Chapitre 44 : Le jugement dernier

LEON MARCHAND CETTE LEGENDE QUE TU ES !! TOI AUSSI TEDDY RINER ! 

Ahem, bonjour. Comment se passe votre été ? ^^ Perso, même si j'ai repris le boulot (tristesse et désespoir) j'essaye de suivre au max ces JO, je suis trop contente. Hier soir, malgré la fatigue, je me suis bougée pour aller Paris à la fanzone de l'Hôtel de Ville. Bon, je suis arrivée trop tard, c'était blindé de monde mais avec les centaines de personnes aussi sur le trottoir on se montrait les téléphones pour suivre la course de Léon Marchand. Ca criait de partout et c'est parti en Marseillaise, c'était trop stylé ! 

Sinon, mise à part les JO, merci pour vos commentaires sur le dernier chapitre ! J'ai été trop contente de voir votre joie pour Théa et Liam haha ! 

Et d'ailleurs, maintenant que je suis rentrée, je vous propose de refaire le petit jeu du portrait chinois. Qui est-ce qu'il nous manquait ? Matthew ? Allez, c'est parti, on tente. Si Matthew était...

... une couleur

... une musique

... un mot

... une émtion

... un objet

... une matière scolaire

... une citation

Bonne lecture ! 

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Chapitre 44 : Le jugement dernier

« Les Etats-Unis sont bornés au Nord par le pôle, au Sud par l'Antarctique, à l'Est par le premier chapitre de la Genèse, et à l'Ouest par le Jour du Jugement dernier. »
–Arthur Bird –

// 25 mai 1981 //

Le karma effectivement... Elle aurait mieux fait de se taire.

Le soleil rentrait à flot dans les couloirs du Département de la Justice du MACUSA et pour une fois Théa n'y trouvait aucun réconfort. Les yeux plissés, elle avait l'impression que la lumière venait brûler sa migraine à l'arrière de son crâne. Le manque de sommeil de la veille – elle avait été trop sur les nerfs pour dormir – et le stress du procès ne faisaient pas un bon elixir pour son corps fatigué. Même sa nuque et ses épaules la tiraillaient à force de s'être retournée dans son lit au moins une dizaine de fois...

Et qui aurait pu lui reprocher ? En vingt-quatre heures, elle avait témoigné pour la première fois dans un procès, elle avait cru que Julian et Noah allaient sûrement se faire embarquer par des psychomages, et elle s'était mise en couple avec Liam Cooper.

Elle s'était mise en couple avec Liam Cooper !

Morgane, même dans sa tête, l'idée sonnait encore étrange... Son ventre fit un soubresaut en repensant pour la millième fois depuis hier à leur moment dans la véranda. Prise de vertige, elle eut l'impression que tout s'était précipité, que le temps s'était accéléré sans qu'elle en ait vraiment conscience. Pour un peu, elle aurait pu se jeter d'une falaise sans regarder en bas s'il y avait un filet de sécurité et elle aurait eu la même sensation. L'euphorie de la veille avait laissé place à une rationalité dérangeante dont elle ne savait pas quoi faire. Qu'est-ce que ça voulait dire « être en couple avec Liam Cooper » ? Ou être en couple tout court ? Pour quelqu'un qui avait longtemps râlé sur celui formé par Othilia et Noah aux premières loges, elle réalisait que le concept demeurait flou. Est-ce que Liam s'attendait à une attitude précise ? Est-ce que lui-même savait ce que signifiait être ensemble ? Elle ne lui avait jamais connu de relation, à part sa forte amitié avec Aileen, mais il lui avait affirmé à Salem qu'il n'y avait jamais eu aucune ambigüité entre eux.

Nerveuse, elle tourna la tête pour se concentrer sur autre chose que le marasme de pensées parasites dans son esprit. Au bout du couloir, les Cooper attendaient en silence que les portes de la salle d'audience s'ouvrent. Julian se tenait près de sa mère et tante Aurelia, sa main pianotant contre le haut de sa jambe. Le professeur Fontaine et Othilia venaient d'arriver et saluaient Hilda Douzebranches. Elle chercha Noah du regard.

Elle le trouva de l'autre côté du couloir, posté face à Leonidas. Ce dernier s'était plus ou moins invité ce matin à la dernière minute pour cette dernière journée de procès. Elle tendit l'oreille.

- Tenez, disait Noah en lui passant un gobelet fumant, je crois que je vous devais un café.

Leonidas se fendit d'un rire amusé qu'elle ne comprit pas. Il venait à peine d'accepter et d'en prendre une gorgée que la porte de la salle d'audience s'ouvrit enfin et Hercules Fischer, l'Auror, les toisa depuis l'embrasure.

- Vous pouvez entrer, leur annonça-t-il. Et les consignes d'hier s'appliquent à aujourd'hui : gardez votre calme, d'accord ?

- Je vois pas pourquoi vous nous le rappeler, on a parfaitement réussi hier, marmonna Liam en s'avançant, ironique.

Fischer lui jeta un regard blasé. Il devait sûrement avoir hâte de se débarrasser de cette affaire. Le corps lourd, Théa se leva pour suivre le mouvement. Elle se glissa entre les portes en même temps que Julian, décidément son partenaire dans son procès, et reprit sa place à côté de lui sur la même rangée que la veille. Rien n'avait bougé. Seul le soleil, plus vif, jetait des reflets sur l'immense bannière frappée du symbole du MACUSA, l'aigle géant au drapeau américain et aux étoiles scintillantes. Sur l'estrade, Celestina Rappaport faisait déjà face à Maître Beckerman et à Emilia, vêtue d'une robe de sorcière couleur parme qui lui donnait l'air plus mature que la bleue portée hier. Elle avait aussi attachée ses cheveux blonds, révélant ses traits lourds mais aussi son expression déterminée.

Rosalind Harkaway, la juge, finit par arriver à son tour. Sa cape noire retenue par une attache en or jetée sur ses épaules, elle adressa un signe de tête à toute l'assemblée avant de s'assoir à son tour et de sortir sa fameuse plume à papote qui s'éleva dans les airs, prête à tout retranscrire.

- Bonjour à tous, les accueillit-elle de sa voix rendue claire et audible par la magie. Nous entamons aujourd'hui la seconde partie de ce procès pour, je l'espère, parvenir enfin à la vérité. Je rappelle que seuls les témoins appelés à comparaitre ont le droit à la parole avec la défense et l'accusation et que chacun doit respecter les règles fixées par le MACUSA dans le cadre de cette instance.

Son regard sombre et profond, presque de la même couleur que sa peau d'ébène, se promena une fois de plus sur les rangées face à elle et s'arrêta une seconde sur Liam. Il grimaça, mais s'enfonça sagement dans son siège et Théa vida ses poumons pour se calmer. Elle repensa à ce qu'elle lui avait dit hier soir : ce n'est pas de la « maitrise », Liam. C'est ma vengeance, d'accord ? Elle espéra qu'il garderait bien cette idée à l'esprit pour les prochaines heures.

- Bien, maintenant que cela est dit... reprit la juge en portant son dossier devant elle. Reprenons où nous nous étions arrêtés. Miss Cooper affirmait avoir une filiation avec la famille d'Isolt Sayre et de ce fait un droit sur la baguette de Salazar Serpentard, gardée par l'école d'Ilvermorny.

- Je maintiens que c'est absurde et aucunement vérifiable, persiffla Rappaport aussitôt.

- Nous avions bien compris votre position, madame la sénatrice, n'ayez crainte. La demande express de déterrer la baguette a été transmise à Ilvermorny hier soir et sa directrice, Eulalie Hicks, y a répondu favorablement. Elle devrait arriver d'ici quelques minutes avec la relique. D'ici là, j'aimerais que le contexte et les éléments essentiels à la compréhension de cette baguette soient exprimés clairement. Mrs Shelton ? Pourriez-vous... ?

Le cœur battant, Théa pivota vers sa tante. Elle vit d'abord le visage tendu de Julian avant de se poser sur celui d'Aurelia. Elle arborait la même expression et la ressemblance entre la mère et le fils la frappa pour la première fois avec force.

- Excusez-moi votre Honneur, intervint Rappaport, sourcils froncés. Mais Mrs Shelton est intimement liée à cette affaire et je ne suis pas sûre que sa neutralité soit suffisante pour parler de cette baguette.

- Enfin, ne soyez pas ridicule, protesta immédiatement l'avocat d'Emilia. Mrs Shelton est reconnue dans son domaine, elle est une historienne émérite et spécialiste sur ce sujet. Son intervention s'inscrit dans ce cadre !

- Mais bien sûr, comme c'est pratique. Et nous allons donc ignorer son passif avec ladite baguette et Ronan Graves ? Du moins, le passif qu'elle affirme être vrai puisque, je le rappelle, ce dernier n'est pas là pour se défendre.

Toujours ce même ton faussement ironique. Théa s'en hérissa, mais heureusement la juge Harkaway coupa court :

- J'ai bien conscience de l'implication... particulière de Mrs Shelton. Mais j'estime que son expertise nous éclairera tous. Venez, je vous prie. Je vous demanderai toutefois de vous en tenir aux faits historiques et seulement à eux. Suis-je claire ?

Aurelia acquiesça, déjà debout. Elle replia ses jambes pour la laisser passer et l'observa monter sur l'estrade pour prendre place comme témoin, exactement là où elle s'était elle-même tenue hier. Elle savait à quel point c'était impressionnant, même s'il s'agissait de la deuxième fois pour sa tante.

- Bien, nous vous écoutons. Et sans interruption, je vous prie, ajouta la juge en direction de Rappaport et Beckerman avant de retourner son attention avec Aurelia. Que pouvez-vous nous rapporter sur cette baguette ? Qu'a-t-elle de particulier ?

- Hum... Et bien pour commencer, elle n'a pas été faite par un fabricant de baguette traditionnelle. Elle a été conçue par Salazar Serpentard lui-même au Xe siècle à base de bois d'amourette et une corne de Basilic en guise de cœur, énonça Aurelia d'une voix posée. Dès le départ, la magie de la baguette a donc été intimement reliée à la magie de Serpentard, bien plus que si quelqu'un d'autre l'avait fabriqué. Le cœur qu'il avait choisi a eu aussi une importance capitale car, comme les textes de l'époque l'ont prouvé, Serpentard maîtrisait le Fourchelang. Il pouvait parler aux serpents.

- Je vois... Mais quel est le rapport avec le baguette ?

- Elle avait une capacité semblable, tout simplement. Grâce à son cœur particulier, Serpentard à enseigner à sa baguette de s'endormir lorsque l'ordre lui était donné en Fourchelang.

Celestina Rappaport fit une moue sceptique.

- S'endormir ? répéta-t-elle, perplexe.

- Tout à fait. La baguette devenait aussi inoffensive qu'un vulgaire bout de bois. Serpentard s'assurait ainsi que personne ne pourrait utiliser sa baguette contre lui, elle était littéralement une extension de ses croyances et de son pouvoir. Il l'a transmis à sa descendance en leur enseignant le secret de sa baguette.

Théa resta coite. Elle n'avait jamais entendu parler d'une baguette avec une capacité pareille et même les fabricants qui étaient venus à Ilvermorny pour leur cours d'enchantement n'avait jamais évoqué un pouvoir comme celui-ci. En même temps, personne n'avait jamais tenté non plus de prendre un morceau de Basilic pour former le cœur d'une baguette.

- Les historiens ont réussi à suivre la trace de la baguette pendant plusieurs siècles, poursuivit Aurelia, toujours aussi concentrée. (Il était évident qu'elle était bien plus dans son élément que la dernière fois qu'elle avait été appelée à témoigner). Au XVIe siècle, la baguette était arrivée entre les mains de la famille Gaunt et plus précisément une sorcière irlandaise, Gormlaith Gaunt.

Le nom lui disait quelque chose, un souvenir vieux de ses premiers cours d'Histoire de la magie américaine en année Junior. Julian laissa échapper un « oh » de reconnaissance à côté d'elle.

- La tante d'Isolt Sayre, lui murmura-t-il. Je l'avais vu pour mon devoir d'histoire l'année dernière.

- Gormlaith Gaunt était la tante maternelle d'Ilsolt Sayre, fondatrice d'Ilvermorny, fit Aurelia au même moment. Cette dernière l'avait volé à sa tante et s'en est servi comme baguette personnelle car on en retrouve les traces ici aux Etats-Unis d'après les écrits des témoins de l'époque. Pendant environ quinze ans, Isolt Sayre a vécu sa vie avec cette baguette avant que sa tante ne la retrouve.

- Est-on véritablement certain de ses témoignages ? intervint Rappaport. Tout cela me semble bien lointain, votre Honneur.

Aurelia eut un vague sourire amusée, presque méprisant, et Théa sentit son inquiétude s'évaporer : sa tante maîtrisait son sujet.

- Les sources ont été étudiées par de nombreux historiens, madame la sénatrice. Je vous assure qu'il y a peu de place aux doutes. Surtout, nous avons encore un témoin direct de ces évènements.

- Direct ? Mais vous avez dit... Tout cela remonte à près de trois siècles !

- Tous les témoins ne sont pas que des sorciers. Il faut voir plus large. William, le puckwoodgenie avec lequel Isolt avait crée un lien et qui est aujourd'hui encore le concierge d'Ilvermorny était présent. Gormlaith Gaunt a tenté de tuer la famille de sa nièce en la retrouvant aux Etats-Unis : elle avait endormi la baguette à distance en parlant Fourchelang avant d'attaquer et Isolt Sayre s'est retrouvée désarmée. C'est finalement William lui-même qui a vaincu Gormlaith Gaunt.

Surprise, elle tenta d'imaginer le puckwoodgenie, cette créature bougonne qu'elle voyait depuis le début de sa scolarité, enfermé dans un mutisme étrange mais qui prenait à cœur sa mission au point de nettoyer la statue d'Isolt Sayre chaque matin, en train de se battre contre une sorcière aussi puissante. La scène avait quelque chose d'étrange, comme deux réalités qui entraient en collision, mais dans le fond... Est-ce que ce n'était pas normal qu'une créature aussi vieille ait eu plusieurs vies ? Et des secrets ?

La juge contempla le récit plusieurs secondes, l'air perturbé également, puis demanda :

- Et la baguette ? Qu'est-elle devenue après cette confrontation ?

- Elle a été enterrée à ce moment-là dans le parc d'Ilvermorny par Isolt et son époux, répondit Aurelia. Enfin à l'époque, le lieu se trouvait en dehors des murs du château mais au cours du temps, le parc s'est agrandi et le MACUSA a passé un accord avec Ilvermorny. Le directeur ou la directrice était chargé de la protection de la baguette et du renouvellement du Rituel d'Ancrage autour. Un arbre avait également poussé à cet endroit. Ses feuilles ont des propriétés curatives et l'école s'en servait pour son infirmerie.

- Oh Morgane...

Théa eut la sensation d'avoir une illumination. A chaque fois qu'elle avait mis les pieds à l'infirmerie, elle avait toujours été frappée par les dizaines de bocaux chargés de feuilles familières et aux étiquettes soigneusement collées : « feuilles d'amourette ». Le même bois que la baguette.

- Très bien, je vous remercie pour cette recontextualisation autour de la baguette, Mrs Shelton, approuva la juge. Nous y reviendrons lorsqu'Eulalie Hicks arrivera avec tout à l'heure, mais j'aimerais d'abord revenir sur le Rituel d'Ancrage en lui-même et la nuit où Ronan Graves est venu avec miss Cooper. Vous pouvez retourner à votre place.

La juge parcourut ses parchemins alors qu'Aurelia obtempérait. Théa se tendit à nouveau. Reparler du Rituel d'Ancrage revenait à remettre le focus sur leur groupe et elle n'avait pas oublié qu'un d'eux allait devoir témoigner. Vu ce qui s'était passé avec Noah hier, il était peu probable que ça soit lui et elle misait peu également sur elle-même son passage à la barre où elle avait déjà donné son avis. Liam paraissait un choix peu probable aussi vu son lien avec sa sœur. Ne restait que Julian et Othilia.

Du coin de l'œil, elle tenta de les jauger, mais Othilia était cachée derrière la silhouette imposante de son père et l'angle ne lui permettait pas de voir son visage. Elle percevait en revanche très bien la nervosité de Julian juste à côté d'elle.

- Si elle t'appelle, parle bien de Ronan, lui rappela-t-elle dans un chuchotement empressé.

Julian lui décocha un regard indigné.

- J'ai l'air aussi bête que Manfred ? lui lança-t-il sur le même ton. De qui tu veux que je parle d'autre ?

Elle haussa les épaules.

- Je sais pas, tu pourrais perdre tes moyens ! se défendit-elle. Si ça se trouve tu parlerai des boucles de Noah, qu'est-ce que j'en sais ?

- Des boucles de... n'importe quoi !

- Oh comme si tu ne voulais pas parler de ça les trois quart du temps...

Il lui donna un coup de genoux alors que tante Aurelia repassait devant eux pour reprendre sa place.

- Nous allons donc appeler un nouveau témoin, annonça la juge Harkaway avant qu'il ne puisse répliquer. Pour rappel des faits, et selon le dossier d'enquête rédigé par l'Auror Fischer, plusieurs étudiants étaient présents le soir de la tentative de récupération de la baguette par Mr Graves et miss Cooper. Ils avaient au préalable tenté de déjouer les étapes du Rituel d'Ancrage suite au chantage présumé de Mr Graves sur la personne de Mr Liam Cooper, le frère de miss Cooper. Maître Beckerman, confirmez-vous cette version ?

L'avocat d'Emilia acquiesça, la nuque raide.

- Parfait. Dans ce cas, j'appelle Julian Shelton à témoigner s'il vous plait.

Théa sentit son cœur dévaler dans son estomac. Presque à l'unisson avec lui, elle se tourna vers Julian et ils échangèrent un long regard soudain dépourvu de toute ironie. C'était à son tour d'entrer dans l'arène.

**

*

L'arène vue de haut était bien plus impressionnante qu'il ne l'aurait cru. Une marée de visages était levée vers lui et Julian se força à respirer pour se calmer alors qu'il prenait place sur l'estrade. Celestina Rappaport le toisa jusqu'à ce qu'il soit installé.

- Très bien, ne perdons pas de temps, entama-t-elle directement. J'imagine que vous aussi vous confirmez la présence de Ronan Graves ce soir-là ? Avec miss Cooper à Ilvermorny ?

Il hocha la tête.

- Verbalement, monsieur Shelton, lui indiqua la juge.

- Hum... oui, pardon, il était bien là.

Rappaport ne parut pas surprise de sa réponse, mais prit soin de soupirer avant de chausser ses lunettes pour lire un parchemin étendu devant elle.

- Evidemment... Si je reprends les témoignages relevés par le Bureau des Aurors, il est indiqué que votre rôle ce soir-là a principalement constitué à défaire les sortilèges du Rituel d'Ancrage. Est-ce que vous confirmez ?

- Oui...

- Donc ce n'est pas Ronan Graves qui l'a fait ? Il n'a tenté à aucun moment de prendre la main et de briser le Rituel ?

La formulation ambiguë fit s'accélérer les battements de son cœur. Nerveux, il chercha ses mots, mais l'avocat d'Emilia intervint avant lui :

- Madame la sénatrice, vos questions sont clairement orientées !

- C'est mon travail, encore heureux qu'elles le soient, rétorqua-t-elle. Je tiens simplement à souligner encore une fois la tendance étrange de vos témoins à avoir été aussi impliqués dans les évènements et à rejeter le blâme sur monsieur Graves pour tout.

- La manipulation chronique de cet homme a été étayée à de nombreuses reprises au cours de ce procès, sénatrice.

- Etayée mais non prouvée. Monsieur Shelton, diriez-vous que Ronan Graves vous a menacé ce soir-là ? Pour défaire les sortilèges ?

Instinctivement, il convoqua ses souvenirs. Cette nuit-là, tout avait paru se dérouler si vite qu'il avait à peine pu réfléchir ; tout le monde parlait en même temps, les révélations arrivaient de tous les côtés... Il se souvenait surtout de l'air horrifié de Théa en reconnaissant son père et celui effondré de Liam... Ronan Graves, lui, s'était tenu à distance tout en menant leur groupe.

- Je dirais que oui, finit-il par répondre en regardant obstinément le fond de la salle. Il avait sa baguette et il la pointait sur nous. Il a refusé de dire où était Emilia tant qu'on n'avait pas commencé à briser le Rituel.

- Et il était seul à ce moment-là ? Alors que vous étiez... combien ? Six ? Aucun de vous n'avez tenté de lui résister ou d'aller chercher de l'aide ?

- Nous parlons d'étudiants pas encore diplômes face à un puissant sorcier ! protesta aussitôt Beckerman. Enfin, que vouliez-vous qu'ils fassent ? Les choses auraient pu très mal tournées !

Rappaport eut une moue sceptique qui l'agaça au plus haut moins.

- Je ne sais pas, on parle d'un étudiant qui a visiblement réussi à briser des sortilèges d'une rare complexité pour un Rituel d'Ancrage. On est en droit de s'attendre à cette... capacité. A moins bien sûr que le récit que vous ayez fait à l'agent Fischer soit un peu... comment pourrais-je dire... galvaudé ?

- Quoi ? fit-il, incapable de voir où elle voulait en venir.

Elle pencha la tête sur le côté, presque indulgente.

- Voyons monsieur Shelton... J'en appelle au bon sens de tous ici présent, votre Honneur, en émettant de sérieux doutes sur les témoignages que ces étudiants ont rapporté. Un élève pas encore diplômé qui arrive à défaire des sortilèges pareils ? C'est très peu probable. Qui les a vraiment brisés ? Miss Cooper ?

- Mais non... C'est vrai, c'est moi.

La frustration gonfla en lui en voyant le coup d'œil qu'elle jeta vers la juge, l'air dépité. Il n'avait pas passé des heures – des nuits blanches – à étudier les maillages des sortilèges pour que Rappaport se permette de remettre en cause ses compétences. Piqué, il reprit avant qu'elle puisse le faire.

- Je les avais étudiés toute l'année, claqua-t-il, sans doute un brin trop sec. Ce n'était pas juste sur le moment, je m'étais préparé.

- Préparé, hum ? Donc dès le début, vous saviez que vous alliez commettre un vol en brisant ce Rituel ?

- Non, on ne savait pas ce que le Rituel gardait. Mais le corbeau menaçait Emilia et c'étaient les instructions.

- Ronan Graves vous avait indiqué comment briser les sortilèges ?

Il se remémora les runes anciennes et la traduction qui les accompagnait, même s'il avait tenu à tout refaire lui-même pour s'assurer que tout était correct.

- Oui, toutes les étapes du Rituel qu'il connaissait étaient dans le premier parchemin qu'il nous a envoyé. Et il avait compris pour les sortilèges.

- Mais il y a une marge entre la théorie et la pratique, n'est-ce pas ? Excusez-moi, votre Honneur, mais j'y reviens : même à plusieurs, je doute que ces étudiants aient réussi à faire face à des sorts d'une telle ampleur.

Il n'en crut pas ses oreilles. Elle persistait ? Du haut de son estrade, la juge Harkaway sembla considérer l'argument et reparcourut le dossier face à elle avec hésitation. Il croisa les bras, frustré, et leva enfin les yeux vers l'assemblée en contre-bas. Liam et Théa arboraient la même expression agacée et fusillait Rappaport d'une œillade assassine ; sa mère lui renvoya un geste d'apaisement et d'avertissement mêlé ; Leonidas maintenait une façade imperturbable ; et Noah... Oh Merlin, Noah était renversé contre le dossier de son banc et paraissait presque amusé, un demi-sourire aux lèvres. Il attarda son attention sur lui.

L'objet de son amusement le percuta avec une seconde de retard. Lui-même. Il tenta de s'imaginer la scène du point de vue de Noah : lui, en train de s'agacer de minute en minute, bras croisés, juste parce que Rappaport remettait en cause son talent en sortilèges. Le tableau devait avoir quelque chose de comique effectivement.

Etrangement encouragé par sa réaction, il décida soudain de se défendre. Si Rappaport voulait jouer, il pouvait abattre ses cartes lui aussi.

- Si vous avez du mal à comprendre, je peux vous expliquer, proposa-t-il d'une voix claire en décroisant les bras. En fait, parler de sortilèges est même faux si vous voulez mon avis. Le Rituel d'Ancrage est davantage constitué d'enchantements parce que la terre et l'arbre autour de la baguette ont été profondément affectés par la magie. On l'a vu en essayant de les briser, le maillage d'enchantements a réagi avec l'expulsion d'un surplus de force magique.

- Mais pourquoi cette réaction ? demanda la juge.

Il s'empressa de lui répondre, ignorant Rappaport dont la bouche venait de se tordre en une grimace irritée.

- La séquence d'ensemble n'avait pas été réussi, il lui manquait des éléments, dit-il avec patience. S'il n'y avait eu qu'un simple sortilège, il n'aurait pas pu renvoyer ce surplus, les strates de magie n'auraient pas fonctionner dans les deux sens. Un sortilège se jette et il a un seul effet, alors que les enchantements se posent sur les trames magiques qui nous entourent. C'est comme... un métier à tisser si on veut une image. Et là, il fallait défaire les fils un à un.

- Dans un ordre précis ? intervint Rappaport.

Il ne se laissa pas démonter.

- Evidemment. Ce genre d'enchantements repose sur la succession des couches de magie. Si on enlève une couche inférieure avant une supérieure, tout peut s'effondrer avec une décharge magique encore plus forte. Pour un Rituel d'Ancrage, c'est une structure autant qu'une barrière et là, le point central, c'était l'arbre. Il avait une capacité guérisseuse mais aussi offensive. Donc ça se répercutait sur l'enchantement. C'est ce qu'on appelle une arcane magique à double polarité.

Rappaport cilla, l'air légèrement perplexe, et il entendit Noah émettre un rire étouffé qu'il transforma en toux mal dissimulée. Fier de lui, il poussa vice à faire un sourire innocent à la sénatrice.

- Bien, voilà qui a le mérite de nous éclairer, trancha la juge. Est-ce que cela répond à vos interrogations, madame la sénatrice ?

- Et bien...

Digne, elle se redressa en remettant son masque neutre bien en place et hocha la tête avec raideur.

- Je suppose que ça fera l'affaire, éluda-t-elle d'un air pincé. Même si le fonctionnement du Rituel n'est pas notre priorité, si je puis me permettre...

- Vous sembliez intéressée par la méthode, il n'a fait que vous répondre, lui objecta Beckerman avec satisfaction.

- Certes. Mais revenons sur notre affaire, c'est le plus important il me semble. (Elle se tourna vers lui, un nouvel éclat déterminé dans ses prunelles grises). Monsieur Shelton, laissez-moi vous poser une question simple... Vous avez reconnu que miss Cooper était donc présente ce soir-là aux côtés de Ronan Graves, c'est cela ?

- Oui...

- Et la jugez-vous responsable de ses actes ? En d'autres mots, la jugez-vous coupable des faits qui lui sont reprochés ?

Beckerman s'étrangla à moitié.

- Madame la sénatrice, je crois que vous confondez témoin et juge ! Ce jeune homme n'a nullement à émettre un tel avis...

- Et pourquoi donc ? contra-t-elle. Je m'appuie toujours et encore sur le rapport des Aurors, mais monsieur Shelton était là cette nuit-là, contrairement à nous. A ce titre, j'estime que son avis est fondamental.

- Question acceptée, trancha Rosalind Harkaway.

Son cœur repartit avec frénésie alors que Rappaport posait sur lui un regard triomphant. Les mains jointes sur son dossier, elle se pencha en avant et énonça lentement en détachant chacun de ses mots :

- Répondez, monsieur Shelton. La question est simple : comment jugez-vous l'attitude de miss Cooper ce soir-là ? Était-elle sous le coup d'une menace permanente ? D'une pression qui l'obligeait à briser le Rituel d'Ancrage ? Ou au contraire vous a-t-elle paru consciente et autonome de ses décisions ? (Elle marqua une pause, le temps de se tourner vers l'assemblée comme pour prendre tout le monde à parti). Autrement dit, ajouta-t-elle, était-elle victime ou coupable ?

Un silence de plomb s'abattit sur la salle d'audience. Les oreilles bourdonnantes, il aurait voulu que sa réponse soit instinctive et sans doute. Et pourtant, il prit le temps de la réflexion quelques secondes. Il se souvenait de ce soir-là en mai dernier. L'attitude d'Emilia, plus que tout le reste, l'avait frappé tant elle avait été en décalage avec ce qu'il s'était imaginée : la Joconde blonde, la petite disparue de l'Amérique, la sœur séquestrée... Ce qu'il avait trouvé, ça avait une jeune fille avide de découvrir ses origines, qui pensait enfin avoir brisé la roue du sort. Celle qui se savait héritière de Salazar Serpentard en personne. Cette nouvelle identité retrouvée avait donné une posture à Emilia cette nuit-là. Une posture qu'elle était loin d'afficher depuis le début de procès, comme si la réalité était revenue la percuter.

S'il n'avait pas eu les idées claires en mai dernier, trop pris par la peur et la concentration, il avait eu un an aujourd'hui pour y réfléchir. Il y avait encore des choses qu'il ne pardonnait pas à Emilia. Son impulsivité, sa naïveté... S'être laissée envoûtée par les promesses de Ronan au risque de briser sa famille et des vies au passage, dont la sienne, celle de Théa, de Noah et de tout leur groupe...

Mais alors que cette pensée se formait sur sa langue, il posa les yeux sur sa mère. Pâle, elle le fixait avec une tension qui crispait ses épaules et son visage. Il déglutit. Et s'il remplaçait le nom d'Emilia par celui de sa mère, est-ce que sa réponse était toujours la même ?

Les torts étaient les mêmes. Impulsive, naïve, fière... A trente ans d'écart, elle aurait pu se retrouver elle aussi sur le banc de l'accusée.

Mais contrairement à toutes les personnes dans cette pièce, il avait vu. Tout. Il avait plongé dans la pensine pour voir ce que la Génération 1950 avait provoqué et subi, il avait passé l'année à assister à la détresse de Liam et à déjouer le Rituel d'Ancrage, il avait été là le soir où Emilia avait tenté de s'emparer de la baguette. Et force était de constater qu'un seul dénominateur commun planait au-dessus de tous les évènements. Ronan Graves.

Un nœud dans la gorge, il décala imperceptiblement son regard pour croiser celui de Théa. Toujours la plus lucide, toujours celle qui était là pour garder la tête froide. Elle l'avait prévenu avant qu'il ne monte sur cette estrade : « parle bien de Ronan ». Parce qu'encore une fois, Théa n'avait jamais perdu du vue ce qui se jouait vraiment dans cette affaire. Un jeu de pouvoir. Ronan avait voulu tout contrôler en mettant la main sur la baguette, en jouant avec des jeunes filles comme des pantins et les terroriser quand elles avaient voulu couper leurs fils, et même en voulant tromper la mort pour sauver son enfant condamné.

S'il avait fini par reconnaître que sa mère était une victime malgré tout ses torts, il pouvait bien accorder la même absolution à Emilia Cooper.

- Monsieur Shelton ? le pressa la juge. La sénatrice vous a posé une question.

Il arracha son regard de Théa.

- Pardon... Hum, non. Je ne pense pas qu'Emilia soit coupable. Je pense juste que Ronan Graves sait très bien déployer ses pions et se jouer de tout le monde. C'est tout.

L'espoir sur la visage de Rappaport s'évanouit devant sa réponse, mais Emilia poussa un soupir de soulagement. Il avait refusé de la regarder jusqu'ici et lorsqu'il se résolut à le faire, elle esquissa un mince sourire. Le nœud dans sa gorge se détendit.

- Très bien, merci pour votre témoignage, monsieur Shelton. Vous pouvez aller vous rassoir, lui indiqua la juge Harkaway.

Ses jambes lui parurent couler dans du plomb. Un instant, il fut presque surpris que le moment soit passé aussi vite et en même temps il avait l'impression d'être sur cette estrade depuis des heures. Nerveux, il adressa donc un bref hochement de tête à Beckerman et Rappaport, puis regagna sa place. Théa lui attrapa le poignet dès qu'il fut à nouveau à côté d'elle.

- Bien joué, lui souffla-t-elle. Je savais que t'étais plus intelligent que Manfred.

- Ouais ? Génial, un vrai soulagement...

Elle lui donna un coup de coude accompagné d'un sourire. Il aurait voulu lui demander ce qu'elle avait pensé de son témoignage plus en détail, mais son attention fut attirée par un point mauve volant près de l'estrade. Une note de service. Le petit bout de papier, plié en deux, voleta jusqu'à Rosalind Harkaway et elle tendit une main gracile pour s'en emparer. Un éclat de satisfaction passa sur ses traits à la lecture.

- On m'annonce qu'Eulalie Hicks est arrivée avec la baguette, annonça-t-elle. C'est parfait, nous allons la faire entrer. Miss Cooper, veuillez vous lever s'il vous plait.

Aussitôt, la tension qui était retombée se remit à courir à travers la salle et les grandes portes s'ouvrirent. Habillée d'une robe pourpre et d'un grand chapeau de sorcière, la directrice d'Ilvermorny remonta entre les rangées, une baguette posée au creux de ses mains tendues devant elle. Julian tendit le cou pour mieux voir, fasciné.

Ainsi, c'était elle. La baguette protégée par le Rituel d'Ancrage, la dernière relique d'un des Fondateur même de Poudlard. D'apparence, elle paraissait presque banale. En bois sombre, ni trop longue ni trop courte, légèrement courbée. Le temps passée sous terre ne l'avait pas altérée et, pour cause, elle diffusait toujours une certaine aura autour d'elle. Emilia se figea en la voyant approcher.

- Vous avez fait demander une baguette ? lança Hicks d'un ton pince-sans-rire.

La juge inclina la tête.

- En effet. Je vous remercie pour votre réactivité, Eulalie. Le MACUSA en est très reconnaissant.

- Et la reconnaissance du MACUSA est toujours un bien précieux. Bien, que voulez-vous en faire ?

- Elle va nous servir à déterminer la véracité d'un élément clé dans cette affaire. Pouvez-vous l'apporter à miss Cooper s'il vous plait ?

Hicks ne chercha pas à s'en savoir plus. Toujours avec son expression soigneusement maîtrisée, elle s'avança vers Emilia, même si Julian percevait une certaine tension dans sa posture à elle aussi, comme si remettre la baguette sur laquelle elle avait juré de veiller lui coûtait.

De son côté de l'estrade, Rappaport émit un claquement de langue agacé.

- Nous voilà pilleur de tombe maintenant, commenta-t-elle avec un détachement feint.

- Madame la sénatrice, s'il vous plait...

Mais même Celestina Rappaport se tut alors que la baguette se présentait enfin devant Emilia. Exposée sur les paumes tendues de la directrice d'Ilvermorny, c'était comme si la baguette jaugeait autant Emilia que l'inverse. Deux héritières d'un pouvoir ancien enfin face à face. Du moins, Julian l'espérait... Si Ronan avait menti sur toute la ligne, la chute allait être terrible.

Il revit Emilia, assise hier soir à même le sol, avouant qu'elle n'avait aucune idée de comment parler Fourchelang. Il se pencha en avant, suspendu à l'attente. A demi debout, il vit du coin de l'œil que sa mère n'en menait pas plus large : les recherches de toute une vie était à quelques mètres seulement et il ne put s'empêcher de ressentir un certain malaise en voyant la fascination sur son visage alors même qu'il avait ressenti la même chose il y a quelques secondes.

Concentré sur sa mère, il faillit louper le moment. Celui où Emilia, comme un transe, ouvrit la bouche pour en laisser échapper un son sifflant qu'aucune langue ne possédait. Il ne comprit pas les syllabe, mais ça n'avait pas d'importance. Car la baguette frémit.

A peine un soubresaut, mais tout le monde le vit. D'un même mouvement, ils furent plusieurs à se dresser sur leurs pieds pour mieux voir. La baguette trembla comme un serpent qu'on aurait tiré d'un profond sommeil. Un sommeil de plusieurs siècles.

- Oh Morgane, murmura Théa près de lui.

Emilia voulut tendre la main. Celles de la directrice se refermèrent instinctivement.

- Désolée, il s'agit d'une relique inestimable et ancienne, la retint-elle en reculant d'un pas. Votre Honneur, si vous avez obtenu votre réponse, je me dois de ramener cette baguette où est sa place ; là où Isolt Sayre a voulu qu'elle demeure.

Pendant un battement de cœur fou, il fut persuadé qu'Emilia allait protesté. Isolt Sayre avait été la dernière propriétaire de la baguette, c'était vrai, mais elle venait de prouver qu'elle avait un droit de sang dessus également. Et si elle ne voulait plus que la baguette soit enterrée à Ilvermorny, avait-elle une revendication à faire ?

Mais Emilia se contenta de laisser retomber sa main.

- C'est sans doute mieux, oui... approuva-t-elle dans un filet de voix. La sénatrice a raison. Il vaut mieux ne pas déranger la sépulture d'un passé révolu... J'ai eu ce que j'ai toujours voulu. Mon identité. Le reste ne m'appartient pas...

Hicks eut un sourire entendu et approbateur. De sa place, la juge acquiesça.

- Je pense que nous avons tous les éléments dont nous avions besoin. Il va être temps de prendre une décision. Je vais demander à tout le monde de quitter la salle et d'attendre quelques minutes le temps que j'étudie une dernière fois le déroulé de ce procès.

En même temps que les autres, Julian se leva. L'affaire Emilia Cooper s'apprêtait enfin à connaître son dénouement et l'attente promettait d'être insupportable.

**

*

L'attente était insupportable.

Liam commençait à connaitre chaque fissure dans le sol du couloir accolé à la salle d'audience pour en avoir fait au moins dix allers-retours depuis vingt minutes. Bon sang, combien fallait-il à la juge pour délibérer ? Le ventre en vrac, il jeta un coup d'œil aux grandes portes en bois, mais elles le narguèrent en restant obstinément closes. Il poussa un soupir agacé.

- Cooper ! le héla Théa depuis le bout du couloir. Viens là, tu me donnes le tournis.

Il releva les yeux vers elle. En train de discuter avec Noah et Julian, elle lui faisait signe de venir elle d'un geste autoritaire et il s'avança par automatisme. Un chevalier obéissait toujours aux ordres de sa reine... Un fou aussi maintenant qu'il y pensait et il ne savait toujours pas quel rôle il s'attribuait. Ça changeait selon ses humeurs.

Les mains dans les poches, il arriva à leur hauteur, mal à l'aise de constater qu'Othilia restait étrangement du côté des adultes sans vouloir se mêler à eux.

- Alors ? J'étais comment ? était en train de demander Julian. Pour mon témoignage, je veux dire ?

- Pertinent, jugea Théa en se décalant pour le laisser s'insérer dans leur cercle. J'ai rien compris à ce que t'as raconté, mais ça a eu l'air intéressant.

Noah acquiesça par un hochement de tête sans se décaler, lui.

- Carrément, approuva-t-il avant d'ajouter à voix basse, je t'ai dit que je te trouvais sexy quand tu parlais de sortilèges ?

- Oh mon dieu...

Pris au dépourvu, il fit une grimace et leva les mains au plafond alors que Julian piquait un fard.

- Trop de détails, trop de détails, se plaignit-il.

Mais Noah se contenta de lui renvoyer un sourire railleur et même Théa pouffa à côté de lui. Il lui coula un regard offensé.

- Ca vous fait rire, votre Altesse ?

Evidemment, elle ne répondit pas, mais le sourire qui jouait à la commissure de lèvres s'accentua. Ce sourire lui fit perdre le fil de la conversation. Dans un bruit de fond, il les entendit parler du procès, de la juge, de ce qu'elle pourrait décider ; mais aucun mot n'imprima vraiment dans son esprit. Proche de Théa comme il l'était, il avait envie de glisser sa main dans la sienne.

C'était une pulsion nouvelle et en même temps qui s'était agitée sous la surface depuis des mois maintenant... Il n'avait pas voulu s'y attarder, trop pris par le tourbillon qu'était devenu sa vie depuis deux ans, mais il l'avait ressenti par impulsions plusieurs fois au cours de l'année, notamment à Salem le jour de leur sortie à deux. « Je préfère les brunes ». Il avait fait mieux niveau subtilité, mais ce jour-là, il avait eu l'impression que la vérité lui avait éclaté au visage. Ce jour-là, il avait enfin mis un nom sur le tiraillement dans ses veines.

Théa Grims s'était infiltrée sous sa peau et voilà qu'aujourd'hui il sortait avec elle.

Avec la reine des glaces et l'héritière des Grims. Lui, le gamin paumé de l'Oregon qui faisait exploser des choses grâce à la magie et dont les parents n'avaient plus su quoi faire avant qu'il parte à Ilvermorny. Franchement, il se demandait si le destin ne s'était pas trompé de personne... Depuis ce matin, il s'attendait à tout moment à ce que Théa le prenne à part pour lui dire qu'elle regrettait, qu'elle n'avait pas réfléchi... Mais jusqu'à présent, elle agissait plutôt normalement.

Il se battait encore avec l'envie de lui prendre la main quand les portes s'ouvrirent enfin. Hercules Fischer, en retrait tout au long du procès telle une ombre silencieuse, les invita à entrer.

- Vous pouvez reprendre vos places. Allez.

Il prit une grande inspiration. Instinctivement, il chercha ses parents du regard, mais ils étaient juste là : les premiers à se présenter devant les portes, nerveux mais accrochés l'un à l'autre. Pour la dixième fois depuis le début du procès, il se fit la réflexion que sa mère était si différente de celle de Théa, grande et bien droite, toujours un port altier et ses cheveux auburn grisonnants impeccablement coiffés. A côté, Barbara Cooper paraissait si simple avec ses vêtements non-Maj', ses mains usées et son visage marqué par la vie. Et pourtant, il ressentit soudain un violent élan d'affection pour elle, un éclat de nostalgie étrange alors qu'elle était juste là à quelques mètres. Ses jambes le portèrent toutes seules. Il se planta près de ses parents et attrapa la main de sa mère pour entrer à nouveau. Elle lui fit un sourire surpris, mais pressa ses doigts entre les siens.

Un à un, ils rentrèrent tous dans la salle d'audience. Emilia, Beckerman et Rapport étaient déjà là, debout. Ils les imitèrent en reprenant leur place sans s'assoir, puis Rosalind Harkaway apparut à son tour en haut de l'estrade. Le visage solennelle, sa cape à l'attache en haut enveloppait tout son corps et elle paraissait encore plus impressionnante ainsi. Sa plume à papote se positionna au-dessus de son épaule.

- Merci pour votre patience, entonna-t-elle. J'ai pu reprendre chaque élément du dossier et les arguments portés ces deux derniers jours par chacun des partis. Maître Beckerman, sénatrice Rappaport, je tiens déjà à vous remercier pour votre travail. De même, je remercie au nom du MACUSA tous les témoins qui se sont venus pour apporter leur lumière sur cette affaire complexe.

Bon sang, allez, abrège, eut-il envie de crier. Il aurait aussi voulu voir le visage de sa sœur, mais elle lui tournait le dos.

- Bien, je ne vais pas vous faire attendre plus longtemps. Mon rôle en tant que représente de la justice du MACUSA est de me demander si les individus amenés à être jugés devant moi présentent un risque. Soit pour eux-mêmes, soit pour la société. Comme vous le savez, le cas de miss Cooper présentait énormément d'enjeux et s'entremêlait à l'affaire Ronan Graves de façon étroite. C'était un point à ne pas négliger.

Pitié, ne l'entraîne pas dans ta chute, espèce de connard... Là encore, il se retint, évidemment. Il se mordit plutôt l'intérieur de la joue et risqua un coup d'œil de l'autre côté de l'allée. Théa avait le regard braqué sur la bannière à l'aigle étoilé et jouait du bout des doigts avec son ruban rouge à son poignet.

- Et justement, je ne l'ai pas négligé, poursuivit la juge de cette même voix forte qui portait à travers la salle. Il est évident selon plusieurs témoignages que la manipulation de monsieur Graves a fait des victimes depuis plusieurs années. (Il s'obligea à ne pas regarder Aurelia Shelton ni Cordelia Grims). Miss Cooper a toutefois fait preuve d'un manque de jugement crucial et a causé de nombreux torts. Nous avons tous la chance de ne pas juger un cas plus grave aujourd'hui si les choses avaient mal tourné.

Sans doute que c'était vrai, il devait l'admettre. Agité, il aurait encore voulu protester : ils n'étaient pas là pour juger les « et si » et tout s'était bien terminée. La baguette était restée dans sa tombe de racine et de terre, Julian les avait écartés à temps, et surtout sa famille n'avait pas implosée. S'il avait réussi à pardonner à Emilia, il estimait que le MACUSA pouvait bien en faire de même. Le Congrès avait été moins blessé que lui après tout...

- Ma décision est toutefois prise et sera effective dès l'énonciation du présent verdict. Pour les chefs d'accusation qui lui sont reprochés, à savoir entrée illégale au sein de l'école de sorcellerie d'Ilvermorny, Massachussetts ; mise en danger d'autrui ; complicité d'un évadé judiciaire et enfin tentative de vol sur une baguette considérée comme propriété du MACUSA et d'Ilvermorny...

Liam inspira profondément, les poumons comprimés.

-... miss Emilia Cooper est déclarée coupable.

- Quoi ?

Son souffle se relâcha dans ce mot étranglé.

Eperdu, il se tourna vers sa mère, mais elle n'était pas mieux que lui. Les genoux vacillants, elle s'affaissa et son père dû lui passer un bras autour de la taille pour la retenir. Emilia elle-même fit volte-face pour les chercher du regard, le visage déformé par l'angoisse.

- Votre Honneur, elle n'a même pas encore vingt ans... tenta de protester Beckerman.

Mais la juge leva la main pour l'interrompre et sa chevalière en or, si éclatante sur sa peau sombre, accrocha le soleil. Sur la droite, Rappaport jubilait.

- Miss Emilia Cooper est déclarée coupable, répéta-t-elle, inflexible. En répercussion de cette décision, je recommande toutefois une peine allégée. Par accord convenu avec Eulalie Hicks, directrice d'Ilvermorny, miss Cooper devra une année de travaux d'intérêt général à l'école. Encadrée par la directrice Hicks en personne, elle devra élaborée un programme d'accueil et d'intégration pour les élèves issus de famille Non-Maj'. Ce verdict sera mentionné dans son dossier judiciaire pour une durée minimum de cinq ans et ce dernier pourra être réévalué en fonction de l'obtention de son diplôme et de l'investissement dont elle fera preuve pour sa mission auprès d'Ilvermorny. Bien entendu, miss Cooper a également interdiction de quitter le territoire jusqu'à la réévaluation de son dossier dans cinq ans et ne doit avoir aucun contact avec Ronan Graves. S'il tente de la contacter, elle doit prévenir immédiatement le bureau des Aurors. Sa conduite se doit également d'être irréprochable. Est-ce que tout cela vous paraît claire, miss Cooper ?

Il entendit à peine la réponse de sa sœur. Toute la pression accumulée dans sa poitrine venait de se relâcher et ce furent ses genoux à lui qui manquèrent de se dérober cette fois. Elle était libre. Emilia était libre.

Coupable, certes, mais la peine était tellement minime qu'il aurait voulu en hurler de joie. D'ici cinq ans, elle pourrait effacer toutes les traces de cette affaire et reprendre à zéro. Et élaborer un programme pour les enfants nés Non-Maj' – pour les enfants comme eux - allait changer la vie de gamins paumés. Ça pourrait empêcher une situation pareille de se reproduire. Plus que tout, il se délecta de l'expression pincée de Rappaport, l'air absolument furieuse. Tiens, prends ça, toi et ton séparatisme à la con, pensa-t-il avec euphorie.

- Nous vous remercions pour votre clémence, votre Honneur, se réjouit Beckerman. Ma cliente en est reconnaissante et accepte chacune des conditions.

- Parfait. Alors cette audience est belle et bien terminée. (Elle s'adressa soudain au fond de la salle). Je verserai le rapport de ce procès au dossier des Aurors sur Ronan Graves. Il servira de circonstances aggravantes le jour du sien. Merci à tous. La séance est levée.

Ce fut plus fort que lui : il fonça sur sa sœur. Et alors qu'il la soulevait littéralement de terre et qu'elle poussait un cri entre surprise et sire en s'accrochant à ses épaules, il s'autorisa à respirer normalement. L'affaire Emilia Cooper était terminée. La petite disparue de l'Amérique avait été retrouvée. Et elle pouvait être la descendante de tous les mages du monde, elle resterait toujours sa grande sœur en premier, quoiqu'en dise le sang versé sur cette foutue baguette. 

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Et voilà qui clôture ce quatuor de chapitres sur le procès d'Emilia Cooper ! Verdict ? ^^ 

Pas de meme de Lina cette semaine, ça fait un rythme assez effréné la pauvre, elle a le droit à ses vacances. Mais il est possible qu'on se retrouve mercredi pour un petit craquage... Après tout on est dans la dernière ligne droite du tome ! 

Allez, love you all ! 

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