Chapitre 26 : Les deux héritières
Hellooo ! J'ai eu le temps de préparer le chapitre cette fois donc je vous le livre ce matin ^^ (update : non, il est midi, parce que j'ai préparé le chapitre hier soir mais j'ai oublié de le poster en allant au travail - oui, je travaille le samedi je suis bibliothécaire - et heureusement que Perri est là pour m'envoyer un "bah alors le chapitre?")
Merci pour tous vos retours sur le dernier chapitre, j'avais un peu peur de vous décevoir avec le secret d'Aileen tellement y'avait eu d'hypothèses dessus haha ! Mais ça m'a fait super plaisir de voir que vous avez aimé ^^
Sinon, petite info sport du jour parce que c'est les championnats du monde de gymnastique en ce moment : la France est médaille de bronze par équipe et je suis troooop contente, j'espère que ça sera de bon augure pour les JO !
Niveau écriture, j'ai enfin terminé d'écrire la dernière partie du bonus Cendres et Lumières - mon bonus où je m'insère dans les blancs de O&P pour raconter du pov de Julian et Noah - et je n'ai pas encore décidé quand le poster. Pour noël en cadeau ? Ca fait un peu loin. Le 31 octobre en date symbolique ? Why not ! Mais s'il y a un anniversaire qui arrive, hésitez pas à me le dire, je prends les propositions haha !
Allez, j'arrête de vous embêter et je vous donne le chapitre. Hâte d'avoir vos commentaires, ça me fera décompresser de mes révisions du concours parce qu'en j'en peux pluuuuuus d'apprendre des trucs sur l'administration des collectivités territoriales haha !
(Oui la citation est de Doctor Who parce que je retombe dans mon obsession. Le 60e anniversaire va être fabuleux ! )
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Chapitre 26 : Les deux héritières
« Sometimes, the only choices you have are bad ones, but you still have to choose »
- Le Douzième Docteur, Doctor Who-
// 22 décembre 1980 //
CONVOCATION MINISTERIELLE
À l'attention de Miss Théodora Grims,
Ayant été citée en tant que témoin lors de l'enquête préliminaire n°1694 du Bureau des Aurors, le présent document notifie votre convocation obligatoire le 25 mai 1981 à 15h30 EDT au Tribunal du MACUSA à New York City dans le cadre du procès d'Emilia COOPER.
Tout refus devra être justifié par un motif valable (voir page annexe au présent courrier).
Un représentant du Département de la Justice vous sera assigné une heure avant le début de l'audience afin de préparer votre appel à la barre.
Bien cordialement,
Le Département Juridique du MACUSA
Théa fixa le sceau du MACUSA – un aigle aux couleurs du drapeau américain entouré d'étincelles magiques – à s'en brûler la rétine, mais ça ne faisait pas de doute : la lettre était authentique. Et elle avait beau lire et relire la fameuse liste annexe des raisons valables pour échapper à cette convocation, rien n'était envisageable, à moins qu'elle ne finisse à l'hôpital le jour J. Peut-être qu'elle pourrait se défouler sur Noah la veille, elle avait envie de lui envoyer un sort depuis un moment, mais même cette solution avait un problème : elle était presque sûre de gagner le duel et ça serait Noah qui se retrouverait à l'hôpital. Aucun intérêt réel donc, en tout cas pas pour échapper à sa convocation.
Avec un soupir, elle se laissa tomber sur son lit, frissonnante. Même après être revenue depuis plusieurs jours, sa chambre avait du mal à se réchauffer et elle tira sur les manches de son pull. Elle se fit une note mentale de demander à l'elfe de maison de réalimenter les cheminée pour gagner un peu de chaleur.
En vérité, elle aurait toujours pu aller dans le salon – il y faisait plus chaud – mais elle préférait rester retranchée dans sa chambre depuis le début des vacances. C'était toujours mieux que de devoir croiser Julian et devoir interagir avec lui, surtout qu'il restait collé à Matthew. C'était peut-être le plus frustrant : il ne devait même pas ressentir la distance qu'elle avait mis entre eux autant qu'elle l'aurait voulu. Même si techniquement Matthew logeait chez Leonidas et Lysandra à Boston, il passait le plus clair de son temps ici. C'est bien simple : il était déjà là quand elle se levait le matin et il repartait seulement quand tout le monde allait se coucher. La nuit dernière, il était même resté. Son intuition lui disait que son matelas gonflable allait rester installer dans la chambre de Julian toutes les vacances à ce rythme !
Le pire ? Elle n'arrivait pas à complètement leur en vouloir. C'était évident que son meilleur ami avait manqué à Julian et que d'avoir un bout de son ancienne vie, ici à New York, lui faisait du bien. La surprise de le voir débarquer une semaine plus tôt que prévu dans ces vacances étendues lui avait redonner le sourire. Elle aurait se réjouir pour lui... Mais dès qu'elle le voyait rire avec Matthew, elle pensait à Othilia. Elle pensait à sa meilleure amie à elle, trahie non seulement par Noah – mais ça, elle l'avait vu venir – et surtout par Julian. Alors oui, peut-être que c'était injuste de faire peser la responsabilité aussi fortement sur lui : après tout, c'était Noah qui l'avait trompé, c'était Noah qui n'avait pas cessé de passer du chaud au froid toute l'année dernière...
Mais à ses yeux, elle avait fait confiance à Julian. Elle lui avait ouvert sa porte, littéralement, et il s'était infiltré dans sa vie, jour après jour. Ça n'avait pas été une année normale et leur relation s'était construite là-dessus, à force de secrets révélés, de longues soirées à percer le Rituel d'Ancrage et de discussions à cœur ouvert. Elle avait réussi à lui parler de Théo et de son père comme elle ne l'avait plus fait depuis des années...
La réciproque n'avait pas été si vraie, elle ne s'en rendait compte que maintenant. A chaque fois qu'elle s'était livrée à lui, Julian avait su écouter, c'était vrai. Mais il ne s'était jamais confié en retour. Ni sur le deuil de sa mère, ni sur ce qu'il ressentait sur les chamboulements qu'il avait dû subir en quittant l'Angleterre et en arrivant à Ilvernormy, et encore moins sur ce qu'il avait été en train de vivre avec Noah. Elle ne connaissait pas les détails, mais elle supposait qu'elle ne pouvait pas l'en blâmer totalement non plus... Qui pouvait admettre une chose pareille ?
- Il aurait pu débarquer et sortir un matin autour d'une tasse de thé, « eh en fait Théa, j'ai embrassé le copain de ta meilleure amie, ça te dérange pas j'espère ? », marmonna-t-elle rageusement.
Dans son poing crispé, sa convocation ministérielle se froissa et elle la reposa sur sa table de chevet avec brusquerie. Non, Julian n'aurait définitivement pas pu lui dire ça, elle voulait bien lui accorder ce point... Mais il n'aurait rien eu à lui avouer s'il ne s'était pas mis dans cette situation, surtout avec Noah Douzebranches. Plus que tout, elle les détestait de la mettre dans cette position celle où elle devait choisir un camp au moment où Julian venait de lui avouer quelque chose de si difficile.
Les yeux clos, elle revit son visage quand les mots avaient franchi ses lèvres... « Théa, je suis gay ». Morgane, sa voix. Elle l'avait rarement entendu trembler autant, même face à son père le soir de leur confrontation et au retour de tante Aurélia. Le poids de sa confession leur avait pesé à tous les deux et encore maintenant elle ne savait pas bien quoi en penser. Elle n'y avait jamais réfléchi, n'y avait jamais été confronté... Mais à la seconde où elle avait vu la peur dans son regard, elle s'était simplement dit que ça importait peu face à tant d'autres choses. Julian avait été là toute cette année, il l'avait soutenu ; il y avait des choses et des actes bien plus graves que d'aimer un peu différemment du reste de la société. A choisir, elle préférait en vouloir à son père qui lui l'avait mérité plutôt qu'à Julian. Et ça aurait tellement plus simple de se tenir à cette posture si la révélation au sujet de sa relation cachée avec Noah n'avait pas suivi dans la foulée.
La tête douloureuse, elle lâcha un énième soupir. Sa chambre lui parut soudain étouffante, elle en avait marre de tourner en rond au manoir. D'un geste sec, elle enferma la convocation du Ministère dans le tiroir de sa table de chevet pour ne plus la voir et se leva. Il ne lui fallu que quelques secondes pour enfiler ses chaussures et descendre les escaliers jusqu'au rez-de-chaussée.
Dans le salon, elle trouva sa mère, assise sur le canapé en train de lire l'exemplaire du jour de La Revue du Nouveau Monde. Le visage d'Emilia s'étalait sur une page entière, signe que le procès faisait encore les choux gras de la presse. A la table juste à côté, tante Aurelia, Julian et Elizabeth étaient tous penchés vers quelque chose et elle dû faire quelques pas pour entrer dans la pièce, étonnée, avant de comprendre sur quoi ils s'extasiaient. Perché sur les genoux de sa mère, le petit Archibald, deux ans, tenait dans son poing un crayon qu'il faisait courir sur une feuille avec enthousiasme. Un éclat de rire aigu, si typique des bébés, résonna autour d'eux quand il vit le trait de couleur s'étaler devant lui.
- Bravo, Archie ! s'extasia Elizabeth. C'est beau !
- C'est expérimental, jugea Julian, amusé.
Tante Aurélia lui donna un coup de coude.
- Eh, toi, fit-elle en riant. C'est sa première œuvre, sois indulgeant. Tu as commencé comme ça aussi. Bon, ça n'a pas été de tout repos non plus. Tu t'es mis à dessiner sur les murs, ton père m'en a voulu de t'avoir mis un crayon dans les mains.
Julian grimaça, l'air moitié coupable moitié amusé lui aussi, et le petit Archibald ajouta un deuxième trait coloré à son dessin dans un babillement ravi.
- Merci pour le conseil, je vais le surveiller alors, se méfia Elizabeth. Sinon Isadora refusera de nous ouvrir sa porte définitivement.
- Le papier peint date d'il y a plus d'un siècle, ça ne lui fera peut-être pas de mal pourtant, commenta sa mère en relevant les yeux de son journal. Ah tiens, Théa. Tout va bien ?
D'un coup, tous les regards se portèrent vers elle en se rendant compte de sa présence. Elle se râcla la gorge avant d'avancer un peu plus et prit soin de ne pas accorder un regard à Julian.
- Oui, oui... Je venais juste te prévenir que je vais me balader, histoire de prendre l'air. Je reviens avant le dîner, c'est promis.
- Te balader ? En ville, toute seule ? s'inquiéta sa mère.
Elle aurait dû le voir venir... Tendue, elle vit le regard que Cordelia échangea avec tante Aurelia, comme si la même idée les traversait toutes les deux. Elle n'eut pas de mal à comprendre.
- Maman, s'il avait été dans les parages, ça ferait longtemps qu'on l'aurait su... On n'a pas de traces de lui depuis mai dernier.
- Ca ne veut rien dire. Ronan sait attendre le moment venu, crois-moi... S'il est à New York et qu'il te voit...
- Je suis sûre que non. Il a eu un an en liberté l'année dernière, il a préféré le passer à courir après une vieille relique avec Emilia Cooper plutôt que de me contacter, cracha-t-elle. Ça veut tout dire.
Son ton dur fit tressaillir sa mère. L'argument était lourd de vérité, mais elle vit directement qu'elle ne l'avait pas convaincu à la peur qui jouait toujours sur ses traits malgré la maîtrise dont elle essayait de faire preuve.
- Et si Julian t'accompagnait ? proposa soudain tante Aurelia. Tu ne serais pas toute seule au moins. Et ils sont tous les deux assez habiles en magie pour se défendre au besoin.
Elle appuya sa remarque d'un regard vers sa sœur, comme pour la tranquilliser même si ça lui en coûtait visiblement. Théa n'avait pas oublié les cris de la dispute entre Julian et elle aux dernières vacances quand il avait voulu sortir pour retrouver Noah après sa fugue et qu'elle avait été trop inquiète pour le laisser sortir seul. L'empressement de son cousin lui apparut soudain sous un jour nouveau et elle se traita mentalement d'idiote. Tout avait été si évident, sous ses yeux, et elle n'avait rien vu. La frustration lui hérissa la peau.
De l'autre côté de la table, Julian parut gêné et la tension se renforça entre eux alors qu'elle le défiait du regard de ne serait-ce qu'envisager d'accepter. Sa réponse fusa de toute façon avant qu'il n'ait pu ouvrir la bouche :
- Non, refusa-t-elle. Pas besoin, je vais chez Othilia. Je ne pense pas que Ju' ait envie de m'accompagner chez elle, pas vrai ?
Elle lui fit un sourire ironique, plein de sous-entendus. Evidemment, aucun adulte ne pouvait comprendre – Archibald continuait à dessiner n'importe comment, insensible aux troubles autour de lui – mais Julian se crispa. Il lui décocha un œil noir, comme une mise en garde.
- Non, c'est vrai... dit-il finalement après quelques secondes quand sa mère lui jeta un regard interrogateur. J'ai plein de choses à faire en plus, je peux pas l'accompagner...
- Plein de choses à faire ? répéta Aurelia. Ça ne peut pas attendre un après-midi ? Matthew va être chez Leo et Lysandra jusqu'à ce soir, ça serait l'occasion parfaite.
Julian secoua la tête.
- Je dois finir un devoir de sortilèges, je veux m'en débarrasser maintenant pour être tranquille pour le reste des vacances... Et puis je dois répondre à Noah, on essaye de constituer son book, il a besoin d'avis.
- Oh dans ce cas...
Elle manqua de s'étouffer d'indignation alors que tante Aurelia haussait les épaules, défaite. L'audace n'avait pas de limite. Mâchoire crispée à s'en faire mal, elle capta pourtant le regard de Julian cette fois-ci, littéralement dirigé vers elle : « un partout, le souafle au centre ». Si elle voulait jouer à ce jeu, il lui rappelait qu'il pouvait très bien y jouer et que sa patience avait des limites. Elle le sentait depuis leur arrivée pour les vacances. Il se savait en tort mais il n'était pas prêt à accepter toutes ses piques sans broncher et elle ne savait pas quoi en penser.
D'un côté, ça l'énervait prodigieusement et de l'autre elle avait conscience qu'il ne le serait pas permis il y a un an quand ils se connaissaient moins... A moins que ça ne soit l'influence de Noah sur lui et elle maudit ce dernier un peu plus. En retournant à Ilvermorny, il faudrait qu'elle pense à demander à Clémence Laveau si elle avait des poupées vaudou. Planter des aiguilles dans une figure à son effigie la défoulerait sans doute.
- Bon, du coup je peux y aller ? demanda-t-elle à la cantonade, impatiente de s'échapper.
- Je suppose que oui, se résigna sa mère. Mais fais attention, prends le WASP pour te déplacer. Prends de la monnaie dans mon sac dans l'entrée et surtout tu rentres avant dîné, c'est clair ?
- Promis.
Pour faire bonne mesure, elle s'avança vers le canapé et vint lui déposer un léger baiser sur la joue pour la remercier. Sa mère la laissa faire, le dos droit, mais sa main s'attarda quelques secondes sur son visage avant qu'elle ne s'écarte.
Quand elle sortit du salon, elle entendit simplement tante Aurelia essayer de la rassurer pendant qu'Archibald se remettait à babiller joyeusement devant son dessin. Une minute plus tard, elle était dehors et la porte claquait sur une remarque désobligeante du portrait de la grand-tante Sarana, toujours aussi ridicule avec sa perruque poudrée. Le froid lui mordit la peau violemment. L'hiver s'était installé dès fin novembre à New York selon ce qu'on lui avait dit, mais les températures avaient drastiquement chutées cette semaine et un fin manteau de neige recouvrait l'avant-cour du manoir. Elle agita sa baguette, le bout des doigts engourdis.
Dans un bang sonore, un taxi jaune apparu alors devant la route. Wagon Automobile pour Sorciers Passagers étaient inscrits en lettre noir sur la peinture criarde de la portière et elle l'ouvrit d'un geste empressé avant de s'y engouffrer. La chaleur l'enveloppa immédiatement. A l'arrière, deux banquettes se faisaient face, recouvertes selon les sièges de vieux cuir ou de fourrure à motif dans un ensemble hétéroclite. Une lampe Tiffany grand siècle pendait même du plafond pour éclairer l'habitacle et elle s'installa confortablement avec cette sensation inébranlable d'adorer la magie. Rien n'était mieux qu'une voiture plus grande à l'intérieur qu'à l'extérieur.
- On va où, mamzelle ? lança le chauffeur à l'avant avec un fort accent du sud.
- A cette adresse, s'il vous plait.
Elle se pencha par-dessus la banquette pour lui tendre une enveloppe. L'adresse était écrite au dos.
- En Oregon ? déchiffra-t-il. Ca va coûter quelques dragots, ma zolie.
- Je sais, j'ai de quoi payer. Tenez. Vous aurez le reste à l'arrivée.
Les sourcils du chauffeur se haussèrent de surprise devant les trois gros pièces qu'elle déposa dans sa main et il ne chercha plus à protester. Prestement, il refit face au volant, un espèce de cercle recouvert de fourrure rose et le véhicule s'ébranla alors à une vitesse fulgurante. Théa se renfonça dans son siège, nerveuse. Elle prenait rarement le WASP – ça devait être la troisième fois dans sa vie sans doute et la première fois toute seule – mais il y avait quelque chose de grisant à virevolter dans le trafic chargé newyorkais, invisible aux yeux des Non-Maj'. New York défilait si vite derrière la vitre que les buildings de Manhattan se brouillèrent.
Elle ne savait pas pourquoi elle avait donné cette adresse. Elle ne pouvait même pas blâmer un coup de tête : elle avait pris l'enveloppe dans sa poche au moment de sortir de sa chambre, même si elle avait hésité jusqu'au dernier moment à s'en tenir au plan annoncé en se rendant au Village voir Othilia. Mais la remarque acerbe qu'elle venait d'asséner à sa mère l'avait fait changé d'avis.
« Il a eu un an en liberté l'année dernière, il a préféré le passer à courir après une vieille relique avec Emilia Cooper plutôt que de me contacter ».
Il était temps qu'elle paye une petite visite à la famille Cooper.
**
*
C'était la campagne. La campagne profonde.
Dès que le WASP repartit, la laissant seule dans ce petit village de l'Oregon, Théa se demanda ce qu'elle faisait là. Le silence était tonitruant, loin du bourdonnement incessant de New York. Pas de métro qu'on entendait sous le sol, pas de klaxons, pas de cris dans des langues des quatre coins du globe... Elle se sentie perdue, les pieds dans la neige, en face de cette maison modeste typiquement américaine qu'elle découvrait pour la première fois. Peut-être qu'elle était paranoïaque, mais elle se sentit presque épiée, plantée au milieu de la rue, et elle avança jusqu'à la porte en vitesse pour ne pas se faire davantage repérer par les voisins.
Elle ne parvint pourtant pas à toquer toute de suite... Qu'est-ce que Liam allait dire en la voyant débarquer en pleine vacances scolaires ? Sans prévenir ? Profondément mal à l'aise, elle songea à rappeler le WASP immédiatement : personne n'avait besoin de savoir qu'elle s'était trouvée ici. Et en même temps, elle n'avait pas payé le trajet autant ni traverser une partie du pays pour rentrer à New York comme ça.
Les mains tremblantes, elle toqua avant de se laisser l'occasion de repartir en courant. Les secondes qui s'égrenèrent furent autant de coups sourds dans sa poitrine et elle attendit, le cœur affolé. Le battant s'ouvrit enfin.
- Oui ? C'est pour quoi ?
Devant elle, une femme d'une cinquantaine d'année la toisait, méfiante. Elle avait des cheveux striés de gris attachés à l'arrière de sa tête par une pince, des poches sous les yeux, mais une posture ferme. C'était le genre de femme qui semblait épuisé tout en paraissant incapable de s'écrouler car elle avait un foyer à tenir, car la société ne laissait pas le luxe aux femmes comme elles – et à toutes les femmes – de flancher. Théa n'eut aucun mal à la reconnaître : elle avait la même couleur d'yeux que son fils et elle avait brièvement aperçu devant le tribunal du MACUSA l'été dernier.
Silencieuse, elle chercha ses mots et Barbara Cooper s'impatienta.
- Eh bien ? Ils envoient des stagiaires maintenant, c'est ça ? s'agaça-t-elle. Vous pouvez dire au journal – je devais dire au torchon – pour lequel vous travaillez que je n'ai rien à dire. Ma fille est revenue, c'est tout. Laissez-nous tranquille !
- Je...
- Quoi ? Je n'ai pas été assez clair ? Ca devient du harcèlement, ne revenez pas !
Enervée, elle tenta de refermer la porte, mais Théa réagit enfin. Sa main fusa avant qu'elle ne réfléchisse et elle la repoussa pour la maintenir ouverte, paniquée.
- Non, non attendez. Je ne suis pas journaliste ! Je suis... une amie de Liam.
- Liam ?
- Oui... Une amie de son école, vous savez ?
Elle assortie le mot d'un regard éloquent et la surprise se peignit sur le visage de Mrs Cooper. Une brève seconde, elle l'observa comme pour chercher des indices, puis ses yeux dérivèrent entre sa poche – là où se devinait sa baguette – et la fenêtre des voisins d'en face. Elle lui fit signe avec empressement.
- Entre, entre, vas-y, l'enjoignit-elle. Désolée, Liam ne m'avait pas prévenu qu'il devait avoir de la visite, il n'en a jamais... enfin pas de son école.
Elle s'exécuta sans attendre, gênée de ramener à l'intérieur ses chaussures pleines de neige. Ça ne l'étonnait pas que Liam n'ait jamais eu de visite du monde magique. Aileen retournait toujours au Canada pendant les vacances, ça faisait bien trop loin pour une visite dans l'Oregon, mais cette constatation fit faire un soubresaut à son estomac.
- Je ne l'avais pas prévenu, s'excusa-t-elle. Ce n'était pas de sa faute, désolée...
- Oh...
Maintenant soustraire à l'attention de potentiels voisins voyeurs, Barbara Cooper prit le temps de la détailler de haut en bas. Elle se sentit encore plus mal à l'aise avec sa cape de sorcière, si décalée dans cette maison – ou du moins son entrée – où tout faisait si... Non-Maj'. Pas de tableaux parlants d'ancêtres vieux de plusieurs siècles, pas d'elfe de maison pour accueillir, pas de porte-manteau qui s'adaptait au nombre de vêtements pendus...
- Liam est en haut dans sa chambre, finit par déclarer Mrs Cooper. Tu peux y aller.
Elle désigna l'escalier à leur gauche. Recouvert d'un tapis à motif floral éliminé, il n'avait rien à voir avec celui du manoir, vaste et en vieux bois.
- Merci... souffla-t-elle dans un filet de voix.
Hésitante, elle avança lentement. Elle avait le pied posé sur la deuxième marche quand Barbara Cooper la rappela :
- Je ne t'ai pas demandé ton prénom ?
- Théa... répondit-elle. Théa Grims.
- Bien. Et tu diras à Liam de laisser la porte ouverte. Il connait les règles.
Sur ces mots, elle quitta l'entrée pour s'engouffrer dans ce que Théa distingua comme étant un salon ou une salle à manger. Elle resta figée sur sa marche, le visage brûlant. Elle avait peur de comprendre ce que Mrs Cooper venait de sous-entendre, mais elle n'était pas assez naïve pour l'ignorer. Sa propre mère aurait pu prononcer cette phrase, même si ça ne serait jamais arrivé : au manoir, elle n'aurait jamais pu se retrouver seule dans sa chambre avec Liam Cooper. Grand-mère l'aurait formellement interdit. Encore aujourd'hui – alors même que leur relation était de plus en plus acceptée par la famille – Elizabeth et Archer devaient faire chambre à part. Une pensée la frappa soudain : Matthew dormait bien dans la chambre de Julian, lui. Si Noah venait à passer un séjour chez eux, est-ce que ça signifiait... ?
- C'est déloyal... marmonna-t-elle en se remettant à gravir l'escalier. Tu triches jusqu'au bout, Shelton...
Immédiatement, elle se fustigea, l'ombre d'un sourire paradoxal aux lèvres. C'était ridicule de voir les choses sous cet angle et en même temps la réalité était glaçante. Parce que ça importait peu finalement que Noah et Julian puissent partager une chambre, à l'abris d'une vieille convention sociale : ils risquaient tellement plus si leur secret venait à être découvert.
Résolue à ne plus penser à ce qui l'avait poussé à sortir du manoir – ses problèmes avec Julian pouvait bien attendre quelques heures –, elle arriva en haut de l'escalier face à un couloir étroit. Il desservait plusieurs portes pour la plupart closes. Elle n'avait aucune idée de celle qui appartenait à Liam. La moquette marron sous ses pieds étouffa ses pas alors qu'elle avançait prudemment, mal à l'aise, comme si elle était une intruse dans cette maison dont on lui avait pourtant ouvert la porte. Sur les murs, tout criait qu'une famille heureuse et banale vivait ici... Des photos d'enfants, de vacances, de grands-parents... Un trompe-l'œil qui dissimulait le chaos de l'année écoulée et elle se surprit à trouver touchante ses tranches de vie, bien loin des portraits si solennels de son manoir new-yorkais.
Elle s'arrêta devant une photo en particulier, un coup au cœur. Deux enfants se prenaient par les épaules face à la caméra, de la glace à moitié fondue autour de la bouche, et elle n'eut aucun mal à reconnaître un Liam âgé sûrement de sept ou huit ans malgré sa dent de devant en moins. Il avait gardé cet air espiègle, celui qui semblait dire à la vie qu'il la défiait d'un éclat de rire. A côté de lui, Emilia paraissait tellement plus réservée, un léger sourire à la commissure des lèvres et ses grands yeux clairs aux paupières lourdes portés vers un point au-delà de l'objectif. Elle avait déjà cette expression un peu mélancolique et mystérieuse qui en avait fait l'objet d'attention de toute l'Amérique. Vu leurs âges, Théa devina que la photo avait dû être prise l'année de l'arrivée d'Emilia chez les Cooper. C'était peut-être là tout le paradoxe de la photo : elle reflétait aussi bien une proximité criante qu'une réserve manifeste entre le frère et la sœur.
- Je peux t'aider ?
- Oh Morgane !
Une main sur la poitrine comme pour éviter à son cœur d'en sortir violemment, elle fit volte-face dans un sursaut. Elle n'avait pas entendu la porte dans son dos s'ouvrir et découvrit soudain Emilia – bien plus âgée que sur la photo qu'elle avait été en train de contempler – sur le pas de ce qui semblait être sa chambre.
- Désolée, je ne voulais pas te faire peur, s'excusa-t-elle. Je ne savais pas que... tu étais là.
- Non, non, ce n'est rien. Je n'aurais pas dû... enfin, ce n'était pas prévu que je vienne. Je passais juste voir Liam.
- Oh...
Emilia parut déconcertée, mais se reprit bien vite.
- Il est dans sa chambre, juste là, indiqua-t-elle en pointant la porte du fond à gauche. Le connaissant, il doit avoir son casque de walkman sur les oreilles. Hésite pas à rentrer s'il t'entend pas frapper.
- Ah... d'accord, merci...
Elle n'osa pas avouer qu'elle ne savait absolument pas ce qu'était un walkman ni pourquoi Liam en aurait un sur les oreilles. Peut-être qu'il avait froid dans sa chambre, lui aussi, et que c'était une sorte de cache-oreille ?
Dans un silence pesant qui s'étira, elle resta pourtant sans bouger, incertaine et Emilia ne fit pas mine de refermer sa porte non plus. Elles restèrent juste à se regarder l'une l'autre, gênées, alors qu'un nom flottait au-dessus d'elles. Emilia finit par se râcler la gorge.
- Hum... Tu veux que j'aille le chercher pour toi ou... ?
- A vrai dire, j'aurais voulu te parler aussi, lâcha-t-elle précipitamment, les mots tombant de sa bouche sans qu'elle puisse les retenir. Si tu veux bien... ?
- Oh...
La surprise se peignit sur les traits d'Emilia et elle repoussa une de ses mèches blondes derrière son oreille. Tout dans son attitude criait qu'elle n'en avait pas forcément envie, mais Théa ne se laissa pas démonter. Tout son corps vibrait presque d'un besoin de réponses et Emilia finit par hocher la tête avec réticence.
- Oui, oui... accepta-t-elle dans un souffle. Viens, entre. Tu peux t'assoir sur le lit, vas-y.
Elle s'effaça pour la laisser entrer. La chambre n'était pas grande, elle avait la même moquette que le couloir et un lit à l'armature en fer blanc prenait une bonne partie de la pièce avec une armoire en bois clair. Le couvre-lit, bleu pastel, éclaircissait l'ensemble. Encore une fois, la décoration faisait si simple par rapport à sa chambre au vieux parquet et à la cheminée crépitante et elle comprit le malaise que Liam avait pu ressentir en venant passer un week-end chez eux l'hiver dernier.
- Je me doutais que tu finirais par venir me voir, avoua Emilia, restée debout au pied du lit. Je pensais juste que ça serait plus au procès...
- Non, détrompa-t-elle. Je n'ai pas envie d'avoir des appareils photos braqués sur moi ni les regards du jury. Ça ne serait pas juste pour toi en plus.
Emilia eut une moue désabusée.
- Plein de personnes se fichent que ça soit « juste », ils veulent juste me condamner. J'ai lu les articles avec les prises de paroles de Celestina Rappaport.
- Elle ne le fait que pour gagner des électeurs, ne prends pas...
- Oh mais je sais pourquoi elle le fait, interrompit Emilia. Elle se sert de moi pour justifier ses positions de séparatistes entre les Non-Maj' et les sorciers... C'est juste ironique que je représente la partie « danger Non-Maj' » avec tout ce que j'ai appris cette année. Mais ça, elle s'en fiche. (Amère, elle joua avec le collier autour de son cou et asséna). La vérité, ça n'a jamais intéressé personne.
Théa cilla. Prostrée, elle réalisa que c'était sans doute la première fois qu'elle avait entendu Emilia prononcer autant de mots à la suite, elle qui apparaissait souvent renfermée. Elle dû en prendre conscience également car des plaques rouges colorèrent sa clavicule et ses joues, puis elle se détourna vers la fenêtre, se dérobant à son regard.
- Ca m'intéresse moi, protesta-t-elle après quelques secondes. Mais j'avoue que je me fiche éperdument que tu sois née Non-Maj' ou la descendante de Serpentard et Isolt Sayre. Et si ça ne les intéresse pas non plus au procès, c'est sans doute parce que ce n'est pas si important non plus dans tout ce qui s'est passé.
Elle tenta de ne pas être accusatrice, mais son ton laissa filtrer son jugement et les épaules d'Emilia se tendirent.
- C'était important pour moi... opposa-t-elle. Je pense que c'est déjà assez comme c'est moi que ça concerne.
- Et faire croire à toute ta famille que tu avais été enlevée, ça ne les concernait pas non plus je suppose ?
Elle voulut ravaler les mots aussitôt, mais elle les pensait trop pour s'en empêcher. Les yeux clairs d'Emilia étincelèrent. Pour une fois, ça anima tout son visage.
- Si, mais justement, ça concerne mes parents, mon frère et moi. C'est tout. Je n'ai pas à me justifier en dehors de ma famille...
- Vraiment ? Même si c'est avec la mienne que tu t'es enfuie pendant un an ? répliqua-t-elle, incapable d'arrêter les vannes maintenant qu'elle les avait ouvertes, submergée par le flot de sa colère bouillonnante. Des nouvelles de Ronan au passage ? Comment il va ?
Sur le nom de son père, elle fit peser tout le poids qui s'était installé dans sa poitrine depuis un moment. Les plaques rouges d'Emilia s'étendirent un peu plus et elle se trouva à court de mots plusieurs secondes.
- Je ne sais pas... finit-elle par claquer, mal à l'aise. Je n'ai plus eu de nouvelle depuis... ce soir-là.
- Depuis le fiasco du Rituel ?
Réticence, Emilia acquiesça.
- Ça te surprend ? demanda-t-elle, honnêtement curieuse d'obtenir une réponse. Tu pensais vraiment qu'il garderait contacte ?
- Je ne sais pas... Je n'avais pas prévu l'éventualité de... tout ce qui s'est passé, sans doute.
- Non, réfléchir ça n'a pas été votre fort ni à l'un ni à l'autre dans cette affaire.
Bon sang, Noah aurait été fier de mes piques, songea-t-elle. Si elle n'avait pas été aussi en colère contre lui aussi, elle lui aurait peut-être rapporté. Pour l'instant, c'était la seule chose qui l'apaisait un tant soit peu et qui lui permettait de ne pas partir de chez les Cooper en courant. Tant qu'elle arrivait à piquer, elle arriverait à ne pas pleurer non plus.
- Si c'est pour dire des choses pareilles, tu peux t'en aller tout de suite, se rebiffa enfin Emilia. J'ai voulu être gentille et te parler mais...
- Être gentille ? coupa-t-elle en se relevant, incrédule. Non, ne fais pas comme si tu m'accordais une faveur. Si quelqu'un doit des comptes ici, c'est toi. Il fallait vraiment être idiote pour croire un seul mot de ce que racontait Ronan ! Il sortait de prison, mais tu t'es dit que t'allais écouter ses belles paroles tout ça pour... pour quoi au fait ? Pouvoir revendiquer descendre de Isolt Sayre ? Magnifique ! Ca valait toutes les insomnies de Liam !
- Je regrette d'avoir fait du mal à Liam, arrête ! Mais t'es pas mieux que Celestina Rappaport. Ca me sidérera toujours comment les sangs-purs peuvent être... autocentrés.
Le dernier mot, littéralement craché avec mépris, hérissa Théa tout entière.
- Alors là, c'est riche, dit-elle en frappant dans ses mains, incrédule. La plus autocentrée dans cette histoire, c'est toi ! Tu as tout fait pour toi, sans penser à rien d'autre ! Sans penser à Liam ni à la douleur que tu pouvais créer en aidant Ronan à refaire ce qui nous avait déjà brisé il y a dix ans !
- Peut-être, d'accord, peut-être ! se récria Emilia, mise au pied du mur. Mais c'est pas ce que je voulais dire... Ne pas croire ce que disait Ronan ? Savoir pourquoi il avait été mis en prison ? Ne pas chercher mon héritage ni d'où je venais ? Mais c'est si facile à dire quand on s'appelle Grims, Théodora !
Un sanglot dans la gorge, elle se passa une main sur le visage, tremblante puis abaissa la voix non sans un coup d'œil vers la porte, comme par peur de voir entrer ses parents ou son frère.
- Je ne savais rien de l'affaire qui l'avait conduit en prison, reprit-elle plus posément. Comment j'aurais su ? On n'a pas tous grandis dans une famille sorcière avec la Revue du Nouveau Monde livré chez nous chaque matin. La première fois que j'ai affirmé au juge que je ne savais rien, il a ri... Je te jure, il a juste eu un rire en me disant que « tout le monde connaissait l'affaire Ronan Graves », comme si j'étais une gamine idiote et ça m'a mis en colère parce que... c'est faux. Non, c'est faux. Vous les sangs-purs, vous vous croyez le centre du monde, mais on est plein de né Non-Maj' à arriver à Ilvermorny sans rien savoir... Et personne ne fait rien. On reçoit juste une lettre pour nous dire de tout quitter et d'aller dans ce château sans rien expliquer, sans penser qu'on va être tellement à part à cause de ce qu'on ne saura pas. Mais ça n'embête personne, jamais... (Désabusée, elle lui décocha un regard brûlant et Théa se sentit soudain honteuse sans savoir pourquoi). Ne pas chercher d'où je viens ? Encore une fois, continua-t-elle avec hargne, c'est si facile à dire quand on connait son arbre généalogique sur plusieurs siècles. Quand on sait précisément d'où nous vient nos cheveux bruns, nos yeux bleus, notre nez retroussé...
Successivement, Emilia désigna les éléments de son visage, comme pour prouver chacun de ses points. Elle resta figée et repensa aux miniatures dans les Chroniques des Grims. Les yeux bleus, elle les tenait comme le reste de la famille d'Eugenie Perrot, son arrière-grand-mère ; ses cheveux bruns du côté paternel et des Graves, et son nez retroussé de grand-père Gerbert... C'étaient des choses qu'elle avait toujours connu sans même s'en rendre compte, elle voyait leurs visages en peinture tous les jours.
- Et tu me diras, je n'avais pas besoin de faire tout ça pour savoir moi aussi, s'opposa elle-même Emilia, anticipant l'argument dans le fond de sa gorge. Mais qui aurait pu m'aider ? Mes parents qui ne connaissent rien au monde sorcier et dont les démarches les dépassent totalement, voire les exclus à cause de leur statut de Non-Maj' ? Ils n'auraient même pas eu le droit de mettre un pied au MACUSA. Le gouvernement ? Ils étaient juste heureux de placer cette petite fille magique qui menaçait le secret magique à neuf ans, le dossier était vide et clos. Personne ne s'est jamais soucié de se demander d'où je venais... Ca n'intéressait personne à part moi...
Théa déglutit. Dans les mots de la jeune fille en face d'elle, elle entendait une telle détresse, une tel envie d'appartenir à une histoire qui lui soit propre qu'elle en sentit sa verve mourir doucement.
- Personne à part Ronan... souffla-t-elle malgré tout.
Les bras repliés autour de son ventre, Emilia acquiesça d'un lent hochement de tête.
- Je sais que ça peut paraître fou... je m'en rends compte maintenant et je sais que Liam ne comprends pas complètement même s'il dit qu'il me soutient et je ne parle même pas des gens au procès qui me regarde comme si j'étais une gamine instable sortie de foyer. (Elle balaya une larme qui s'échappait de ses yeux humides). C'est juste que Ronan a été le premier a juste... me proposer des réponses. Il les avait déjà quand il m'a abordé pour la première fois, il savait très bien qui j'étais en venant me trouver, il avait fait ses recherches. Il m'a dit qu'il l'avait fait pour justement ne pas me donner de faux espoirs et qu'il avait pris des risques en allant en Angleterre pour moi. Il a même retrouvé le médecin qui s'était chargé de mon placement dans le système après ma naissance, ça demandait des efforts énormes, jamais je n'aurais pu savoir seule. Ça m'a fait sentir... je ne sais pas... spéciale. Et le soir du 4 juillet quand il est venu, c'était un ultimatum : il fallait que je prenne ma décision, il m'a fait comprendre que c'était à prendre ou à laisser. J'étais complètement perdue, mais je n'ai juste pas réussi à... laisser passer ma chance, je crois. Même si ça me brisait le cœur d'imaginer mes parents et leurs réactions... Mais je me disais que je revendrai et c'est ce qui comptait...
La voix rendue instable par des tramelots, Emilia se tut, le poing contre la gorge. Elle n'avait plus rien de mystérieux à cet instant.
Théa eut envie de vomir. Sans pouvoir s'en empêcher, elle superposa les mots d'Emilia à ceux que Julian lui avait rapporté de sa mère sur ce qu'elle avait vécu quand elle avait quinze ans. Se sentir « spéciale », faire partie d'un projet plus grand que soit, approcher une part de son histoire et de l'Histoire avec un H capital... C'étaient les mêmes techniques dont il avait usé sur la génération 1950 pour assouvir son obsession autour de la baguette, symbole d'une puissance sorcière révolue et dont la dernière incarnation avait sans doute été Grindelwald lui-même.
Finalement, c'était ça que Ronan Graves poursuivait sans relâche : des fantômes. Le fantôme de son fils qu'il n'avait pas pu sauver, d'un idéal de grandeur sorcière sur les Non-Maj'... Emilia, de son côté, avait poursuivi les siens en voulant savoir qui elle était vraiment avant d'être placée chez les Cooper et tante Aurelia avait passé sa vie d'adulte à fuir le fantôme du garçon mort pour toute cette folie. Chaque version de l'histoire était le versant d'une même pierre angulaire.
Et elle n'était pas exempte de fantôme non plus... Les larmes aux yeux à son tour, elle dévisagea Emilia, résolue à enfin poser la question qui la maintenait éveillée la nuit depuis cet été.
- Est-ce qu'il t'a parlé de moi ? souffla-t-elle. Quand vous étiez ensemble à chercher des choses sur la baguette... ? Pendant toute l'année, est-ce qu'il a au moins mentionné mon nom ou celui de ma mère... ?
Ou est-ce que ça lui est devenu totalement égal maintenant que son épouse ne lui servait plus dans sa quête ultime et qu'il s'était trouvé son héritière parfaite ? Emilia marqua un temps d'arrêt avant de répondre, le poing à nouveau crispé autour de sa chaîne en or.
- Non, pas vraiment, avoua-t-elle avec douceur. Disons qu'il refusait plutôt d'en parler. Un jour, il est revenu en ayant appris que Liam n'était plus seul à travailler sur le contre-rituel. Ca paraissait presque l'amuser de savoir que Julian était impliqué, il disait que c'était le destin qui se vengeait de la traîtrise d'Aurelia Shelton... Je n'ai jamais vraiment compris ce qu'il voulait dire, ceci dit...
- Elle a continué à chercher à comment le briser pendant des années, avoua Théa, trop fatiguée pour se soucier de si elle devait le révéler à la principale mise en cause du procès. Quand il s'est rendu en Angleterre pour qu'elle l'aide à nouveau, elle l'a plus ou moins envoyé balader de ce que j'ai compris... Mais ça datait même d'avant. Elle avait fini par le détester et c'est à cause de lui qu'elle avait quitté les Etats-Unis.
- Oh...
Emilia ne parut surprise, comme si elle reconstituait pièce par pièce le puzzle flou qu'elle avait réussi à construire jusqu'à présent.
- Je vois... Oui, ça fait sens. Enfin bref... Quand il a appris que toi, tu étais aussi impliquée... Disons que sa réaction n'a pas été la même du tout.
- Ah ?
Le cœur tambourinant à tout rompre, elle crispa ses mains sur le revers de sa jupe d'hiver. Une tempête s'agitait dans sa poitrine et migrait vers son ventre, envahissante, ravageuse. Elle ne savait pas comment interpréter cette remarque et Emilia poursuivit, l'air soulagé d'être écoutée :
- Il était furieux, raconta-t-elle. C'est la première fois... qu'il m'a fait peur, même. Tu sais, quand t'es obligé de rester cachée pendant presque un an, tu t'accroches un peu à tout et il n'était pas de mauvaise compagnie. Il m'a appris à jouer aux échecs, il s'intéressait à ce que j'aimais lire pour me ramener de la lecture, on parlait beaucoup... J'ai fini par l'apprécier d'une certaine façon, même si je savais qu'on faisait tout ça dans un but bien précis. (Elle déglutit). Mais ça l'a inquiété de savoir que tu faisais partie du groupe autour de Liam. Il ne voulait pas t'impliquer...
Peut-être qu'elle allait vraiment vomir en fait. En tout cas, sa nausée grandissante l'inquiétait et elle sentit une nouvelle vague de larmes faire pression sur ses yeux en entendant Emilia évoquer un quotidien presque si simple. Elle était une bonne joueuse d'échecs, mais ce n'était pas son père qui lui avait appris... c'était son oncle Robert. Son père n'avait pas non plus eu le temps de savoir ce qu'elle aimait lire, elle n'avait pas su quand il était parti en prison. Même le soir de leur confrontation en mai dernier, il n'avait pris le temps de lui parler que parce qu'elle s'était lancée à sa poursuite avec Julian. Emilia avait donc eu le droit à tellement plus qu'elle et elle aurait aimé ne pas ressentir l'injustice qui lui dévorait les entrailles, mais ça aurait été mentir.
- Il était inquiet, répéta-t-elle, dégoutée. S'il l'avait vraiment été, il n'aurait pas fait tout ça. Il nous aurait pas abandonné pour une folie impossible à la mort de Théo, il ne t'aurait pas laissé derrière à la merci des Aurors... Non, crois-moi, Ronan Graves ne s'inquiète de personne à part lui.
Une boule chauffée à blanc dans la gorge, elle baissa les yeux histoire de reprendre contenance. Elle en avait soudain assez de parler de tout ça. Aucune réponse que Emilia pourrait lui apporter ne serait satisfaisante, mais leur conversation avait au moins le mérite de lui avoir montré la sœur de Liam sous un autre jour...
- Merci, en tout cas, se sentit-elle obligée de dire. Je vais te laisser tranquille...
- De rien... ça m'a fait du bien, je crois, de parler de tout à quelqu'un qui ne soit pas un Auror ou un juge, avoua Emilia du bout des lèvres. Merci à toi.
- Attends mon témoignage au procès pour me remercier, on verra à ce moment-là.
Elle adoucit ses mots d'un mince sourire, mais ça lui semblait important de conserver un garde-fou entre elles. Emilia parut le comprendre car elle inclina la tête, compréhensive, et resta immobile alors que Théa retraversait la chambre pour ressortir. Dès qu'elle referma la porte dans son dos, un long soupir vida ses poumons et elle s'affaissa contre le mur, les genoux faibles. Elle prit le temps de se recomposer un visage présentable et sa nausée refoula à mesure qu'elle se calmait. La tempête s'était apaisée dans son ventre, emportant sa nausée, même si elle savait qu'elle reprendrait de la vigueur cette nuit à la lueur de l'obscurité en embuscade.
Il était temps qu'elle trouve ce qu'elle était venue chercher en venant ici : une distraction. Après deux coups forts et secs contre le battant, elle ouvrit la porte de la chambre de Liam et s'appuya contre la chambranle dans le plus pur style Noah Douzebranches. Elle pouvait lui reconnaître une certaine technique pour les entrées dramatiques.
- Salut Cooper, lança-t-elle, amusée. Une partie d'échecs ?
- Hein ?
Le regard choqué de Liam, assis à son lit à lire un livre avec un drôle d'appareil sur les oreilles valut tous les dragots dépensés en taxi du monde.
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Chapitre dédié à Théa, ça faisait longtemps ! Verdict ? ^^
Mon but premier avec ce chapitre était vraiment de donner la parole à Emilia, de mieux faire comprendre ses motivations parce que je sais que ça n'avait pas été tout à fait possible avant. Mais ça me tenait à coeur de la laisser tenter de se justifier, même si son histoire est compliquée.
Et puis au-delà de ça, je voulais revenir sur les ressentis de Théa vis-à-vis de tout ce qui s'est passé dans le tome 1 et surtout avec Julian avant les vacances !
Je vous laisse avec les memes de Lina, on se retrouve dans deux semaines ^^ On entemera un bout d'intrigue au coeur des vacances d'hiver que j'ai trooop hâte de vous donner (oui, y'aura du Nolian haha)
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