Chapitre 46 : Dernier tour de piste

Saluuut ! On ne se quitte plus cet été, on est déjà samedi et c'est l'heure du chapitre. C'est déjà aussi presque la fin des JO, je vais être en déprime post-olympique la semaine prochaine raah! Mais allez, demain il reste la cérémonie de clôture pour laquelle j'ai une place donc je suis trop refaite ^^ 

Ah attention interro surprise : qui a écouté la chanson Il a neigé sur Yesterday ? Parce qu'elle est magnifique et c'était votre devoir du dernier chapitre haha ! Vous avez aimé ? <3 (Pour celle.eux qui auraient loupé, y'a eu un chapitre posté mercredi, hésitez pas à rattraper). 

Pour l'intro du jour, c'est une citation du magnifique film Pride, sur la convergence des luttes LGBT et la grève des mineurs dans l'Angleterre de Tatcher. Vraiment un film iconique, je vous le conseille !! 

Sinon, pas grand chose à raconter... On approche de la fin mine de rien aussi, puisque ce chapitre est l'avant-dernier. Allez, je vous laisse me découvrir ! 

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Chapitre 46 : Dernier tour de piste

« Now, there is a long and honorable tradition in the gay community and it has stood us in good stead for a very long time. When somebody calls you a name... You take it and you own it! »
  – Pride –

// 13 juin 1981 //

Le Hall d'Ilvermorny grouillait de monde. L'effervescence était presque étrange à voir tant le rythme s'était réduit ces derniers jours : les derniers examens étaient passés, les cours étaient plus légers, tout le monde profitait du soleil et de l'ambiance festive qui annonçait bientôt les vacances. Posté près de la statue de l'Oiseau Tonnerre, Julian observait donc l'agitation à l'écart, fasciné.

Il y avait des parents partout.

Ce qui pour la Journée des Parents paraissait logique, mais tout de même. A Poudlard, les familles ne mettaient jamais les pieds dans le château, sauf urgence ; mais Ilvermorny leur dédiait une journée en fin d'année pour que les parents puissent parler aux professeurs et voient un peu l'environnement de leurs enfants à l'année. Il l'avait loupé l'année dernière à cause de toute l'affaire avec Emilia, Ronan, et sa mère.

Et justement, il vit sa mère arriver pile à cet instant. Elle passa les portes de l'école, prudente, le visage marqué par la nostalgie. Son père était juste derrière, plus curieux qu'autre chose. Ils étaient flanqués de Leonidas et tante Cordelia en prime.

- Papa ! Maman !

Sur leur gauche, Lottie déboula d'il ne savait où. Il décida de s'avancer à son tour alors qu'elle s'accaparait déjà l'attention générale :

- C'est trop bien que vous puissiez venir ! Je vais pouvoir vous montrer mes acrobaties sur balai, il y a des démonstrations de tous les clubs. Et après, on pourra aller voir mon dortoir, non ?

- Si tu veux, Charly, sourit leur mère. (Elle releva la tête en le voyant les rejoindre). Ah, mon grand ! Toi aussi tu veux nous monter quelque chose ?

- Théa qui me bat au club de duel ?

Son auto-dérision eut le mérite de faire rire tout le monde. Leonidas lui passa un bras autour des épaules.

- Je t'encouragerai quoiqu'il arrive. Mais qui sait ? Peut-être que tu arriveras enfin à la battre aujourd'hui.

- Peut-être...

Il y croyait à moitié.

- Et où est ma fille justement ? interrogea tante Cordelia. Je vois que mon comité d'accueil me fait défaut.

- Elle ne doit pas être loin... Elle aidait Liam et Aileen à installer la présentation du club de journalisme. Les parents d'Aileen n'ont pas pu venir, ça faisait trop loin depuis le Canada. Et ceux de Liam... hum...

- Oui, ils ne pouvaient pas, compléta sa mère d'un air entendu.

Ils échangèrent un regard blasé et il sut qu'elle pensait comme lui. L'ouverture d'esprit d'Ilvermorny était toute relative. L'école restait ancrée dans le système magique américain, beaucoup plus séparatiste qu'en Angleterre. Accueillir les familles pour mettre en avant la pédagogie de l'établissement ? Oui, bien sûr. Mais de là à y faire rentrer des Non-Maj' ? Le projet n'avait pas été poussé aussi loin. Même si elle était abolie depuis des années, la loi Rappaport planait encore au-dessus de la société sorcière et, de fait, Barbara et Russel Cooper n'avaient pas le droit de mettre les pieds au château. Emilia aurait pu venir voir son frère, mais elle lui avait envoyé une lettre en expliquant qu'elle ne voulait pas attirer tous les regards méfiants et qu'elle viendrait plutôt le chercher au Sous-Quai le jour du départ.

- Du coup, on commence par aller voir le stade ? pépia à nouveau Lottie, impatiente.

- Pourquoi pas, accepta leur père. Du moment que tu ne te casses rien avant les vacances.

- Je me suis rien cassée de toute l'année. Promis, juré !

- Tant mieux, approuva Leonidas en souriant. Parce que ça serait dommage. Vous avez le bal de promo bientôt, non ?

Leur réaction fut immédiate à tous les deux : il grimaça alors que le visage de sa sœur s'éclairait.

- Oui ! s'exclama-t-elle avec enthousiasme. C'est le week-end prochain. Et Ju' fait la tête parce qu'il a promis de danser avec moi !

- C'était du chantage...

- Non. J'ai juste dit qu'en échange d'une danse avec moi, je lui promettais de ne pas tenter la double vrille sur mon balai avant les vacances.

Ses parents écarquillèrent les yeux. Sa mère lui pressa le bras avec reconnaissance.

- Ton sacrifice est apprécié par toute la famille, Ju', lui promit-elle, amusée. Et promettez-moi de prendre au moins une photo avec vos tenues, je veux garder un souvenir.

- Maman...

- Vous ne pourrez pas être pire que Leo le jour de son bal de promo, c'est promis.

Il se tourna vers son parrain, curieux. Celui-ci se râcla la gorge.

- Disons que la photo du nouvel an avec le costume à frange est étonnement élégante par rapport à mon bal de promo, admit-il sans rentrer dans les détails. Et non, toutes les preuves ont été détruites, vous ne verrez rien. Vous pensez bien que Lysa a déjà cherché.

Après cela, ils passèrent dix minutes à essayer de convaincre leur mère de déterrer des photos, sûrement encore cachées quelque part dans le manoir à New York. Leonidas s'insurgea pour la forme, même si son sourire amusé le trahissait, et ils finirent par abandonner lorsque Lottie attrapa son poignet pour regarder l'heure. Il portait toujours la montre offerte pour son dernier anniversaire, celle avec le sablier et les ailes noires. La présentation du Club d'Acrobaties sur balai n'allait pas tarder à commencer.

Il piétina sur place, en retrait, puis finit par dire qu'il les rejoindrait plus tard. Il y avait une autre présentation à laquelle il voulait assister. La fresque de Noah.

Après des mois de travail, elle allait enfin être révélée aujourd'hui et il ne voulait absolument pas la louper. Ses parents acceptèrent, déjà à moitié traînés dans le Hall par Lottie, tandis que Leonidas arborait cette fois un sourire entendu. Il pria pour ne pas rougir et tourna les talons pour se fondre dans la foule. Puis, il remonta dans les étages.

La même énergie festive y régnait, mais il ne s'attarda pas. Il connaissait le chemin par cœur désormais, il avait passé assez de temps assis à même le couloir pendant que Noah peignait pour s'y rendre les yeux fermés. Et visiblement, il n'était pas le seul intéressé, car une masse compacte se formait dès la sortie d'escaliers. Sans ménagement, il se faufila parmi les personnes, gagnant quelques rangs. Il bifurqua à un moment en voyant Othilia avec son père et sa belle-mère au loin : la stratégie de l'évitement fonctionnait entre eux depuis des mois et il n'allait pas en changer maintenant.

Enfin, il parvint à se trouver à peu près devant, juste dans un bon angle pour voir le pan de mur toujours recouvert d'un voile des sortilège qui le rendait banal et la directrice Hicks, prête à faire son discours. Noah se tenait à côté d'elle, l'air faussement détendu. Il scrutait la foule d'un œil vif, mais son regard finit par tomber sur lui. Julian leva une main en un salut rassurant.

- S'il vous plait, un peu d'attention, appela Hicks. Je vous remercie de votre présence aujourd'hui, c'est toujours une joie d'accueillir les familles de nos élèves et de pouvoir prendre le temps de vous présenter tous les projets sur lesquels ils travaillent durement tout au long de l'année. Pour rappel, l'équipe éducative se tient à votre disposition dans le Réfectoire si vous souhaitez leur parler.

Plusieurs élèves émirent un grognement sceptique face à cette proposition, mais Hicks ne se départit pas de son sourire avenant, clairement consciente de ce qu'elle faisait.

- Mais avant cela, j'aimerais vous faire découvrir un de ces fameux projets, reprit-elle d'une voix claire. Tout le monde sait qu'Ilvermorny propose plusieurs activités extra-scolaires en mettant l'accent sur le sport ou sur le développement de l'esprit. Nos clubs ont même eu le droit à des articles dans la Revue du Nouveau Monde cette année. Et même si le spectre de nos activités est donc large, nous valorisons malgré tout les prises d'initiatives et les envies d'explorer d'autres pistes.

- C'est une belle formule pour parler de travaux d'intérêt général, mais bon... fit une voix derrière lui.

Il se retourna. Sans bruit, Théa, Liam et Aileen venaient de se glisser près de lui. Sa cousine avait une tâche d'encre sur la joue.

- Merci, je sais, coupa-t-elle avant qu'il n'ait pu lui faire remarquer. Liam a eu un « problème » avec la machine à impression quand on installait le stand.

- C'est toi qui la portait mal, votre Altesse !

- J'ai deux fois moins de force que toi, fallait avancer moins vite.

- Si on avait été moins vite, on l'aurait écrasé au sol avant d'avoir pu la poser sur la table.

Aileen soupira.

- J'aurais jamais dû les laisser faire ça ensemble, lui souffla-t-elle d'un air conspirateur. Tout devient une compétition avec eux.

- J'aurais pu te le dire. Mais vous avez laissé le stand sans surveillance ?

- Non, c'est Maria Gonzales qui s'en occupe. On n'allait pas louper la fresque de Noah quand même !

L'assertion parut réussir à couper Théa et Liam dans leur chamaillerie car ils s'arrêtèrent au milieu d'une phrase pour hocher la tête en guise d'accord. Etrangement, il s'en retrouva touché. Il n'était pas surpris, pas totalement, mais leur lien pendant deux ans avait énormément tourné autour du Rituel d'Ancrage et du procès d'Emilia. Voir qu'ils pouvaient aussi faire front pour le projet de fresque de Noah, surtout après tout ce qui s'était passé cette année et la réaction de Liam en apprenant pour eux, le réchauffa de l'intérieur.

Aileen dû le percevoir – comme d'habitude – et lui fit un sourire. Il cacha le sien en se reconcentrant sur Hicks. Elle venait visiblement de terminer de présenter le projet et Noah car les gens se mirent à applaudir poliment. Il suivit avec un temps de retard.

- Bon, on fait les derniers paris ? chuchota Théa. Qu'est-ce ça va être vous pensez ?

- Je mise sur la tête de Julian en gros plan, lança Liam.

- Oh ! Ou une tasse de thé. Tu sais, la subtilité à la Noah.

- Pas mal, votre Altesse, y'a de l'idée, approuva-t-il.

Il leur jeta un regard torve.

- Je crois que je préférais quand vous ne vouliez pas en parler.

- Ouais, mais c'était vachement moins drôle, fit Liam avec un sourire d'enfant terrible. Je suis toujours pas super à l'aise, mais force est de constater que y'a un filon de blagues à exploiter.

Et même s'il ne l'aurait jamais avoué, ça aussi ça le touchait. Il préférait être la cible de l'humour de Liam que de sa méfiance. Derrière eux, quelqu'un leur siffla un « chut » réprobateur et ils se tournèrent vers le mur, soudain silencieux.

Hicks était en train de faire un large mouvement de sa baguette. Même à distance, Julian sentit le voile de sortilège se défaire, comme des mailles magiques qu'on détricoterait pour faire tomber l'illusion. Et alors la fresque se révéla aux yeux de tous dans un concert de murmures.

La fresque représentait le Hall d'Ilvermorny. 

Mais pas de n'importe quel angle : vu du haut, juste au niveau de sa coupole de verre. Noah avait réussi à saisir le moment de la journée où le soleil venait s'y fractionner et frapper le sol à en faire étinceler la mosaïque du nœud gordien au centre. Animée par magie, la peinture se mouvait alors. Le nœud battait comme un cœur, se nouait et se dénouait dans un mouvement infini qui semblait échapper à l'œil. Julian était tellement happé par la vision qu'il faillit alors en rater les détails.

- Oh...

Le souffle lui échappa. Les rayons du soleil sur le sol dansaient aussi, lents et scintillants, pour éclater en mille éclats colorés... Il avait vu le phénomène des dizaines de fois depuis son arrivée à Ilvermorny, mais là Noah avait sublimé les couleurs et c'était un véritable arc-en-ciel qui se dessinait par touches sur le nœud gordien. La symbolique était là, à la vue de tous, même s'il était sûr que pratiquement personne dans la foule ne la comprenait. Pas plus qu'ils ne comprenaient l'autre détail, à peine perceptible... Non, Noah n'avait pas dessiné son visage en gros plan, ni même une tasse de thé. Il avait choisi un autre symbole, plus personnel que l'arc-en-ciel dissimulé dans le fractionnement du soleil.

Un avion de papier voletait près du balcon circulaire sous la coupole de verre.

Perdu dans sa contemplation, il sentit une émotion indescriptible lui écraser la poitrine et il ne chercha pas tout de suite le regard de Noah. Il préféra observer les personnes autour de lui. Tout le monde avait l'air impressionné – Théa, Liam et Aileen en premier – et appréciateur face à cette capture d'un lieu si représentatif d'Ilvermorny. Et pourtant, derrière l'apparente mise en avant de l'école, personne ne saisissait le vrai message. Julian en était persuadé, c'était à ce moment-là que l'art prenait son sens. 

L'art ne devenait art qu'en prenant sa source dans l'œil de ceux qui ne le comprenaient pas. Et autour de lui, il le voyait, personne ne comprenait ce que Noah avait voulu dire. C'était ce qui rendait sa fresque fascinante. Cette sensation de fuite. L'œil avait beau fixé l'image, l'admirer, il n'en saisissait pas complètement la signification et il ne restait alors plus que cette sensation de beauté insaisissable. 

Finalement, Noah avait peint une œuvre qui lui ressemblait. Ceux qui comprenaient pouvoir l'approcher, les autres pouvaient aller se faire voir.

- Ok, je sais peut-être que dessiner des bonhommes bâtons, mais je trouve ça incroyable, apprécia Liam. Bon sang, pas étonnant qu'il y ait passé toute l'année !

- C'est magnifique, abonda Aileen. Tu pourras lui dire qu'on viendra le féliciter après, Ju' ? On doit retourner à la présentation du club de journalisme, mais on revient après, d'accord ?

- Ouais, pas de problème...

A vrai dire, il était plutôt soulagé. Une idée venait de surgir dans son esprit et il préférait être seul avec Noah pour ça. Théa eut un instant d'hésitation alors que Aileen et Liam commençaient à s'éloigner.

- Tu peux aller avec eux si tu veux, lui dit-il en espérant garder un ton neutre.

Evidemment, Théa lui coula un regard pas dupe en une seconde.

- Je vois, lâcha-t-elle. Je suis de trop, c'est ça ?

- Non !

- Hum... Je vais aller voir le club de journalisme. Essaye de ne pas te faire embarquer pour indécence publique entre temps.

- Théa !

Mais sa cousine tournait déjà les talons. Faute de quoi, il marmonna juste qu'elle n'était pas originale et lui avait déjà lancé cette pique – un jour à la bibliothèque peut-être ? – puis il se faufila jusqu'à Noah. Plusieurs personnes étaient déjà autour de lui à lui poser des questions sur sa fresque : quelle genre de peinture avait-il utilisé, quels sortilèges pour animer le tout, combien de temps ça lui avait pris, est-ce que Hicks lui avait demandé ce visuel précis ou il en était à l'origine ? Et même si l'impatience bouillonnait sur sa peau et qu'il aurait aimé repousser tout le monde – surtout que la plupart des réponses étaient évidentes pour lui – il se surprit à aimer regarder Noah parler. Pas faire du sarcasme contre Théa et Liam, ni même s'inquiéter pour sa tante ou sa mère, ni flirter avec lui... Juste parler de ce qui le passionnait.

L'espace d'une seconde, il en fut presque dérouté. C'était une facette de Noah qu'il connaissait, qu'il voyait à chaque fois qu'ils avaient dessiné ensemble ou qu'ils avaient passé du temps à élaborer son book pour l'école d'art. Mais ce n'était pas une facette qu'il avait l'habitude de le voir présenter aux autres.

Il prit donc son mal en patience et s'adossa à un coin de la pièce, attendant que toutes les personnes soient venues lui dire un mot. Même le professeur Fontaine passa le féliciter. Othilia était restée en retrait avec sa belle-mère, mais il capta tout de même le hochement de tête qu'elle adressa à Noah en guise de compliment. Le simple geste lui pinça le cœur sans qu'il arrive vraiment à en déterminer le cause.

Puis, enfin, le flot des parents et des élèves se tarit. Il s'autorisa à approcher.

- Eh... Je voulais parler à l'artiste moi aussi, mais il était très demandé, lança-t-il à quelques pas, les mains dans les poches.

Noah tourna la tête vers lui, un sourire amusé au coin des lèvres.

- Alors ? Pas trop déçu ? Ca faisait des mois que tu voulais la voir...

La question le prit au dépourvu. Dans quel monde il aurait pu être déçu ? Honnêtement, si une impression devait dominer toutes celles qu'il ressentait, ça aurait été la fierté. Mais incapable de le formuler à voix haute, il se contenta de renverser la nuque arrière pour englober la fresque du regard et vint se poster à côté de Noah.

- Tu plaisantes ? Elle est incroyable, promit-il. Et je parle autant de la technique que le sortilège pour animer la peinture. Comment t'as fait ?

- Ah... Il est possible que je t'ai pas mal observé quand t'as jeté le sort sur le tableau pour le cadeau de noël de Raphaël en décembre. J'ai même pris des notes dès que t'avais le dos tourné. Ça m'a demandé quelques essais et les conseils d'Hicks, mais j'ai fini par réussir.

- Merlin, c'est pour ça que tu voulais être avec moi quand j'ai jeté le sort !

Le sourire de Noah s'accentua.

- Coupable, reconnut-il. Mais je voulais voir ta tête quand tu découvrirais la fresque avec le même enchantement.

Il laissa échapper un rire étouffé. L'effet avait été réussi en tout cas. Heureusement que Liam n'avait pas eu son appareil photo à portée de main pour capturer son expression : Théa se serait moquée de lui à vie et Matthew aurait sûrement même fini par tomber dessus.

- J'avoue, je suis impressionné. Mais il manque un détail à cette fresque.

- Quoi ? fit Noah, sourcils froncés.

Du regard, il sembla chercher sur tout le pan de mur, perplexe. Julian tendit la main devant lui.

- T'as un feutre noir avec toi ? Ou une plume enchantée ?

- Hum... peut-être. (Il commença à fouiller ses poches). Mais pourquoi... ?

Il ne lui laissa pas le temps de finir. Noah venait de trouver un feutre dans son uniforme – il savait qu'il se baladait souvent avec au cas où une idée lui venait ces dernières semaines – et il attrapa de sa main gauche avant de s'agenouiller sur le côté de la fresque. Là, il traça les lettres qui lui étaient venues sous le coup de l'inspiration et un dessin minuscule, à peine visible si on ne se penchait pas pour voir les détails près du mur. Un oiseau aux ailes déployés et au bec courbé.

N.D

Le Perroquet Noir

Leurs épaules se touchèrent alors qu'ils observaient la signature côte à côte.

- Tous les grands maîtres signent leurs œuvres, souffla-t-il. Je trouvais que ton nom manquait.

Noah cilla, décontenancé, même si une émotion indescriptible traversa ses traits. Il finit par s'éclaircir la gorge :

- Bien vu. Et le « perroquet noir » ?

- Je sais pas... Pour te réapproprier l'emblème, je pense.

Le perroquet de Dorcus Douzebranches, l'ancêtre sombrée dans la folie, avait été un oiseau coloré et chatoyant, comme s'il avait aspiré toute la vie de sa maîtresse. Le sien, en revanche, était simple avec son plumage couleur encre. Et ça lui rappelait les boucles de Noah en prime.

- C'est parfait, jugea ce dernier finalement. Je savais qu'il manquait un truc à cette fresque de toute façon. C'était ton style.

- N'importe quoi, j'ai juste fait un dessin-signature tout en bas...

- Et je l'adore. Merci, Jules.

Pendant une fraction de seconde, Noah eut un geste vers lui, comme s'il allait l'embrasser ou l'enlacer, et leurs corps se retrouvèrent attirés l'un vers l'autre. Seulement, ils se souvinrent où ils se trouvaient au dernier moment. Il dû faire appel à toute sa volonté pour ne pas attirer Noah contre lui.

- Oh Morgane, je suis désolée, je suis tellement en retard !

La voix qui porta brusquement jusqu'à eux les fit sursauter. Abasourdi, Noah fit volte-face vers la femme qui arrivait à leur hauteur.

- Maman ? s'exclama-t-il.

Julian écarquilla les yeux et fit au moins trois pas en arrière, surpris. Heather Douzebranches traversait le couloir à grands pas, se battant contre des lunettes de soleil aux verres jaunes emmêlées dans ses cheveux bouclés. Grande et mince, elle avait le visage à la fois jeune et marqué dans un mélange paradoxal sûrement dû au maquillage épais qui lui entourait les yeux. Elle était vêtue d'un jean et d'une cape de sorcière dans un mélange détonant. Un paquet de cigarette dépassait d'ailleurs de sa poche, coincé avec sa baguette.

- Oh Noah, j'ai cherché partout ! raconta-t-elle une fois plantée devant eux, le souffle court. Hilda a dû partir voir la démonstration de Raphaël, les sponsors sont là et il fallait qu'elle leur parle. Elle m'a dit de venir te voir pour te dire qu'elle viendrait voir sa fresque juste après. Mais je ne savais pas exactement où c'était, j'ai tourné en rond... Ils ont changé des couloirs de place depuis mes années à moi, c'est pas possible !

- Euh, non, je crois que le château est resté le même...

- Ah bon ? Alors c'est ma mémoire qui commence à flancher. Fais attention, mon fils, c'est le début de la vieillesse.

Avec un soupir vaguement amusé, elle parvint enfin à détacher ses lunettes de soleil, mais les remit aussitôt sur le haut de son crâne pour capturer ses mèches folles. Son regard tomba enfin sur lui.

- Pardon, tu discutais avec quelqu'un...

Noah sembla pris au dépourvu. De longues secondes, il ouvrit et referma la bouche, l'air de chercher comment le présenter, et il décida de le devancer, stressé.

- Pas de problème, Mrs Douzebranches. J'allais partir, je vais vous laisser...

Mais il eut à peine le temps de pointer le bout du couloir que le visage d'Heather s'éclaira.

- C'est un accent anglais que j'entends ? se réjouit-elle.

- Hum...

Noah écarquilla les yeux tandis que sa mère attendait une réponse. Il piétina sur place, incertain de la réponse qu'il devait donner, même si l'évidence était dure à cacher. En deux ans aux Etats-Unis, il avait acquis beaucoup de choses, mais certainement pas leur façon de rouler les syllabes étrangement. Heather ne parut pas se formaliser par son manque de réponse car elle poursuivit toute seule : 

- Ce même accent anglais pour lequel mon fils est prêt à mourir ?

Les joues de Noah s'empourprèrent en une seconde.

- Maman ! J'ai jamais dit ça ! s'étrangla-t-il.

- Oh, on en n'était pas loin. Mais j'accorde que je reformule sans doute un peu. Julian, je présume ?

Un éclat pétillant au fond de ses prunelles bleues, Heather lui tendit la main. Il la serra par automatisme, comme dissocié de son corps. Ils devaient tous les deux offrir un spectacle plutôt comique car elle éclata de rire.

- Ne faites pas cette tête-là, pour un peu on dirait que je vous ai surpris dans une situation embarrassante.

- Allez, ça suffit, s'interposa Noah d'un ton empressé. Maman, Julian. Jules, ma mère. Vous vous dites bonjour et vous ne vous parlez plus jamais vu qu'apparemment elle est incapable de se taire.

- Tout de suite les grands mots...

Elle leva les yeux au ciel, mais Julian n'était pas loin d'être d'accord. Surtout qu'elle ne le savait pas, mais elle n'était pas loin de la vérité concernant ses pensées envers son fils juste avant qu'elle n'arrive. Or, en matière d'humiliation, il avait déjà assez donné avec l'hôtel.

- Mais très bien, je laisse Julian tranquille, céda-t-elle en inclinant la tête. Laisse-moi plutôt voir ta fresque... Oh !

Comme tous les spectateurs tout à l'heure, elle resta sans voix. Ses yeux se promenèrent d'un point à un autre, absorbant les détails au niveau du sol puis de la coupole. Noah la dévorait du regard à chaque réaction et il se sentit presque de trop, même s'il aurait été incapable de s'éloigner. Un instant, il se demanda si Heather allait repérer la signature avec le petit dessin du perroquet noir, mais elle ne s'en laissa pas le temps. Elle agrippait déjà le bras de Noah avec force.

- C'est merveilleux, mon fils, se réjouit-elle. Avec ça, l'école d'art est obligée de t'accepter !

- Obligée, pas vraiment... Mais ça va peser dans le dossier, ouais. Et puis faut déjà que j'obtienne la bourse, sinon ça sert à rien...

- Ah oui, c'est vrai. Tu auras la réponse quand ?

La réponse lui échappa avant que Noah puisse la donner :

- Mi-juillet.

- Ca nous laisse encore un peu de temps, bon... jugea Heather, l'air de ne pas trop savoir si c'était une bonne chose ou non. Et toi, Julian ? Qu'est-ce que tu vas faire l'année prochaine ?

- Il va devenir riche pour pouvoir m'entretenir, bien sûr, répondit Noah, impassible.

Sa mère lui donna un coup de coude.

- Tais-toi un peu, je parle à Julian. Excuse-le, je ne l'ai pas élevé comme ça pourtant. Tu disais ?

Il eut fortement envie de répondre qu'elle ne l'avait pas élevé tout court, mais il savait aussi que ce n'était ni le lieu ni le moment. Au lieu de ça, il afficha un sourire poli, celui que Matthew appelait son « sourire de gendre idéal ». Merlin, il n'avait jamais été aussi proche de la vérité qu'aujourd'hui et l'idée lui fit étrange.

- Hum... j'ai demandé l'Institut de Salem. Pour leur cursus de recherches en sortilèges et enchantements.

- Oh, c'est ambitieux !

- Tu parles, il est déjà presque sûr d'être pris, répliqua Noah, une pointe de fierté dans la voix. C'était quoi l'institut de magie en Angleterre que t'aurais pu faire ? Celui super sélectif ?

- L'IRIS...

- Ouais, lui ! Alors à côté l'Institut de Salem... tu vois !

Heather hocha la tête.

- Je vois, oui. Ça reste impressionnant. Personnellement, j'ai arrêté les études après Ilvermorny. Mais c'est bien les garçons, il faut viser loin.

Elle avait l'air si sincère que son sourire poli se transforma en un sourire plus sincère. Au fond de lui, il aurait toujours un regret de ne pas avoir pu candidater à l'IRIS. Il avait pensé le faire, juste pour voir s'il était capable d'y être accepté, mais ça n'aurait servi à rien. Il y avait peu de chance que la guerre se termine avant la rentrée prochaine et il ne pourrait pas retourner en Angleterre avant un long moment. La Californie lui avait déjà paru lointaine au moment de réfléchir à ses candidatures, alors l'autre côté de l'Atlantique... ? Finalement, peut-être que de ne pas avoir eu le choix était bénéfique : il n'avait pas eu à départager entre sa famille et son avenir.

- Bon allez, assez parler de choses sérieuses, décréta soudain Heather. Avant d'Hilda arrive, je veux savoir une chose. (Elle pivota vers lui). J'espère que mon idiot de fils t'as invité au bal de promo ?

- Maman ! On a dit quoi y'a deux minutes ?

Indigné, Noah jeta ses mains vers le plafond avant de s'en couvrir le visage. La vision aurait pu lui arracher un rire s'il n'avait pas été si mortifié.

- Pardon, c'est trop tentant, se justifia Heather. Mais sinon, tu ne me dis rien, alors je viens prendre les informations moi-même. Donc ? La réponse ?

- Même s'il le voulait, vous savez que ça serait compliqué, rappela-t-il avec évidence avant que Noah ne puisse protester.

Elle se retrouva sans savoir quoi répliquer, soufflée momentanément par son air grave. Il trouvait ça presque cruel d'agiter devant eux cette perspective – cette expérience si normale – alors qu'ils ne pourraient jamais l'avoir. Pourtant, Heather redressa le menton, défieuse. La ressemblance avec son fils n'en fut que plus frappante d'un coup.

- C'est vrai... convint-elle. Mais les autres n'ont pas à le savoir, ils seront trop occupés par leurs propres problèmes. Si vous voulez un conseil, vivez pour vous. Il y a mille façons de faire croire à ceux autour de vous que la réalité est un peu différente.

- Ça reste risqué.

- Vrai aussi. Mais tu sais ce qui est risqué ? Se retourner un jour et se rendre compte qu'on n'a pas vécu... Crois-moi, Julian, ne commence pas à empiler les regrets. Ils vont être assez lourds à porter tout le reste de ta vie. (Elle eut un sourire triste). Et je ne sais pas si un adulte autour de toi a pu te le dire, alors je vais le faire : aime sans regrets. C'est moi qui te donne la permission.

Ce fut à son tour de rester sans trouver une réponse. Dans la voix d'Heather, il entendait surtout du vécu et il en eut mal pour elle... mais surtout, il en eut peur pour lui. Pour eux. Prostré, il osa incliner imperceptiblement la tête vers Noah, histoire de jauger sa réaction. Il réalisa qu'il le fixait déjà, les épaules tendues. Une boule nerveuse vint se loger dans sa gorge. Brusquement, il eut l'impression que des dizaines de questions flottaient entre eux sans qu'il sache vraiment comment y répondre.

Puis, Noah laissa lentement un sourire espiègle étirer ses lèvres.

- Dans ce cas... On aura déjà fait mieux comme demande parce que ma mère est juste là, mais...

- Eh !

Heather lui donna un coup de coude sans ménagement et il s'autorisa à sourire à son tour, la poitrine comprimée.

- Mais Jules... est-ce que ça te dirait d'aller au bal de promo avec moi ? termina Noah, presque solennel.

**

*

// 17 juin 1981 //

La salle de bal grouillait de monde. Ou plutôt, le Réfectoire, redécoré pour l'occasion. Théa resta momentanément plantée devant l'entrée, saisie par le spectacle. Elle n'avait jamais pu voir l'intérieur de la pièce pour les soirs de bal de promo, réservé aux Seniors et éventuellement à leurs cavaliers ou cavalières plus jeunes. Personne ne l'y avait évidemment invité les années précédentes, mais elle ne regrettait pas finalement d'avoir gardé la surprise.

La salle s'était métamorphosée. Plus de petites tables rondes, ni de nappe blanche, ni de table professorale. Tout avait été poussé contre les murs pour faire un grand buffet où se côtoyait pâtisseries géantes et énorme bol de punch d'où une fumée violette s'élevait. Il était censé être sans alcool, mais les rumeurs disaient que chaque promo avait réussi à le « corser » un peu à l'insu des chaperons au fil des années. Un sort avait dû être jeté aux fenêtres car elles ne donnaient plus sur le parc : elles étaient d'une couleur nuit, parsemées d'étoiles. Même l'intensité des torches avait été baissée pour plonger la salle dans une semi-pénombre, à peine rompu par des lueurs de sort multicolores qui flottaient au plafond, surtout au centre. Leur reflet sur le sol formait la piste de danse.

- Merlin... Je crois que c'est le truc le américain que j'ai vu depuis que je suis arrivé.

Elle se retourna à demi vers Julian, juste à côté d'elle.

- Vous n'aviez vraiment aucun bal à Poudlard ?

- Non... Je crois que le seul qu'ils aient fait, c'était pour le Tournoi de Poudlard il y a quelques années. Mais j'étais trop jeune pour y aller.

Elle fut tentée de lui demander ce qu'était ce fameux Tournoi – elle avait l'image d'une joute médiévale très anglaise en tête – mais elle fut coupée dans son élan par un sifflement admirateur.

- Cooper, devina-t-elle avant même qu'il rentre dans son champ de vision.

- Votre Altesse...

Le cœur nerveux, elle pivota pour lui faire face. La surprise la saisit alors si vivement qu'elle fut sûre de ne pas réussir à la cacher, mais à sa décharge, le tableau était surprenant : Liam Cooper en robe de soirée typiquement sorcier. Noire et élégante, la tenue était sobre mais faisait ressortir ses cheveux châtains pour une fois pas trop désordonnés. Et surtout, il tenait entre ses mains, bien en évidence, un bracelet ornée d'une fleur aux pétales délicatement violette. La même couleur que sa robe à elle...

- Aileen m'a dit que c'était une tradition d'en offrir une... se justifia-t-il précipitamment en voyant son regard surpris. Et t'avais dit que ta robe serait violette la semaine dernière alors...

- Oh...

Il fallut que Julian la poussa légèrement pour la sortir de sa torpeur. Elle tendit son poignet.

- Pour la reine de la soirée, déclara Liam avec emphase en lui glissant le bracelet.

- Merci...

Face à face, ils échangèrent un long regard, et elle devina qu'il ne savait pas plus qu'elle comment agir dans ce genre de cadre. Elle avait déjà connu quelques réceptions au manoir quand grand-mère Isadora en donnaient encore, mais elle n'avait jamais eu de cavalier. Heureusement, Julian leur sauva la mise.

- Où est Aileen ? demanda-t-il, curieux.

- Elle a dit qu'elle arriverait après. Othilia est restée avec elle pour l'aider parce que je crois que les émotions de tout le monde commençaient déjà à lui faire mal à la tête, elle se repose un peu avant de se jeter dans le fosse aux lions, expliqua Liam. Mais elle te demande de lui garder une danse.

- Entre Aileen et Charly, ton carnet de bal se remplit, se moqua-t-elle.

Julian se contenta de sourire. Il balaya la salle de bal du regard, sûrement à la recherche de sa sœur, et elle s'aperçut alors qu'il y avait un autre absent de taille.

- Et Noah ? On a enfin réussi à le perdre quelque part dans le château ?

- Non. Il nous a dit de partir avant lui, qu'il arrivait...

- Il était enfermé dans la salle de bain depuis une heure, commenta Liam. Pire qu'une fille.

La remarque crispa Julian immédiatement et elle s'empressa de passer un bras sous celui de Liam. Il était temps de les éloigner pour quelques minutes.

- Avant de t'enfoncer dans un sexisme décomplexé, viens avec moi Cooper. On va danser.

- Danser ? paniqua-t-il.

- Oui, c'est ce qu'on fait à un bal. T'as assez vu les Fantômes à Halloween, non ? Alors fais la même chose.

- Mais si t'as échappé, votre Altesse, je suis solide, moi.

Elle continua à le tirer vers la piste de danse, amusée. Dans un tourbillon d'étoffe, ils se placèrent l'un en face de l'autre et les mains de Liam se suspendirent avec hésitation dans le vide, figées. Elle les plaça sur ses hanches elle-même avec bien plus d'assurance qu'elle n'en ressentait intérieurement.

- Alors ne me marche pas sur les pieds, ça ferait mal, conseilla-t-elle. Prêt ?

- Non ! C'est quoi comme danse, même ?

Elle tendit l'oreille. Le rythme familier des notes fit résonner ses souvenirs de salons guindés et de silhouettes tournoyantes.

- Une valse. Il faut juste compter la mesure, c'est facile.

- Facile, hum... répéta Liam, sceptique.

Autour d'eux, plusieurs couples évoluaient déjà et s'ils ne se mettaient pas en mouvement, ils allaient gêner tout le monde. Elle entama le premier pas. Raide, Liam n'eut pas d'autre choix que de suivre, mais elle s'aperçut très vite qu'il n'avait aucune idée de comment guider. Elle avait plaisanté sur ses pieds écrasés : la blague ne fut pas hypothétique longtemps.

- Désolé, désolé... marmonna Liam au bout de la troisième fois, les yeux vissés sur le sol. Vraiment j'y connais rien...

- C'est pas grave...

- On fait moins de soirées mondaines en Oregon qu'à New York si c'était pas évident...

Son cœur se gonfla dans sa poitrine.

- Liam, sérieusement, je m'en fiche, assura-t-elle en cherchant à capter son regard. Regarde plutôt Manfred là-bas, on dirait un troll qui a trouvé une boîte à musique.

Elle exagérait un peu, Manfred savait guider au moins, même si elle plaignait sincèrement les goûts de sa cavalières. Heureusement, Liam s'y connaissait si peu que la pique suffit à lui redonner le sourire et la distraction lui permit de les remettre dans le bon rythme. Ils tournèrent sur eux-mêmes. Le nouvel angle lui permit de voir que Julian avait enfin trouvé Charly. Elle manqua de s'esclaffer sur le coup.

- Tiens, si tu veux un autre exemple de désastre, pointa-t-elle.

Liam lâcha ses pieds du regard une seconde, le temps de jeter une œillade vers les Shelton. Il ne retint pas son éclat de rire. Visiblement, Charly s'était donnée une mission : faire tourner son frère aussi vite sur possible. Ils tressautaient ensemble sur les notes de la valse, toujours à contre-mesure, mais ils n'étaient pas les seuls et ça se voyait à peine parmi tous les couples sur la piste. Les épaules de Liam se détendirent.

- Tu vois, on s'en fiche, réitéra-t-elle. J'ai juste envie que tu me fasses danser, Cooper.

- Et vos ordres sont mes désirs, votre Altesse. (Il poussa sa chance à tendre le bras pour la faire tourner en-dessous et elle se laissa faire, étourdie une seconde). Eh ! C'était pas mal, ça !

Elle rit, sans avoir le cœur de lui faire remarquer que ce n'était pas vraiment conforme à une valse. Il eut alors un sourire presque mélancolique.

- J'aurais aimé pouvoir danser avec Emilia aussi... avoua-t-il à voix basse. Comme Julian et Charlotte.

A nouveau, son cœur se serra. Elle n'osa pas non plus lui dire qu'elle aussi, elle aurait aimé avoir son frère à son bras, mais que contrairement à lui, ça ne serait jamais possible.

- Tu pourras le faire cet été, consola-t-elle malgré tout. Tu parles toujours de mon manoir new-yorkais, mais je te mets au défi de m'organiser un bal chez toi. Là-bas, dans les terres de mon royaume. Et je te laisserai une danse avec ta sœur.

- Un bal chez moi... Ah ! Tu sais que j'en serai capable ?

- C'est parce que t'en serai capable que je l'ai dit. Parfois, je me demande comment tu fais, Cooper.

Le dernier aveu lui avait échappé, plus par euphorie du moment qu'autre chose. La tête commençait à lui tourner il fallait dire, mais Liam ne sembla pas s'en offenser. Il haussa juste une épaule, l'air tranquille. Ils bougeaient à peine sur place désormais, leurs mains entremêlées ensemble.

Si elle avait eu la même force intérieure que Liam, toujours prêt à présenter un sourire au monde malgré son inquiétude et ses problèmes ; elle lui aurait dit qu'il lui avait appris à sourire à nouveau. Après des années à se débattre avec des fantômes, Liam Cooper l'avait enfin fait sourire et elle ne pouvait pas en être plus reconnaissante.

- Eh, ça y est, Noah débarque ! observa-t-il soudain avant qu'elle ait pu trouver le courage de lui avouer ses pensées.

Elle redirigea son attention vers l'entrée. Et sa mâchoire manqua de se décrocher.

Noah n'était pas en tenue de soirée traditionnelle, ni même en uniforme bleu et rouge d'Ilvermorny, et encore moins en costume Non-Maj'. Même la dernière option aurait été moins choquante que ce qu'il portait, là tout de suite. 

Il était simplement vêtu d'un pantalon noir et d'un t-shirt blanc... sur lequel il avait peint. Et pas n'importe quoi. Des mots. Des grandes lettres noires qui l'habillaient et ressortaient sur le tissu blanc, surtout sous les lueurs de sort. Théa pouvait les lire même depuis la piste de danse.

Dérangé. Malade mental. Queer. Malédiction. Pédé.

Morgane... A cette échelle, ce n'était même plus un coup de gueule, c'était une revendication. Elle s'immobilisa, glacée, et Liam s'étouffa à moitié.

- Il est complètement dingue, lâcha-t-il dans un filet de voix.

- Je crois que c'est le propos, oui...

Instinctivement, elle chercha à Julian dans la foule. Mais son regard accrocha d'abord Manfred et ses amis, près du bol de punch. Ils étaient livides, l'air déconfit. Elle en tira une telle satisfaction que la torpeur commença à se dissoudre dans son corps : Noah venait de se réapproprier leurs insultes et voilà que maintenant leur haine se refermait sur du vide. La chute devait être violente.

- Ca méritait bien une heure dans la salle de bain pour que la peinture sèche, jugea-t-elle, traversée par une drôle allégresse.

Autour d'eux, les chuchotements commencèrent à grossir. Les gens venaient de se rendre compte de l'entrée radicale, surtout que Noah avançait maintenant vers eux. Elle réalisa que Julian et Charly étaient seulement à quelques pas, eux aussi bouche-bée, et l'expression de son cousin effaça ses doutes. Il n'avait définitivement pas été au courant de ce coup d'éclat. Il fixait Noah, partagé entre effarement et une émotion illisible qui aurait très bien pu être de la fierté comme de l'inquiétude.

Tête haute, Noah ignora superbement les regards en coin et les murmures. Il savait très bien ce qu'il faisait. Quand il arriva à leur hauteur, il ne s'arrêta pas et Liam n'arriva à dissimuler son soulagement. Elle ne le rabroua pas : même pour elle, c'était beaucoup. Ils suivirent plutôt son avancée jusqu'aux Shelton alors que les personnes sur la piste s'écartaient plus ou moins subtilement. Au loin, Manfred paraissait vouloir se noyer dans le punch.

Et alors, ils assistèrent à l'ultime retournement de situation. Ce ne fut pas à Julian que Noah tendit une main.

- Une danse, bébé Shelton ?

Charlotte éclata de rire.

Juste comme ça, la tension se dissipa encore un peu plus et elle se remit en mouvement, trop amusée pour décider de se soucier des autres. Surpris, Liam manqua de lui écraser le pied une quatrième fois, mais il la laissa faire. Les notes de musique continuaient toujours de toute façon et, petit à petit, les autres finirent par les imiter.

Dans tous les cas, Théa fut persuadée d'une chose : Noah Douzebranches en avait fini d'avoir peur. 

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Verdict ? ^^ J'ai beaucoup aimé écrire ce chapitre, même si la fin ne rend pas exactement comme dans ma tête mais c'est peut-être parce que je l'ai trop relu. Je voulais rendre cette image frappante de Noah et son t-shirt revendication la plus percutante possible... J'espère que c'est un peu réussi. Le but était vraiment de voir Noah revendiquer les insultes, reprendre le pouvoir dessus. Comme dit la citation de ce chapitre : When somebody calls you a name... You take it and you own it! 

Allez, on se retrouve samedi prochain... Pour le dernier chapitre ! Pas de meme de Lina cette semaine, elle est en vacances ^^ Et elle a bien raison, profite !!! 

Love you all <3

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