Chapitre 36 : Bons baisers de Salem
Salut les gaaaaars, j'espère que vous allez bien ! (Oui je pique honteusement son intro à Lena Situations parce que je regarde plein de ses vidéos en ce moment, ça me détend trop le soir voilà, merci de me mettre de bonne humeur après mes journées de travail).
Alors, nous continuons sur notre lancée d'un chapitre par semaine ! Est-ce que le rythme vous va d'ailleurs ? (Je me doute de la réponse mais bon haha)
Pour ceux.lles qui n'auraient pas vu, je me suis amusée sur instagram à étoffer les story à la une avec le portrait chinois de LHDI. Hésitez pas à aller découvrir, c'était franchement chouette et on s'attaquera bientôt à ATDM ! Si vous aimez le principe et que vous avez d'autres idées d'ailleurs, vous pouvez tout à fait m'en suggérer.
Sur ce même principe, je me suis dit qu'on pouvait se relancer un petit jeu de début de chapitre d'ailleurs en faisant le portrait chinois des personnages. Ca vous tente ? On commence par Julian, perso principal quand même ?
Si Julian était...
... une couleur
... une chanson
... un lieu
... une matière scolaire (normale ou magique)
...un aliment / une boisson (lol)
...un mot
...une citation / une maxime
Let's go pour vos réponses ! Quant à nous, on se retrouve en bas ^^
*************************************************
Chapitre 36 : Bons baisers de Salem
« Salem, en l'an 1692, c'était un univers clos et pétrifié dans la crainte du Dieu, du Diable et du qu'en dira-t-on... »
- Juliette Benzoni-
// 14 février 1981 //
Othilia avait envie de donner un coup dans le miroir, juste pour ne plus voir son regard triste dès qu'elle croisait son reflet.
C'était peut-être un peu radical et elle s'était jurée d'arrêter de se morfondre pourtant, mais aujourd'hui était une journée particulière. Plus que jamais, elle ressentait l'impression que sa vie avait pris un virage en épingle, voire qu'elle avait carrément fait volte-face. En tout cas, le contraste était criant avec l'année dernière : elle allait passer la Saint-Valentin en tant que célibataire. Et elle ne savait pas bien quoi faire de cette observation, ni même quoi ressentir face à ce constat. Elle se sentait plutôt vide si elle devait tout avouer. Vide, ou vidée. La nuance était mince, mais elle avait son importance ; comme si une force extérieure avait tout aspiré pour ne laisser qu'un trou béant dans sa poitrine. Est-ce que la force extérieure était Noah dans cette métaphore ? Ou Julian ? Un des deux, en tout cas, ça ne faisait aucun doute.
Elle détestait la sensation. Elle lui tombait dessus quand elle s'y attendait le moins et elle arrivait à l'oublier la plupart du temps en semaine, happée par les cours, par ses amies, par Wilde qui tentait de la distraire. Le week-end était toujours un peu plus compliqué, surtout avec le tournoi d'échecs qui approchait et qui monopolisait Théa. Quand elle était entrée dans la salle de bain il y a trente minutes, sa meilleure amie avait été penchée sur son échiquier et elle savait déjà qu'elle la trouverait dans la même position en ressortant. A se demander comment Théa ne voyait pas le monde en noir et blanc ces derniers temps...
- Othilia ? appela soudain la voix d'Aileen derrière la porte. Tout va bien ?
Elle manqua de sursauter. Dans le miroir, elle arracha enfin son regard à son double glacé et s'éclaircit la gorge :
- Euh oui... oui, j'arrive.
- Sûre ?
- Ouais, désolée. J'arrive pour t'aider dans deux minutes.
C'était un de ses nouveaux projets pour s'occuper l'esprit : Aileen lui avait gentiment demander si elle voulait donner un coup de main pour le journal de l'école, notamment le fameux numéro qui allait être distribué hors Ilvermorny sur le tournoi d'échecs. Elle n'avait pas eu le cœur de refuser. Et puis, au fond d'elle, même si elle n'était pas fière de l'admettre, s'occuper du journal revenait à « prendre » un bout de ce qui avait un jour appartenu à Julian et Noah et elle trouvait l'idée étrangement réconfortante. Pas noble, mais réconfortante. Si elle l'avait compris, Aileen avait eu assez de tact pour ne pas le mentionner, même si elle se doutait que son amie avait deviné. Ou qu'elle l'avait ressenti ? Aucune idée, son don était toujours aussi perturbant dès qu'elle y réfléchissait un peu trop.
Au retour des vacances, ça avait été la surprise qui avait attendu Othilia. Aileen avait rassemblé tout le groupe dans leur ancienne salle de travail Alberta, la mine sérieuse, et leur avait alors avoué qu'elle était une Empathe. Tout le monde était resté perplexe, elle la première. Enfin, non, pas exactement. Tout le monde sauf Julian et Noah, déjà au courant. Ce détail l'avait agacé plus que de raison, même si elle n'avait aucun droit sur le secret d'Aileen. Encore maintenant – des semaines plus tard – elle ne savait pas vraiment quoi en penser. Elle l'oubliait même la plupart du temps et puis Aileen lui rappelait son don par des petits gestes ou des petites remarques comme à l'instant : même à travers une porte fermée, elle ressentait sa détresse. Et c'était très perturbant.
Les joues rouges comme si elle venait d'être surprise à faire autre chose que simplement se morfondre sur elle-même, Othilia remit ses cheveux en place et jeta un dernier coup d'œil au miroir avant de sortir de la salle de bain. Le dortoir n'avait presque pas bougé depuis tout à l'heure. Comme elle l'avait deviné, Théa était toujours assise sur son lit, sourcils froncés devant son échiquier ; et Aileen faisait tourner une plume entre ses doigts, l'air concentré. Ça ne les empêcha pas de relever la tête toutes les deux dès qu'elle reposa un pied dans la pièce.
- Je ne vais pas m'effondrer, vous savez, leur lança-t-elle avec sans doute un brin de trop de sécheresse. Pas besoin de me regarder comme ça.
- Comme « ça » quoi ? rétorqua Théa.
Elle haussa les épaules.
- Comme si j'avais besoin qu'on m'entoure dans des sorts de protection. Comme si vous me plaigniez. Oui, je sais, c'est la Saint-Valentin aujourd'hui. Oui, je suis célibataire. Et alors ?
- Et alors rien. On n'a rien dit, nous. En plus, t'as vu à qui tu parles ? Nous aussi on est célibataires et on le vit très bien. Pas vrai, Aileen ?
Cette dernière eut un sourire contrit, mais hocha la tête malgré tout.
- On peut dire ça, oui... convint-elle. En tout cas, ça ne me manque pas. Il faudrait déjà que j'ai eu un copain pour ça me manque, tu me diras. (Elle reposa sa plume, l'air peu perturbée, puis son sourire se fit plus doux). Mais tu sais, c'est normal si toi ça te manque, ajouta-t-elle avec une pointe de réserve, bienveillante. Ou si tu veux en parler un peu...
- Non, ça ira. Il n'y a rien à dire de toute façon.
Une boule chauffée à blanc dans la gorge, elle ouvrit le coffre au pied de son lit d'un geste un peu trop brusque et elle sentit le regard des deux autres filles la brûler dans son dos à nouveau.
- Sûre ? demanda Aileen. Ça te ferait peut-être du bien de parler un peu, non ? On n'a pas vraiment pu à cause des vacances...
- Pour dire quoi ? Que je me suis fait plaquée et qu'on m'a pris pour une idiote pendant des mois ? Qu'est-ce que vous voulez qu'on se dise ?
- Je ne sais pas, juste parler de comment tu te sens... Extérioriser un peu ?
- C'est gentil, Aileen, mais je ne crois pas que j'en ai envie. Je ne sais pas ce que tu penses... capter sur moi ou mes émotions, mais je vais bien. Je gère. Et puis, soyons honnête, je ne vais pas parler de Noah et Julian avec toi. Je sais ce que t'en penses.
Les mots avaient jailli avant qu'elle ne puisse les retenir et elle vit en se redressant les traits d'Aileen se crisper, heurtée. Une pointe d'agacement la traversa. Elle comprenait que la vérité n'était pas drôle à entendre, mais elle trouvait stupide de ne pas la poser sur la table clairement : tout au long de cette affaire, Aileen avait clairement fait comprendre où son soutien avait été placé.
- Pourquoi tu dis ça ? protesta cette dernière, son accent canadien plus prononcé sous le coup de la vexation. Othilia, je n'ai jamais choisi un camp ou quoique ce soit... Oui, je suis proche de Julian dans le groupe, et oui je l'ai aidé parce qu'il se sentait mal, je ne vais pas mentir. Mais ça ne veut pas dire que je ne peux pas t'aider non plus.
- Parce qu'il se sentait mal, hum ? répéta-t-elle, amère. J'espère qu'il se sentait mal, oui !
- Othilia... intervint Théa.
Elle pivota vers elle, mains en évidence pour l'arrêter.
- Non, tu ne vas pas t'y mettre aussi. Je ne suis pas aveugle, tu sais, j'ai bien vu que tu lui reparlais depuis les vacances... Tu comptais me le dire quand ?
Théa eut le mérite de paraître coupable. D'un geste nerveux, elle repoussa sa frange, comme pour se donner contenance, et tenta de se défendre :
- C'est mon cousin, Lia... Je ne pouvais pas lui faire la tête pour l'éternité. Et Aileen a raison, ça n'a pas été facile pour lui. Non, attends avant de me sauter à la gorge ! Ca n'enlève pas que ça n'a pas été facile pour toi non plus, vraiment t'as tous les droits d'être en colère et je serai de ton côté jusqu'au bout sur ce point ! Mais Julian... Ce qu'il est, ça a été dur à vivre.
- Mais j'en ai rien à faire de ça, vous comprenez ! s'énerva-t-elle. Il m'a regardé droit dans les yeux pendant des mois depuis qu'il est arrivé d'Angleterre, il a osé me demander mon aide pour Liam alors qu'il avait des sentiments pour mon copain ! Retournez la situation deux secondes, s'il avait été une fille, on l'aurait crucifié sur place ! Avoue-le, Théa !
- Oui, mais c'est tout le problème, il en est pas une. Et je comprends pas pourquoi tu te concentres sur lui alors que Noah est tout autant coupable, si ce n'est plus !
- C'est faux, je... je...
Cette fois-ci, les mots lui manquèrent. Elle resta figée, les bras ballants, et battit des paupières pour chasser l'émotion qui venait de la prendre à la gorge.
Depuis leur rupture, elle n'avait plus parlé à Noah. Elle n'avait plus parler de Noah non plus à bien y réfléchir. Ça n'avait pas été une décision consciente, juste un instinct de survie et une envie de mettre de la distance, même dans ses pensées. Elle avait la sensation que si elle laissait encore Noah s'approcher d'elle, la douleur allait revenir... Comme si elle avait un poison dans les veines et qu'il fallait qu'elle s'en purge, qu'elle se détache de son propre corps...
Ce n'était pas facile. A bien y regarder, Noah avait fait partie d'elle pendant deux ans. Ils n'avaient pas toujours été sur la même longueur d'onde – loin s'en faut – mais ils avaient formé un tout. Ce tout avait volé en éclat aujourd'hui et les morceaux de verre étaient trop tranchants pour qu'elles n'y prennent pas garde, ni ne cherche à s'en tenir le plus éloignée possible.
- Je... je ne sais pas... finit-elle par articuler, mal à l'aise.
- Et ce n'est pas grave de ne pas savoir, lui assura Aileen avec douceur. C'est normal que tu sois un peu perdue. Pour tout te dire, c'est ce que... je ressens de toi ces derniers temps. C'est pour ça que je te propose de parler maintenant. De Noah, je veux dire. Pas de Julian.
- Est-ce que ça ne revient pas au même avec eux ?
Aileen ne se laissa pas démonter.
- Non. Pas pour toi, je crois. Othilia, sois sincère : quand ça allait mal avec Noah ces derniers mois, est-ce que tu te battais vraiment pour votre couple ? Ou pour ce qu'il représentait ?
L'air sembla se vider de ses poumons. Perplexe, elle laissa la question peser sur elle – l'écraser presque – sans en saisir tout à fait le sens et elle s'avança mécaniquement vers Aileen pour venir s'assoir au pied de son lit afin de mieux décerner ses expressions. Du coin de l'œil, elle vit Théa qui écoutait avec attention.
- Je... je ne comprends ce que tu veux dire. Comment ça « ce qu'il représentait » ?
- Exactement ça. Ce que votre couple représentait. Est-ce que tu avais des sentiments pour Noah ou pour la version que tu voulais qu'il soit ? Pour ce qu'il t'apportait ?
- Aileen, tu t'entends ? s'exclama-t-elle. C'est ça l'image que t'as de moi ?
Un nœud douloureux se forma au creux de son ventre. Pour un peu, c'était comme si le poison dans ses veines était en train de s'agiter et de la ronger. Un poison dans ses veines ou un poison dans ses peines... ?
- Evidemment que ce n'est pas l'image que j'ai de toi, Othilia, protesta Aileen en ouvrant de grands yeux. Mais les émotions ne sont pas rationnelles, on ne peut pas toujours tout contrôler et il n'y a rien de mal là-dedans. Sur ce point, tu as plus en commun avec Julian que tu le crois...
- Oh pitié, arrête. Julian contrôle tout...
Aileen eut un sourire triste.
- Si tu savais.... Non, Othilia, il ne contrôle pas tout. Et le fait que toi non plus ne fait pas de toi une mauvaise personne. Ça ne te rend pas non plus moins bien que lui. Arrête de voir ça comme une compétition.
- Elle a raison, approuva Théa, restée silencieuse jusque là même si elle aurait dû savoir que son envie de donner son avis sur tout allait rattraper sa meilleure amie à un moment ou un autre. Dans le fond, j'ai l'impression que ce qui te dérange par moment ce n'est pas que Julian et Noah soient ensemble, c'est que Julian a réussi là où tu penses avoir échoué en apaisant Noah. Non ?
Avec horreur, Othilia sentit les larmes lui monter aux yeux. Dans un coin de son esprit, elle entendit en écho les mots d'Hilda, prononcés en début d'année lorsqu'elles s'étaient croisées devant le bureau de la directrice Hicks : « j'ai toujours eu cette sensation que vous vous pensiez mieux que Noah, je pense ». Elle avait eu honte de le reconnaître, mais il y avait eu du vrai dans cette sensation. Et aujourd'hui encore, elle n'arrivait pas à s'en défaire, même si elle avait voulu le contraire. Une voix revenait sans cesse au plus profond d'elle, une voix qui semblait lui chuchoter : pourquoi lui et pas moi ? Qu'est-ce que Julian avait de plus ? Qu'est-ce qu'il avait compris qu'elle n'avait pas su voir chez Noah ?
Tout le monde avait toujours affirmé que Noah avait de la chance d'avoir une fille comme elle dans sa vie, mais au moment fatidique, tout le monde s'était trompé : elle n'avait pas été le premier choix. Julian Shelton, son accent anglais, son talent pour les sortilèges et son œil d'artiste lui étaient passés devant sans qu'elle s'en rende compte et elle n'arrivait pas à l'accepter. Elle était là, la vérité.
Le visage brûlant, elle prit conscience que Théa et Aileen attendaient toujours une réponse et elle déglutit.
- Si... peut-être, reconnut-elle d'une voix chevrotante. C'est juste que... je ne comprends pas. Je pensais vraiment... pouvoir faire en sorte que ça marche avec Noah. Et finalement, Julian et moi, on n'est pas si différents. On s'est même bien entendu grâce à ça. Alors qu'est-ce que j'ai fait de mal ? Sur quoi il a été meilleur que moi ?
- Non, stop ! coupa Théa, l'air agacé. Tu vois, c'est exactement ce qu'Aileen disait il y a deux minutes. Il faut que t'arrêtes de te comparer à lui, Lia. Tu te caches derrière ton image de fille parfaite, mais ça te fait plus mal qu'autre chose. Tu n'as pas à être meilleure que tout le monde, ni à « gagner » Noah ni quoique ce soit.
- Je ne suis pas parfaite...
- Non, tu veux juste le faire croire.
Ce fut comme un deuxième coup. Théa avait beaucoup de chose pour elle dans la vie, mais elle n'avait ni la douceur ni le tact d'Aileen et la remarque la piqua plus qu'elle ne l'aurait cru. Au fond d'elle, quelque chose s'agita... Parce que dans le fond, elle savait que sa meilleure amie avait en partie raison et elle ne trouva donc rien à répondre, rendue muette par la vérité. Ça n'en rendait pas cette vérité moins douloureuse, ça ne réduisait pas non plus son mal être, mais c'était au moins ça d'énoncer à voix haute.
Théa parut prendre conscience qu'elle avait été un peu dure et son expression vacilla. Elle entama un mouvement pour se lever, sûrement pour la rejoindre et la prendre dans ses bras, mais Othilia la devança. Elle se remit sur ses pieds, agitée.
- Je reviens... juste deux minutes...
- Othilia...
Mais elle avait déjà traversé le dortoir en quelques enjambées et claqué la porte de la salle de bain derrière elle. Elle s'affaissa contre la porte. Retour à la case départ.
Les yeux levés vers le plafond, elle tenta de maîtriser sa respiration, un poids dans la poitrine. Morgane, ce qu'elle pouvait détester quand Théa la mettait face à elle-même. Elle avait raison de le faire et elle l'aimait pour ça. C'était le rôle qu'elles s'étaient données l'une l'autre en tant que meilleure amie, mais le savoir ne suffisait pas à dénouer le fameux nœud dans son estomac qui ne voulait décidément pas la quitter. Aileen et Théa venaient de lui dire de lâcher prise. De ne plus voir ses actions et ses relations comme une performance ni une compétition. Le problème, c'est qu'elle ne voyait pas comment y parvenir. Comment est-ce qu'on luttait contre soi-même ? Contre ce qui semblait ancrer en elle depuis l'enfance ?
Frustrée, elle expira lentement, juste pour vider l'air de ses poumons et se donner l'illusion de respirer plus librement. Elle refusait de se mettre à pleurer de toute façon. Si la fierté était tout ce qui lui restait, elle allait s'y accrocher ! Et puis, il était hors de question de revenir dans le dortoir et d'afficher ses yeux rougis devant Théa et Aileen. Il fallait juste qu'elle se reprenne. Et vite. Elle ne pouvait pas rester éternellement cachée dans cette salle de bain.
Elle s'apprêtait à se retourner et à rouvrir la porte lorsqu'elle entendit soudain du mouvement de l'autre côté du battant. Figée, elle pria pour que ça ne soit pas Elicia Jauncey ni Clémence Laveau qui revenait au dortoir – son humiliation avait ses limites – mais la voix de Théa fusa soudain, haute et claire :
- Non, non t'inquiète pas, tu déranges pas... Mais qu'est-ce que tu fais là ?
- Hum... J'étais venu te demander un service. Si tu veux bien ?
Othilia sentit son cœur louper un battement, comme si elle avait trébuché dans les escaliers. Oh par tous les mages... Il fallait que ça soit Julian ! Elle manqua de se frapper la tête contre le mur.
- Demande toujours, fit Théa, une certaine tension dans la voix.
Elle semblait presque mal à l'aise et Othilia imagina parfaitement le regard horrifié, chargé de sens, qu'Aileen et Théa avaient dû échanger en voyant Julian débarquer alors qu'elle était en train de faire une crise émotionnelle dans la salle de bain.
- Ok... Tu sais qu'il y a une sortie de prévu aujourd'hui ? Et depuis que je suis arrivé, j'ai toujours été au Village, mais j'ai jamais tenté Salem...
- Oh, c'est vrai, réalisa Théa. Mince, on t'a fait louper l'expérience du village hanté ! Tu voulais que je t'accompagne ?
Il y eut une pause, comme si c'était au tour de Julian d'être gêné, et elle se colla un peu plus à la porte pour entendre sa réponse.
- Pas vraiment, non... détrompa-t-il avec une pointe d'excuse dans la voix. Je vais y aller aujourd'hui, mais... Enfin, je veux dire, c'est Noah qui m'emmène...
L'aveu plongea le dortoir dans le silence. A ce stade, ils avaient dépassé la gêne et le mal l'aise, elle le savait. Si ses entrailles ne s'étaient pas à ce point tordues, elle en aurait sûrement ri. Elle aurait tout donné pour voir les têtes de Théa et d'Aileen à cette seconde en tout cas et d'ailleurs les deux filles mirent plusieurs secondes à répondre, sûrement trop sonnées pour réagir. Théa se reprit la première.
- Noah ? répéta-t-elle, l'air sidéré. Attends, laisse-moi voir si j'ai compris. Noah Douzebranches t'emmène à Salem ? Pour la Saint-Valentin ?
- Ouais...
- Sérieusement ?
- Faut croire... On se fondera plus dans la masse, ça sera moins risqué. Et je sais pas, mais je crois qu'il veut juste... faire les choses bien cette fois, tu vois ?
Inconscient de ce qui se jouait, le ton de Julian sonna innocent, presque porteur d'espoir, mais il n'aurait pas pu lui faire plus mal s'il avait essayé. Une boule brûlante dans la gorge, elle ferma les yeux, traversée par une flèche douloureuse. « Il veut juste faire les choses bien cette fois ».
D'un coup, elle se retrouva projetée l'année dernière : elle revoyait sa réticence à accepter les chocolats qu'elle lui avait offert juste pour rire – mais avec une pointe de sérieux qu'elle n'aurait jamais avoué malgré tout – et la dispute qui s'en était suivi. Depuis qu'elle le connaissait, Noah n'avait jamais aimé la Saint-Valentin particulièrement. Il avait toujours dit qu'il n'aimait pas se plier à un calendrier arbitraire, que dédier une seule journée à l'amour était plus commerciale que romantique, qu'il pouvait bien avoir des gestes envers elle le reste de l'année... Et voilà qu'il emmenait Julian Shelton a un rendez-vous à Salem ce jour-là précisément. Parce qu'il voulait faire les choses bien.
Elle en aurait hurlé. Elle avait envie de frapper quelque chose. Noah ou Julian de préférence. Ce fut aussi soudain que la sensation sourde de tristesse qui l'habitait depuis ce matin : cette fois, c'était une colère chauffée à blanc qui l'embrasa et elle serra les mâchoires, attentive à la suite de la conversation.
- Les choses bien... par rapport à ce qui s'est passé l'année dernière ? demanda Aileen avec réticence. Comment il t'a traité ?
- Hum, oui... oui, c'est ça.
- Je vois...
Othilia se retint de rouler des yeux. Il était évident qu'Aileen ne faisait que l'énoncer à voix haute pour elle, retranchée dans sa salle de bain, et elle aurait pu lui en être reconnaissante si la nuance avait eu de l'importance. Honnêtement, elle n'était pas en état de l'entendre.
- Ok, j'essayerai de me remettre de mon passage dans la troisième dimension plus tard, lança Théa. Et du coup, le service que t'avais à me demander ?
- Ouais... Alors je sais qu'Aileen veut rester au château pour travailler sur l'article du tournoi d'échecs, mais du coup... disons que Liam s'est mis en tête de venir avec nous. A Salem.
- Liam veut venir... ? Oh non !
L'éclat de rire de Théa sembla instinctif et elle imagina immédiatement le regard blasé de Julian face à sa cousine.
- C'est ça, c'est très drôle... grinça-t-il.
- Un peu, ouais. Quoi, c'est pas ton rêve romantique par excellence ? Un ciel bleu, un lieu historique, Noah et toi, et évidemment Liam à côté qui n'arrive pas à se taire ?
Même à travers la porte, elle devina le rire d'Aileen, déguisé en quinte de toux peu discrète.
- Théa...
- Pardon, pardon. Mais vraiment, je vois pas ce que tu veux que j'y fasse, Ju'. On ne peut pas vraiment dire à Liam la vérité, non ?
Non, c'était impossible. Et Othilia savait que c'était sans doute mesquin, mais elle y trouva une pointe de satisfaction.
- On ne peut pas, non, convint Julian. Mais je me disais que... tu pourrais peut-être l'occuper ? Faire diversion ? Juste cette après-midi, le temps de la sortie à Salem.
- Quoi ?
- Je sais pas, tu pourrais passer la journée avec lui, non ? Comme ça, il ne serait pas tout seul et surtout il ne sera pas avec moi.
- Au risque de me répéter : quoi ? s'étrangla Théa. Non, non, Ju', tu ne peux pas sérieusement me demander de passer la journée avec Liam Cooper ! Me fais pas ça !
- S'il te plaît, juste quelques heures...
- Non, j'ai des choses à faire. Je dois... je dois rester avec Othilia, et puis peut-être réviser encore pour le tournoi d'échecs et...
Entendre son prénom la fit presque sursauter. Elle prit sa décision en une seconde : il était hors de question que Théa l'utilise comme excuse. Et elle avait passé assez de temps dans cette salle de bain à se morfondre. Sans cérémonie, elle ouvrit donc la porte d'un geste certainement un peu trop sec car elle fit sursauter les trois autres dans le dortoir. Ils se tournèrent vers elles d'un même mouvement, les yeux écarquillés.
- C'est bon, Théa, t'en fais pas pour moi, tu peux y aller, rassura-t-elle en faisant peser son poids sur la chambranle, bras croisés. (Elle réussit à étirer ses lèvres en un sourire qui devait plus tenir de la grimace qu'autre chose). J'avais dit que je restais aider Aileen de toute façon.
Du coin de l'œil, elle vit littéralement la mine déconfite de Théa qui paraissait lui hurler silencieusement « mais à quoi tu joues ? ». En vérité, elle ne savait pas trop. C'était à la fois une revanche pour reparler à Julian et lui avoir fait la morale avec un peu trop de franchise mais aussi par sincère curiosité. Théa Grims et Liam Cooper toute une après-midi ensemble ? Elle demandait à voir.
De toute façon, ce n'était pas tant la réaction de sa meilleure amie qui l'intéressait pour l'instant. C'était celle de Julian.
Face à elle, il était planté au milieu de la pièce et elle vit clairement à son expression décomposée qu'il ne s'attendait pas à la trouver ici. Dommage pour toi, pensa-t-elle avec une pointe de mesquinerie, c'est mon dortoir. D'un coup, les émotions valsèrent sur ses traits et elle n'arriva pas à toutes les attraper au vol, mais elle distingua l'essentiel : l'embarras, le regret, l'envie de tourner les talons et peut-être même une pointe d'appréhension. Elle savait qu'elle n'aurait pas dû, mais elle s'en délecta. C'était une réaction physiologique à ce stade, elle était juste incapable d'autre chose le concernant. Elle ne voulait pas être la seule à avoir mal, ni à avoir honte. Elle voulait qu'il la regarde droit dans les yeux et qu'il voit ce qu'il lui avait fait. C'était trop facile autrement. Il ne pouvait avoir gagné Noah et s'en sortir comme ça.
Aileen fut la première à se râcler la gorge, sûrement plus consciente qu'eux tous réunis de la tension qui traversait la pièce de bout en bout.
- Othilia, Julian ne savait pas que t'étais là...
- J'avais remarqué, oui, fit-elle froidement. Mais c'est pas grave, vraiment ça me dérange pas. Noah fait ce qu'il veut.
Tout dans sa posture devait contredire ses paroles – et elle ne chercha pas à faire davantage illusion – car Julian déglutit, nerveux. L'espace d'une seconde, elle s'en voulut de lui infliger ça. Si elle devait être honnête, elle savait au fond d'elle qu'il n'était pas méchant. Il ne l'avait jamais été, surtout pas envers elle, et il arrivait à donner à Noah ce qu'elle n'aurait jamais pu lui offrir. Mais c'était encore trop tôt pour qu'elle soit rationnelle et elle laissa la colère qui bouillonnait au fond de son ventre l'emporter sur ses états d'âme.
- Noah fait peut-être ce qu'il veut, mais pas moi ? intervint Théa, consternée, avant de se tourner vers Julian et de détourner son attention. Faire diversion, t'es marrant ! Qu'est-ce que tu veux que je fasse ? Un numéro de chant ?
- Oh non, pitié, tu chantes faux...
Elle eut droit à un geste grossier de sa meilleure amie pour toute réponse, ce qui était assez peu caractéristique chez elle pour leur arracher à tous un sourire. Julian leva les mains en signe de défense.
- Franchement, je me fiche de ce que tu fais, avoua-t-il en prenant le même ton ironique que Théa, signe qu'il savait que sa cousine ne pouvait pas lui refuser grand-chose. Tu le balades pendant deux heures, tu le plaques au sol, tu l'embrasses même ; mais tu le maintiens loin de nous, ok ?
- Julian !
Ce fut plus fort que sa colère, Othilia laissa échapper un rire à son tour devant le tableau. Au moins, quelqu'un allait passer une pire journée que la sienne...
**
*
Théa passait la pire journée de sa vie. Ou du moins, elle aimait en donner l'impression, juste par principe. Les pieds traînant, elle n'arrivait pas vraiment à croire qu'elle se retrouvait à Salem le jour de la Saint-Valentin avec Liam Cooper, ni comment c'était arrivé. C'était la faute de Julian en tout cas. Et Othilia. Et Noah. Et même Aileen pour ne pas avoir volé à son secours. A croire que son don d'Empathe ne fonctionnait que quand ça l'arrangeait.
- Hum... Tu veux aller boire un chocolat ? Te mettre au chaud ?
Elle tourna la tête vers Liam. Le visage à moitié dissimulé sous un bonnet et une écharpe, il la regardait de biais, l'air incertain devant son mutisme. Le pauvre ne devait pas plus comprendre qu'elle comment il s'était retrouvé à passer la journée en sa compagnie et il tentait d'entamer le dialogue depuis leur départ d'Ilvermorny.
- Quoi ? Oh non, non, ça va... dit-elle en secouant la tête. Ca fait longtemps que je ne suis pas venue à Salem, j'aime bien revoir un peu tout.
- Pas de problème. C'est vous qui décidez, Votre Altesse.
Elle lui donna une tape sur le bras face au surnom, juste pour la forme. Ils retombèrent dans le silence. Alerte, elle laissa son regard vagabonder sur le célèbre village connu pour ses chasses aux sorcières. Ils étaient venus en cheminette par le lien express ouvert entre Ilvermorny et l'Institut de Salem durant les week-end de sorties et étaient toujours du côté magique de la ville. Ils n'avaient de toute façon pas le droit d'en sortir. Faites de ruelles et de vieilles maisons en bois ou en pierres grises, Salem avait du charme, surtout recouvert par la neige de février qui rendait l'atmosphère presque éthérée. Chacun de leur pas crissait sur le sol blanc et Théa aurait pu admirer le paysage encore un moment si elle n'était pas consciente de sa mission à mener à bien.
Tenir Liam éloigné de Noah et Julian, quelque part dans ces mêmes ruelles. Autant dire qu'elle avait la sensation de jouer à un cache-cache géant dont la règle était justement de ne pas trouver l'adversaire.
Le silence devait devenir trop lourd à supporter car Liam se râcla soudain la gorge.
- Hum... Théa ?
- Oui ?
- Tu sais, si tu ne voulais pas venir avec moi, y'a pas de problème... Tu peux rentrer au château et on se retrouve plus tard. Je voulais sortir un peu histoire de changer de décor et me vider la tête, mais je ne veux pas te forcer...
Elle cilla, les mains engourdies, et les plongea dans ses poches en quête d'un peu de chaleur.
- Quoi ? Non ! s'exclama-t-elle avec un temps de retard. Pardon, je suis juste un peu distraite, ça n'a rien à voir. T'as raison, c'est bien de... changer de décor. Je t'écoute, pardon.
- Je ne disais rien de particulier, se moqua-t-il. Mais j'avoue, je suis curieux. Qu'est-ce qui se passe dans la tête de la reine des glaces pour la rendre muette à ce point ? Donne-moi le secret, je le réutiliserai la prochaine fois.
- Eh !
Cette fois-ci, la tape sur son bras fut bien plus virulente et Liam s'écarta dans un éclat de rire. Un nuage blanc s'échappa de sa bouche.
- T'es bête, Cooper. Et je ne pensais à rien en particulier. Juste le tournoi d'échecs où je vais te battre à plat de couture, mon entretien d'orientation, et peut-être la meilleure façon de cacher ton corps sous la neige !
Elle désigna le bas-côté, recouvert d'un épais manteau glacé, avec air calculateur. Liam siffla.
- Vaste programme tout ça, commenta-t-il, un rire dans la voix. Et ne sois pas trop sûre de toi pour le tournoi, je me suis entraîné.
- Oui, tu t'es entraîné. Avec moi. Donc crois-moi, je n'ai aucun doute sur le fait que je vais t'écraser.
Elle releva le menton, juste pour renforcer une confiance qu'elle n'était pas sûre de ressentir, mais Liam ne parut y voir que du feu et revint à côté d'elle en souriant.
- On verra le jour J, Votre Altesse. Je ne partirai pas sans me battre. (Il réajusta son écharpe autour de son cou). Et ton entretien d'orientation au fait ? J'ai même pas pensé à te demander comment ça s'était passé. Les profs t'ont trouvé un royaume à gouverner en sortant d'Ilvermorny ?
De tous les sujets de conversation qu'il aurait pu choisir, elle aurait aimé qu'il évité celui-ci... Elle tenta de retenir la grimace qui lui monta aux lèvres au souvenir de son entretien d'orientation, un poids au creux du ventre désormais familier à chaque fois qu'elle y repensait.
- J'aurais bien aimé... marmonna-t-elle. Non, ils n'ont rien trouvé. Mais je ne leur ai pas donné grand-chose, je crois.
- Ah ?
- Non... Disons que je ne sais pas vraiment ce que je veux faire de ma vie.
- A part être rentière et vivre comme une riche aristocrate dans ton manoir new-yorkais, tu veux dire ?
Elle lui décocha un regard agacé.
- C'est vraiment la seule image que t'as de moi ? Alors vas-y, je te retourne la question : est-ce que les profs t'ont trouvé un avenir à part labourer la terre au fin fond de ta campagne de l'Ogeron et faire un élevage de Nifleurs ?
Son ton mordant eut l'effet escompté. Liam s'empourpra, l'air gêné, et pour cause elle savait que ses origines modestes avaient toujours été un complexe pour lui. Il s'éclaircit à nouveau la gorge.
- Ok, c'est bon. Un partout, le souafle au centre. Bon sang, Votre Altesse, j'avais oublié à quel point tu pouvais être glaciale.
- Le talent...
- Ouais, ça doit être ça, maugréa-t-il, une touche d'admiration dans la voix malgré tout.
Elle cacha son sourire fier dans sa propre écharpe. Devant eux, des formes hautes et sombres se dressèrent soudain et elle s'aperçut qu'ils étaient arrivés sur la place principale, celle où était encore exposée les potences du XVIIe siècle qui avaient servies pendant le procès des sorcières de Salem. Des objets de tourisme qu'elle avait toujours trouvé un peu glauque, mais qui l'étaient encore davantage aujourd'hui avec la neige immaculée qui reposait dessus. Liam s'arrêta pour les contempler.
- Elles me font froid dans le dos... admit-il d'une voix sourde. A chaque fois que je les vois, je pense au Bal des Fantômes et aux sorcières qui apparaissent...
- Ouais... On ne peut pas dire qu'elles mettent l'ambiance au Bal...
Surtout à côté de Marie Laveau, la reine du vaudou. Depuis des années, Théa essayait même de les éviter le plus possible.
- Heureusement que la Justice a changé, n'empêche, commenta Liam, pensif. Ça serait horrible si... enfin tu vois...
Quelque chose dans son ton l'interpella et elle se demanda soudain s'il ne pensait pas à sa sœur, en attente de son propre procès. Le spectre des sorcières de Salem lui sembla soudain plus sinistre de jamais et elle décida de changer de sujet en vitesse alors qu'ils se remettaient en marche :
- Et toi alors ? demanda-t-elle. Ton entretien d'orientation, je veux dire ? Qu'est-ce que t'as dit aux professeurs pour de vrai ?
- Moi ? Oh... Du classique, je suppose. J'ai parlé du journalisme, surtout de la photographie journalistique. Je me dis que ça me plairait bien de tester à plus grande échelle, de couvrir autre chose que les éternels évènements d'Ilvermorny chaque année, même si...
Il marqua une pause, incertain.
- Même si ? encouragea-t-elle, curieuse.
- Même si je ne sais pas si je suis vraiment fait pour ça...
Elle ne parvint pas à retenir un regard surpris.
- Tu plaisantes ? Cooper, t'as un appareil photo greffé à la main depuis que je te connais ! Evidemment que la photo et la journalisme c'est ta voie !
- Peut-être, peut-être ouais... convint-il, même s'il n'avait pas l'air totalement convaincu. (Il soupira, exhalant un nouveau souffle blanc dans l'atmosphère froide). C'est juste que... je ne sais pas vraiment ce que je vaux, tu vois ? En dehors d'Ilvermorny, est-ce que je peux vraiment apporter quelque chose à une rédaction ?
- J'ai envie de te dire que tu ne le sauras jamais si tu n'essayes pas.
- Oui, évidemment, mais... Rah, ça me fait peur je crois. De me retrouver projeter là-dedans tout seul. Sans Aileen. On est un peu un duo depuis qu'on a commencé, on a repris le journal de l'école ensemble. Sérieux, sans elle, je n'aurais jamais eu le sérieux pour m'accrocher ni pour m'améliorer. Je lui dois énormément...
Elle tourna la tête vers lui, étonnée. Il y avait une sorte de gravité dans la voix de Liam, une ferveur qu'elle lui avait rarement entendue, lui qui traitait le monde autour de lui comme une vaste blague la plupart du temps, sauf lorsque ça concernait sa sœur. Visiblement, Emilia n'était pas la seule à avoir le droit à son admiration. La réalisation lui fit un drôle d'effet sans qu'elle sache vraiment pourquoi.
- Mais elle veut faire du journalisme aussi non ? avança-t-elle, pragmatique. Peut-être que tu pourrais travailler avec elle, on ne sait jamais.
- C'est quand même peu probable qu'une rédaction embauche deux jeunes à peine sortie d'Ilvermorny en même temps.
- Peu probable, mais pas impossible. Et puis, même si c'est le cas, vous avez qu'à voir plus grand. Lancez votre journal !
Liam rejeta la tête en arrière, un rire au bord des lèvres.
- Ah Votre Altesse, j'aime votre façon de ne douter de rien ! admira-t-il. Sérieux, Théa, tu sais à quel point c'est dur de lancer un nouvel organe de presse ? Les fonds financiers qu'il faut ?
- Et alors ? Je croyais que j'étais rentière. Faudra bien que j'investisse mon argent. Et puis, si on ne croit pas en ses rêves, personne le fera pour nous. Moi, je vous dis : foncez !
D'un haussement d'épaules, elle fit passer l'idée pour simple, mais elle savait qu'elle jouait les idéalistes sur ce coup-là. Ça n'empêcha pas Liam de la regarder avec un éclat pétillant dans les yeux, l'air presque séduit par la suggestion d'un journal rien qu'à Aileen et lui. Elle le laissa le temps d'y penser quelques secondes tandis qu'il frottait ses mains entre elles pour se réchauffer, pensif, et ils se mirent à remonter une grande rue commerçante.
Il était clairement perdu dans un scénario hypothétique lorsqu'elle le prit de court, taraudée par une question soudaine :
- Eh Liam ? Est-ce qu'il y a un truc entre Aileen et toi ?
- Hein ? sursauta-t-il, sourcil dressé.
- Aileen et toi. Est-ce qu'il s'est déjà passé un truc ? Ou est-ce que tu le voudrais ? précisa-t-elle, habitée par le besoin de savoir d'un coup. Je ne sais pas, je me demandais avec la façon dont tu parles d'elle... Promis, si c'est le cas, je sais garder un secret !
Elle avait même une sacrée expérience, si elle pouvait se permettre d'ajouter. Mais ça, il ne pouvait pas évidemment le savoir. Arrêtés devant une vitrine de café qui vendait des marshmallow en forme de tête de sorcière – Morgane, le mauvais goût n'avait pas de limite – Liam lui décocha un regard éberlué avant qu'un mince sourire tordu ne relève le coin de sa bouche.
- Votre Altesse, est-ce que vous essayeriez de me soutirer des ragots ? s'amusa-t-il d'une voix chantante.
- Non, pas des ragots. Des confidences. Nuance.
Elle battit des cils pour se donner une image innocente et Liam ne la lâcha pas des yeux, sans répondre pour autant immédiatement. Elle allait le pousser un peu plus, soudain désireuse de véritablement savoir s'il ressentait quelque chose pour Aileen, quand une touche de couleur attira son attention à la périphérie de sa vision. Une touche de couleur bleu et bronze.
Horrifiée, elle vit brusquement Julian et Noah s'engouffrer dans la rue commerçante où ils se trouvaient eux-mêmes, inconscients de ce qui se jouait autour d'eux. Oh Morgane ! Elle eut envie de les étrangler. Heureusement que les passants étaient occupés à autre chose parce qu'ils n'étaient pas les plus discrets du monde et elle eut envie de secouer la tête de dépit, consternée. Si elle avait eu le moindre doute sur le fait que Julian et Noah avaient eu besoin de se retrouver aujourd'hui, ils s'envolèrent rien qu'à la vision qu'ils présentaient à l'instant. Franchement, ils auraient pu marcher main dans la main que ça n'aurait pas fait une grande différence : Julian était presque collé contre Noah, une cape jetée sur ses épaules, et ils se dévoraient tellement du regard qu'elle en aurait rougi si la panique ne l'avait pas envahi tel un coup d'adrénaline dans les veines. Car Liam, face à elle, voulu se retourner pour suivre ce qui avait vraisemblablement détourné son attention de leur joute verbale.
Elle réagit d'instinct. Qu'est-ce que Julian lui avait dit déjà ? « Emmène-le en balade, plaque-le au sol, embrasse-le même » ? Elle avait déjà épuisé la première option et il était hors de question qu'elle se lance dans la troisième. N'en restait donc plus qu'une.
Sans cérémonie, elle attrapa Liam par le revers de sa cape d'hiver qu'il avait passé par-dessus ses vêtements moldus et le plaqua contre la vitrine du café derrière eux. Elle avait encore assez de compassion pour lui éviter le sol gelé. Aileen aurait été fière de son empathie ! De son corps, elle lui bloqua la vue en se positionnant presque contre lui et en priant tous les mages pour que Julian et Noah passent sans se faire remarquer.
- Euh... Théa... ? articula Liam, la voix étouffée. Qu'est-ce que tu... ?
Elle releva les yeux vers lui. Dans la manœuvre, elle ne s'était pas aperçue qu'ils étaient plus proches qu'elle ne l'avait anticipé et elle distingua chaque nuance dans ses yeux noisette rendus écarquillés par l'incrédulité.
- Hum... Quoi ? feignit-elle de s'étonner.
- Je dis qu'est-ce que tu fais ?
Comme si ce n'était pas assez explicite, il fit un geste pour les englober tous les deux et notamment ses mains qui le plaquaient toujours contre la vitrine. Elle relâcha sa prise.
- Désolée, s'excusa-t-elle, le visage brûlant. Je... j'avais cru voir...
- Oui ?
- J'avais cru voir deux... souris. Ouais, c'est ça. Deux souris. Elles m'ont fait peur, vraiment désolée.
Liam cligna des yeux.
- Des souris... répéta-t-il lentement. Dans la neige ?
- Hum hum...
- Bon sang, elles sont résistantes !
- Les pires. Elles sont partout où elles devraient pas être, mais c'est un peu la caractéristique des souris, non ? Pas vraiment discrètes. J'en vois souvent à Ilvermorny. Je m'attendais juste pas à en voir ici, j'ai paniqué. Désolée.
Gênée, elle lui tapota l'épaule, comme pour défroisser sa cape, puis recula enfin d'un pas. Liam resta le dos collé à la vitrine, l'air visiblement de se demander s'il ne devait pas appeler des psychomages, et elle trouva l'ironie tellement criante qu'elle se mordit l'intérieur de la joue. Oh par tous les mages, Morgane, et même Albert le chaudron : Julian allait lui payer.
D'un coup d'œil, elle vérifia que l'idiot qui lui servait de cousin avait disparu, mais elle n'en vit aucune trace, ni de lui ni de Noah. Ils avaient dû bifurquer dans une rue adjacente. Quand elle retourna son attention vers Liam, il la fixait toujours, perturbé, mais ne chercha pas à se moquer d'elle. Il hocha simplement la tête doucement pour accepter son explication.
- Euh... d'accord. Je note : la reine des glaces a peur des souris, il faudra la protéger de toute tentative de régicide par ces rongeurs horribles. Promis, votre chevalier préféré se mettra entre vous et le danger, Votre Altesse !
Il lui fit une révérence et son malaise s'envola aussitôt, remplacé par un amusement qu'elle dissimula dans un soupir.
- Merci Cooper. Ton dévouement est grandement apprécié.
- Je m'en doutais. Et Théa ? La réponse est non.
- Non ?
Perplexe, elle lui renvoya un regard perdu et il piétina la neige sur place.
- Non, je ne ressens rien pour Aileen. Et il n'y a jamais rien eu entre nous. Elle et moi, c'est pas comme ça. C'est un peu comme ma deuxième sœur, vraiment. Elle est pas mon type.
- Oh...
Théa assimila l'information. Elle ne savait pas bien quoi en faire, mais une certaine tension la quitta et elle mit ça sur le compte du soulagement pour son ego : au moins elle n'avait pas été aussi aveugle que pour Julian et Noah. Si elle avait véritablement loupé une histoire entre Liam et Aileen, elle se serait sérieusement remise en question.
- Pas ton type, hum ? releva-t-elle avant de pouvoir s'en empêcher. Vas-y, Cooper, éclaire nos lanternes. C'est quoi ton type de fille alors ?
Elle poussa le vice à lui faire un sourire amusée, persuadée que Liam allait lui balancer une plaisanterie dont il avait le secret, mais il resta étrangement stoïque l'espace d'une seconde, tendu. Elle se surprit à attendre soudain la réponse. Elle ne savait même pas ce qu'elle voulait qu'il dise, mais elle voulait l'entendre. Le souffle bloqué dans la gorge, elle le dévisagea donc, cherchant un quelconque indice sur ses traits et il lui rendit son regard, incertain.
Malheureusement, il parut se reprendre à ce moment-là et brisa la tension, rictus retrouvé et bien en place :
- Les brunes évidemment. Allez, venez votre Altesse, on va le boire ce chocolat chaud. Je ne sens plus mes mains.
Juste comme ça, il lui avait échappé. D'un geste souple, il se décolla de la vitrine pour faire un pas de côté et ouvrir la porte du café d'un coup d'épaule. Avec un signe de tête, il lui fit signe d'entrer. Elle mit quelques secondes à bouger à son tour, l'esprit embrouillé, avant de se fustiger. C'était évident que Liam se moquait d'elle comme d'habitude et elle ne devait pas se montrer idiote en tombant dans le chaudron. Valait mieux laisser Albert là où il était.
Et alors qu'elle s'engouffrait dans le café, elle se fit une promesse : oh oui, elle allait définitivement tuer Julian de lui avoir infligé cette journée.
**********************
Verdict ? ^^ Je vous entends déjà fangirler derrière mon ordi haha !
Mais reprenons dans l'ordre. Déjà, le début avec Othilia : je trouvais que c'était important de revenir vers elle pour faire un point sur ses sentiments et sensations plusieurs mois après la rupture. Parce que si Noah et Julian avancent tous les deux plus apaisés, Othilia a encore une cicatrice à vif et ça se ressent. C'est sa vision d'elle-même qui est touchée et ça prend du temps à guérir; les avis er conseils des autres ne sont pas toujours bien reçus et surtout après la douleur vient la colère. Je trouvais ça intéressant que cette colère soit dirigée contre Julian, tout en maintenant l'ambiance plus ou moins ambivalente de groupe autour où ils sont obligés de se côtoyer malgré tout.
Ensuite, la partie à Salem. Désolée pour ceux.lles qui attendaient le date de Jules et Noah, je me suis dit que ça serait redondant avec la partie de noël à New York où ils ont été plusieurs fois tous les deux (à l'hôtel, pour l'anniversaire de Julian etc) et que donc déplacer le curseur vers Théa et Liam serait plus intéressant. On a donc les prémices de quelque chose, à voir si cela aboutira (genre y'a un suspens haha).
Voilà voilà ! Je vous laisse avec le meme de Lina et nous on se retrouve la semaine prochaine. Guettez les story insta, je vais sûrement sortir le jeu du portrait pour ATDM lundi ou mardi ! Love you all !
Rappel de mon insta : @annabethfan15
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top