Chapitre 28 : L'amour n'a jamais été un choix

"Mais Anna, qu'est-ce que tu fais là ? T'avais dit deux semaines !" Oui tout à fait... MAIS ! Mais vous pouvez remercier Eryn alias pepin_04 pour son grand discours sur l'injustice de vous faire attendre après un tel cliffhanger, encouragée par tout le groupe de lectrices du salon du livre, et voilà... Le chapitre est là avec une semaine d'avance haha ! 

En parlant de salon du livre, pour celles.eux qui seraient intéressés, n'hésitez pas à me mettre un message ici ou sur instagram pour que je vous contacte et que je vous ajoute au groupe whatsapp ! On est déjà une dizaine environ ^^ 

Ensuite, merci pour vos retours sur le dernier chapitre ! Y'en a eu moins que d'habitude, mais c'est souvent le cas avec les scènes un peu plus spicy (avec Perri on dit wink-wink haha) parce que je me doute que ce n'est pas facile à commenter. Juste pour me rendre compte de manière générale : vous avez aimé ? Le curseur entre le suggestif et l'explicite vous semblait bien ? Trop orienté d'un côté ? 

Certain.es s'étonnaient en riant de l'assurance de Julian par moments et ça m'a fait trop rire, mais je pense qu'on peut dire maintenant que Julian a des bonnes punchlines parfois quand il veut, il laisse pas le monopole à Noah  ! ^^ (Eryn, tu nous fais une compil des meilleures répliques de Jules haha ?). 

Mis à part ça, je ne vais pas vous faire attendre le dénouement du suspens plus longtemps, voilà le chapitre. J'en profites juste pour vous conseiller le doc Netflix sur David Beckham parce que je l'ai regardé alors que le foot est loin d'être ma passion, mais je l'ai trouvé super cool ! 

Voilà !! Bonne lecture ! On se retrouve en bas ! 

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Chapitre 28 : L'amour n'a jamais été un choix

« Rien n'est plus mystérieux que nos raisons d'aimer : qu'est-ce qui motive nos choix ? Qu'est-ce qui dirige nos recherches ? Y'a-t-il même des recherches et un choix ? Ou seulement le hasard et l'espièglerie des dieux... »
- Jean Simard -


// 23 décembre 1980 //

- Tontooooon ! Viens me sauver !

La voix plaintive tira Leonidas de sa lecture et il laissa retomber son exemplaire de la Revue du Nouveau Monde sur ses genoux. Le visage de Celestina Rappaport lui jeta une œillade indignée depuis la couverture, comme si elle ne comprenait pas qu'il ose interrompre sa lecture de sa nouvelle prise de parole contre Emilia Cooper, jugée à ses yeux complice de magie noire avec Ronan Graves et surtout vendue à la solde de la cause Non-Maj'. D'ici une semaine, elle allait lui mettre sur le dos la mise en danger du secret magique, Leonidas n'en avait aucun doute : elle voulait rétablir la loi de son ancêtre pour la séparation totale des deux mondes depuis des années.

Il eut à peine le temps d'écarter le journal sur la table basse avant que Matthew ne déboule dans le salon, habillé d'un pull Gryffondor et d'un air indigné.

- « Une journée sympa pour renforcer les liens familiaux », cita-t-il en faisant de larges guillemets avec ses mains. C'est ce que vous aviez dit !

- Tout à fait. Et il me semble que tu passes du temps avec ta tante depuis tout à l'heure, non ?

- Du temps, oui. Sympa ? Mes doigts ont des ampoules à force de répéter le même morceau en boucle.

Pour preuve, il brandit ses paumes devant lui et Leonidas sourit devant tant de dramatisme. Il s'apprêtait à répondre lorsque le dramatisme original, c'est-à-dire sa femme en personne, arriva à la suite de Matthew. Vêtue d'une longue robe noire qui soulignait sa silhouette élancée, elle avait simplement rejeté ses cheveux de jais dans son dos et fumait d'un air tranquille, les yeux plissés.

- T'es en train de te plaindre ? dit-elle à son neveu, suspicieuse.

- Non, fit Matthew trop rapidement.

Lysandra haussa un sourcil, pas dupe.

- C'est ça. Excuse-moi d'essayer de faire rentrer quelque chose dans ton cerveau d'adolescent. Avec le talent d'Edgar pour la musique, c'est une honte que tu ne saches pas un minimum jouer un morceau au piano.

- Il m'a appris un peu, mais j'étais petit, bougonna Matthew en se laissant tomber par-dessus l'accoudoir du canapé. Pas de ma faute si après il avait plus le temps à cause de la sacro-sainte Justice Magique. (Il parut se rendre compte de l'amertume de sa remarque et embraya, un rictus vissé aux lèvres). En plus, j'ai toujours préféré la guitare. Ça marche mieux avec les filles.

Devant cet argument ultime, Leonidas ne put s'empêcher d'éclater de rire. Lysandra, quant à elle, ne parut pas réceptive et tira une bouffée de sa cigarette, songeuse.

- Peu importe l'instrument, en vérité, jugea-t-elle. La musique, ça mène toujours au cœur des filles. Retiens-ça.

- Peut-être qu'il n'a pas besoin de le retenir. Peut-être qu'il peut déjà le mettre en application. Hum, Matt ?

Toujours renversé sur le canapé, les pieds dans le vide, Matthew le fusilla du regard mais une flambée colorée lui monta aux joues.

- Vous ne m'arracherez aucune information, assura-t-il d'une voix ferme. Même pas la peine d'essayer. En plus, même la guitare je l'ai plus. Papa l'a filé à l'église dans sa grande bonté d'âme.

- Ca veut dire qu'il y a des informations à arracher, ça, en déduisit Lysandra.

Coincé à son propre jeu, Matthew roula des yeux.

-Bon, ça suffit, c'est la journée « temps en famille » ou « martyrisons Matthew » ?

- Quoi ? Ce n'est pas la même chose ?

- Tonton !

Amusé, il échangea un regard avec Lysandra. Elle était bien plus douée que lui pour cacher son sourire derrière sa cigarette, mais il vit clairement ses yeux gris pétiller et elle se détourna vers la table du salon pour observer l'état du bouquet de fleurs qui y trônait.

- Très bien, très bien, céda-t-elle. Plus de musique, j'ai compris. Tu veux refaire des parties de scrabble comme ce matin ?

- Et me refaire battre à plat de couture ? Hors de question. Je suis sûr que t'as sortie des mots qui existent pas, c'est pire qu'avec Julian ! Ton dernier, là, c'était douteux.

Lysandra se retourna, dramatiquement indigné.

- Bien sûr que « pétrichor » existe, espèce de gamin inculte ! Leo, défends-moi.

- Le mot existe, oui, confirma-t-il. Mais c'est vrai que l'utiliser contre un enfant de seize ans est un peu déloyal.

- Ah merci ! triompha Matthew avant de soudain réaliser. Eh ! Je suis pas un enfant.

A moitié redressé contre le dossier du canapé, il bomba le torse d'un air important et même Lysandra n'arriva plus à retenir son amusement. Il ne loupa rien de l'expression de son visage qui se transforma comme à chaque fois que ses traits s'animaient. C'était une constatation presque étrange à faire après tant d'années de mariage, mais il n'y avait pas un jour où il ne trouvait pas Lysandra captivante et belle. Elle était ce genre de femme qui portait aussi bien un sourire face à son neveu qu'elle chérissait qu'un air renfrogné et froid, presque altier.

- Eh, vu qu'on en parle... entonna Matthew d'un faux ton nonchalant. Je sais qu'il devait venir que ce soir, mais est-ce qu'on peut pas dire à Julian de venir maintenant ?

- Pourquoi ? C'est si terrible d'être seul avec nous ?

- Non, mais je veux le voir vous mettre une raclée au scrabble juste pour le plaisir. Et on a dit que c'était une journée en famille. Il fait un peu partie de la famille, non ?

D'un geste équivoque, il le désigna, comme s'il avait besoin de souligner explicitement son statut de parrain de Julian pour les convaincre. Lysandra écrasa sa cigarette dans le cendrier de la table basse.

- Toi, tu peux te plaindre de tes parents, mais je te verrai bien dans une cour de justice, commenta-t-elle platement. Ils t'ont au moins transmis ça. Tu pourrais défendre toutes les causes, même perdues.

- Faire venir Julian est une cause perdue ?

Morgane, ce gamin ne lâchait rien. Leonidas se releva, le dos raide après être resté assis trop longtemps – bon sang, il commençait à se faire vieux – et ne loupa pas l'ombre qui passa brièvement sur le visage de Matthew à la mention de son entente avec ses parents. Un sujet à aborder sans doute plus tard, même si pour le moment il savait comment le distraire de sa morosité.

- C'est bon, tu as gagné, céda-t-il. Je vais passer un coup de cheminette à New York. Et attention, si vous perdez au scrabble, vous faites le dîner. Sans magie.

- Pari tenu ! promit Matthew, extatique.

Une main sur la hanche, Lysandra poussa un soupir à fendre l'âme.

- Leo, tu viens de nous punir, nous, déplora-t-elle. On mangera au restaurant ce soir à ce rythme.

- Eh ! Ca veut dire que t'as aucune confiance dans notre capacité à gagner et à faire la cuisine en plus ?

Elle n'eut pas besoin de répondre, son jugement était écrit sur ses traits et Leonidas passa derrière elle en lui déposant un baiser sur la tempe, amusé. Il espérait presque que les garçons perdent au défi scrabble et s'avèrent catastrophiques en cuisine, ça lui servirait d'excuse pour les emmener manger dehors. Maintenant que Lysandra avait évoqué l'idée, elle lui paraissait attractive.

Laissant derrière lui le débat entre Matthew et sa tante, il se dirigea vers le bureau à quelques pas. La pièce servait assez peu, à part pour passer des coups de cheminette. Il traitait la plupart de ses dossiers à l'Ambassade même ou il se mettait dans le salon pour lire le journal et être près de Lysandra. Quant à cette dernière, elle détestait les espaces sans fenêtre ni lumière. Ce fut sans doute pour cette raison qu'il souleva un nuage de poussière en prenant le bocal contenant la poudre et il plissa le nez, la gorge piquante, avant de se mettre face à la cheminée. Il y jeta une poignée de poudre et lança d'une voix claire :

- Le Sarana, New York, famille Grims !

Il plongea alors la tête dans les flammes qui venaient de prendre une couleur verte chatoyante. Une douce chaleur l'enveloppa et il mit une seconde à retrouver la vue alors que des points noirs dansaient devant ses yeux. Face à lui, ce n'était pas le mur en brique du fond de la cheminée, mais bien la cuisine des Grims avec ses vieilles tomettes usées par le pas des elfes depuis des siècles. Personne n'était présent et il s'apprêtait à héler quelqu'un lorsqu'une voix s'éleva, proche.

- Mais si maman, j'ai entendu quelque chose, je te dis ! Attends !

Dans son sillage, Aurélia entra alors dans la cuisine, une main sur la chambranle. Elle parcourut l'espace du regard un instant avant de le repérer dans la cheminée.

- Leo ! s'exclama-t-elle avec un sourire. (Elle s'avança jusqu'à l'âtre et s'abaissa à genou pour être à sa hauteur). Tout va bien ?

- Parfaitement bien, oui. Je suis désolé de déranger à l'improviste, mais comme tu le sais nous hébergeons pour la journée un énergumène de type adolescent.

Aurélia rit.

- Ah, je vois, dit-elle avec amusement. Je les connais bien aussi ces spécimens.

- Justement. Tu sais mieux que moi que passer la journée entière avec nous s'avère une torture et Matthew demande donc si Julian pourrait venir plus tôt que prévu. Si ça ne dérange pas, bien sûr.

Il savait que cette journée – la seule de presque toutes les vacances scolaires – était celle où Aurélia pourrait retrouver un peu ses enfants pour elle et il ne voulait pas empiéter sur leur temps ensemble, surtout à cause de leur situation encore fragile. Face à lui, et même à travers la vision déformée de la cheminette, il vit pourtant sa cousine froncer les sourcils, perplexe.

- Comment ça, venir plus tôt que prévu ? répéta-t-elle d'une voix sourde. Il est parti il y a deux heures...

- Pardon ?

- Julian ! Il n'est pas chez vous ? Il est parti d'ici il y a deux heures en disant que les plans avaient changé et qu'il pouvait venir retrouver Matthew à midi. Il devait prendre le WASP !

Au moment même où la voix d'Aurélia s'envola dans les aigus, paniquée, il sentit une main glacée se refermer sur son ventre. Quelque chose sonna faux immédiatement. Jusqu'à il y a quelques minutes, personne n'avait évoqué la possibilité de changer les plans pour la journée : Matthew n'aurait pas pris la peine de demander si ça avait été le cas et Lysandra lui en aurait forcément parlé. Déstabilisé, il dût laisser entrevoir son propre désarroi avec un peu trop d'évidence car Aurélia blêmit.

- Il n'est pas chez toi, c'est ça ? comprit-elle, affolée.

- Aurélia, attends...

- Morgane, je l'ai laissé partir... Ca faisait tellement fois qu'il s'énervait parce que je refusais qu'il sorte seul que j'ai voulu... lâcher un peu. Ethan et maman m'ont dit que ça apaiserait les choses !

- Et tu as bien fais, ne saute pas aux conclusions hâtives.

Il tenta de mettre autant d'assurance dans sa voix qu'il en était capable, écartant la peur rampante qui commençait à s'insinuer en lui, mais Aurélia sembla à peine l'entendre. Agitée, elle se remit sur ses pieds et se mit à faire les cent pas devant la cheminée, les traits contractés.

- Mais alors pourquoi il n'est pas encore arrivé ? Où est-ce qu'il est ?

- Je ne sais pas, mais il doit être quelque part dans New York. Peut-être qu'il avait quelque chose à faire avant de venir ici et qu'il ne va pas tarder. Ça ne sert à rien de t'angoisser pour le moment.

- A rien ? Leo, bon sang, ne fais pas l'imbécile juste pour me rassurer ! Tu sais comme moi que...

Elle s'étrangla, les larmes soudain aux yeux. La panique l'avait envahi si vite qu'il sentit la sienne se renforcer en écho et il entendit littéralement le nom qui flottait au-dessus d'eux avant qu'Aurélia ne le prononce.

- Ronan est toujours dehors, Leo... souffla-t-elle, une main sur la poitrine comme si elle pouvait le calmer en le maintenant en place. Et s'il avait... ?

- Non, coupa-t-il avec fermeté. On ne va pas commencer à se mettre les pires idées en tête sans preuve. Je suis sûr que Julian va bien, il faut juste comprendre ce qui se passe.

- Mais si on perdait du temps ? Il faut peut-être prévenir Fischer... ? Ronan serait capable de tout pour se venger de moi et de Cordelia ! Il doit avoir appris maintenant que je n'étais pas morte !

- Avec des « si », on peut tout envisager. On ne va pas appeler les Aurors alors que nous ne sommes sûrs de rien. Ecoute, laisse-moi le chercher. Demande à Théa si elle sait quelque chose et reste à la maison au cas où. Je te recontacte dès que j'ai du nouveau, d'accord ? Et s'il arrive ici, Lysa te prévient dans la seconde, c'est promis.

Aurélia déglutit. Tout dans sa posture criait qu'elle n'aimait pas cette proposition et ses doigts tressautèrent contre sa clavicule avec nervosité. Même à cette distance, il vit clairement que son autre main était plongée dans sa robe de sorcière, sûrement serrée à s'en faire mal autour de sa baguette.

- Si Ronan le touche, murmura-t-elle plus pour elle-même que pour lui. Je jure devant tous les mages de cette terre que je lui ferai subir mille fois pire que tout ce qu'il a jamais pu m'infliger...

L'éclat déterminé dans ses yeux verts – les mêmes que son fils – lui assura qu'elle ne bluffait pas. Pour la énième fois cette année, il se demanda avec un poids dans la poitrine ce qu'il avait bien pu ignorer pendant toutes ses années. Même s'il connaissait aujourd'hui les grands traits de l'histoire, des zones d'ombre demeuraient, les derniers secrets enfouis qu'elle gardait au fond d'elle par honte ou par douleur. Et Morgane, la douleur pouvait entraîner une colère à la mesure de ce qu'il devinait à l'instant sur ses traits crispés.

Il avait déjà vu des femmes en colère. Il avait même tendance à penser qu'elles étaient plus dangereuses que les hommes pour la simple et bonne raison qu'il n'y avait rien de pire qu'une mère en colère. Tous les hommes avides de pouvoir de la terre ne pouvaient pas égaler la fureur venue des entrailles ayant porté la vie, ayant mis au monde ce qu'il y avait de plus précieux pour elles. Il l'avait vu chez Cordelia, le jour où son fils lui avait été arraché ; chez Cassiopée lorsqu'un mangemort avait tenté de kidnapper Spencer durant sa troisième grossesse ; et même chez Charis Black, la mère de Lysandra, à l'allure toujours si fière et composée quand elle lui avait cédé la main de sa fille, un avertissement au fond de ses prunelles grises.

- Aurélia, souffla-t-il, solennel. Je te jure que si je dois retourner New York et toutes les villes de ce pays pour le trouver, je le ferai. Et tout va bien se passer, d'accord ?

C'était une promesse sur un coup de dé. Il en avait conscience. Mais il n'avait pas d'autres choix que de la faire pour rester calme et ne pas céder lui-même à la panique. Lentement, sa cousine finit par hocher la tête, le poing refermé contre sa gorge avec émotion.

Il n'attendit pas une seconde de plus. D'un mouvement souple, il s'extirpa de la cheminée et se releva en hâte. Maintenant que la communication était coupée, il s'autorisa un instant pour expirer un souffle tremblant, le torse comprimé par l'inquiétude. Rationnellement, il savait qu'il y avait peu de chance que Ronan soit impliqué. Les risques étaient colossaux alors que tous les Aurors du pays le cherchaient... Mais il avait aussi déjà réussi à leur échapper. C'était même sa spécialité. Seulement, à côté de cette hypothèse, il en existait des dizaines d'autres qui pouvaient justifier qu'un adolescent veuille échapper pour quelques heures à un foyer pesant où sa relation avec sa mère était fluctuante. Et même si Julian n'était pas le genre à fuguer ou à mentir – même pour quelques heures – l'année dernière avait prouvé qu'il pouvait tout à fait être surprenant en la matière. A choisir, il préférait cette option : un adolescent qui faisait le mur était plus facile à gérer que l'implication d'un fou en cavale.

En sortant du bureau, il veilla à se composer un visage neutre pour ne pas inquiéter les autres et revint dans le salon. Lysandra et Matthew étaient désormais tous les deux assis sur le canapé, sourire aux lèvres et ils tournèrent la tête vers lui dès qu'il franchit le seuil.

- Alors ? lança son neveu précipitamment. Il peut venir ?

- Pas tout de suite, non...

Il entreprit donc de leur rapporter la conversation qu'il venait d'avoir avec Aurélia et il vit leur expression changer à mesure que les mots qui échappaient : Matthew écarquilla les yeux, tendu, et Lysandra fronça les sourcils, l'air plus perplexe qu'autre chose.

- C'est étrange, jugea-t-elle. Si Graves lui était vraiment tombé dessus, pourquoi est-ce que Julian aurait menti avant de partir en disant qu'il venait ici en avance ?

- C'est ce que je me suis dit aussi. Peut-être que Ronan le fait chanter et l'a poussé à sortir de la maison ? Ca ne serait pas la première fois qu'il utilise cette méthode.

Lysandra accorda le point d'un hochement de tête, mais ne se départit pas de son froncement de sourcils.

- Ca me semble quand même peu probable. Depuis le début des vacances, il ne s'est presque jamais retrouvé seul. Le manoir des Grims grouille de monde et Matt était avec lui tous les jours. On aurait repéré quelque chose. Il t'a semblé bizarre à toi ?

- Bizarre ? répéta Matthew d'une voix haut perchée. Non... non. Si t'enlèves sa capacité à boire du thé en quantité louche, non.

La blague, visiblement voulue pour alléger l'atmosphère, tomba à plat et Leonidas tourna son attention vers lui. Lysandra soulevait une vérité intéressante : Matthew et Julian étaient collés ensemble depuis leurs retrouvailles. Et pour un meilleur ami, il lui sembla soudain un peu trop calme en comparaison à l'affolement qu'Aurélia venait de manifester. Alors certes, il ne comprenait pas aussi bien qu'eux la menace que représentait Ronan, mais tout de même.

- Matt, je vais te poser la question une seule fois, prévint-il d'une voix ferme. Est-ce que tu sais où est-ce qu'il pourrait être ? Ou avec qui il pourrait être ?

Il prit soin de le regarder droit dans les yeux. Le teint pâle et ses tâches de rousseur ressortant un peu trop, Matthew mit plusieurs secondes à répondre et il le vit littéralement réfléchir à toute vitesse. Il espéra que c'était pour lister mentalement toutes les pistes possibles et non pour lui mentir ou couvrir Julian.

- Non, finit-il par répondre. Je vois pas... Je connais mal les lieux à New York et je crois pas que ses amis d'Ilvermorny soient ici...

- Tu es sûr de toi ? pressa Lysandra.

Elle avait toujours fait plus peur à son neveu que lui, surtout lorsqu'elle le regardait comme elle le faisait à l'instant, le visage dur. Elle ressemblait follement à sa sœur dans ces cas-là. Matthew se renfonça un peu plus dans le canapé, les mains crispés autour d'un coussin contre son ventre, et secoua la tête.

- Bien, il ne nous reste plus qu'à réfléchir où il pourrait être, déclara-t-elle, satisfaite. Les lieux sorciers à New York ?

- Il doit bien y avoir plus d'une dizaine de bars clandestins. Mais honnêtement, ce n'est pas le genre de Julian.

- Il a dix-sept ans. Tout est le genre d'un gamin de dix-sept ans si c'est un tant soit peu interdit, Leo.

Elle ralluma une cigarette d'un coup de baguette, en tira une bouffée, puis la lui tendit sans un mot. Il l'accepta avec reconnaissance. Sur le papier, ce qu'elle disait pouvait être vrai. Il avait juste à se rappeler de sa propre jeunesse pour le savoir et Morgane savait que sa pauvre mère n'avait pas su tout ce qu'il bien pu faire, ni où il avait pu aller. Son cœur fragile ne l'aurait sûrement pas supporté et elle lui aurait interdit de quitter la maison, majeur ou non. Mais les bars sorciers de New York servaient assez peu de thé et il ne voyait vraiment pas Julian faire le mur pour s'y rendre. Ça n'avait pas de sens. Surtout, la tâche se serait annoncée immense : à cause de la prohibition et de la loi Rappaport qui avait créer une véritable scission entre les mondes ; les bars sorciers clandestins étaient durs à trouver si on ne les connaissait pas et très bien cachés. Il se targuait de bien connaître New York, mais peut-être pas à ce point-là.

- Non, je ne pense pas, réfuta-t-il. Ca ne colle pas.

- Très bien, alors c'est qu'il y a une fille, avança Lysandra avec nonchalance sans même réfléchir. Ne cherche pas plus loin.

Il se tourna vers elle, sa cigarette suspendue devant sa bouche.

- Tu penses ?

- Leo, ne sois pas naïf. Il n'en parle à personne ? Il donne une excuse pour seulement quelques heures ? Il est rentré pendant les vacances mais il y a trop de monde à la maison ? J'étais la première à faire le mur pour tout ça à son âge.

Elle lui jeta un regard entendu et il la revit à dix-sept ans, bien plus juvénile mais déjà diablement sûre d'elle, lui assurer que ça ne posait de problème qu'elle sorte si tard pour les retrouver, Aurélia, Ethan, Miranda et lui. Malgré tout, il la raccompagnait toujours seul à seule, inquiet qu'il lui arrive quelque chose. Elle avait très bien su ce qu'elle faisait. L'hypothèse n'était peut-être pas si insolite finalement...

- Tu ne sais toujours rien ? demanda-t-il à Matthew.

Celui-ci le fixa, les traits figés. Il se rappela soudain à quel point, enfant, il pouvait être bon comédien pour échapper à une punition quand il avait fait une bêtise. Seule Cassie ne tombait pas dans le panneau.

- Non, je sais rien, assura-t-il. Y'a pas de fille, il doit juste être parti se balader, allez. Il va revenir.

- Ah ah ! s'exclama Lysandra. Ça, ça veut tout dire. Il le couvre, c'est sûr. Leo, je te dis qu'il y a une fille.

- Quoi ? Mais non ! Je couvre personne !

- N'essaye pas de berner ta tante, toi. (Elle tendit le bras dans un geste demandeur et il lui rendit la cigarette d'instinct). Laisse-moi réfléchir, maintenant. Si j'avais dix-sept ans, que je retrouvais quelqu'un, que je ne veux pas qu'on nous trouve... hum...

Elle pianota du bout des doigts contre ses tempes, concentrée, et Matthew lui renvoya un regard agacé. Il commença soudain à se demander si sa femme n'avait pas raison, comme bien souvent.

- Il neige, énonça-t-elle à voix haute en jetant un œil vers la fenêtre. Donc, ça ne sera sûrement pas dehors. Pas s'il est parti il y a plusieurs heures. Tu as dit qu'aucune de ses amies n'habitaient près de New York...

- Eh, eh, j'ai rien dit, me mêle pas à ça.

- Bien sûr, Matt.

Elle leva un doigt autoritaire pour le faire taire et il loucha dessus, indigné.

- S'il est vraiment avec une fille – et je ne dis pas que c'est vrai parce que c'est faux, vous vous vous prenez la tête il est juste parti se balader ou acheter des cadeaux de noël – alors il va bien, laissez tomber ! argua-t-il en levant les bras au plafond.

- J'ai promis à Aurélia de le retrouver, contra Leonidas. Et on ne peut pas totalement exclure la menace de Ronan. Je suis désolé pour lui, mais on lui a interdit de se balader seul dans New York et Théa aussi pour cette raison.

Il tenta de mettre autant de rationalité et d'indulgence dans sa voix que possible, mais Matthew se contenta de lui renvoyer une moue boudeuse, peu convaincu. La solidarité aurait été presque belle à voir si le nœud dans son estomac n'était toujours pas là, signe de son inquiétude qu'il n'arrivait pas tout à fait à chasser.

- Je sais, déclara soudain Lysandra en se redressant et les cendres de sa cigarette volèrent autour d'elle comme les flocons de neige dehors. Un hôtel ! Commence par-là, Léo, c'est moi qui te le dis !

- Oh Merlin ! s'insurgea Matthew. N'importe quoi ! Tu t'entends ?

- Quoi ? A ton avis, comment ta mère retrouvait ton père juste après Poudlard quand nos parents refusaient qu'elle le voit autre part qu'à la maison parce que c'était plus « correct » ? J'inventais toujours des excuses pour la couvrir.

L'effet fut instantané : Matthew grimaça comme s'il venait de mordre dans un citron et lui jeta le coussin qu'il tenait, indigné.

- Tata ! Je veux pas savoir ça !

- Oh, ne fais pas l'innocent. Comment tu crois que tu es né ?

- Rah !

Mortifié, il se laissa tomber à la renverse, les mains sur le visage. Même comme ça, Leonidas vit clairement son teint rougir et il retint un éclat de rire. Il n'avait aucun mal à imaginer Charis Black surveiller les allers et venues de ses filles : Lysandra avait plus d'une fois dû lui échapper pour le retrouver quand leur relation avait commencé alors même qu'elle avait été adulte. Jeune femme, mais adulte. Seulement, certains milieux étaient encore traditionnels et les Croupton-Black en avaient fait partie. Les Grims aussi, maintenant qu'il y pensait. Il avait juste eu la chance d'être un homme et d'être loin du regard jugeur de sa mère en Angleterre. D'un coup, l'hypothèse pour Julian sembla de plus en plus probable, surtout en connaissant Isadora et même Cordelia qui n'auraient pas manqué de faire des remarques acerbes sur le sujet.

- Bien, arrêtons les suppositions ici, décida-t-il. Il n'y a qu'un moyen d'en être certain. Je vais à New York faire le tour de la ville. Si jamais Julian vient ici, tu appelles Aurélia directement, Lysa, d'accord ?

- C'est promis. Et sois prudent.

Elle lui déposa un baiser sur la mâchoire, un bras à demi passé autour de lui, et son regard gris sembla lui dire « reviens à la maison ou c'est moi qui mettrait New York à feu et à sang ». Il n'en doutait pas un instant. Il espéra pour la énième fois que Ronan n'ait rien à voir dans toute cette histoire, puis il quitta la pièce. La dernière chose qu'il vit fut l'expression angoissée et coupable de Matthew, l'air de regretter d'avoir demandé à ce que Julian vienne plus tôt.

**

*

Il n'avait pas fallu plus d'une demi-heure à Leonidas pour retrouver la trace de son filleul et tout ça grâce aux conseils de Lysandra. Sa femme avait bien eu raison, encore une fois. Parfois, son esprit de déduction l'impressionnait et il se rappelait que c'était pour cette vivacité d'esprit qu'il était tombé amoureux d'elle il y a toutes ces années. Il avait bien commencé par les hôtels sorciers de New York. Ça n'avait pas été dur, il en existait très peu : des chambres à louer, un peu lugubre ; des établissements bon marchés au-dessus des bars clandestins ; et surtout le Sorcellelit, le seul véritable hôtel en tant que tel de la ville. Il avait été construit lorsque le MACUSA avait été délocalisé ici pour accueillir tous les sorciers de passage et était véritablement énorme. En montant dans les étages, il se souvint que c'était ici qu'avait séjourné Hanna Fawcett et sa famille l'année passée quand il leur avait organisé le voyage à New York. Julian le connaissait donc.

Lorsqu'il avait interrogé la réceptionniste à l'entrée – une jeune femme du nom de Holly – sous prétexte qu'il devait venir chercher son fils mais ne se rappelait plus le numéro de chambre, elle ne s'était doutée de rien et lui avait confirmé qu'un jeune homme s'était bien présenté pour « rejoindre son cousin » en début d'après-midi. Elle l'avait laissé passer.

Désormais devant la porte de la chambre, il se laissa le temps de rassembler ses pensées. Le « cousin » l'avait laissé perplexe et il s'était même demandé une seconde si la jeune femme ne se méprenait pas. Dans le doute, il voulait quand même vérifier. Si Julian était bien là, alors la belle théorie de Lysandra s'effondrait : ce n'était pas une fille qu'il était venu rejoindre. Le « cousin » lui avait pensé une seconde à Archer mais ce dernier devait être chez lui avec Elizabeth et son petit garçon. Surtout, il ne voyait pas ce que Julian et Archer pourraient faire ensemble, ils s'entendaient bien lorsqu'ils vivaient sous le même toit mais l'affinité de Julian avait toujours été davantage avec Théa, même si d'après Aurélia des tensions étaient apparues entre eux depuis le début des vacances. Quand il aurait le temps, il faudrait qu'il voit ça de plus près, mais plus tard. Une crise adolescente à gérer à la fois.

Alors qui ? Qui Julian avait-il bien pu rejoindre ? Un camarade d'Ilvermorny ? Le jeune Cooper, le frère d'Emilia ? Pour le procès ? Mais ça n'avait pas de sens de faire des mystères autour de ça, tout le monde était au courant, Aurélia, Cordelia et même Théa étaient convoquées pour témoigner à la barre. Et pourquoi ici et pas dans un des nombreux bars de New York ? Ça aurait plus de sens pour retrouver un ami, même s'il ne voulait pas que la famille le sache. A moins que... La pensée s'infiltra en lui, sournoise.

A moins que Lysandra ait quand même raison...

Il venait peut-être d'un milieu aristocratique, mais il n'était pas naïf non plus, il avait voyagé et fréquenté toutes sortes de personnes. Il n'y avait pas qu'une femme qu'on pouvait retrouver dans un hôtel en secret, particulièrement si on avait dix-sept ans et qu'on partageait un dortoir collectif le reste de l'année. Particulièrement si une loi vous terrifiait.

Un coup d'adrénaline parcourut ses veines et il expira profondément, tendu. Il envisagea de tourner les talons pour fuir cette situation soudain bien plus compliquée qu'envisagé initialement, mais il revit le visage dévoré par l'inquiétude de sa cousine. Aurélia avait vécu trop de choses sans qu'il soit là pour elle pour ne pas prendre en compte l'infime possibilité qu'il se trompe et que Ronan soit impliqué. Il ne pouvait pas jouer avec le feu, pas avec Julian dans la balance. Les épaules crispées par la tension, il se força donc à s'avancer devant la porte, implacable, et y frappa.

Son cœur ne devait pas y être totalement car il manqua de vigueur et il réinspira pour essayer de se calmer avant de redonner deux coups secs. Le bruit porta d'un coup beaucoup plus à travers le couloir vide de l'hôtel.

- Julian ? appela-t-il d'une voix forte. Ouvre, allez !

Cette fois-ci, il dut être entendu de l'autre côté du battant car il y eu un moment de flottement – le temps de quelques battements cœur erratiques – puis il perçut de l'agitation derrière la porte. Rien de précis, le mur étouffait trop les sons, mais il entendit des bruits de pas empressés, des mouvements, des personnes qui se déplaçaient. Deux voix aux accents paniqués qui se mêlaient, mais il n'arriva pas à distinguer de mots précis. Sa tension redoubla.

- Julian, c'est Leo, relança-t-il, incapable de rester sans rien faire. Ouvre, s'il te plait, il faut qu'on parle. Tout va bien se passer.

Ça lui sembla important à ajouter, même s'il ne savait pas vraiment s'il devait y croire. Peu importe, il fallait déjà que la porte s'ouvre. Il ne serait tranquille qu'en voyant Julian. Le reste était un problème pour l'immédiateté juste après. De l'autre côté, l'agitation s'était un peu réduite, mais il saisissait toujours les voix. L'impatience lui hérissa la peau.

- Je sais que vous êtes là, allez. Ouvrez ! On ne fait que perdre du temps, je veux juste te parler Ju', s'il te plaît. Je te promets que...

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase que le battant s'ouvrit d'un coup et il manqua d'en perdre l'équilibre, déstabilisé. La vision qu'il découvrit le laissa encore plus perplexe. Ce n'était pas Julian qui se tenait devant lui, non. C'était Noah Douzebranches, le neveu d'Hilda.

- Deux minutes, oui ? lui lança-t-il, l'air exaspéré et alarmé à la fois.

Pris par la surprise, il ne put que le dévisager.

- Pardon ?

- Je peux vous demander deux minutes ? Je dois... je gère, ok ? Restez-là, bordel.

Et sans un regard de plus – comme s'il était bien sa dernière préoccupation – Noah se réengouffra dans la chambre, mais pas avant qu'il n'ait enfin la présence d'esprit de tendre la main pour bloquer la porte en train de se refermer. Il s'avança d'un pas malgré l'ordre reçu. Il avait beau être perturbé, il estimait qu'il n'avait pas à obéir à un gamin à peine majeur et la situation était de toute façon trop complexe pour qu'il se contente de rester dans le couloir. De prime abord, il eut du mal à distinguer l'intérieur de la pièce à cause de la semi-obscurité. Les lourds rideaux de l'hôtel avaient été tirés. Puis, doucement, il découvrit alors ce qui se jouait devant lui.

La chambre était banale, standardisée à l'image de toutes les chambres d'hôtel du monde. Ce qui attira son regard fut plutôt la silhouette prostrée à même le sol, juste au pied du lit, et son estomac se contracta avec violence. Julian avait les genoux ramené contre son torse, la tête à moitié inclinée vers l'avant et même de là où il se tenait il entendit sa respiration sortir par râles saccadés. Une de ses mains était d'ailleurs portée vers sa gorge, comme s'il espérait y faire mieux passer l'air ainsi. Exactement comme le soir du retour de sa mère.

- Eh, Jules, regarde-moi. Non, non, regarde-moi, allez.

Agenouillé devant lui, Noah Douzebranches tentait de récupérer son attention, mais les yeux de Julian semblaient brouillés et sa respiration s'accéléra un peu plus.

- J'arrive pas... articula-t-il difficilement.

Morgane... Sa voix était rauque et flancha en prononçant à peine ces deux mots. Leonidas sentit son cœur dévaler dans sa poitrine.

- Je sais, ça refait comme la dernière fois, dit Noah doucement. Il faut que tu respires, ça va aller. Calme-toi.

- Hum...

- Même si ça prend du temps, allez. Exactement comme la dernière fois, tu peux le faire, Jules.

L'intention était bonne, il le voyait. Malheureusement, Julian ne parut pas très réceptif et il émit un bruit étranglé, les larmes aux yeux. Un faible sourire perça tout de même le voile de sa détresse.

- Comme la dernière fois, hein ? souffla-t-il d'une voix qui craqua légèrement. Tu vas me repousser sous la douche ?

- Non, c'était une situation d'urgence ça, sourit Noah à son tour. Mais garde l'idée pour plus tard, surtout.

- Merlin...

La distraction parut l'aider une demi-seconde, mais l'amusement céda la place à la panique très vite et il se remit à respirer difficilement. Une ombre passa sur le visage de Noah Douzebranches en écho. Figé près de l'entrée, Leonidas se sentit soudain impuissant et il détesta la sensation. La détresse de son filleul était palpable, comme une aura autour de lui, et il ne savait absolument pas quoi faire pour y remédier. De tous les scénarios qu'il avait envisagés, celui-ci n'en faisait pas partie. Il s'apprêtait malgré tout à s'avancer – à faire quelque chose, peu importe quoi – quand Noah reprit :

- Ok, on va essayer autre chose, d'accord ? Tu m'écoutes, t'es avec moi ?

- Oui...

Le regard toujours vitreux et le souffle court, Julian sembla se concentrer.

- Parfait. Alors tu vas me dire quatre choses que tu vois.

- Quoi ?

- Vas-y, fais-le, insista Noah. Tu prends ton temps et tu me dis quatre choses que tu vois.

Leonidas observa les yeux de Julian se détacher difficilement du garçon devant lui pour parcourir la pièce. Quand ils tombèrent sur lui, sa poitrine se souleva un peu plus rapidement, mais il se força tout de même à répondre, haletant.

- Le bureau, là-bas ; le tableau avec... l'inauguration de l'hôtel juste au-dessus... énuméra-t-il avec lenteur. Hum, la porte ouverte... et toi...

A la fin, ses yeux revirent au point de départ, et Noah hocha la tête, l'air satisfait.

- C'est bien. Maintenant, trois choses que tu sens.

- Mais...

- Non, non, allez on continue. Et respire bien en même temps, comme ça.

Avec exagération, il inspira et expira, comme pour lui montrer l'exemple. Étonnement, cela parut fonctionner car Julian poursuivit l'espèce de jeu, la respiration plus fluide.

- Je sens le lit dans mon dos, articula-t-il. Euh... ma baguette... et puis... ta main sur ma cheville...

- Génial, Jules, c'est bien.

Leonidas baissa le regard, surpris. Focalisé sur la détresse de son filleul, il n'avait pas vu la main de Noah se décaler, juste en bas de la jambe de Julian. Il recouvrait sa cheville et balayait la peau du pouce en un geste apaisant qui sembla l'ancrer un peu. S'il avait eu encore un doute – même infime – de ce qui était en train de se jouer entre les deux garçons, il n'en eu soudain plus aucun. Il aurait même pu ne pas être là tant ils étaient focalisés l'un sur l'autre et il ne chercha pas à intervenir, conscient que tout pouvait rebasculer très vite.

- Ok, dernière étape, reprit Noah. Donne-moi deux choses que tu peux entendre.

Cette fois-ci, la réponse vint plus vite, moins entravée.

- L'horloge et... et les voitures dehors.

Leonidas s'autorisa d'un coup à mieux respirer, même si ses nerfs vibraient toujours d'une énergie mal contenue. Car c'était infime, mais Julian avait raison. Les vitres ne suffisaient en effet pas à masquer entièrement le trafic new-yorkais en contre-bas et surtout, sa respiration difficile ne prenait plus tout l'espace sonore car elle s'était enfin stabilisée. Satisfait, Noah prit le temps de voir si la crise était bien passée avant de se relever soudain et de se tourner vers lui. Un long regard passa entre eux.

A nouveau, il eut l'impression d'être accusé de quelque chose et il comprit brusquement ce qu'Hilda voulait dire quand elle décrivait son neveu comme étant une forte tête. Pourtant, il vit clairement des failles dans la posture de Noah. Ce qu'il avait devant lui, ce n'était ni plus ni moins qu'un adolescent sur la défensive et Morgane seule savait qu'il avait de l'expérience avec Théa et Matthew.

Sans un mot, il désigna la porte en une invitation muette, juste pour laisser un peu d'espace à Julian, et Noah le suivit avec réticence, tirant sur son t-shirt de toute évidence remit à la va-vite pour paraître plus présentable. Ils se retrouvèrent alors face à face dans le couloir, la porte de la chambre demi-close juste à côté d'eux.

- Très bien, entonna-t-il après quelques secondes de malaise. J'ai conscience que rien n'est idéal dans cette situation, j'en suis désolé. J'étais loin de me douter... que mon arrivée provoquerait tout cela.

- Qu'est-ce que vous faites là ? rétorqua Noah, mordant.

Il tenta de ne pas s'en formaliser.

- Je cherchais Julian, expliqua-t-il honnêtement. Il devait être chez moi, mais n'était jamais arrivé. Avec tout ce qui s'est passé l'année dernière, ses parents étaient inquiets. A raison. J'ai fait quelques lieux sorciers avant de tomber sur celui-ci et le retrouver. C'est aussi simple que ça. (Il ouvrit les deux mains en signe de bonne foi avant d'ajouter calmement). Ce n'était pas un piège, je le promets.

Il ne voyait pas quoi ajouter pour apaiser la situation à part dire la vérité. Cela parut payer car Noah le scruta, suspicieux et tendu, avant de très légèrement baisser sa garde. Pour lui, ça avait l'air d'être déjà un grand pas.

- Vous ne savez rien... accusa-t-il soudain, presque défait.

Il n'arriva pas à interpréter la remarque. Pendant plusieurs secondes, il prit donc le temps de rassembler ses mots avec soin et acquiesça.

- Non, c'est vrai. Je ne prétends pas savoir ni ce qui se passe entre vous, ni ce que vous ressentez tout de suite, ni même ce que avez eu à subir jusqu'ici... Mais je crois avoir compris beaucoup de choses tout de même. Des choses dont j'aimerais discuter avec mon filleul.

Immédiatement, Noah se crispa à nouveau. Il jeta un coup d'œil vers la porte, là où Julian était toujours à se calmer et à reprendre ses esprits. Leonidas comprit son inquiétude avant même qu'il ne lui jette un commentaire acerbe.

- Je promets de ne pas le brusquer, rassura-t-il à voix basse. Mais il y a trop de non-dits accumulés depuis un an, il a besoin de parler. A un adulte, je veux dire. Ça ne peut plus durer.

Il était sincère. Entre ça, le retour de sa mère et le Rituel d'Ancrage, il commençait à reconstituer le tableau autour du poids que Julian avait paru porter à chaque fois qu'il l'avait vu. Il lui avait laissé de l'espace du mieux qu'il pouvait, mais cette méthode avait des limites. Parfois, il fallait à l'encontre de ce que les enfants disaient, même quand ils affirmaient aller bien. Il se refit une note mentale de parler notamment à Matthew avant la fin des vacances.

- Vous allez le dire ? A ses parents ? demanda alors Noah, blême. A ma tante et aux guérimages ?

- Non.

La réponse fusa avec la plus grande des facilités, sans doute la plus facile depuis qu'il avait mis un pied dans cet hôtel. Noah lui renvoya un regard étonné.

- Non ? répéta-t-il.

- Ce n'est pas à moi de le faire. En tout cas, certainement pas pour ta tante. Pour Aurélia et Ethan, il faut que je vois avec Julian, ça reste à voir et il faut prendre en compte qu'il devra trouver une explication pour cette après-midi... Quant aux guérimages...

La seule idée lui souleva l'estomac.

- Laissons-les travailler pour des choses utiles, se contenta-t-il de décréter. Tout le monde n'aura pas cet avis, je le conçois, mais pour ma part... je ne vois rien qui justifie leur intervention, non ?

Avec la sensation de marcher sur un fil, il vit pourtant le soulagement traverser les traits de Noah, si intense que son visage reprit même quelques couleurs. Il ne prit conscience qu'à cet instant à quel point ces gamins étaient terrifiés et il en voulut soudain à chaque personne qui leur avait fait ressentir ça. Le monde était décidément bien cruel.

- Juste pour savoir... reprit-il, curieux. Qu'est-ce que c'était ? La méthode que tu as utilisé à l'instant ?

Noah croisa les bras devant lui, défensif.

- Pas grand-chose, juste un truc qu'un... psycomage avait conseillé à ma mère. Elle faisait des sortes de crise aussi, un peu différentes quand même, mais je me suis dit... que ça pouvait peut-être fonctionner pareil.

- Je vois. Et bien, c'était une bonne réflexion. Merci.

Noah eut l'air surpris d'être remercié et il le laissa s'imprégner du mot, songeur. Ce n'était pas la première fois que Julian était dans cet état : ce qu'il avait pris pour le choc initial du retour de sa mère en mai dernier était peut-être plus profond que ça. Il faudrait qu'il se renseigne. Sa main s'agita vers sa poche : il avait terriblement envie d'une cigarette, mais se retint. Au lieu de ça, il sortit un billet de sa veste et le tendit à Noah.

- Tiens. Tu vas aller chercher trois cafés à l'accueil et prendre ton temps pour le faire. Fais même un tour si tu en as besoin. En attendant, je vais aller parler à mon filleul. On est d'accord ?

A son expression, il vit très bien que Noah comprit qu'il ne lui laissait pas le choix. Il parut même prêt à l'envoyer balader, mais se ravisa à la dernière seconde. Lentement, il se saisit du billet et hocha la tête, décidé à lui faire confiance.

- Deux cafés et un thé, corrigea-t-il avec effronterie. Et je garde la monnaie ?

- Et bien... Attends, tu...

Mais Noah avait déjà tourné les talons, les épaules tendues. Il resta planté dans le couloir, abasourdi et un brin amusé. Il venait de se faire escroquer par un gamin dix-sept ans, il en était presque sûr.

Maintenant, il devait faire face à l'étape la plus compliquée : Julian. Son ventre se contracta à nouveau et il espéra qu'il avait eu le temps de reprendre un minimum ses esprits dans le court laps de temps qu'il lui avait laissé. Il n'avait aucune idée de ce qu'il allait vraiment pouvoir lui dire, mais les inquiétudes de Noah lui avait donné une piste. Fort de cette conviction, il rentra à nouveau dans la chambre. Rien n'y avait bougé. Les rideaux étaient toujours tirés, plongeant la pièce dans une semi-pénombre où il était simple de distinguer les meubles mais qui ne permettait pas non plus de voir comme en plein jour, et le lit était défait, la couverture rejetée sur le côté.

A son pied, Julian était toujours assis par terre, les jambes désormais étendues devant lui. Surtout, il respirait avec plus d'aisance et, rassuré, il s'approcha de lui à pas feutrés.

- Je peux m'assoir avec toi ? s'enquit-il avec diplomatie.

Son filleul leva des yeux rougis vers lui et haussa les épaules tout en se décalant. Il prit ça pour une invitation. En veillant à laisser un peu d'espace entre eux, il s'assit donc sur le sol et sortit sa petite boîte en fer qui ne le quittait jamais. Il était temps pour une cigarette ou ses nerfs allaient le lâcher.

- Comment tu te sens ?

Ça lui semblait une bonne base pour commencer. Mutique, Julian ne répondit d'abord pas, puis haussa à nouveau les épaules. Pas vraiment une réponse donc, mais un début. Il alluma sa cigarette d'un coup de baguette.

- Ecoute, dit-il avec douceur, je vais te redire ce que je t'ai dit en mai dernier à l'infirmerie. Je ne te force pas à parler. Mais je pense sincèrement que ça te ferait du bien. Et surtout, je vais te dire ce que je viens de dire au neveu d'Hilda. Je ne prétends pas comprendre ce que tu vis en ce moment, ni même ce que tu as dû traversé... Je ne prétends pas non plus comprendre toute la situation. Je ne dirais rien à personne si tu ne le veux pas. Mais ce que tu as fait aujourd'hui... Juste disparaître, comme ça ? Ce n'est pas possible, Julian. Pas avec tout ce qui s'est passé avec Ronan.

Il réaffermit son propos d'un regard perçant, mais Julian ne réagit pas. Les yeux fixés devant lui, sa mâchoire était si serrée qu'il devait en avoir mal, et il comprit soudain une chose : son filleul serait aussi dur à aller chercher pour parler que Noah Douzebranches avait été au contraire prêt à exploser.

- Julian, tu m'entends ? insista-t-il. Je ne dis pas ça pour que tu te sentes mal, je sais que rien n'est facile dans tout ça... Et je n'aurais pas voulu apprendre... ces choses-là comme ça vient de se passer. Mais si je suis là, c'est parce que ta mère était morte d'inquiétude et que j'ai promis de te chercher.

Il tenta de croiser son regard et, enfin, Julian réagit.

- Donc elle peut faire croire à sa mort un an, mais moi je ne peux pas « juste disparaître comme ça » deux heures sans qu'elle t'envoie jouer à l'Auror ? claqua-t-il.

Sa voix était encore instable, un peu rauque sur les bords, mais elle était bien audible. Leonidas retint un soupir.

- Très bien, c'est sans doute légitime, consentit-il. Mais ça ne justifie pas. Les situations sont très différentes, Ju', tu le sais. Et ça n'améliora pas les choses de la blâmer comme ça. Tu lui as demandé des explications, elle te les a donnés, j'étais là avec toi. Elle t'a littéralement montré ses souvenirs, des traumatismes qu'elle traîne avec elle depuis des années, tout ça pour nous faire comprendre...

- Alors ça règle tout ?

- Non. Non, ce n'est pas ce que je dis. Je suis le premier à lui en vouloir, mais je pense aussi que nous ne sommes jamais à la place des autres. Et que la peur peut nous faire faire des choses dont on ne se pensait pas capable, surtout lorsqu'on se croit au pied du mur.

D'un regard appuyé et éloquent, il tenta de lui faire comprendre le parallèle. Ce qu'il avait déjà décelé quelques minutes plus tôt chez Noah se révéla alors chez Julian également : il avait peur. De quoi exactement, il ne pouvait que l'imaginer, mais les raisons ne manquaient pas.

- Les actions de ta mère et les tiennes aujourd'hui n'ont rien à voir, asséna-t-il avec fermeté. Ne te cache pas derrière, d'accord ?

- Tu dis ça... tu dis ça pour quoi alors ? Tout le discours moralisateur ? répliqua-t-il d'une voix tremblante. C'est parce que tu penses que... c'est mal, c'est ça ?

Le souffle bloqué, Julian posa son regard sur l'ensemble de la pièce et il comprit la question réelle : « qu'est-ce que tu me reproches ? ». Parce que c'était ça qui importait en premier lieu. Est-ce qu'il trouvait mal... ce qui se passait avec Noah Douzebranches ? Il comprit soudain le décalage entre eux et il se râcla la gorge.

- Non, je ne trouves rien de mal de manière générale à beaucoup de choses dans la vie. Mais je pense qu'il faut toujours bien réfléchir aux conséquences de nos actions et que c'est ça qui importe. En revanche, j'aurais dû mal à juger si... je ne sais pas exactement définir ce que tu entends par le « c'est mal ». Alors pourquoi tu ne commencerais pas par m'expliquer ? Dans les grandes lignes au moins ?

Il essaya de paraître aussi ouvert que possible, sa cigarette au coin des lèvres, et Julian le dévisagea, pâle. Sa respiration était toujours un peu trop saccadée, mais loin d'être aussi inquiétante que tout à l'heure et il lui laissa le temps dont il avait besoin, patient. Il espérait juste que Noah prenne ses consignes à cœur et ne revienne pas trop vite, même s'il en doutait. Pourtant, après presque une minute de débat interne, Julian déglutit. Et il se mit à raconter, les yeux obstinément baissés sur la moquette entre ses pieds.

Il l'écouta jusqu'au bout sans l'interrompre. Il avait la sensation que s'il le faisait, son filleul ne reprendrait jamais. Et soudain, le tableau se précisa, prit des couleurs plus nettes, plus vives. Il se traita mentalement d'idiot. Il avait tout sous-estimé, tout. Ce qu'il avait pris pour une aventure un peu bancale, poussée par un désir adolescent, s'avéra être une histoire bien plus complexe qui durait depuis plus d'un an. Il lut entre les lignes tout le désarroi de Julian, sa souffrance et sa culpabilité aussi, mais surtout ses sentiments pour Noah. Il apprit ce qui s'était passé entre eux, le déni et les disputes, les heures passées à dessiner et à se chercher, l'ultimatum et la rédemption de Noah ; puis aussi ce qui s'était passé avec Hanna, puis Othilia et Théa dernièrement. La soudaine distance entre les deux cousins lui apparut plus claire.

- C'était ce que tu voulais dire... réalisa-t-il soudain comme une évidence lorsque Julian eut terminé. Quand tu m'as demandé la dernière fois ce que ça faisait d'aimer quelqu'un qu'on n'avait pas le droit d'aimer.

- Ouais... c'était ça.

Nerveusement, sa main pianota contre son genou et Leonidas prit conscience qu'il n'avait toujours émit aucun jugement, ni positif ni négatif.

- Alors à la lumière de tout ce que je viens d'apprendre... Je dirais que ma réponse ne change pas. J'ai aimé Lysandra malgré tous les obstacles devant nous et ça n'a jamais été u choix. L'amour n'est jamais un choix, il est tout simplement.

Il marqua une pause, juste pour être sûr que Julian l'écoutait bien. Au vu de la tension qui quittait doucement son dos raide, c'était le cas et il asséna donc :

- Personne ne pourra condamner ça, peu importe ce que la loi prétend. Si quelqu'un te dit l'inverse, alors c'est à moi qu'il devra en répondre, je te le promets.

- Leo...

Mais aucun mot ne franchit la gorge comprimée de son filleul. Il se contenta juste d'hocher la tête, l'air reconnaissant, et il sentit son cœur se serrer en songeant que pour en arriver là, toutes les réactions n'avaient dû être aussi ouverte d'esprit – à commencer par Hanna mais aussi certainement des propos entendus à Poudlard et Ilvermorny que Julian avait passé sous silence – et que la peur avait pris une place prédominante en lui.

- Juste pour savoir, qui est au courant ? demanda-t-il alors que sa cigarette se consumait à presque lui en brûler les doigts.

- Maintenant ? Pas mal de monde... (il se mit à compter sur ses mains). Matt, Hanna, Othilia, Théa, notre amie Aileen et... la mère de Noah.

- Heather sait ?

Son étonnement résonna dans la chambre. Julian grimaça.

- Ouais... Il lui a dit pendant sa fugue, cet été. Elle dira rien, elle l'a bien pris...

- Hum...

Tant mieux, c'était toujours rassurant. Il connaissait juste Heather, plus de réputation que pour lui avoir réellement parlé, mais il savait qu'elle était instable. Il espérait que la confiance que son fils avait placé en elle ne reviendrait pas les hanter plus tard.

- Et tes parents à toi ? dit-il, prudent.

Julian écarquilla les yeux, l'air paniqué.

- Non ! Non, ils savent pas... je veux pas... Ni Lottie, je sais pas s'ils... comprendraient.

- Je ne sais pas non plus, admit-il honnêtement. Si ça avait été Théa ou Archer, j'aurais dit que c'était très risqué. Toi ? J'ai peu de doute sur ta mère, Aurélia et moi avons toujours eu une pensée assez semblable. Pour ton père... je ne dis pas qu'il comprendrait, peut-être pas tout de suite, mais il ne s'énerverait pas non plus.

Au fond de lui, il était plutôt persuadé d'avoir raison. Aurélia était tournée vers le monde et son évolution malgré son amour pour le passé en tant qu'historienne et elle avait toujours été de toutes les causes. Il n'oubliait pas qu'elle avait été à l'initiative d'une manifestation à Ilvermorny pour le droit des filles à faire partie des équipes de Quodpot. Quant à Ethan, il était trop plongé sur ses préoccupations pour se soucier de ces questions, mais il aimait son fils. Rien ne pourrait ébranler ce fondement sur lequel il avait bâti sa vie. A côté de lui, Julian sembla réfléchir à la question et il se douta qu'il parvint à la même conclusion, même si une certaine retenue se lisait sur ses traits.

- Ca ne veut pas dire que tu es obligé de leur dire non plus, tu sais, rassura-t-il. Prends le temps de pardonner à ta mère, déjà. Et je veux dire vraiment pardonner, Ju', pas faire semblant parce que tu penses que c'est mieux pour tout le monde.

- Je ne...

Mais Julian ne finit même pas. Il se contenta d'hocher la tête, résigné, et Leonidas écrasa sa cigarette contre le pied du lit. Il espéra que l'hôtel ne serait pas trop regardant sur l'état de la chambre.

- Tu sais, reprit en s'éclaircissant la gorge, je suis désolé que tu ais eu à me le dire dans ces circonstances en tout cas. Je sais que ce n'est pas idéal. Mais j'espère que tu comprends ce que je te disais au début...

- Les actions ont des conséquences ?

- Exactement. Ta mère est vraiment morte d'inquiétude, Ju'. Ce n'est pas juste pour elle, ni pour moi, ni pour ton père. Je ne minimise pas la complexité de ce que tu... vis avec Noah, mais tout de même. Le danger que représente Ronan est réel, tu l'as vu.

- Je sais...

L'air coupable, il se tordit les mains, le regard à nouveau baissé. C'était le problème avec un adolescent comme lui : il était difficile de lui reprocher des choses dont il avait déjà conscience. Mais il supposait que c'était son rôle de parrain d'essayer malgré tout.

- Et si on doit parler d'autres conséquences... continua-t-il lentement, incertain de comment amener le sujet. Un hôtel, hum ?

- Hum ?

- Tu vois très bien de ce dont je parle, Julian. Est-ce qu'on père avait fini par... te parler au noël dernier ?

Il se revoyait encore rire avec Lysandra dans leur coupe de champagne devant la fuite éhontée d'Ethan et le regard horrifié de Julian. Regard qu'il abordait justement à l'instant, l'air de vouloir disparaître sous terre, et très honnêtement il n'en était pas loin lui-même non plus. Il était assez loin de son champ d'expertise, mais il fallait aussi se rendre à l'évidence : la chambre d'hôtel, le lit défait derrière eux et la marque rouge suspecte dans le cou de Julian n'étaient pas là par hasard.

- Leo, sérieux... s'étrangla-t-il, mortifié.

- Ah mais je suis très sérieux. On en reparlera plus tard pendant les vacances, je pense, il faut que... j'appréhende le sujet. Il va falloir quelques ajustements je crois.

Il fit un geste vague censé vouloir dire tout et n'importe quoi et son filleul le regarda encore plus horrifié qu'il y a une seconde. C'en aurait été presque amusant si le sujet n'avait pas été si sérieux et il aurait presque pu sourire si un autre détail ne lui était pas revenu.

- Quand je dis ça, je ne parle pas que de... ça, précisa-t-il, mal à l'aise. Je veux dire que c'est dangereux aussi. Je te l'ai dit, mes avis sont les miens, mais pas ceux de tout le monde. Tu le sais même sans doute mieux que moi. Si quelqu'un apprend pour vous, ici... Les choses pourraient mal tourner, tu m'entends ?

Il n'aimait pas avoir à faire ce genre de mise en garde, mais la réalité l'y obligeait. Encore hier, un article paraissait pour s'interroger sur le VIH chez les sorcier, a priori pas touché, mais les guérimages tenaient un discours dur et drastique sur la question. L'air sérieux, Julian hocha la tête sans rencontrer son regard. Il eut soudain le besoin d'alléger l'atmosphère.

- Si ça peut te faire sentir mieux, lança-t-il alors, Matthew a tenté de te sauver la mise.

Comme espéré, cela suffit à piquer sa curiosité.

- Quoi ? fit-il, perplexe.

- Quand on s'inquiétait pour te chercher, je lui ai demandé s'il savait où tu pouvais être ou avec qui. Il m'a regardé droit dans les yeux en m'affirmant que non. (Il rit, amusé par l'audace de son neveu). Je pense qu'il a compris qu'il venait de t'attirer des ennuis en voulant te faire venir plus tôt chez nous.

La réalisation se peint sur les traits de Julian. Visiblement, il avait été trop pris dans sa détresse pour penser à comment il les avait retrouvés ici et il jura dans un souffle à peine audible contre son meilleur ami en roulant des yeux. Leonidas sourit, amusé. Il allait presque se lancer dans une imitation de Matthew, juste pour le faire rire un peu, quand on toqua à la porte de deux coups brefs. Ils relevèrent la tête en même temps.

- C'est bon, je peux revenir ? fit la voix de Noah Douzebranches, à peine visible. J'ai déjà fait le tour de l'hôtel trois fois et bu les deux cafés.

Leonidas soupira.

- Et pour ça, je suppose que tu ne me rendras quand même pas ma monnaie ? rétorqua-t-il en connaissant pertinemment la réponse. Viens, entre.

Lentement, la porte s'ouvrit et Noah entra, un seul gobelet encore fumant à la main. Il traversa la chambre avec une nonchalance étudiée, même si son regard ne quitta pas Julian une seconde, alerte. Quand il arriva enfin devant eux, il se mit à leur hauteur et lui tendit sa boisson.

- Tiens... Ce n'est pas le meilleur thé du monde, je pense même que ça va être une infamie à tes yeux, mais c'est tout ce qu'ils avaient...

- Merci...

Presque timidement, Julian s'en saisit et dans le regard qu'ils échangèrent brièvement, Leonidas lut toutes les questions qui défilaient à une vitesse folle : « est-ce que tu vas bien ? », « qu'est-ce qu'on fait ? », « je suis désolé... ».

Ce regard, plus que tout autre chose, lui donna un coup au cœur, mais le conforta aussi. Quoique Julian soit en train de faire, ce n'était pas un caprice d'adolescent, ni une façon de tester les limites de l'autorité autour de lui. Ça n'était pas un choix non plus. L'amour n'en était jamais un. 

********************

Verdict ? 

Je crois que ça a été un de mes chapitres préférés à écrire aussi, bien qu'assez compliqué. Ce que j'ai aimé, c'est pouvoir me mettre d'un point de vue extérieur sur le Nolian, parce que mine de rien ça n'avait jamais été le cas. Là, j'avais un regard qui se posait sur les deux en même temps et même moi j'étais surprise d'enfin le "voir". 

J'ai aussi énormément aimé écrire Noah. Ses réactions ont même peut-être été plus simples à écrire que celles de Julian. J'avais cette image de lui assez prévenant envers Jules, provocateur en même temps et pourtant terrifié à la fois face à Leonidas. Je trouvais que ça incarnait bien toute sa personnalité finalement. 

Pour la suite, on retrouvera encore Matthew, aperçu ici mais qui retrouvera vraiment une scène avec Julian en prime ! Mais ça sera pour dans deux semaines cette fois,  pas de faveur haha ! 

Et je vous laisse avec les memes de Lina ^^ 

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