Chapitre 29 : L'esprit de famille
Hello ! J'espère que l'attente n'a pas été trop dur cette fois-ci, on repart sur notre bonne base d'un chapitre toutes les deux semaines haha ! En vérité, j'ai enfin repris l'écriture d'ATDM donc j'espère que pour début 2024 je pourrais reprendre la publication en alterné ^^
Mis à part cela, merci énormément pour vos retours sur le dernier chapitre. Je pense qu'un autel à la gloire de Leonidas ne va pas tarder à être dresser (à côté de lui d'Albert le chaudron très certainement haha).
En vrai, rien de spécial à raconter cette semaine, j'ai juste été super malade mais j'étais aussi en vacances dooonc... Bon un mal pour un bien on va dire ! Fichu mois de novembre. Bonne lecture !
*************************************************************
Chapitre 29 : L'esprit de famille
« Noël, c'est le printemps de l'esprit ; c'est tout une promesse »
- Emile Chartier-
// 24 décembre 1980 //
- T'as une tête de déterré. Sans offense, bien sûr, hein.
- Merci, Matt, je le prends vraiment super...
A moitié dissimulé derrière sa tasse de thé qui peinait à cacher ses cernes, Julian lui jeta un regard noir et il leva les mains en signe d'excuse. N'empêche que c'était vrai. Son meilleur n'avait pas dû beaucoup dormir cette nuit, il l'avait vu dès qu'il avait passé le pas de la porte des Grims il y a quelques minutes, anxieux.
Quand Leonidas était rentré hier, sans Julian, il avait cru que son estomac allait lui remonter dans la gorge : il s'était trompé, Ronan Graves était vraiment impliqué, il avait disparu... Heureusement, Leonidas l'avait vite rassuré en expliquant de façon succincte qu'il avait bien retrouvé Julian et l'avait ramené chez lui. Il avait demandé des détails, mais s'était vu apporter pour toute réponse qu'il attendrait de voir son meilleur ami demain pour avoir des réponses, même s'il avait réussi à capter au vol quelques bouts de phrases chuchotés entre son oncle et sa tante.
A présent, il allait enfin avoir l'histoire entière. Julian l'avait emmené dans la bibliothèque des Grims, une vaste pièce aux murs tapissés de livres et au parquet grinçant. Les fauteuils y étaient toutefois étonnamment confortables et il s'y enfonça un peu plus. Il n'aimait en revanche pas le silence qui s'étirait entre eux, même c'était évident que Julian en avait juste besoin pour souffler un peu. Le problème, c'était que la patience n'avait jamais été son fort et les mots qu'il avait retenus depuis la veille lui brûlèrent les lèvres.
- Je suis désolé, Ju'... lâcha-t-il alors, habité par la nécessité de les expier de sa poitrine. Pour hier, je veux dire. Je pensais pas... enfin je veux dire, je pensais pas que ça tournerait comme ça en demandant à ce que tu viennes à Boston plus tôt.
Julian grimaça.
- Tu pouvais pas savoir...
- Non, non, c'est sûr mais... Tonton n'a pas voulu me dire grand-chose, mais j'ai compris dans les grandes lignes. Il sait pour... pour Noah ?
Il avait hésité une fraction de seconde à prononcer son nom, habitué à le désigner uniquement par son initiale dans ses lettres, mais ça lui semblait stupide d'utiliser un simple « N. » à voix haute. Les doigts crispés sur sa tasse de thé, Julian acquiesça.
- Ouais, il nous a trouvé ensemble... raconta-t-il d'une voix rauque sans tout à fait rencontrer son regard. C'était assez... étrange. Mais ça va. Il a plutôt bien réagi.
- Cool... De toute façon, de tous les adultes qui pouvaient l'apprendre, c'est sans doute le moins pire, non ?
- Je suppose, ouais...
Julian n'avait quand même pas l'air ravi, mais ils savaient tous les deux qu'il avait raison. Leonidas était toujours d'humeur égal, ouvert à la discussion et au monde, il écoutait sans juger. A choisir, Matthew préférait que ça soit tombé sur lui.
- Et vous avez dit quoi à tes parents en revenant ici ? demanda-t-il, curieux.
- Que c'était un malentendu, je devais effectivement venir à Boston mais que j'avais « menti » pour pouvoir aller acheter des cadeaux de Noël de dernière minute avant d'y aller. Leo nous a même fait passer acheter des trucs dans des magasins pour rendre l'excuse convaincante.
Impressionné, il siffla.
- Ok, il fait pas les choses à moitié !
- Ouais, heureusement. Ma mère... bon sang, elle était dans tous ses états quand on est revenu. Elle essayait de ne pas le montrer, mais elle pleurait à moitié, tout le monde y allait de son commentaire... Mon père, surtout. Je sais pas ce qui lui a pris pour une fois, mais je l'ai jamais entendu aussi en colère je crois. Il m'a dit qu'avec Ronan toujours en cavale, je devais un peu plus réfléchir et ne pas les inquiéter encore plus, ce genre de choses...
Les épaules tendues, Julian but une autre gorgée de thé, amer. Il comprenait. La vision d'un Ethan Shelton perdant son calme était déjà assez déstabilisante, mais pour Julian qui n'était en plus pas habitué, l'expérience n'avait pas dû être agréable.
- Je crois que Lottie était contente que ça soit moi qui me fasse engueuler pour une fois, ajouta-t-il d'ailleurs, comme s'il avait deviné à quoi il pensait.
- Oh, c'est son devoir de petite sœur. Je ressens la même chose quand c'est Spence qui prend de temps de temps.
- Mais toi, t'es le grand frère.
- Pas grave, ça fonctionne pareil, assura-t-il avec aplomb.
La pointe d'humour eut le mérite d'arracher un sourire à Julian. L'air fatigué, il replia les jambes contre lui, sa tasse en équilibre précaire sur son genou gauche.
- Si tu le dis... Après j'ai pas voulu protester, je me suis excusé. Leo faisait déjà assez d'effort pour me couvrir et je suppose que c'est mieux que toute la famille pense que je suis juste un peu stupide d'être sorti sans rien dire pour des cadeaux de noël plutôt que d'apprendre qu'il m'avait récupéré dans un hôtel.
- J'imagine, ouais. Mais tu... Attends quoi ?
Le dernier mot le fit se redresser, éberlué.
- Elle avait raison ? s'exclama-t-il sans doute un peu trop fort.
- Hum ? Qui ?
- Ma tante ! C'était son hypothèse à elle !
Il ignora Julian qui porta les mains à ses tempes, l'air de lui demander de baisser d'un ton, et secoua la tête. Comme si sa tante avait besoin d'avoir plus raison qu'à l'ordinaire. Tant pis, sa curiosité était définitivement piquée de toute manière.
- Mais raconte ! exigea-t-il, impatient. T'aurais dû commencer par ça ! Des détails, Ju'.
- Qu'est-ce que tu veux que je dise ? rétorqua son meilleur ami, les joues rouges.
Il lui renvoya un regard éloquent. S'il fallait qu'il l'épelle pour lui, Julian était mal tombé et il le savait : il en était parfaitement capable.
- Me prends pas pour un imbécile, vous n'avez pas été dans un hôtel pour avancer sur son book ni pour regarder la neige tomber. Alors ? Est-ce que je dois aller lui casser la figure pour avoir attenté à ta vertu ou tout va bien ?
- Matt !
Le cri étranglé fit rebondir son nom contre les vieux murs du manoir et Julian devint écarlate. Il n'y avait pas besoin d'être un génie comme Dumbledore pour savoir que ça n'avait rien à voir avec la chaleur de son thé.
- Ah ah ! s'exclama Matthew, victorieux. Allez, crache le morceau ! Vous... vous l'avez fait ?
Il aurait voulu prétendre sa voix ne flancha pas l'espace d'une seconde, mais ça aurait été mentir. A vrai dire, il ne savait même pas quoi penser de l'idée, ni vraiment comment les choses fonctionnaient exactement dans le cas présent ; il savait juste qu'il avait promis de faire un effort. Le problème, c'est que ça n'empêchait pas une pointe de malaise de substituer au fond de son ventre. Il n'aurait juste pas su dire si c'était parce qu'il avait du mal à voir Julian dans ce contexte, s'il trouvait toujours Noah agaçant, ou si l'idée de deux garçons lui paraissaient encore un peu étrange.
En face de lui, Julian hésita, l'air de sentir son malaise malgré sa bonne volonté, puis soupira.
- Non, dit-il finalement, le visage neutre. C'était pas le but, en vrai...
- Ah y'avait un but ?
- Pas précis, non... Mais ça devenait compliqué de se voir à Ilvermorny, surtout maintenant qu'Othilia et Théa savaient. C'était bien pour une fois de juste... pas avoir à regarder par-dessus son épaule toutes les deux minutes. Tu vois ?
En théorie, il voyait, oui. Il ne pouvait que se l'imaginer en tout cas et la perspective parut épuisante. Quand il voulait embrasser Charity dans la salle commune, il le faisait, tout simplement.
- Ouais, je crois, dit-il en une demi-vérité. Et alors ? C'était bien ?
Il y avait un champ très vaste derrière cette question qui pouvait englober beaucoup de choses, mais Julian sembla comprendre de quel aspect il parlait car son teint se colora à nouveau. Un léger sourire se mit à flotter sur ses lèvres.
- Tu veux me le faire dire hein ?
- Complètement. Même si je dois glisser du veritaserum dans ton thé.
- C'est illégal, contra Julian.
- Et ? Qui va venir m'arrêter ? Ma mère ? rétorqua-t-il. Mon père est juge au magenmagot, il m'acquittera.
Et ça, seulement s'ils prenaient le temps de se pencher sur son cas, ce qui n'était même pas une garanti. Il aurait fallu qu'il fasse le poids face à l'Ordre du Phénix pour ça. Les jambes toujours repliées contre lui, Julian roula des yeux, mais son sourire se fit plus franc.
- Ok, très bien, céda-t-il. C'était un peu stressant, j'avoue. Mais... je sais pas, j'ai tout aimé je crois. A des moments, j'aurais même voulu qu'il aille plus loin...
- Sérieux ? Parce qu'il a été jusqu'où ?
La question quitta ses lèvres avant que son cerveau l'avertisse qu'il n'avait peut-être pas envie de savoir, mais il mit ça sur le compte d'une curiosité mal placée. Julian hésita à nouveau, mais il dût se dire que maintenant qu'il était lancé, il n'était plus à un détail près, surtout entre eux. C'était même la première fois qu'ils prenaient autant de précaution pour s'avouer quelque chose, mais il supposait que les circonstances étaient particulières.
- Juste les mains, répondit-il évasivement. Un peu comme toi et Charity, ce que t'avais dit avant les vacances... Juste, on n'a pas été au bout... Leo est arrivé avant.
Il grimaça une nouvelles fois et Matthew ressentit son embarras même à cette distance. Merlin, il aurait changé d'identité et de pays si ça lui était arrivé. Il ressentit une nouvelle fois le besoin de s'excuser.
- Désolé...
- Pas de ta faute, répéta Julian avec fermeté.
- Hum...
Ce n'était pas si évident que ça, mais il laissa couler. Au lieu de ça, une autre question lui vint.
- Et du coup... c'était mieux qu'avec Hanna ? voulut-il savoir. T'en es sûr maintenant ?
A la façon dont Julian se tendit, il sut qu'il venait de faire une erreur. Bien joué, Bones, se fustigea-t-il mentalement, toujours une subtilité à toute épreuve.
- J'étais sûr avant, riposta-t-il d'une voix sourde. Avec Hanna... on s'est juste embrassés, vraiment, et je t'ai dit, ça collait juste pas. Je ressentais rien... dans ce sens-là. Avec Noah... (il baissa les yeux et fit tourner sa tasse de thé entre ses mains), mon cerveau peut arrêter de fonctionner, je te jure que ça serait pareil. Et je ressens... beaucoup plus...
Il aurait fallu que quelqu'un les prenne en photo pour réussir à déterminer lequel rougissait le plus, mais au moins, ils en étaient venus au point crucial. Là encore, Matthew eut l'impression d'être traversé par une compréhension paradoxale : ce que Julian décrivait, il le vivait lui-même avec Charity et n'avait aucun mal à devenir ce qui se cachait derrière ce « beaucoup plus » ; mais dans le même temps il n'arrivait pas à imaginer ce genre de désir pour un autre garçon. Il supposait que c'était la même chose pour Julian en sens inverse.
- C'est bien, jugea-t-il en se râclant la gorge, quand même un peu soulagé. Donc je récapitule, il est doué pour embrasser, il est doué avec ses mains. Ça lui fait quelques qualités au moins !
- Oh Merlin, Matt ! se récria Julian dans un éclat de rire.
Il enfouit son visage contre ses genoux, l'air de regretter d'avoir parlé, et il se mit à rire lui aussi, fier de son effet.
- Pardon, c'était trop tentant. Mais je suis content pour toi en vrai... c'est déjà moins compliqué que l'année dernière.
Julian releva la tête et un sourire se dessina sur ses lèvres, léger mais bien visible.
- Hum, ouais, approuva-t-il. C'était dur de faire pire de toute façon. Et puis, je crois que Noah est juste comme ça... Il a tellement peur que les gens l'abandonnent qu'il se met des barrières tout seul, mais une fois qu'il a confiance...
- Il s'ouvre plus ?
- C'est ça...
Sans qu'il le veuille, son esprit dériva vers Charity et il se demanda soudain si c'était ça qui leur manquait : la confiance ? Est-ce que c'était de là d'où venaient les barrières qu'elle paraissait parfois dresser entre eux, derrière lesquelles elle se dérobait et se cachait sans cesse ? Il faudrait sûrement qu'il lui en parle à la rentrée, ils n'avaient pas pu s'envoyer trop de lettres pendant les vacances à cause du prix des envois transatlantiques, mais il appréhendait déjà le potentiel mur qu'il ne manquerait pas de se prendre s'il tentait de remettre la question sur le tapis volant.
Perdu dans ses pensées, il faillit soudain manquer l'attitude de Julian qui ouvrit la bouche plusieurs fois, l'air de vouloir dire quelque chose mais de se retenir au dernier moment. Il lui jeta un coup d'œil en biais.
- Vas-y, balance, encouragea-t-il.
- Quoi ?
- Ce que tu veux dire et qui tourne dans ta tête trois fois trop vite, balance.
Julian lui renvoya un regard résigné.
- Comment tu fais pour savoir ça ? fit-il en relaissant ses jambes retomber sur le sol.
- Parce que ça fait presque sept ans que j'ai appris à décoder le Shelton. C'est bien plus simple que les runes anciennes.
- T'as même pas pris runes anciennes en option.
- Précisément.
Peut-être que tante Lysandra avait raison en disant qu'il aurait sa place dans une cours de justice à force de toujours vouloir avoir le dernier mot. Julian ne chercha d'ailleurs même pas à contre argumenter. Au lieu de ça, il fixa un point par-dessus sa tête, sûrement les rangées de livres sur l'étagère derrière lui, puis lâcha enfin :
- Il m'a dit qu'il m'aimait... Noah. A l'hôtel, quand on était tous les deux...
- Oh Merlin !
Sous le coup de la surprise, il se redressa si vite qu'il manqua de tomber de son fauteuil. Son taux d'adrénaline venait de monter en flèche et Julian se remit à sourire, visiblement incapable de le réprimer.
- Ouais, je peux citer dans le texte même : «je t'aime, je peux te le dire mille fois si c'est ce que tu veux entendre parce que ça sera vrai à chaque fois ».
- Mais Ju' ! Fallait commencer par ça ! s'indigna-t-il. Ça, c'est une avancée majeure ! Et bordel, le mec est mordu, c'est moi qui te le dire. Pour sortir ça ? Définitivement. Et toi aussi pour le retenir mot pour mot, mais passons.
Julian parut vouloir protester, mais finit par hausser les épaules.
- Je peux pas vraiment dire non, céda-t-il.
- Non, tu peux pas. Mais ok, donc je rectifie ma liste. (Il se mit à compter sur ses doigts). Il est doué pour embrasser, il est doué avec ses mains, et avec sa bouche !
- Avec sa... Matt, bordel !
- Pour les déclarations, pour les déclarations ! s'empressa-t-il de préciser, hilare.
- C'est ça !
Mais son excuse ne lui valut qu'un coussin jeté dans sa direction et il ne prit même pas la peine de l'esquiver, trop amusé. Julian secoua la tête, consterné, même s'il riait aussi et il prit conscience que ça lui avait manqué, juste d'être tous les deux à rire pour des choses idiotes tout en se faisant des confidences. Même si les confidences devaient maintenant être sur un autre garçon. Et puis, ça changeait du sujet Charity qu'ils avaient déjà abordé en long, en large et en travers depuis le début des vacances mais aussi avant par lettres. D'une certaine manière, ça lui donnait l'impression que Julian lui rendait la confiance qu'il lui avait donné et qu'ils étaient à nouveau sur un pied d'égalité.
Il s'apprêtait à demander ce qu'il avait répondu à la déclaration de Noah, mais fut coupé dans son élan avec brusquerie.
- Julian ! appela soudain la voix de sa sœur, lointaine. Viens !!
- Pourquoi ?
- Rien, viens !
Son meilleur ami soupira, agacé.
- Elle me lâchera pas tant que j'irai pas, dit-il en se levant. Je reviens. Elle veut sûrement que je lui fasse une tresse pour le réveillon ce soir.
- Une mission de la plus haute importance.
Julian roula des yeux, mais cria dans le même temps un « j'arrive, Lottie ! » et s'en alla d'un pas traînant. Il se retrouva seul dans la grande bibliothèque. Pour un peu, il en aurait presque été angoissé, même si elle n'avait rien à envier à celle de chez lui à Terre-en-Landes. Simplement, elle faisait beaucoup plus figée, plus aristocratique ; ça se voyait aux tranches des livres bien alignées et polies par le temps. L'ouvrage le plus impressionnant était sans doute le gros grimoire posé sur son présentoir et il se tordit le cou pour déchiffrer les lettres d'or sur sa couverture : Les Chroniques des Grims. Il se souvint vaguement que Julian lui en avait parlé.
Il s'apprêtait à se lever pour aller y jeter un œil, curieux, lorsque la porte de la bibliothèque se rouvrit.
- Ca y est, la tresse est déjà... ?
Il s'interrompit, surpris. Ce n'était pas Julian qui revenait, mais Elizabeth Yaxley, son fils dans les bras. Il la dévisagea, immobile, alors que le petit garçon à la corole de cheveux blonds babilla joyeusement en le découvrant.
- Salut... souffla-t-elle. Désolée de dérange, on m'envoie te chercher. Lysandra et Leonidas viennent d'arriver, je crois qu'ils ont prévu de passer un coup de cheminette chez toi dans quelques minutes. Pour parler à ta famille...
- Oh...
Il se rappela effectivement à cet instant que l'éventualité d'un coup de cheminette le soir du réveillon avait été émise il y a quelques jours, mais il n'avait pas prévu que ça soit Elizabeth-miss fugitive-Yaxley qui viendrait le prévenir.
- Merci... je vais aller voir...
- Pas de soucis. Ça te dérange si je reste un peu ici ? Je voudrais le calmer un peu pour qu'il puisse aller faire la sieste, mais il y a trop de monde en bas, il y arrivera pas avec toutes les sollicitations. Et s'il ne dort pas, il va être infernal ce soir.
- Ah... oui, oui, aucun problème, accepta-t-il, même s'il n'était techniquement pas chez lui. Je connais bien, mon petit frère a presque le même âge. Il devient une sorte de monstre s'il a pas assez dormi aussi, il pleurniche pour tout.
Elizabeth sourit. Dans ses bras, le petit Archibald s'agita et tendit les bras en se tortillant et il réagit d'instinct en levant sa main pour venir prendre ses minuscules doigts entre les siens.
- T'as deux petits frères, c'est ça ? s'enquit-elle en regardant son fils, attendrie.
- Ouais. Spencer et Simon.
- Ah oui. Je crois que j'avais entendu leur prénom quelque part... Mais comme ils sont plus jeunes que toi, je ne les ai jamais vu.
Il lui jeta une œillade étonnée.
- C'est vrai ? Mais... tu te souviens de moi ?
- Vaguement, reconnut-elle. Je ne me souvenais pas de Julian, même s'il m'a dit qu'on avait été à Poudlard en même temps évidemment. Toi par contre, t'étais dans l'équipe de Quidditch de Potter, non ?
Ce n'était pas si lointain, à peine deux ans et demi, mais ça lui sembla déjà appartenir à une autre vie. Habité par un étrange sentiment de nostalgie, il hocha la tête alors qu'Archibald tirait sur ses doigts pour les mettre à sa bouche. Repenser au capitanat de Potter fit ressurgir d'autres souvenirs et il dut se tendre un peu trop car le sourire d'Elizabeth faiblit.
- Tu étais là, c'est ça ? devina-t-elle. Au Tournoi de Poudlard ?
- Euh ouais... J'étais en quatrième année. C'était... une belle compétition.
Même à ses oreilles, son ton sonna faux et il retint une grimace. Elizabeth le perçut aussi, il le vit à la façon dont elle carra les épaules, se drapant dans sa dignité, et elle réajusta son fils sur sa hanche avant d'affirmer :
- J'étais innocente. Je n'ai pas tué Gemma Ackerley, l'épouvantard était trompeur, j'ai juste paniqué.
- Et tu t'es enfuie avant de changer de pays, compléta-t-il sans réellement savoir pourquoi, ni s'il l'accusait de quelque chose.
Un éclat s'alluma dans ses grands yeux bordés de longs cils et elle expira une goulée d'air, abattue.
- J'admets que les apparences étaient contre moi, céda-t-elle. J'ai juste vu une opportunité pour moi et mon fils et je l'ai saisi... je n'avais aucun avenir pour nous en Angleterre, du moins pas celui que je voulais. Ma famille ne me soutenait pas non plus.
- Evan Rosier encore moins que personne, j'imagine, cingla-t-il.
Ce fut plus fort que lui, il n'avait pu encadrer ce type, surtout après qu'il ait appris qu'il s'était enrôlé chez les mangemorts, ce que tout le monde avait déjà pressenti à Poudlard de toute manière. Il n'y avait eu qu'Elizabeth pour fermer les yeux, sans doute. En début d'année, il avait même failli se faire attraper par les Aurors, mais s'en était réchappé de justesse. Ce n'était qu'une question de temps avant qu'il ne commette une erreur qui lui couterait sûrement bien plus.
- Non, reconnut Elizabeth d'une voix enrouée. Je le préfère loin de nous, on s'en sort très bien tous les deux sans lui. Pas vrai, Archi ? souffla-t-elle ensuite en déposant un baiser sur le front de son fils.
- Avec Archer Grims, tu veux dire ?
Il ne cesserait jamais d'être incrédule devant ce couple, véritable coup du destin.
- Tous les trois, oui, se corrigea-t-elle. Vraiment, je réalise la chance que j'ai eu, il a tout accepté de moi. Les erreurs, le passé, les cicatrices... C'est la plus belle preuve d'amour que j'ai vu, bien plus que tout ce que Evan aurait pu me donner.
- Et ça va mieux ? Avec sa famille ? Julian m'avait dit que... c'était compliqué l'hiver dernier.
Il espéra qu'elle ne le prendrait pas mal, mais la princesse de Serpentard avait toujours eu des manières impeccables quand elle ne se moquait pas de ceux qu'elle n'aimait pas comme Alexia Cassidy ou Lily Evans, et si elle le trouva intrusif, elle ne le montra pas. Doucement, elle s'assit dans le fauteuil qu'il avait laissé vide et se mit à bercer son fils dont les paupières commençaient à se faire lourdes.
- Ca a été compliqué, c'est vrai, admit-elle à voix basse, mélancolique. Le début, surtout. Je ne peux pas vraiment les blâmer, il suffisait de me regarder : reniée, étrangère, mère adolescente... Je n'étais pas vraiment idéale pour l'héritier de la famille. Mais Archer a persévéré. Ses parents étaient assez peu coopératifs, mais il avait la chance et la malchance à la fois qu'ils étaient très peu présents. Ils travaillent dans la finance et habitent ici de manière... aléatoire. Alors il s'est tourné vers sa grand-mère. (Elle sourit tristement en regardant dans le vague et il se surprit à écouter avec attention). Isadora est une femme inflexible si je devais la décrire, mais elle sait aussi ce que c'est de perdre sa famille. Elle ne voulait pas que ça arrive avec Archer, même si ça voulait dire m'accepter. C'est elle qui m'a invité à mon premier noël ici l'année dernière et puis assez vite pour des visites à l'heure du thé. On a longuement parlé, elle s'est attachée à Archibald. Doucement, j'ai commencé à faire partie de la famille et mon dossier a été classé par les Aurors en Angleterre, faute de preuve. Le plus dur, c'est quand même toujours avec Cordelia, je crois. Les parents d'Archer se sont résignés en voyant que ma réputation n'était pas trop connue aux Etats-Unis et qu'ils pouvaient s'en sortir en vendant l'histoire de ma rédemption. Cordelia en revanche... Elle déteste trop la magie noire, elle ne me pardonne pas...
- T'en as assez peu fait usage pourtant, non ? la défendit-il sans réellement savoir pourquoi. Je veux dire, c'est pas comme si t'avais eu la Marque.
Elizabeth tressaillit et un fantôme hanta ses traits, souvenir de son autre vie. Elle resserra sa prise sur son fils en train de s'endormir.
- Non, c'est vrai... J'ai utilisé la magie noire une seule fois dans ma vie, Bones, et j'en fais encore des cauchemars. Tu sais pourquoi ?
A la manière dont elle leva soudain un regard grave sur lui, il fut persuadé au plus profond de lui qu'elle ne parlait pas simplement d'une amulette ensorcelée, mais d'une magie bien plus sombre. Il secoua la tête, glacé.
- Non... ?
- J'ai utilisé la magie noir une seule fois... Parce que même si je dois en rêver jusqu'à la fin de ma vie et regretter mes choix, je referai celui-ci, souffla-t-elle en replaçant une de ses mèches blondes en arrière. Chaque décision que j'ai prise depuis ce jour-là ont été pour mon fils, pour lui et lui seul. Pour que je puisse toujours le regarder dans les yeux et lui dire qu'il m'a fait changer. Que grâce à lui, je n'étais plus l'héritière des Yaxley, ni la fiancée de Rosier, ni même la princesse des Serpentard. J'étais sa mère. Et que ça restera à jamais mon plus beau rôle, ce qui a fait ressortir le meilleur de moi.
Le dernier mot, prononcé avec un éclat étranglé, arracha un frisson à Matthew. L'absolu qui habitait Elizabeth était presque effrayant, mais incroyablement touchant aussi et il se la réflexion qu'il était en miroir avec l'absolu de la guerre. Elle avait raison : il n'y avait que le pire de l'homme pour faire ressortir le meilleur de la femme. Ce qu'énonçait Elizabeth aurait pu être une ode à tous les sacrifices que les mères faisaient alors que la société basculait en ce moment même sous les pieds des enfants qu'elle avait mis au monde. Il l'avait vu chez Aurelia Shelton, prête à feindre sa mort pour protéger sa famille ; il le voyait chez sa mère dès qu'elle enfilait sa tenue d'Auror et son air déterminé pour qu'aucun de ses fils n'ait à le faire.
D'un coup, il eut envie de lui parler, de la voir... Elle lui manqua comme à un enfant...
Elizabeth dut sentir son trouble car elle lui épargna de devoir trouver une réponse et désigna la porte avec un sourire :
- Tu devrais y aller, ils vont t'attendre. Je vais le mettre au lit de toute façon.
Contre elle, le petit Archibald avait effectivement succombé au sommeil et il lui jeta un coup d'œil attendri avant de s'éloigner sur la pointe des pieds. Julian n'était nulle part en vue, certainement encore avec Charly et il descendit donc tout seul en espérant se souvenir où était chaque pièce de la maison. Ça avait beau faire une semaine qu'il venait tous les jours, il se trompait systématiquement entre le petit et le grand salon en tournant dans le hall. En même temps, quelle idée d'avoir deux salons ? Encore l'idée d'un aristocrate guindé qui ne savait plus quoi faire des pièces de son immense manoir, voilà la réalité ! Quoique, s'il se rappelait bien ce que Théa, la cousine de Julian, lui avait raconté ; la maison avait été construite par leur ancêtre, Robert Ier du nom, pour sa femme Sarana. Non contente de donner son nom au manoir, elle avait eu un certain goût pour la démesure et il n'avait aucun mal à le croire : il suffisait d'observer son portrait avec sa lourde perruque poudrée et ses colliers de perles dans l'entrée pour le comprendre.
Heureusement, son sens de l'orientation devait commencer à mieux fonctionner car il tomba directement sur le petit salon en bas des escaliers. Tante Lysandra y était déjà, apprêtée pour ce soir d'un rouge à lèvres éclatant et de son éternelle robe noire signature, sublimée par ses cheveux relevés en en chignon compliqué qui révélait le bord du bustier recouvert de petits cristaux. S'il la connaissait moins, il aurait pu croire qu'elle n'avait pas fait autant d'effort simplement pour rendre jalouse Cordelia.
- Ah Matt, parfait, la cheminée est prête, indiqua-t-elle dès qu'elle le vit. Je te laisse d'abord leur parler tout seul et ensuite je reviendrai avec Leo, ça te va ?
- Ouais, pas de problème.
- Parfait. Alors tiens. (Elle lui mit le pot de poudre de cheminette dans les mains). Tu es assez grand pour connaître ton adresse, n'est-ce pas ?
Il lui tira la langue avec maturité.
- Très drôle.
Avec un sourire mutique, elle se contenta de lui tapoter la joue et s'en alla dans un froissement de robe élégant. C'était à se demander parfois ce qui n'était pas élégant chez Lysandra Grims.
Le pot pressé contre son torse, il s'avança devant l'âtre. Contrairement à celui de la cuisine qu'il avait vu brièvement, le manteau de la cheminée du petit salon était plus travaillé, en pierre couleur sable, et il se sentit plus à l'aise de passer son coup de cheminette ici qu'au milieu des elfes qui s'affairaient pour préparer le repas de ce soir. Sans attendre, il plongea le poing dans la poudre qui s'accrocha à sa peau comme des milliers de petits particules de cendres et en jeta une poignée dans les flammes dansantes face à lui en criant son adresse à Terre-en-Landes. Aussitôt, la couleur orangée céda à un vert éclatant. Il plongea tête la première pour ne pas réfléchir, toujours un peu inquiet malgré les années de se jeter dans la gueule béante d'une cheminée.
Evidemment, rien ne le brûla et sa vision ne mit qu'une seconde à s'ajuster. Quand elle le fit, il découvrit alors son comité d'accueil. Son sourire fut instantané. Devant lui, son père et sa tante Amelia tenaient un verre emplit d'un liquide ambrée, souriants ; assis à même le sol Spencer et sa cousine Caroline se penchaient près du feu pour mieux voir et étaient retenus en arrière par les épaules par sa tante Rose dont l'élégance n'avait rien à envier à Lysandra. Juste derrière elle, oncle George tenait bébé Susan dans ses bras, ses cheveux roux toujours plus prononcés à chaque fois qu'il la voyait. Et enfin, ses yeux tombèrent sur la personne dont il avait plus que tout ressenti le besoin de voir. Sa mère était postée près du plus large fauteuil du salon, un Simon impatient calée contre sa hanche, et son petit frère poussa un cri de ravissement en voyant apparaître sa tête dans l'âtre.
- Matyew ! babilla-t-il en massacrant son prénom comme à chaque fois depuis qu'il avait commencé à parler.
- Salut, mini-botruc. Joyeux Noël !
**
*
- Joyeux Noël, mon fils.
Noah entendit sa voix avant que ses bras ne s'enroulent autour de ses épaules et, une seconde plus tard, sa mère vint caler sa tête contre son épaule. Elle y arrivait encore, même s'il était un peu plus grand qu'elle désormais, et il la laissa faire en continuant à faire la vaisselle façon Non-Maj'. Il aurait pu utiliser sa baguette, mais ça lui occupait les mains et ça lui vidait la tête après cette soirée de réveillon aussi étrange qu'étonnamment agréable.
Un peu avant le dîner, sa mère était arrivée à la maison, maquillée, coiffée et habillée d'une jolie robe de sorcière. Hilda lui avait jeté un coup d'œil appréciateur en l'embrassant sur les deux joues. Raphaël et lui étaient restés plus prudents. Ça n'aurait pas été la première fois que les apparences étaient trompeuses avec leur mère, mais la soirée s'était déroulée sans aucun drame, mise à part la légère tension au début entre eux. C'était la première qu'il la revoyait depuis qu'elle l'avait largué à Fischer et Hilda après leur road-trip de cet été et même si les mois avaient passé, il gardait une certaine amertume au fond de son ventre, comme un poison dont il n'arrivait pas à se défaire. A bien y regarder, le poison était plus une mélodie entêtante, celle de mots qui occupaient son esprit en boucle dès qu'il posait ses yeux sur elle : « je n'ai jamais voulu être mère, tu comprends ça ? ». Mais il avait fait bonne figure, décidé à passer un bon réveillon. Il avait aussi vite compris que si c'était la première fois qu'il revoyait sa mère, ce n'était clairement pas le cas d'Hilda. Elle était trop calme pour ça et il se demanda pour la énième fois ce quand elles avaient bien pu se voir cet automne et surtout ce qu'elles avaient pu se dire.
Dans tous les cas, la soirée s'était déroulée sans anicroche. Ils avaient même ri autour de la dinde préparée par Hilda dont Raphaël s'était resservi quatre fois et c'était pour ça que son frère était présentement affalé sur le canapé du salon comme une baleine échouée alors qu'il lavait la vaisselle dans la cuisine. Au loin, il entendit la vieille horloge du Village sonner plusieurs coups.
- Il est minuit, c'est ça ? compta-t-il en rythme.
Toujours contre son épaule, sa mère hocha la tête. Ses longs cheveux bouclés lui frôlèrent le cou.
- Ca y est, c'est Noël. Quand t'étais petit, tu essayais toujours de rester éveiller pour avoir tes cadeaux. Tu disais que tu avais le droit, on était le 25.
- Mais Hilda voulait qu'on attende le matin...
- Elle a tenté d'instaurer cette règle, oui. Mais tu me faisais de la peine avec tes yeux ensommeillés alors je cédais à chaque fois.
Elle laissa échapper un rire étouffée, l'air elle-même fatiguée, et il sourit en déposant la dernière assiette à sécher sur le rebord de l'évier. Leur famille n'avait de toute façon jamais été traditionnelle et l'ouverture des cadeaux de noël le soir du réveillon plutôt que le lendemain en était un autre parfait exemple.
- A quoi ça sert d'attendre ? releva-t-il. Au moins tout le monde était content.
- C'est vrai... D'ailleurs, belle idée pour Raphaël cette année. Ça lui a fait plaisir, je suis fière de toi.
- Tu crois ?
Incertain, il se retourna vers elle tandis que sa mère se détachait et reculait jusqu'à la petite table en bois derrière elle. Elle se hissa dessus, les jambes dans le vide, et le tableau qu'elle offrit lui ressemblait déjà plus. Son maquillage de début de soirée commençait à couler, elle avait enlevé les épingles dans ses cheveux qui avaient retenu les mèches rebelles pendant le repas, et même sa robe se froissait au niveau de la jupe. Mais elle avait l'air bien, au moins. Pas de crise imminente, ni de comportement orageux. C'était peut-être sa version préférée de sa mère.
- Si je crois ? répéta-t-elle en souriant. Il était plus lumineux que le sapin, fais-moi confiance. C'était vraiment une super idée, mon fils.
Il respira un peu mieux. Le cadeau pour Raphaël lui avait demandé le plus de réflexion cette année, décidé à bien faire. Chaque année, il lui offrait plus ou moins la même chose, comme des éléments pour son kit de nécessaire à balai ou le premier livre qu'il trouvait à la librairie du Village sur le Quodpot, la course sur balai ou tout autre sujet approchant. Cette année, le projet avait été plus... personnel et artisanal.
Il avait entrepris de représenter son frère dans une peinture sorcière mouvante un peu particulière : on l'y voyait foncé à toute vitesse sur son balai, mais l'image se modifiait en cours de mouvement. Au début du tableau, il y était représenté plus jeune, à peine neuf ans quand il avait commencé avec sa bouille ronde et une dent en moins, puis à la fin il y apparaissait tel qu'aujourd'hui, lancé à pleine vitesse. Son évolution s'étalait alors sur à peine quinze secondes et cinquante centimètres de toile, mais l'effet était plutôt impressionnant, il devait le reconnaître.
- Ca a dû te prendre du temps, non ? fit sa mère en sortant une cigarette du repli de sa poche.
Il faillit lui dire qu'Hilda allait s'énerver si elle fumait à l'intérieur, mais elle ouvrit la fenêtre derrière et il n'en eut pas le cœur. Elle avait fait assez d'effort pour ce soir.
- Un peu... admit-il. Ça m'a pris quelques jours à peindre, ça va. Ce qui a été long, ça a été l'enchantement sur le tableau. Je connaissais la base, mais c'était dur d'avoir le bon dosage pour pas que le mouvement aille trop vite ou trop lentement. Jules a fini par m'aider, c'est lui qui a jeté le sortilège.
Il avait l'impression qu'il devait au moins le créditer pour ça, surtout qu'il y avait passé du temps lui aussi. Il avait même dût faire plusieurs essais à cause de sa baguette qui faisait des siennes en ce moment pour une raison étrange. Face à lui, sa mère haussa un sourcil et elle croisa ses jambes dans le vide, un sourire amusé derrière sa cigarette. Il regretta presque de lui avoir donné cette information.
- C'est bien, le rendu est magnifique en tout cas, apprécia-t-elle avant qu'une lueur espiègle ne s'allume dans ses yeux bleus. Et du coup... tout va bien ? Avec Julian ? ajouta-t-elle d'une voix trop légère pour paraître détachée.
Il fit mine d'examiner la vaisselle en train de sécher.
- Hum hum... fit-il laconiquement.
- Hum ? C'est tout ?
Même sans la regarder, il la sentit rouler des yeux.
- Oh Noah, donne-moi un peu plus quand même.
- Qu'est-ce que tu veux savoir ? répliqua-t-il sur la retenue. Ça va, ouais... ça va même mieux.
- C'est vrai ?
Étonnement, elle parut sincèrement intéressée par la question et il releva la tête vers elle, un peu nerveux. Il jeta un coup d'œil en biais vers la porte pour s'assurer qu'Hilda était toujours dans le salon avec Raphaël et fut rassuré en entendant des notes de musique, signe qu'elle venait de mettre un de ses albums de jazz qu'elle aimait comme à chaque réveillon aux coups de minuit. Les notes rythmées engloutirent presque sa voix lorsqu'il répondit tout bas :
- Depuis la rentrée, ouais. Ça a pas été facile, mais il m'a pardonné... et j'ai rompu avec Othilia...
Sa mère sembla surprise. Elle tenta de le cacher, mais il le vit à l'ombre qui traversa ses traits avant qu'elle ne souffle sa fumée vers la fenêtre ouverte.
- C'était risqué comme décision, je te l'avais dit... commenta-t-elle Deux de mes clients ont encore fini embarqué par la police cette semaine pour un motif complètement con. Ils voulaient juste les bousculer un peu et leur faire peur. Ils font pas ça pour ceux qui voient des femmes, je m'en suis rendue compte. (Elle secoua la tête, énervée, mais avisa son expression et ajouta précipitamment) Mais si tu penses que c'était le mieux, tu as bien fait, Noah...
Il déglutit. Une pointe de colère le brûla au fond de lui : de toutes les choses qu'elle avait à lui dire, c'était la première qu'elle se sentait obligée de sortir, mais il ne pouvait pas la blâmer. Il avait conscience que c'était la réalité...
- Je sais, finit-il par admettre, la gorge comprimée. Mais à choisir entre perdre Jules et rester avec Othilia pour avoir un garde-fou et la faire souffrir au passage...
- Oui, je vois...
Elle n'avait pas l'air de totalement approuver, mais il vit qu'elle comprenait. Sans un mot, elle lui tendit sa cigarette en une question muette et il lui prit avec reconnaissance. La première bouffée suffit à détendre ses muscles crispés.
- Bon du coup, si les choses vont mieux, ça veut dire que vous êtes... quoi ? Ensemble ? fit-elle en retrouvant son amusement et ses jambes se remirent à se balancer.
- Ouais, je crois qu'on peut dire ça, confirma-t-il.
Il sourit quand elle frappa dans ses mains d'un geste victorieux.
- Je suis heureuse pour toi, mon fils, vraiment. Ça aurait été dommage de laisser filer un accent anglais pareil, non ?
- Maman, rit-il.
- Est-ce que j'ai tort ?
Non, évidemment qu'elle avait raison. Même s'il y aurait eu tellement plus de choses à perdre que l'accent de Jules. Son talent pour embrasser par exemple. Il faillit lui parler de l'hôtel, poussé par la spontanéité du moment et la possibilité d'enfin en parler à quelqu'un, mais il n'était pas prêt à se lancer dans ce genre de conversation, pas avec sa mère. Au lieu de ça, il songea à l'autre chose qui le préoccupait et décida de se lancer avant de trop tergiverser.
- Maman ?
- Oui ?
Elle retendit le bras pour récupérer sa cigarette et il la lui rendit entre deux doigts, le cœur battant.
- Je lui ai dit que je l'aimais... lâcha-t-il alors, les mots jaillissant de sa gorge dans un souffle.
- Oh...
Elle écarquilla les yeux. Dans le salon, les notes de jazz ralentirent.
- Ah oui, j'ai loupé pas mal de choses, évalua-t-elle en le scrutant attentivement. J'ai presque oublié ce que ça fait de dire « je t'aime » pour la première fois, c'est vrai que c'était si important. Et alors ? Ça s'est bien passé ?
Si ça s'était bien passé ? Il supposait que oui, surtout s'il en jugeait de la réaction de Julian juste après et la façon dont il l'avait embrassé jusqu'à ce que leurs mains explorent des endroits de leur corps où elles n'étaient jamais allées. Il ne pouvait simplement pas dire ça à sa mère, tout ouverte d'esprit soit-elle.
- Hum... répondit-il évasivement. C'est juste que... il l'a pas dit, lui.
Comme la première fois qu'ils avaient parlé de Julian, il se sentit soudain idiot de relever ce détail, comme une gamine de treize ans en train de parler de son béguin. Pourtant, sa mère haussa un sourcil, l'air de trouver ce fait de la plus haute importance.
- Oh, je vois, dit-elle avec compréhension, même si un sourire dansait sur ses lèvres. Tu sais, mon fils, ça ne veut pas dire qu'il ne le ressent pas. Certaines personnes ont juste besoin d'un peu plus de temps. Il t'a pardonné, il t'a attendu pendant un an... Il ne l'aurait pas fait s'il ne t'aimait pas.
- T'es sûre ?
- Presque certaine. J'ai arrêté d'être sûre de moi il y a longtemps, ça ne m'a jamais réussi. Mais crois-en mon expérience longue et fastidieuse : parfois, les actes sont plus importants que les paroles, j'en sais quelque chose.
Elle appuya ses mots d'un long regard entendu avant de lui retendre sa cigarette et il porta à ses lèvres, songeur. Il supposait qu'elle avait raison. Il suffisait de voir sa relation avec son père : un beau parleur qui lui avait promis milles choses sans jamais les tenir, qui lui avait fait deux enfants avant de repartir pour Chicago en les rayant de sa vie. Après lui, il y avait eu d'autres hommes, certains de passages, d'autres un peu plus présents, mais aucun n'était resté bien longtemps et il ne les avait de toute façon jamais bien aimés. A bien y regarder, il suffisait même de la regarder elle-même comme exemple. Heather Douzebranches était la définition même des paroles qui s'envolaient dans le vent, sans aucune attache ni aucun acte pour les retenir. Il en avait fait les frais le premier.
- Qu'est-ce que vous vous êtes dit avec Hilda ? voulut-il brusquement savoir. Après cet été ? Elle est trop calme pour que vous ayez pas parlé depuis que je suis revenu.
- Ah...
Le revirement de conversation parut la prendre au dépourvu. Penaude, elle se tordit les mains, mais puisqu'elle n'avait plus sa cigarette pour les occuper, elle saisit les rebords de la table pour s'accrocher à quelque chose.
- Je n'ai pas passé un très bon moment, avoua-t-elle en grimaçant. Mais c'était mérité... je n'aurais pas dû te prendre avec moi sans la prévenir, c'était irresponsable. J'ai adoré notre voyage, mais ce n'était pas correcte pour elle...
- Non...
- Mais bon, je ne peux m'en prendre qu'à moi. C'était moi l'adulte dans la situation, comme elle me l'a bien rappelé. Je n'ai qu'à ajouter ce fait d'arme à ma longue liste de mauvaises décisions.
Son auto-dérision teintée d'amertume le crispa et il faillit lâcher un « comme le fait de devenir mère », mais se retint au dernier moment en tirant sur sa cigarette pour se faire taire. Sa mère soupira.
- Pour la faire courte, je me suis excusée, j'ai promis que je réfléchirais plus à l'avenir... Elle s'est fait un devoir de bien me redire que mes actes avaient des conséquences sur vous et qu'elle ne tolérerait plus un écart pareil...
- C'est vrai ?
- Oui. Je crois que ses mots exactes ont même été : « brises mes espoirs si tu veux, mais brises encore ceux de mes garçons, Heather, et tu ne seras plus qu'un souvenir pour moi, sœur ou pas sœur ». Autant dire que j'ai compris qu'elle était sérieuse...
Noah se figea. Il pouvait presque entendre la voix sèche et revêche d'Hilda prononcer cette phrase avec la certitude absolue de celle qui n'avait jamais flancher dans sa vie. En écho, il se souvint de ce qu'elle lui avait dit dans le bureau de la directrice Hicks. Elle ne l'avait peut-être pas porté pendant neuf mois, mais elle n'avait jamais cessé de le faire depuis et elle le prouvait encore à cet instant. Une émotion indescriptible gonfla dans sa poitrine.
Les yeux de sa mère, eux, étaient même un peu humides et il sut qu'elle s'apprêtait encore à s'excuser pour tout ce qui s'était passé lorsque des bruits de pas se firent entendre. Des bruits de petits talons, signe qu'Hilda arrivait vers eux. Paniqué, il se pencha précipitamment pour redonner sa cigarette à sa mère et elle l'attrapa une seconde avant que sa tante n'entre dans la cuisine.
- Et bien ? fit-elle, les mains sur les hanches. Combien de temps il vous faut pour faire la vaisselle ici ?
- Ca y est, on allait revenir. Regarde.
D'un geste grandiloquent, il lui montra les assiettes bien alignées et elle posa un regard critique dessus par-dessus ses lunettes raccrochées à une chaîne en or.
- C'est bien, approuva-t-elle. Et ça te donne le droit de fumer dans ma cuisine ?
- Je...
Surpris, il jeta un regard affolé à sa mère et elle lui renvoya le même, tous les deux figés dans une posture sûrement ridicule. Hilda leva les yeux au plafond.
- Si tu crois que je ne sais pas depuis le temps, tu me prends pour une vieille gâteuse, mon garçon. J'ai été jeune avant toi. Donne-moi ça, Heather.
- Mais...
Elle ne laissa pas le temps à sa sœur de protester et lui piqua sa cigarette, presque entièrement consumée désormais, avant d'en tirer une longue bouffée jusqu'au filtre et d'en recracher la fumée avec aisance. Noah la dévisagea, abasourdi. Il devait avoir l'air tellement choqué que sa mère éclata soudain de rire en le pointant du doigt et même Hilda se fendit d'un sourire en coin, clairement ravie de son effet.
- Retiens-le, lui dit-elle avec amusement, je serai toujours plus habile et futée que toi. Quand tu aurais compris ça, c'est que j'aurais terminé ton éducation.
A nouveau, sa mère se mit à rire. Et ce fut plus fort que lui, il la suivit. Bientôt, ils furent ainsi tous les trois à rire dans la petite cuisine au-dessus du café alors que l'horloge du Village ressonnait les coups de la demi-heure passée. Et Noah songea que c'était peut-être ça, l'esprit de Noël : l'esprit de famille.
************************************************
Verdict ? ^^
Je me suis bien amusée à écrire la scène entre Julian et Matthew, j'avoue que ça m'avait manqué. J'ai conscience que leur conversation fait un peu "féminine" dans le genre debrief amoureux (même si je n'aime mettre des adjectifs de genre sur ce type de choses, mais vous voyez), mais il faut dire que c'est utile pour l'histoire haha ! Et puis ça se trouve y'a des garçons qui parlent de ça, c'est juste qu'on ne le sait pas haha !
Pour la partie avec Elizabeth, c'est vrai que je n'ai pas le temps de traiter son histoire ou son personnage plus amplement, mais ça me paraissait important de la revoir un peu avec bébé Archibald.
Et enfin, la scène entre Noah et sa mère... vraiment j'adore les écrire ensemble, entre équilibre et déséquilibre, et j'espère que ça vous plait aussi !
Avant de vous laisser avec les memes de Lina, petite info : je lancerai ça officiellement au prochain chapitre je pense, mais on s'approche de noël et donc de la troisième édition du concours de création haha ! La première année, on avait fait les memes; la deuxième année, les créations artistiques au sens plus large. Pour cette année, je pense qu'on refera la même chose à moins que quelqu'un ait une idée particulière. N'hésitez pas à proposer !
A dans deux semaines ;)
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top