Chapitre 30 : Happy Birthday, Jules !
Salut tout le monde ! J'ai l'impression que ça fait super longtemps alors que c'est juste les deux semaines habituelles, bizarre. Il fait froid en ce moment, je pense que ça joue sur ma perception : on rentre dans l'hiver, les journées me paraissent longues, et en plus je suis crevée. Vraiment, l'hiver parisien c'est nul. (Oui, j'ai des prises de position forte).
Mais trêve de météo ! Merci à tous pour vos retours sur le dernier chapitre, je suis contente que vous ayez aimé. On continue sur la lancée des vacances de noël avec ce chapitre qui nous fait tout droit basculer dans l'année 1981. Oui, cette année-là, la fameuse, la redoutée... Il fallait bien que ça arrive.
Sans transition ni rapport: quelqu'un a vu le nouveau Hunger Games ? J'ai adoré et je veux bien en parler, hésitez pas à me donner vos avis/retours haha ! J'ai été le voir avec mon frère en plus parce qu'il est de retour en France pour un mois (il fait un PVT de deux ans au Canada) et je suis troooop contente de l'avoir retrouvé, il m'avait manqué cet imbécile mine de rien.
Et sur cette intro assez courte - je suis crevée rappelons-le - je vous souhaite une lecture. On se retrouve en bas !
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Chapitre 30 : Happy Birthday, Jules
« L'amour n'est jamais simple, car il n'est jamais binaire. L'amour a des milliers de visages, a plus de 4 dimensions, il est mouvant, multiformes, insaisissable, durable ou éphémère, irrégulier. L'amour n'est que rarement un cadeau, mais c'est toujours une surprise. »
- Christophe Hilmoine -
// 18 janvier 1981 //
- Joyeux anniversaire, joyeux anniversaire ! Joyeux anniversaire, Julian ! Joyeux anniversaire !
- Vas-y, souffle tes bougies ! Souffle !
- Charly, recule, tes cheveux vont prendre feux. Laisse ton frère souffler...
- Tu prends la photo, Ethan ?
- Allez, Ju' !
Les voix se mêlaient autour de lui et il sourit alors que les dix-huit bougies plantées sur l'énorme gâteau face à lui projetaient une douce chaleur sur son visage. Il gonfla ses poumons d'air au moment où Matthew lui donna une tape sur l'épaule et se pencha en avant. Il souffla aussi fort qu'il le put. Tout autour de la table, les applaudissements de sa famille vint ponctuer la vacillement des flammes ; puis elles s'éteignirent en laissant derrière elle un voile de fumée et une odeur caractéristique.
- Yeah ! lui hurla Matthew dans l'oreille en le secouant. Joyeux anniversaire !
- Matt, lâche-le, s'amusa Leonidas, posté près de la cheminée à fumer une cigarette. Tu vas finir par donner un coup dans le gâteau et j'entends en déguster au moins une part avant.
Tout le monde s'esclaffa. Julian sentit la pression sur ses épaules se relâcher et son meilleur ami retourna s'assoir à sa place, drapé dans sa dignité. A côté de lui, Elizabeth lui adressa un sourire, les mains agrippées à celles de son fils assis sur ses genoux qui lorgnait les bougies éteintes avec intérêt. Quand la lumière se ralluma autour d'eux, ses boucles d'oreilles en or étincelèrent.
- J'espère que t'as fait un vœu, chantonna-t-elle.
- Ouais...
C'était faux. Il avait eu l'esprit trop accaparé par les voix autour de lui pour réfléchir et le moment était passé trop vite pour qu'il se décide sur quelque chose. Il ne savait même pas ce qu'il aurait pu souhaiter. La chute de Voldemort ? Le changement de la loi qui le considérait comme malade mental ? Que Théa lui reparle ? Tout semblait vain quelque part, trop loin de sa portée et il se contenta donc de contempler son gâteau d'anniversaire où s'étalait son prénom en chocolat, heureux de profiter de la journée tout simplement.
Pour la première fois depuis des jours, il n'était pas alourdi par une certaine mélancolie et il sentit son sourire se renforcer quand sa mère le contourna pour venir l'enlacer dans son dos, les bras enroulés autour de lui.
- Joyeux anniversaire, mon grand, lui glissa-t-elle à l'oreille, joue contre joue. (Il n'en aurait pas juré, mais il crut entendre sa voix trembler). Morgane, dix-huit ans... Je t'emmenais à la maternelle hier...
- Maman, rit-il.
Il nota qu'elle commençait à reprendre des expressions et un accent plus américain.
- C'est vrai... Le temp est passé trop vite...
- Tu vas pas pleurer quand même ?
Elle soupira, même s'il la sentait sentir contre lui, puis elle rompit son étreinte pour venir s'assoir à côté de lui, de l'autre côté d'Elizabeth qui avait confié son bébé à Archer pour se mettre à couper le gâteau. Les cheveux attachés en queue de cheval, sa mère le contempla profondément et il remarqua les rides qui marquaient le coin de ses yeux, plus visibles qu'avant. Peut-être le signe qu'elle avait raison... D'un geste tendre, elle tendit la main et effleura ses cheveux doucement.
- Non, je ne vais pas pleurer, rassura-t-elle dans un souffle. Je me dis juste que tu as bien grandi. Il y a dix-huit ans, je te tenais pour la première fois dans mes bras... et je crois que je n'avais jamais aimé personne à ce point.
Si elle n'allait pas pleurer, ce n'était pas certain pour lui. La gorge soudain prise en étau par l'émotion, il détourna les yeux, agité par un sentiment paradoxal. Il était si heureux qu'elle soit là aujourd'hui... L'année dernière, il aurait tout donné pour qu'elle le soit. Mais justement, le contraste avec son anniversaire l'année passée était dur à ignorer, au-delà du fait qu'il pouvait le fêter exceptionnellement en famille grâce aux vacances étendues. A son poignet, il frôla le cadran de sa montre, celle offerte par Noah et ses amis comme un rappel que le temps s'était écoulé sans sa mère, que sa vie avait continué, et que malgré ce qu'il avait tant désiré, le monde ne s'était pas arrêté de tourner quand elle était morte.
Pour reprendre contenance, il se décida pour une touche d'humour.
- Attention, papa va t'entendre... il va être déçu.
- Ce n'est pas la même chose, sourit sa mère en roulant des yeux.
Elle prit une gorgée de champagne alors que les assiettes avec les part de gâteau commençaient à circuler autour de la table.
- Tu verras quand tu auras des enfants, lui dit-elle d'un ton badin. Je ne comprenais pas non plus avant, même si ma mère avait essayé de m'expliquer. On n'aime jamais son enfant aussi fort qu'on aime quelqu'un d'autre sur cette terre. C'est viscéral.
- Hum...
Il ne sut pas quoi répondre. Elle n'avait pas l'air d'en attendre de toute façon et se détourna lorsque sa sœur l'appela, insouciante. Il n'aurait de toute façon pas osé lui dire que la question le mettait mal à l'aise, qu'il n'aurait sûrement jamais d'enfant, que ce n'était pas pour les gens comme lui... Il y avait juste des choses qu'il ne pourrait jamais avoir, mais ce n'était pas un drame. Des gens vivaient très bien sans. Il n'y avait qu'à voir son parrain et Lysandra, heureux d'être à deux et qui dansaient justement ensemble en ce moment même à travers le salon sous le regard admiratif du reste de la famille. Seule tante Cordelia roula des yeux lorsque Lysandra tourna sur elle-même avec élégance, mais il fut sûr d'être le seul à l'avoir repéré.
- Bon, on peut faire les cadeaux, maintenant ? lança Lottie à la cantonade.
- Charly, on n'a même pas fini le gâteau, protesta grand-mère Isadora.
- Et alors ? Allez ! J'offre le nôtre en premier !
Sans laisser le temps à personne de protester, sa petite sœur sortit un paquet caché dans un tiroir du buffet et le lui tendit avec grandiloquence, rayonnante. Il le prit avec méfiance.
- C'est un truc qui va m'exploser au visage, c'est ça ?
- Quoi ? Non, Ju', promis ! C'était pour tes neuf ans, ça.
- Dix ans, corrigea-t-il.
- Ah oui...
Penaude, elle lui renvoya un sourire d'excuse. A leurs côtés, leurs parents rirent, se remémorant sûrement la fois où Charlotte avait voulu qu'on lui offre un nécessaire à potion pour enfants parce qu'ils adoraient y jouer tous les deux petits. Seulement, elle avait pris soin de réaliser un « filtre d'anniversaire » en mélangeant tout et n'importe quoi dedans sans que personne ne s'en aperçoive. Le cadeau lui aurait explosé au visage si son père n'avait pas vu qu'il fumait et ne l'avait écarté à temps. Personne n'avait beaucoup rit à l'époque, mais le temps avait fait rendu l'anecdote plus drôle qu'autre chose.
Plus ou moins rassuré, il entreprit donc de déballer son cadeau. Il était mince et de forme rectangulaire et il songea un instant à un livre mais le relief sous ses doigts n'était pas celui d'une couverture. Il déchira le papier, intrigué, et découvrit... un cadre photo. Mais pas n'importe cadre : il était grand, plutôt de la taille d'un portrait, et plusieurs images composaient l'œuvre globale. Dans le coin en haut à gauche, il y avait par exemple un dessin fait aux crayons de couleurs de quatre personnages en bonhommes bâtons souriants devant le London Eye, grossièrement représenté par un rond et des traits. Il se souvenait de ce dessin. C'était Lottie qui l'avait à quatre ou cinq ans. Juste à côté, une photo de famille avait été placée. On l'y voyait à sept ans, une dent de devant en moins, avec sa sœur et ses parents en train de manger une glace dans le jardin de grand-mère Jeanne. Le pelle-mêle continuait, mêlant photographies, dessins, peintures et même des petits mots griffonnés. Il repéra une photo récente – sûrement de noël dernier – de lui et Leonidas en train de discuter, leurs silhouettes baignées par la fumée de cigarette de son parrain ; mais aussi ses retrouvailles avec Matthew et Hanna, emprisonnés tous dans une étreinte lorsqu'ils s'étaient retrouvés en mars dernier. Il se souvenait vaguement que quelqu'un avait pris une photo à ce moment-là... Liam peut-être ? Ou son père ? Juste en dessous, une autre photo le montrait avec Théa, assis côte à côte dans la salle Alberta sur leur vieux canapé, visiblement en train d'analyser un livre de sortilège. Pas de doute, c'était Liam qui avait pris celle-ci. Il y avait même une copie du dessin qu'il avait lui-même réalisé en cadeau pour Matthew, celui où ils posaient à treize ans devant Poudlard, bras écartés.
- Merlin, mais où vous avez trouvé tout ça ? s'exclama-t-il.
-T'aimes ? se réjouit Charlotte. On a mis du temps à tout choisir, mais ça rend bien, pas vrai ? J'ai fouillé dans les boîtes à photo qu'on a ramené de Londres, Matthew m'a donné des trucs et Théa aussi. J'ai tout choisi, mais c'était l'idée de maman ! Et c'est papa qui a tout assemblé ensemble.
Surpris, il leva les yeux vers ses parents. Que sa mère soit à l'origine de l'idée ne l'étonnait pas vraiment, elle avait toujours aimé les cadeaux personnels et créatifs, c'était dans sa nature. Que son père arrange le tout en revanche ? C'était plus inattendu.
- Il fallait bien que je participe, se justifia-t-il en captant son regard étonné. Et ça demandait une certaine minutie.
- Et de la patience, ce que ni ta sœur ni moi n'avons énormément, ajouta sa mère en riant. On s'est dit que ça pourrait décorer ta chambre ici, que ça devienne vraiment la tienne le temps qu'on reste.
Il hocha la tête, touché. Derrière les mots qu'elle ne disait pas, il entendit la réalité : la guerre pouvait durer encore longtemps et leur séjour chez les Grims aussi. Ils auraient pu aussi trouver un autre endroit où vivre aux Etats-Unis, mais il réalisa avec étonnement qu'il ne l'aurait pas voulu. Le manoir était un peu devenu sa maison et il doutait de toute façon que grand-mère Isadora les laisse repartir maintenant qu'elle les avait enfin retrouvés, surtout sa fille cadette.
- Merci... souffla-t-il finalement. C'est génial.
- C'est vrai que c'est une très belle idée, apprécia Leonidas dans son dos. Allez, à qui le tour ? Matt, je suis étonné que tu ne te sois pas battu pour déjà lui donner ton cadeau.
Julian releva la tête. Maintenant que son parrain le disait, ce n'était pas faux, et il vit un rictus se dessiner sur les lèvres de son meilleur ami qui ne le rassura pas.
- Si tu m'as encore acheté un pull aux couleurs de Gryffondor... prévint-il.
- Quoi ? Non, je sais me renouveler, ça serait pas drôle ! Et t'inquiète pas, c'est pas non plus un bonnet moche, j'ai plus de goût que certaines personnes.
Matthew lui jeta un regard éloquent et il se retint de rétorquer que personne ne l'obligeait à se trimballer tout l'hiver avec sa boule de laine orange informe sur la tête. Patiemment, il attendit donc son cadeau, mais Matthew ne fit pas mine de se lever.
- En fait, j'ai rien pour toi tout de suite, avoua-t-il soudain sans se départir de son sourire. Faudra attendre ce soir. On sort à Time Square et t'auras ta surprise à ce moment-là !
- A Time Square ?
- Ouep !
Il eut extrêmement fier de lui alors que sa perplexité se renforçait. Julian s'apprêtait à demander des précisions – tout en sachant que son meilleur ami ne lui en donnerait aucune, mais ça valait le coup d'essayer – quand sa mère se crispa près de lui.
- Attendez, attendez les garçons... Vous voulez sortir ce soir ?
Matthew pivota vers elle.
- Euh... oui ? fit-il. Dix huit ans, ça se fête ! Et je voulais voir New York de nuit, c'était l'occasion.
- Je comprends bien, mais... Ecoutez, on avait dit que ce n'était pas une bonne idée que vous sortiez seuls avec Ronan encore dans la nature et je maintiens que ce n'est pas prudent. On a fait des exceptions en journée, mais là en soirée... (elle secoua la tête, les traits tirés). Non, je suis désolée, je ne pense pas que ça soit une bonne idée, refusa-t-elle finalement.
Elle avait levé les mains en un geste apaisant, presque une plaidoirie, mais l'expression de Matthew se décomposa malgré tout. De joyeuse et détendue, l'ambiance se tendit brutalement. Elizabeth et Archer s'éloignèrent légèrement avec Archibald, comme pour éviter la crise qui couvait, et il vit Leonidas sortir une cigarette de son étui, alerte. Autour de la table, grand-mère Isadora et tante Cordelia échangèrent un long regard pendant que Théa évitait justement le sien. Il crispa ses doigts sur le bord du cadre qu'il tenait toujours entre les mains.
Il aurait dû le voir venir. Après la frayeur qu'il avait provoqué en allant « acheter des cadeaux de noël » sans prévenir personne, tous les adultes avaient été sur les nerfs dès qu'il s'agissait des sorties. Théa n'avait plus eu le droit de se rendre toute seule chez Othilia toute seule et même Archer, pourtant majeur, avait dû demander la permission pour se rendre à une soirée chez des amis pour le nouvel an. Croire qu'ils feraient une exception pour le soir de son anniversaire était utopique, mais un éclat déterminé s'alluma dans les yeux de Matthew alors que le silence s'étirait, gênant.
- Mrs Shelton, c'est juste pour quelques heures ! plaida-t-il. On sera rentrés avant minuit, même, c'est promis.
- C'est très gentil, Matthew, mais ça ne change rien. S'il arrivait quelque chose...
- Mais c'est son anniversaire !
Comme s'il y avait besoin d'une preuve, il pointa le gâteau – ou ce qu'il en restait – au centre de la table. Sa mère pinça les lèvres, l'air désolé. Elle ne rencontra pas son regard et il sentit la frustration naître dans le creux de son estomac. Son émotion dû se refléter sur son visage car Leonidas posa soudain une main sur son épaule avec apaisement tandis que Lysandra adressa un regard d'avertissement à son neveu.
- Matt, ce n'est pas ta décision, dit-elle fermement. Vous pouvez sortir cette après-midi à la limite.
- Mais la surprise fonctionne pas, faut que ça soit ce soir !
- Il fallait prévoir avant.
- Mais c'est ridicule ! protesta-t-il, agacé. Il est venu ici parce que c'était dangereux en Angleterre. On peut pas sortir là-bas à cause des mangemorts. Et là, alors que le but c'était d'y échapper, on peut pas sortir non plus à cause d'un timbré qu'on n'a même pas vu depuis des mois ? Et qui s'est peut-être échappé au Mexique pour tout ce qu'on en sait ? Faut arrêter !
La voix de Matthew, montée dans les graves à mesure qu'il énonçait son incompréhension, claqua dans toute la salle à manger. La tension se renforça d'un cran. A la mention de Ronan, Cordelia et sa mère tressaillirent et il vit cette dernière se tourner vers son père, cherchant du soutien. A son regard, il comprit que sa décision s'alignerait avec celle de sa mère. Dans son ventre, la frustration se mua en colère : c'était son anniversaire, Matthew avait raison. Ils pouvaient faire un effort. Mais son écart de conduite à noël pour retrouver Noah jouait en sa défaveur... Il ravala la boule chauffée à blanc dans sa gorge. S'il n'avait pas eu besoin de le retrouver en douce – si une loi ne les y obligeait pas – alors peut-être que les choses seraient différentes à l'instant. Peut-être que ses parents auraient été plus indulgeant pour le laisser sortir ce soir. Techniquement, il aurait même pu se passer de leur autorisation : après tout, il était désormais majeur sur les deux continents. Seulement, il ne se voyait pas aller contre un ordre direct. Ce n'était juste pas dans ses habitudes.
Les oreilles bourdonnantes, il entendit vaguement Lysandra reprendre Matthew pour son impertinence, coupante, et il s'en voulut d'infliger ça à son meilleur ami. Aucun mot n'avait réussi à sortir de sa bouche et il prit conscience que s'il commençait à vouloir plaider sa cause, une dispute éclaterait forcément. Il ressentait la même envie d'hurler que cet été lorsqu'il avait explosé contre sa mère : il ne voulait pas que ça termine comme ça aujourd'hui, pas un jour de fête. Ce n'aurait été juste pour personne.
Au lieu de ça, il se leva brusquement, la poitrine comprimée. La main de Leonidas chuta de son épaule.
- Je reviens, marmonna-t-il sans rencontrer son regard.
- Non, Ju', attends... appela son père, défait.
Mais il n'écouta pas. Il avait juste besoin de quelques minutes ou sinon il allait se joindre à Matthew et il avait peur des mots qui pourraient franchir ses lèvres sous le coup de la colère. Deux à deux, il monta donc les marches et atteignit sa chambre avec soulagement. Il réussit même à refermer le battant sans le faire claquer trop fort. Le souffle court, il se laissa basculer sur son lit.
Joyeux anniversaire en effet, pensa-t-il cyniquement.
Mais être seul l'apaisait déjà. En bas, il avait senti le regard de toute la famille braqué sur lui et la sensation lui laissait encore un drôle de malaise sous la peau. Il songea au conseil de Leonidas à l'hôtel : ne fais pas semblant d'avoir pardonné à ta mère si ce n'est pas le cas. Il supposait que s'isoler au lieu de la confronter au milieu d'un repas de famille rentrait quand même dans cette case. Il ne feignait pas d'aller bien, mais il ne voulait pas non plus lui faire du mal... Il n'avait pas l'explosivité de Théa, de Noah ou même de Matthew.
Dans un sens, il pouvait même comprendre la peur de sa mère. Là encore, Leonidas l'avait dit : elle l'avait laissé entrevoir ses traumatismes, ses cauchemars qui la hantaient depuis son adolescence, et tout ça prenait la forme d'un seul homme. Revenir aux Etats-Unis alors qu'il s'était échappé devait être comme du sel sur des plaies à vif. Les cicatrices avaient été rouvertes. Il ne pouvait pas lui en vouloir pour ça, pas alors qu'il vivait lui-même la peur au ventre la plupart du temps à cause de sa relation avec Noah. Le contexte était certes différent, mais il connaissait l'anxiété qui étouffait et que personne ne pouvait calmer avec des mots rationnels. Le comprendre et le savoir ne rendaient simplement pas la situation moins frustrante.
- Je peux entrer ? fit soudain une voix derrière sa porte.
Il reconnut Théa en une seconde. Tendu, il se redressa en position assise et fixa le battant avec perplexité. Sa cousine était peut-être la dernière personne qu'il avait imaginé le suivre au vu de la distance entre eux en ce moment. Plusieurs secondes filèrent avant qu'il ne s'éclaircisse la gorge et lance :
- Euh... oui... c'est ouvert.
Il attendit encore le temps de deux battements de cœur erratique, puis Théa se glissa dans la pièce. Il eut juste le temps d'entendre des voix étouffés au rez-de-chaussée avant qu'elle ne referme la porte dans son dos et il la dévisagea, incertain. Elle portait ses cheveux lâchés et ses deux mèches plus courtes formaient presque une frange maintenant devant ses yeux, ce qui ne l'aida pas à discerner son expression. Elle finit par pousser un soupir.
- Ne dis pas que je t'avais pas prévenu, le jour où t'es arrivé... voilà ce que ça donne.
- De quoi ? De faire partie de la famille la plus dysfonctionnelle d'Amérique ? se remémora-t-il.
- Précisément. Et allez, arrête de me regarder comme ça. Je ne mords pas.
- Parfois je me demande...
Elle eut un vague sourire en coin.
- Non, promis. Je suis juste meilleure que toi en duel. C'est de ça dont tu devrais avoir peur.
- Oh la ferme...
L'insulte était sortie toute seule, spontanée, et Théa haussa un sourcil avant d'éclater de rire, visiblement prise de court. Il grimaça.
- Désolé, s'excusa-t-il.
- T'inquiète, je le prends comme un honneur. (Elle porta la main distraitement à sa baguette dont la pointe dépassait de la poche de sa robe de sorcière indigo, puis désigna le lit). Je peux ? Je me suis dit que... faudrait qu'on parle, toi et moi.
Ce fut à son tour d'être pris au dépourvu. De tous les jours – voire de tous les moments – que sa cousine aurait pu choisir, il avait fallu que ça soit celui-ci.
- Faudrait, oui... souffla-t-il.
Malgré l'appréhension qui le saisit soudain, il se voyait mal refuser et se décala donc pour lui faire de la place. Théa vint s'assoir près de lui, au bord du lit, les jambes dans le vide et les mains sagement posées sur ses genoux en une posture tout sauf naturelle. La tension qui les enveloppait depuis quelques semaines retomba sur eux, lourde et palpable, presque paralysante. Il la laissa trouver ses mots en premier.
- Je sais que ce n'est sans doute pas le moment idéal, entonna-t-elle d'un timbre cassé. Ça fait juste plusieurs jours que je me dis que je dois te parler, mais je ne le fais pas... Alors pour une fois qu'on est tous les deux...
- Tu t'es dit que m'engueuler serait un super cadeau pour mon anniversaire, acheva-t-il avec fatalisme.
Théa lui coula un regard de biais, sourcils froncés.
- Non... contra-t-elle. J'aurais tous les droits de t'engueuler, mais non. Ce n'est pas pour ça que je suis venue.
- Oh... on aurait pu croire. J'ai l'impression que tu veux m'arracher les yeux depuis le début des vacances.
Il ne mentait pas. Dès qu'ils se retrouvaient dans la même pièce, il sentait son regard brûlant et il n'oubliait pas les piques qu'elle lui avait jeté, même en présence des adultes. Celle sur le fait qu'il ne voulait pas l'accompagner chez Othilia, assorti d'un rictus de connivence, restait un coup bas.
- Je ne dis pas que l'idée ne m'a pas traversé l'esprit, nuança Théa, les doigts crispés sur les plis de sa robe. Mais ça y est, la colère est passée, je crois... Maintenant, je suis juste... déçue.
Le mot eut un accent de sentence dans sa bouche et il tressaillit. La boule chauffée à blanc était de retour.
- Pourquoi ? s'étrangla-t-il. Parce que je n'aime pas les filles, parce que j'ai fait du mal à Othilia ou parce que c'est Noah que j'ai choisi ?
Honnêtement, il n'aurait pas été surpris si Théa lui répondait les trois. Pourtant, elle pencha la tête sur le côté, songeuse, et finit par trouver sa réponse.
- Non... parce que tu ne m'en as pas parlé, murmura-t-elle.
- Théa...
- Je sais. Sur le papier, je sais que ça paraissait impossible, surtout vis-à-vis d'Othilia. Mais je ne sais pas... Ca va au-delà de ça. Je me suis confiée à toi toute l'année. Je t'ai dit des choses dont je n'avais plus parlé à personne depuis des années, à part peut-être des brides à Othilia, mais elle est ma meilleure amie. Je t'ai emmené dans la nurserie pour te parler de Théo...
Sur le nom de son frère jumeau, sa voix flancha brièvement. Elle reprit toutefois avant qu'il n'ait pu la couper, emportée par son élan :
- Et je me rends compte que la réciproque n'est pas vraie du tout ! A aucun moment tu m'as parlé de ta mère, de ce que tu vivais, de te relation avec Hanna même. On a passé des heures ensemble toute l'année sur le Rituel d'Ancrage, tu connaissais la vérité sur mon père ! Et rien en retour, rien. Comme si j'étais une étrangère...
- Théa, je ne pouvais pas te parler de Noah, tu le sais ! Personne ne savait à ce moment-là, à part Matthew et il avait deviné.
- Mais je te dis, je ne parle pas que de Noah ! Fais pas semblant de ne pas comprendre.
Son premier instinct fut de se braquer. Peut-être qu'elle avait raison, peut-être qu'il ne lui avait rien confié de profond comme elle avait pu le faire... Et alors ? eut-il envie de lui jeter au visage. Qu'est-ce que ça prouvait ? Il ne lui devait rien. Il ne devait rien de ses sentiments ni de sa vie à personne, pas même à Théa. Il avait été là pour l'écouter et la réconforter, mais ça ne signifiait pas qu'il devait se dévoiler en retour.
Et puis soudain, une prise de conscience le frappa. Théa était injuste. Il lui avait bien avoué quelque chose. Certes, il avait été au pied du mur à ce moment-là, mais il l'avait fait et il releva les yeux vers elle en le réalisant. Elle était toujours tournée vers lui, expectative.
- T'es la première à qui je l'ai dit pour de vrai... protesta-t-il à voix basse. A qui je l'ai vraiment dit sans détour.
Elle fronça les sourcils.
- Dire quoi ?
- Que je suis gay...
Comme la première fois, le mot sonna étrangement à ses oreilles, déformé par tout ce qui pesait derrière. En écho, il entendit les insultes de Manfred et son professeur de Droit Magique récitant les grandes lois sorcières, dont celle des Bonnes Mœurs. Il entendit aussi le « je suis amoureux de toi » de Noah, murmuré tel un secret dans une chambre d'hôtel. C'était un mince éclat de lumière au milieu de la tempête qui s'agitait en lui, orageuse, mais un éclat tout de même.
A côté de lui, les traits de Théa furent traversés par la réalisation et elle le dévisagea.
- Oh...
- Ouais... je sais, c'est dur à croire, mais... je ne l'avais jamais dit à voix haute, avoua-t-il, mal à l'aise. A personne. Ni à moi-même, si on y regarde bien. Je n'avais même pas réussi à le dire à Hanna, j'avais simplement insinué que ce n'était pas une fille que j'avais rencontré à Ilvermorny... comme si ce qui comptait le plus, c'était ce que j'avais fait, pas ce qui j'étais...
- Mais à moi... ?
Il déglutit.
- Oui, à toi je l'ai dit, souffla-t-il. Parce que je te faisais confiance et que je ne voulais plus te mentir.
- Pas alors que tu venais de le faire en me faisant croire que si Othilia t'en voulait, c'était justement parce que t'étais gay ? Et pas parce que son copain la trompait avec toi ?
A nouveau, il tressaillit. Il se souvenait précisément de ce moment dans le couloir et il n'en était pas fier. Il avait même été injuste avec Othilia – il n'était plus à une fois près – en sous-entendant que c'était la raison pour laquelle elle était en colère contre lui. Il avait voulu gagner du temps, mis face au mur et accusé. Aileen lui aurait sûrement dit que c'était une émotion humaine : personne n'aimait être en porte-à-faux devant les autres et il avait cherché à se dérober d'une manière ou d'une autre un peu désespérément.
- Je suis désolé, je n'aurais pas dû, reconnut-il, embarrassé. Mais je voulais voir ta réaction, je n'étais pas sûr... de ce que t'allais penser.
- Honnêtement, je n'aurais pas su non plus. Je ne m'étais jamais posée la question non plus, admit Théa avec prudence. Tu te doutes bien que ce n'est un sujet dont on parle beaucoup ici, à moins qu'oncle Robert ne fasse des remarques... enfin tu vois le genre de remarques...
- J'ai une idée, ouais...
La boule se fit plus brûlante que jamais dans sa gorge. Théa contempla le papier peint de la chambre, le regard fixe.
- Mais je crois que je m'en fiche finalement, jugea-t-elle en haussant les épaules. Qu'est-ce que ça change ? T'aimes les garçons ? Bien, tout ce que ça me dit c'est que t'as des goûts horribles en la matière pour choisir Noah Douzebranches. J'ai survécu une fois avec Othilia, je peux le resupporter pour toi.
- Théa !
L'espace d'un instant, son rire lui permit de respirer plus facilement. Elle eut un petit rictus qui retroussa un peu plus son nez, fière d'elle, puis retrouva son sérieux.
- Vraiment, Ju', je le penses. C'est exactement comme toutes les absurdités de théorie du sang. Je suis sang-pur et ça ne m'empêche pas de savoir qu'un sorcier est un sorcier, peu importe son arbre généalogique. Seule la magie compte. Alors je peux être aristocrate et comprendre que tu vaux autant que tout le monde, même si tu es gay. (Elle marqua une pause et joua avec la pointe de ses cheveux, plongée dans une intense réflexion, avant de poursuivre). C'est l'amour qui compte, non ? souligna-t-elle avec sérieux. Et si je dois condamner quelque chose, alors ça en vaudra la peine. Les gens qui utilisent la magie noire par exemple. Ça, je ne peux pas pardonner. Le reste ? Ce n'est pas le conseil des Guérimages qui va m'apprendre quoi penser et certainement pas de toi.
Ce fut aussi inattendu que brusque, mais les larmes lui montèrent soudain aux yeux. Concentré sur les mots de Théa, il n'avait pas réalisé à quel point il retenait son souffle jusqu'à présent et la libération le fit expirer avec soulagement, le cœur comprimé. Ça faisait plusieurs fois maintenant qu'il vivait cette scène pourtant, il aurait dû finir par s'habituer, mais ce n'était pas le cas. Peut-être qu'on ne s'habituait même jamais à être suspendu au jugement des autres : ça revenait à livrer sa nature profonde à chaque fois, à jouer à un pile ou face, à risquer de se prendre un coup, une remarque qui ferait tressaillir. C'était réaffirmer à chaque fois, droit dans les yeux, qu'on était différent et qu'il fallait bien l'avouer, voire l'expliquer. « Regardez-moi, je ne fonctionne pas normalement et je ne peux rien y faire ».
Et même si c'était épuisant, le soulagement qu'il ressentit face au constat de Théa le réchauffa de l'intérieur. D'une certaine façon, elle savait aussi ce que ça faisait d'être jugée et tout dans son attitude criait qu'elle ne voulait pas lui imposer. Son élan de gratitude envers elle se renforça. S'il y avait une personne dont il ne fallait pas douter, c'était Théa Grims.
- Merci... souffla-t-il, la voix éteinte. Pour tout...
- Pour t'avoir donné une famille et un patrimoine immobilier ? lança-t-elle en reprenant la blague qu'il avait lui-même fait dans la nurserie.
Il laissa échapper un rire étouffé.
- Pour ça aussi, oui. Mais surtout pour m'avoir défendu contre Othilia avant de savoir que...
- Qu'elle avait de bonnes raisons de t'en vouloir ?
- Ouais...
Honteux, il baissa la tête et sa main se mit à pianoter contre son genou.
- Ce n'est pas à moi d'être en colère contre toi pour toute cette histoire, décréta Théa avec douceur. Je ne dis pas que je ne prends pas partie, ça serait clairement mentir parce que je soutiens Othilia mais... si j'en veux à quelqu'un, c'est à Noah. C'est lui qui aurait dû savoir dire stop à un moment, comme tu l'as fait avec Hanna.
Il se mordit l'intérieur de la joue. A proprement parlé, il avait rompu avec Hanna par la force des choses, mais ça n'aurait dans tous les cas été qu'une question de temps. Il était à peu près certain qu'il ne l'aurait pas laissé repartir en Angleterre sans mettre un terme à leur relation ; Matthew ne l'aurait pas laissé faire de toute façon. Mais encore une fois, sa relation avec Hanna n'avait jamais été celle de Noah avec Othilia et il se sentit obligé de le défendre.
- Il le sait, Théa. Il le savait depuis le début, mais il avait peur, c'est tout... Je ne dis pas que ça rend les choses acceptables, mais c'est comme ça... Et à partir du soir du Rituel, on a arrêté. Tant qu'il était encore avec Othilia, on a tout arrêté... je ne voulais pas qu'on continue comme ça.
C'était une exagération, il en avait conscience. Tout arrêter ne prenait pas en compte les regards échangés, les tentatives de flirt, ni même la seule fois où ils avaient craqué et s'étaient embrassé sous la fresque sur la musique de Hey Jude revisitée. Mais ça avait été leur intention du moins. Théa le fixa avec intensité.
- Oh Morgane, comprit-elle, t'as filé un ultimatum à Noah Douzebranches ?
- Hum... on peut dire ça, oui. Enfin, je voulais qu'il choisisse entre Othilia et moi, je ne l'ai pas forcé à la quitter !
La précision lui sembla importante. Il ne voulait pas que Théa s'imaginer qu'il avait monté un complot contre sa meilleure amie mais elle balaya sa remarque d'un geste désinvolte.
- Leur couple aurait explosé à un moment, je ne me suis jamais cachée de ne pas être leur fan numéro 1. Ça avait du sens au début, mais à partir de la sixième année... Noah s'accrochait à elle parce qu'il ne supporte pas l'idée de perdre les gens et Othilia s'accrochait à lui parce qu'elle ne supporte pas l'échec. C'est aussi simple que ça. Non, ce qui m'intéresse c'est que t'as fait ramper Noah Douzebranches pour qu'il te récupère ! C'est brillant ! Mille gorgones, j'aurais voulu être plus attentive pour le voir encore plus !
- Parce que tu le voyais... ?
- Hein ? Oh non, je comprends seulement maintenant, t'en fais pas. J'étais à des kilomètres de me douter... Mais je sais pas, Noah m'a paru étrange depuis la rentrée. Plus que d'habitude, je veux dire. Il était même moins insupportable, mais ne lui répète pas.
Il sourit. Ses larmes s'étaient définitivement taries désormais et il repensa avec humour à tous les moments où Noah s'était plié en quatre pour lui entre la rentrée et les vacances de noël. Théa avait raison : ça avait été divertissant. Mais plus que cela, il avait surtout été fier de lui. Son sourire dû se faire un peu trop niais à cette pensée car Théa le pointa soudain du doigt.
- Oh Morgane, ça va être insupportable... soupira-t-elle.
- Désolé...
- Je survivrai, va. T'inquiète pas.
Comme pour adoucir ses paroles, elle lui donna un coup d'épaule complice et il passa un bras autour d'elle d'instinctivement. Elle souffla un « oh Ju' » contre lui, mais lui rendit son étreinte avec force. Il eut du mal à se dire qu'il y a encore un an et demi, il n'avait aucune idée de son existence. Théa était devenue un pilier depuis que sa vie avait volé en éclat, percutée par la guerre et réduite à un gouffre au vide béant toujours en embuscade à attendre qu'il chute. Ses amis – anciens et nouveaux – l'avaient aussi soutenu bien sûr, Noah le premier, mais Théa était différente. Elle était sa famille tout comme il était la sienne. Et à la façon dont elle le serra dans ses bras, il se dit que le cœur de la reine des glaces était capable de fondre et qu'elle l'avait laissé y entrer, pareil à une petite goutte d'eau dans une mer agitée.
- Eh... je peux t'avouer quelque chose moi aussi ? chuchota-t-elle soudain.
- J'écoute...
-Je... j'ai menti. La dernière fois, je ne suis pas allée voir Othilia... J'ai été parler à Emilia Cooper.
- Quoi ?
Etonné, il s'écarta pour voir son visage, sans la lâcher malgré tout. Elle fronça son nez retroussé.
- Oui, je sais, je sais, c'était dangereux avec Ronan dans les parages et si ma mère et tante Aurelia l'apprennent je suis morte...
- Oh non, j'allais pas dire ça. Je n'étais pas... parti acheter des cadeaux de noël non plus, il y a dix jours.
- Quoi ?
Ce fut à son tour de le dévisager. Puis, la compréhension tomba sur ses traits et elle roula des yeux.
- Evidemment. T'étais avec Noah ? devina-t-elle.
- Ouais...
- Mais alors Leo ? Il sait aussi ?
- Il l'a appris ce jour-là. Je te raconterai une autre fois, c'est une histoire humiliante. Toi, raconte. Avec Emilia, comment ça s'est passé ?
Il pria pour qu'elle n'insiste pas et elle parut vouloir le faire l'espace d'un instant avant de renoncer et d'examiner à nouveau le papier peint, crispée.
- C'était... éclairant, jugea-t-elle. J'ai mieux compris pourquoi elle a fait tout ça, pourquoi elle a voulu aller aussi loin dans sa disparition, mais...
- Hum ?
- ... je n'ai toujours pas compris pourquoi Ronan a passé un an dehors et n'a pas trouvé un seul moment pour moi. Pas un mot, rien. Si je n'avais pas été impliquée à cause de Liam, il aurait pu même venir jusqu'à Ilvermorny sans que je le sache. Quel genre de père fait ça ?
Entre colère et désappointement, elle jeta ses bras vers le plafond et il la contempla avec tristesse. Il se souvenait encore de sa course folle pour rattraper son père en mai dernier, déterminée à ne pas le laisser s'échapper sans l'avoir en face d'elle au moins une fois. Il en avait craché ses poumons en la poursuivant. Aujourd'hui, presque sept mois plus tard, il réalisa que rien n'avait changé. Théa courrait toujours après lui, sans jamais arrivé à saisir le mystère qu'il représentait. Attraper une ombre était impossible après tout.
- Mais bon... marmonna-t-elle. Je ne veux pas me torturer pour lui, je refuse. Il l'a déjà assez fait. (Un mince sourire ourla ses lèvres et son attitude se détendit). Et puis, ajouta-t-elle après réflexion, ça valait le coup d'aller jusqu'en Oregon juste pour voir la tête de Liam quand j'ai débarqué dans sa chambre.
Il éclata de rire.
- La Reine des Glaces rend visite à ses sujets maintenant ? se moqua-t-il.
Elle lui donna un coup de coude pour toute réponse. Il vit littéralement se former sur ses lèvres sa protestation, mais elle n'eut pas le temps de le prononcer. D'un coup, la porte de sa chambre s'ouvrit à la volée et ils sursautèrent si fort que leurs genoux se cognèrent entre eux.
- Bordel, Matt ! jura-t-il en avisant son meilleur ami. Tu vois le bout de bois, là ? C'est fait pour toquer dessus !
- Hein ? Oh, oui pardon !
L'air de n'avoir rien à faire des convenances, Matthew referma le battant derrière lui avec plus de délicatesse malgré tout. Un immense sourire étira son visage et il écarta les bras avec grandiloquence de part et d'autre de son corps.
- Habille toi ! lança-t-il. Allez, dépêche-toi ! Time Square nous attend !
- Quoi ? Mais... il fait nuit ?
Il jeta un coup d'œil vers la fenêtre, comme pour s'assurer qu'il ne se trompait pas. A l'extérieur, la neige s'était remise à tomber et le bleu-gris typique de la fin de journée commençait à embrasser les buildings de Manhattan au loin. Il ne devait pas être loin de l'heure du dîner maintenant.
- Je sais, mais ta mère a dit oui ! Alors grouille avant qu'elle change d'avis, Ju' !
- Sérieux ? Mais comment t'as fait ?
Instinctivement, il se remit sur ses pieds et chercha ses chaussures. En mouvement elle aussi, Théa lui envoya son écharpe de Serdaigle à la figure pendant que Matthew s'adossait au mur, l'air fier de lui.
- Moi ? J'ai juste promis à ma tante de pratiquer mon piano pendant le reste de mes vacances. Tu noteras mon sacrifice pour ta personne. Ensuite, tout le mérite revient à la grande Lysandra Croupton Grims ! Elle a plaidé notre cause avec tes parents, une vraie pro. Même ma mère aurait pas fait mieux et elle est Auror !
- Merlin...
- Ouep ! On a la permission de minuit, alors c'est parti. Je t'embarque.
- Parce que ta surprise tient toujours ?
Un sourire d'enfant terrible se dessina sur le visage au long nez de Matthew.
- Oh oui, affirma-t-il.
Et c'est comme cela qu'il se retrouva en plein Time Square une demi-heure plus tard. En partant du manoir, il avait juste serré Théa une dernière fois dans ses bras en lui promettant qu'ils reparleraient demain, il avait juré à ses parents de revenir à l'heure, et il avait surtout glissé un « merci » empressé à Lysandra et à son parrain avant que la porte d'entrée ne claque derrière eux.
A côté de lui, Matthew bondissait sur le trottoir déneigé par le piétinement des passants toute la journée, son bonnet orange vissé sur la tête. Il aurait été prêt à le lui piquer tant le froid était glacial en ce début janvier 1981, mais il était aussi trop heureux pour s'en soucier. La sensation de liberté que procurait déambuler à New York de nuit était indescriptible et Time Square en particulier. Ils auraient pu être en plein jour tant la place mythique était éclairée par tous ses panneaux publicitaires, véritables vitrines en mouvement grandes de plusieurs centaines de mètres. Elle n'avait gagné son nom de « carrefour du monde » pour rien : Julian avait la sensation d'être au centre d'un spectacle d'architecture et de lumière et il renversa la tête en arrière pour tout voir.
- C'est incroyable, s'émerveilla Matthew à sa gauche.
Il tourna sur lui-même, le visage baigné la lueur des néons, et Julian sourit. Même son horrible bonnet n'avait plus une couleur si terrible grâce aux milles reflets colorés autour d'eux. C'en était même un peu oppressant, surtout à cause de la masse de touriste qui déambulait au milieu de la place et il entendit des accents et des langues diverses s'entrechoquer dans un brouhaha indistinct. C'était un tout à l'image de la ville : il y avait quelque chose à New York qui semblait vous dire que le sommeil était superficiel, que mille choses pouvaient encore arriver, et que le reste du pays n'existait pas au-delà de cette île de fer et de verre.
Distrait par tous les détails qui lui accrochaient l'œil, il sursauta lorsque Matthew l'agrippa soudain par les épaules, excité, et le fit pivoter d'un quart.
- Ah, ma surprise est là ! s'exclama-t-il par-dessus le bruit d'un taxi qui klaxonnait à quelques mètres. Désolé, j'ai pas eu le temps de l'emballer, mais je pense que tu feras ça très bien. T'as capté le jeu de mot ?
- Je...
Mais il n'eut pas le temps de demander une explication. Il repéra brusquement ce que Matthew lui montrait. Debout au milieu de la foule, les mains dans les poches, se tenait Noah. Et il souriait avec le même rictus amusé que son meilleur ami à l'instant alors que sa bouche s'ouvrait sous le coup de la surprise.
- Mais...
- Et voilà ! se réjouit Matthew dans son oreille. Alors, j'ai pas assuré ? Je me suis dit que comme j'avais plus ou moins ruiné votre dernier rendez-vous, je devais me rattraper. Et apprécie mon cadeau, parce que ça a nécessité une rencontre très étrange en amont entre nous pour organiser tout ça !
Sidéré, il se tourna vers Matthew, à nouveau traversé par une émotion indéchiffrable aujourd'hui. Il n'arrivait pas à croire que son meilleur ami ait vraiment organisé une surprise pareille, surtout après le fiasco du début des vacances et il secoua la tête avec reconnaissance.
- Matt...
- Je sais. Allez, pas besoin de remerciements larmoyants. Va le retrouver, je vous laisse une heure et après je reviens de te chercher. Qu'il croit pas qu'il va te garder pour lui tout seul le soir de ton anniversaire.
- Mais tu vas faire quoi ?
Matthew rit.
- Tu crois quoi ? C'est la ville la plus extraordinaire du monde, je vais trouver de quoi m'occuper. Une heure, Cendrillon, file.
Il le poussa vers Noah, autoritaire, et il recula de quelques pas, trop frappé par l'incrédulité pour protester face à la comparaison. Il avait l'impression que des bulles de champagne éclataient dans sa poitrine.
- Tu connais une référence moldue, toi ? lança-t-il pour garder la face.
- Charity fait ma culture, je suis bientôt incollable. Amuse-toi bien, Ju' ! Et évite les hôtels.
- C'est ça...
Toujours à reculons, il fit un geste grossier de la main à Matthew et celui-ci éclata de rire, clairement ravi de se moquer de lui. Le son le suivit alors qu'il pivotait sur ses talons et se dirigeait vers Noah, toujours posté au milieu de la foule. A mesure qu'il se rapprochait, il remarqua les flocons de neige dans ses boucles noires et il rompit les derniers mètres d'un pas pressé, porté par une euphorie mal contenue. Noah l'attira contre lui avant même qu'il ne puisse s'arrêter. Dans l'effervescence qui les entourait, personne ne fit attention à eux et il enfouit son visage glacé dans son cou, incapable de réprimer son sourire.
- Hey... murmura-t-il.
Les bras de Noah se resserrèrent autour de lui, le protégeant de toute manière du monde extérieur.
- Hey, Jules... Joyeux anniversaire.
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Verdict ? ^^
Plein de choses dans ce chapitre : un peu de la vie de famille des Grims, les angoisses de Julian toujours là mais il avance quand même progressivement, la réconciliation tant attendue avec Théa, et bien sûr la surprise de Matthew aka le meilleur ami du monde !
Et avant que vous le demandiez : oui, vous aurez la rencontre entre Noah et Matthew pour organiser cette surprise. Elle sera même au prochain chapitre mouhaha ! Je suis presque déçue de devoir attendre deux semaines pour la poster, ça aurait été drôle d'avoir le retour des filles du salon du livre dimanche prochain mais je n'ai plus assez d'avance pour me le permettre.
Pour donner une idée, j'ai écrit jusqu'au chapitre 34 compris et j'ai désormais 7 chapitres de ATDM de prêts. J'espère pouvoir reposter en alterné à partir de 2024.
Petite précision à laquelle je viens de penser également sur ce chapitre : la description de Time Square est ici complètement fausse haha! Je m'explique : je l'ai écrit en me basant sur mes souvenirs de New York et ce que mon imaginaire voyait en pensant à "Time Square dans les années 80". Bah c'est loupé total. J'aurais dû ouvrir Google avant d'écrire ma description parce que Time Square dans ces années-là était un quartier mal fréquenté, voire dangereux, avec de la drogue et des prostituée. Donc je vous présente mes plus plates excuses : j'ai eu la flemme de changer et de réécrire. Ca ne fait pas authentique ni historique, je suis vraiment désolée... J'aimais bien ma description, je n'ai pas voulu l'enlever et j'avais déjà écrit le rdv de Noah et Julian dans le prochain chapitre qui reprend le quartier de Time Square et de Central Park comme lieux principaux. Il aurait fallu que je change tout et j'en ai pas eu le courage. Voilà !
Et maintenant on se quitte avec les memes de Lina. A dans deux semaines ^^
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