décidément pas à reproduire. Quand il avait relevé la tête de l'horloge, il s'était aperçu que la fin de matinée approchait dangereusement et qu'il devait se rendre au club de duel au plus vite.

- Désolé, je finissais quelque chose... Pourquoi tu n'es pas venu me chercher ?

- Je ressemble à ta mère ? Rétorqua Liam.

Julian se raidit. A croire que tout lui rappelait sa mère aujourd'hui...

- Achète-toi une montre, l'intello, continua son ami sans rien remarquer. Tiens je note sur ma liste potentiel de cadeau de noël !

- Tu comptes m'offrir un cadeau à noël ? S'étonna-t-il, touché.

Liam sourit et désigna du pouce le centre de la pièce où un périmètre de duel avait été installé.

- Ca dépend de comment ça se passe ici. T'as intérêt à nous faire honneur !

- On n'est pas dans la même maison.

- Non, je veux dire « nous » comme nous, précisa-t-il sans aucune utilité. Toi, moi et Aileen !

Julian rit, puis fronça soudain les sourcils.

- Mais pourquoi vous êtes venus ? Vous n'êtes même pas dans ce club !

- Tu penses que j'allais louper tes débuts ? Jamais !

Il leva son appareil photo qui pendait autour de son cou et le flash aveugla Julian une seconde.

- Merlin, jura-t-il. Arrête de faire ça.

- Il n'écoutera pas, l'informa Aileen. Je parle d'expérience.

Adossée au mur, elle avait relevé ses cheveux roux en chignon sur sa tête et tenait entre ses mains un calpin et un crayon. Julian eut soudain le pressentiment qu'ils ne venaient pas que pour lui assister au club de duel, mais qu'un article dans le journal y serait consacré. Raison de plus pour essayer de ne pas se ridiculiser.

De l'autre côté de la pièce, « la clique royale » leur faisait face... ou opposition. Théa et Othilia discutaient à voix basse, la main de la blonde glissée dans celle de Noah qui regardait dans le vague. Julian tenta d'intercepter son regard, sans succès. Aussitôt, il se détourna en se trouvant idiot et focalisa son attention sur Enjolras un peu plus loin. Perché sur le bord de la fenêtre, sa carrure à la fois élancée et imposante laissait présager qu'il pouvait être un adversaire féroce, mais peut-être que Julian ne faisait que projeter sa personnalité militante sur ses impressions. Il discutait avec une fille à la peau sombre et aux lunettes rondes en fer. Même debout, elle paraissait petite face à lui.

Aileen intercepta son regard et expliqua :

- C'est Clémence Laveau. Je ne sais pas si le nom te dit quelque chose... ?

- Non. Je devrais ?

- Elle est la descendante de Marie Laveau, une sorcière de la Nouvelle-Orléans assez connue pour ses pratiques des arts occultes. Je suppose qu'on la connait moins en Angleterre, mais elle était très douée en divination et en vaudou. Clémence en a un peu hérité, elle majore chaque année...

- Et ça t'énerve, intervint Liam, moqueur.

Aileen fronça le nez.

- Non, je suis contente pour elle. C'est juste que je trouve ça étrange d'apprendre des choses sur les gens en regardant dans le futur alors que la nature humaine est imprévisible.

- C'est profond ce que tu dis !

- Oh je ne sais même pas pourquoi j'essaye avec toi, Cooper, soupira-t-elle.

Maintenant habitué au numéro d'Aileen et Liam, Julian ne put s'empêcher de sourire. Il décida de sauver son amie d'une réplique de Liam et continua leur conversation :

- Et elle fait partie du club de duel ?

- Oui.

- Juste pour draguer Enjolras.

- Liam !

- Quoi ? Ca fait trois ans que ça se voit ! Tu partages un dortoir avec elle, dis-moi qu'elle n'a pas de photos de lui accrochées au-dessus de son lit ! Ose me le dire !

- N'importe quoi. Et tais-toi, Fleming arrive.

Julian se tourna vers la porte. La professeure Fleming venait d'arriver d'un pas vif, sa lourde cape bleue et rouge sur le dos. Il n'avait pas encore eu l'occasion d'avoir cours avec sa directrice de maison et il ne l'avait vu que le soir de la rentrée pendant la répartition. Il se souvenait encore de sa voix qui appelait son nom pour se présenter devant les statues.

Miranda Fleming était une femme qui approchait de la soixantaine, mais ses cheveux bruns ne souffraient d'aucune mèche blanche. Son long nez droit attirait tout de suite l'attention et elle était plutôt grande pour une femme, ce qui lui donnait l'air de dominer la pièce par sa simple présence. Elle leur adressa à tous un sourire retenu et un hochement ferme du menton en guise de salutation :

- Bonjour à tous ! Je suis ravie de vous retrouver pour le club de duel cette année, d'autant que je vois que nous avons de nouveaux éléments.

Elle dirigea son regard vers eux. Aileen et Liam s'empourprèrent.

- Oh non, non ! Détrompa la rousse. On est juste venus observer... Et faire un article.

- Vraiment ? Bien, dommage. Monsieur Cooper, prenez mon bon profile dans ce cas, je compte sur vous !

- Bien sûr, professeur.

- Me voilà rassurée, dit-elle, amusée. Bien, commençons ! Nous avons du travail pour récupérer vos lacunes estivales. Vous semblez tout oublier chaque année. Mais d'abord, je vais faire un point sur qui est présent. (Elle fouilla dans son sac). Où est ma plume... ? Ah voilà !

D'un geste élégant, elle mit une paire de lunettes en demi-lune et Julian pensa à Dumbledore qui avait sensiblement les mêmes. Son cœur se serra.

- Alors voyons... Othilia ? Noah ? Enjolras ? Clémence ? Théodora ? Bien, ravie de vous retrouver.

Julian n'arrivait décidément pas à s'habituer à la manie des professeurs d'appeler les élèves par leur prénom et il tenta de suivre la liste avant d'abandonner l'idée de mettre des noms sur des visages. La professeure Fleming appela de toute façon encore seulement quelques noms qu'il ne prit pas la peine de retenir, puis son regard se riva droit sur lui.

- Et monsieur Shelton, évidemment ! Je me doutais que je vous retrouverais ici.

- Ah ?

- J'entretiens une correspondance assidue avec Filius Flitwick, expliqua-t-elle en se délectant visiblement de sa surprise. Nous nous sommes rencontrés il y a dix ans à un congrès de chercheur où votre père intervenait d'ailleurs. Enfin, peu importe. Filius m'a vanté vos mérites. Selon ses dires, vous avez une appétence particulière pour les sortilèges. J'ai hâte de voir ça.

Gêné, Julian sentit ses joues s'enflammer et il était sûr d'être devenu aussi rouge que les cheveux d'Aileen en voyant le rictus de Noah face à lui. Tout le monde le regardait désormais d'un œil nouveau et il crut même distinguer l'air renfrogné de Théa. Liam se pencha vers lui et chuchota :

- Si tu piques son titre de meilleure duelliste à la reine des glaces, je te consacre tout un article, mon pote.

- Elle est la meilleure ?

- Depuis deux ans. La Défense contre les Arts Magiques Obscurs sont sa prédilection.

- Je suis meilleur en enchantements qu'en maléfices et sorts de défense...

- Pas grave, essaye au moins ! Ca la fera descendre de sa tour d'ivoire un peu.

Julian n'était pas vraiment sûr de vouloir se mettre Théa à dos, mais il aimait un défi en sortilèges. De toute façon, avant d'arriver à Théa, il fallait déjà qu'il voit le niveau des autres. Flitwick l'avait peut-être surestimé.

Fleming leur fit signe du bout de sa baguette de se ressembler au centre.

- Bien, commençons les choses sérieuses. Pour éviter des blessés inutiles, nous allons d'abord lancer quelques boucliers pour être sûr que tout le monde est au point. Nous ne voudrions pas réitérer l'incident de l'année dernière, n'est-ce pas monsieur Fontaine ?

- Je ne voulais pas l'envoyer dans le mur, professeur, assura Enjolras, penaud.

- Encore heureux. (Elle leva sa baguette). Bien, répétez après moi. Protego.

- Protego, clamèrent-ils tous en chœur.

- Plus de conviction, allons.

- Protego !

- Parfait. Avec vos baguettes maintenant.

Julian leva la sienne. Le bois sombre de noyer noir saisit la lumière, l'absorba presque, et il recentra son attention sur la magie qui montait en lui. Son bouclier jaillit avec la formule, sûr et stable. Il ondula dans l'air face à lui avant de disparaître. Julian eut le temps d'apercevoir des boucliers se matérialiser dans la périphérie de sa vision. Il nota que celui d'Enjolras était assez mince même s'il s'élevait haut au contraire de celui de Clémence Laveau, épais mais bas.

- C'était bien, complimenta Fleming. Il y a encore du travail, mais l'exercice est maîtrisé. Nous allons pouvoir commencer. N'hésitez pas à lancer un bouclier dès que vous vous sentez en difficulté, d'accord ? Nous sommes ici pour apprendre.

Dans leur dos, le flash de l'appareil de Liam crépita.

- Mettons nous par groupes de trois pour commencer. Je veux que deux personnes se battent en duel et un observateur. Cette personne sera le juge et l'analyste. (Elle se retourna brièvement pour attraper à nouveau sa liste). Voyons... Et ne faites pas cette tête, je fais les groupes ! Alors : Enjolras, Clémence et Othilia en groupe 1, Théodora, Julian et Noah en groupe 2 pour commencer. Les autres, venez me voir, on va déterminer votre niveau pour constituer les groupes suivants. En place !

Un moment de gêne et d'attente s'étira, comme si personne ne voulait être le premier à bouger. Hésitant, Julian traversa finalement la pièce pour rejoindre sa cousine et Noah. Tous les deux n'avaient pas l'air ravi d'être séparé d'Othilia. Théa serra même les lèvres en le voyant arriver et expira profondément. Elle dénoua le ruban rouge autour de son poignet, le même qu'il l'avait vu porter le jour de la rentrée, pour attacher ses cheveux bruns et dégager son visage. Son nez retroussé ressortit d'un coup davantage.

- Bon, on s'y met ? Dit-elle.

- Vous voulez commencer comment ?

Elle plissa les yeux.

- Toi contre Noah, décida-t-elle sans même les concerter. Je regarde.

- Tu m'envoies face au prodige au premier tour pour me tuer, c'est ça ?

- J'en rêve, Douzebranches, j'en rêve.

Julian tressaillit au terme de « prodige ». Si Noah avait vu les accidents magiques qu'il provoquait enfant quand il ne savait pas ce qu'il faisait, il n'aurait sûrement pas choisi ce terme. D'un même mouvement, ils se dirigèrent vers le fond de la pièce, près de la fenêtre, et s'octroyèrent le périmètre autour. Théa se percha d'un bond sur le renfoncement.

- Allez les garçons, éblouissez-moi !

- Tu seras biaisée de toute façon.

- Arrête de jouer au martyr, Noah. Bats-le et on verra.

Elle lui adressa presque un regard teinté de mépris qu'il lui rendit. Julian commençait à avoir l'habitude de cette expression chez l'un et chez l'autre. Comme Flitwick lui avait appris, Julian se mit en position face à Noah. Ce dernier n'avait pas la garde traditionnelle des duellistes : il se tenait le corps lâche, presque nonchalant, et Julian haussa un sourcil sans faire de commentaire. Chacun son style, comme en dessin.

- Prêts ? Dit Théa. A vos baguettes !

- Expelliarmus !

- Protego !

- Stupefix !

Julian contra avec un bouclier informulé cette fois-ci. Il ne l'avait plus pratiqué depuis des mois et fut heureux de voir qu'il le tenait encore bien. Il envoya un maléfice cuisant, mais Noah se décala à temps. Il était tout en mouvement et ne cessait de se baisser, de faire des pas de côtés, voire de tourner sur lui-même. Julian était plus raide, il le savait, mais il compensait par ses facilités magiques. Son cerveau s'activer et parut passer en revu de lui-même le catalogue de sorts offensifs qu'il connaissait. Il les enchaîna en connectant des séquences difficiles à éviter en mouvement et Noah dû se résoudre à vraiment bloquer.

- Protego ! Contra-t-il, dents serrées.

- Tu te fais balader, Douzebranches ! Cria Liam au loin.

- Monsieur Cooper, je crois que personne ne vous a demandé votre avis si brillant. Encore une remarque et je vous mets dans un groupe pour voir vos talents, suis-je claire ?

- Oui, professeure...

La pique de Liam parut néanmoins avoir blessé l'égo de Noah. Il attaqua. Déstabilisé par le changement de rythme, Julian fit un pas en arrière, perdant du terrain. Le style de duel de Noah était semblable à toute sa façon d'être : agressive, imprévisible, instinctive. Ça rendait ses mouvements difficiles à anticiper.

- Alors, Shelton ? On fatigue ?

- Je viens de commencer.

D'un mouvement large du bras, il lui jeta un maléfice du saucisson. Surpris, Noah mis une seconde de trop à esquiver et ses jambes se soudèrent ensemble. Il battit des bras. Il serrait tomber en avant si le mur ne l'avait retenu. Théa frappa dans ses mains.

- Terminé ! Rapide, mais efficace. (Elle sourit). Et satisfaisant à regarder.

- C'est ça, marmonna Noah. Envoie-moi le contre sort au lieu de savourer ma défaite.

- Pourquoi ? Tu ne le connais pas ?

- Toi, tu ne le connais pas ?

- Pourquoi tu réponds à ma question par une question ?

Julian roula des yeux et lança le contre-sort lui-même. Il commençait à éprouver un nouveau respect pour Othilia si elle arrivait à les supporter tout le temps autour d'elle. Leur professeure vint à leur rencontre.

- Bien, j'ai vu brièvement votre duel. Il était très bon, même s'il y a eu des erreurs des deux côtés. Théodora, une analyse ?

- Il y en a un qui pense trop et l'autre pas assez. Je vous laisse deviner lequel est lequel.

Le sarcasme arracha un sourire en coin à Fleming.

- Concis, mais juste, reconnut-elle. Noah, je vous le répètes depuis six ans, vous avez des capacités que vous semblez persister à ignorer pour prouver à vos professeurs que vous ne vous souciez pas de leurs remarques. Il serait temps de grandir.

La fermeté de son ton fit frissonner Julian et il s'étonna de voir Noah soutenir le regard de leur professeur sans faiblir. Elle se détourna pour s'adresser à lui :

- Quant à vous Julian, je suis agréablement surprise. Filius n'avait pas menti. Vous avez une certaine facilité avec les sortilèges, vous êtes sûrement l'illustration de votre maison. De vos maisons même, si j'ose dire. Vous faites une démonstration de sorts que vous connaissez, vous les pensez même en séquence, mais vous êtes prévisible aussi ainsi. Il faut vous adapter à ce que propose l'adversaire sans rentrer totalement dans son jeu. Vous avez remarqué le style de Noah j'imagine ?

- Oui... C'était difficile de prévoir ses mouvements.

- Exactement. Il bouge beaucoup, il utilise l'espace. Il se distrait peut-être lui-même ainsi, mais cela a eu l'avantage de vous prendre de court un instant. (Elle inclina la tête, songeuse). Il faut que vous voyiez le duel comme un dessin si j'ose dire. Vous dessinez, je crois ?

Surpris, Julian se figea. Il croisa instinctivement le regard de Noah, étonné aussi, qui paraissait lui demander silencieusement comment sa directrice de maison pouvait bien être au courant après seulement une semaine à Ilvermorny sans jamais lui avoir parlé. Et Flitwick n'était pas au courant, ça ne pouvait pas venir de lui.

- Oui, oui... Mais comment... ?

- Une anecdote que votre père avait raconté à ce fameux congrès je crois, dit-elle évasivement, l'air perturbé d'avoir laissé échapper une information personnelle. Je ne sais pas pourquoi elle me revient.

Encore plus estomaqué qu'avant, Julian la dévisagea. Il tenta de se représenter son père raconter une anecdote sur lui à des collègues... Il imagina même son père se souvenir d'un détail comme ça pendant une journée dédiée à la recherche en sortilèges et son cerveau n'arriva pas à assimiler l'idée. Fleming poursuivit malgré tout.

- Vous devez voir un duel comme un dessin je pense. C'est une façon de saisir le réel, de s'adapter à ce qu'on veut faire. Et en l'occurrence, vous voulez gagner. Pour cela, vous devez cerner votre adversaire. Un duel ne ressemble à aucun autre : ils sont tous différents.

- Je vois, dit-il, la gorge sèche.

En vérité, il avait du mal à voir, mais il se garda bien de lui avouer. Elle n'insista pas.

- Bien, reposez-vous un peu, puis on enchaîne. Vous affronterez Théodora.

- Oui professeure.

Elle s'éloigna ensuite en direction du groupe d'Othilia, Enjolras et Clémence Laveau. Noah haussa un sourcil.

- C'était vraiment bizarre... commenta-t-il. Quelle vieille chouette.

- Un peu de respect, le rabroua Théa. Elle pourrait te battre avant que tu aies levé ta baguette. Bon Julian, on y va ? Ou tu as encore besoin de te remettre ?

- Non, c'est bon.

Il fut soudain pris d'une envie de battre Théa, juste pour lui faire perdre son air de mauvais humeur permanente. Le dos droit, il retourna à sa place de départ et vit tout de suite que Théa avait une meilleure technique que Noah : elle se tenait en position officielle, baguette dégainée. Ses yeux bleus brillaient, déterminés, et Julian l'imita.

- Allez-y, dit Noah, et pas de fair-play surtout !

Cette fois-ci, Théa attaqua la première. Son maléfice s'écrasa sur son bouclier informulé et il vacilla. Il ne laissa pas le temps à sa cousine de penser à un autre sort.

- Stupefix !

Théa para avec facilité. Il essaya de mettre en pratique les conseils de Fleming et se déplaça. Ils décrivirent tous les deux un arc de cercle sans baisser leur garde. A l'affut, Julian attendit de voir une faille dans sa garde pour attaquer et Théa se jeta presque au sol pour éviter le jet de lumière orange qui fonça sur elle.

Aileen et Liam s'étaient rapprochés d'eux. Ce dernier leva son appareil et Julian fut si déconcentré un instant qui manqua de lui être fatal. Un sort lui siffla à l'oreille. Agacé contre lui-même, il secoua la tête pour se reconcentrer. Il ne pouvait pas se permettre d'être distrait.

- Allez Julian ! Encouragea Liam.

Théa fronça les sourcils, l'air de considérer un réel instant de dévier son attaque en direction du photographe amateur, mais elle se ravisa et lui envoya un sort violet au niveau des genoux. Julian recula précipitamment.

Il tenta d'analyser mentalement le style de Théa. Elle était dans l'instinct, comme Noah, mais de façon plus maîtrisée. Elle excellait en contre-sort, jouait défensive sans oublier d'attaquer, et savait bien se protéger. Julian serra les dents. Il chercha des failles dans ses mouvements.

- Protego ! Cria-t-elle.

Cette fraction de seconde de sort formulé lui montra ce qu'il cherchait. Elle était trop frontale. Ses flancs étaient assez peu couverts et il pouvait tenter une approche latérale. Cette idée en tête, il reprit sa vague offensive.

- Morgane, jura Théa.

Elle avait perçu le changement. Julian sourit. Il ne lâcha plus sa trouvaille, si bien que Théa reconcentra ses boucliers sur les côtés, laissant une ouverture frontale. Il essaya de s'y engouffrer, mais elle le bloqua à la dernière seconde. Quelque chose parut alors changer de son côté aussi et Julian dû bondir sur la gauche pour éviter un sortilège. Il commençait à être à court d'idées niveau offensive et son corps fatiguait. Il n'avait pas l'habitude des duels ni de concentrer ses forces magiques en une fenêtre de temps si réduite.

Le souffle haché, il visualisa des enchaînements de sorts, des tactiques diverses, et son esprit se mit à courir d'une possibilité à une autre.

- Expelliarmus !

Sa baguette lui sauta des doigts en une seconde et Julian ne put que la regarder tournoyer dans les airs. Elle retomba sur le sol en un claquement doux.

-Victoire, annonça Théa d'une voix ferme et un sourire fier.

***************

Et voilà pour aujourd'hui ! J'espère que vous avez aimé ^^ J'avoue que mon avance fond un peu neige au soleil, j'espère que poster ce chapitre que j'avais bien aimé écrire va me motiver haha ! 

Eléments tirés du canon/Pottermore:

Aucun je crois... 

Prochain post : Chapitre 12 - 3 février 

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