Chapitre 25 : Le secret d'Aileen
Hey ! Désolée de poster aussi tard, j'avais oublié de préparer le chapitre hier soir et donc comme je travaille le samedi, je n'ai pas pu le faire dans la journée... Mais me voilà ! Je sens que le titre en fait déjà vriller certain.es haha !
Déjà ravie de vous avoir retrouvé il y a deux semaines, ça m'a fait trop plaisir ^^ Et maintenant que le mois de septembre est bien entamé, alors cette rentrée ? Ca se confirme, ça prend son rythme ? Dites-moi touuuut !
De mon côté, quelques nouvelles mine de rien. Déjà, je suis admissible à mon concours ! Vraiment trop contente, j'étais pas sûre de passer la phase des écrits et me voilà donc en train de préparer l'oral qui aura lieu le vendredi 13 octobre. Je croise les doigts. C'est la deuxième fois que je le passe, sachant que la première fois il y a deux ans je l'avais loupé à seulement 0.25 points si certain.es se souviennent... Donc allez ça se tente haha ! Autre nouveauté en plus, j'ai commencé la piscine sur mes pauses déjeuners du vendredi avec deux collègues. Vraiment notre aventure c'est très drôle d'aller nager en plein milieu de sa journée mais moi et mes problèmes de dos en avons besoin ^^
Et enfin avant de commencer le chapitre, je tiens à partager mon enthousiasme parce que... le trailer des 60 ans de Doctor Who vient de sortir et ça a l'air INCROYABLE !!! RAHHH ! Tellement hâte de revoir David Tennant. (Qui était fabuleux dans Good Omens, la série sur amazon prime si ça en tente parmi vous, elle est trop bien, je recommande).
Allez j'arrête de blablater, vous avez assez attendu. Ce chapitre marque les débuts des vacances de noël dans l'histoire. Bonne lecture, on se retrouve en bas !
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Chapitre 25 : Le secret d'Aileen
« On ne force pas le secret. Ou le secret vient comme de lui-même à soi, ou bien le secret vous est interdit. »
- Victor-Lévy Beaulieu-
// 19 décembre 1980 //
Le train était lancé à pleine vitesse depuis environ une bonne heure quand Julian se détourna de la fenêtre, tiré de sa contemplation par... le silence. Un silence pesant, gênant et lourd qui était à l'image des dix derniers jours et qui prouvait au moins une chose : ils avaient tous besoin des vacances qui commençaient aujourd'hui. Elles allaient même être particulières puisqu'elles étaient rallongées spécialement pour les Senior, soit les septièmes années qui avaient leur diplôme à valider en fin d'année. C'était une spécificité américaine d'Ilvermorny : l'école leur laissait un mois de vacances de noël pour réviser et se préparer pour le dernier semestre. Les notes dans chaque matière, notamment leur majeure, allaient être décisives. Il devait avouer qu'avoir autant de vacances n'était pas pour lui déplaire. Il avait besoin d'une pause et ça avait l'air d'être le cas pour tout le groupe. Peut-être que de ne pas se voir pendant un temps allait leur faire du bien. Ce programme présentait seulement une exception, évidemment...
Car la seule personne à laquelle il ne pourrait malheureusement pas échapper en cette période de fête était Théa. Assise sur la banquette d'en face à côté d'Othilia, sa cousine relevait les yeux de son roman de temps en temps pour lui décocher un regard glacial. Elle n'avait jamais aussi bien porté son surnom et il se contentait de se détourner, mal à l'aise. Il ne préférait même pas tenter de lui parler. Le dos raide, Othilia n'était pas mieux. Toute sa posture criait qu'elle aurait préféré qu'il ne fasse pas le trajet avec eux – comme Noah – mais Aileen l'avait plus ou moins pris par le bras sans lui laisser la possibilité de lui faire faux bond au moment de monter dans le train. Il la soupçonnait de ne pas vouloir subir l'ambiance morose toute seule et il ne pouvait pas l'en blâmer.
A leur gauche, pour ne rien arranger, Liam broyait du noir de façon si perceptible que même la colère de Théa paraissait fade à côté. Le contraste avec sa joie de vivre habituelle était frappant et l'objet de sa morosité gisait sur la banquette entre eux. Le fait qu'il ne cesse d'y jeter des œillades en grommelant tous les quart-d 'heure n'aidait pas.
- Bon allez, ça suffit, décréta Aileen quand il grogna pour la quatrième fois. Donne-moi ça.
- Mais c'est des conneries !
- Je sais, Liam, je sais. Mais relire l'article encore et encore ne t'aidera pas. Tu vas revoir ta sœur d'ici quelques heures, elle n'aura pas besoin que tu lui rappelles tout ça. Alors essaye de te calmer, d'accord ?
Pour toute réponse, Liam croisa les bras, agacé. Théa commenta alors sans relever les yeux de son roman :
- Ou essaye de visualiser Celestina Rappaport comme une cible de fléchettes. Ça te défoulera.
- Ah ! s'exclama Liam, soudain plus alerte. Je préfère l'idée de la Reine des Glaces.
- Ca m'aurait étonné, marmonna Aileen. (Elle se tourna vers lui). Tiens, Ju', garde-le et laisse pas Liam le reprendre. T'as autorisation de lui jeter un sort s'il fait une tentative.
D'un geste souple, elle lui envoya le numéro du jour de La Revue du Nouveau Monde sur les genoux et Théa laissa échapper un souffle presque méprisant :
- Si c'est que ça, je peux lui reprendre facilement. Il a encore perdu au club de duel hier.
Merlin, le coup était bas. Il se crispa, mais Liam ne parut pas le remarquer.
- Est-ce que ça veut dire que tu choisis de me soutenir, là, votre Altesse ? fit-il.
- Pousse pas non plus, Cooper.
Julian se retint de rouler des yeux. Il ne manqua pas le petit rictus satisfait de Théa et il ouvrit en grand la première page du journal pour se cacher derrière. Son ego ne supporterait pas qu'elle voit à quel point son commentaire l'avait atteint.
Parce que c'était vrai. Hier, encore une fois, Théa l'avait battu de peu au club de duel sous l'œil du professeur Fleming qui n'avait pu que constater que « c'était dommage, Julian, il ne manquait pas grand-chose ». Il en avait eu conscience. A mesure que les semaines passaient, les duels devenaient de plus en plus équilibrés car ils connaissaient tous les deux leurs styles, leurs ripostes, leurs attaques. L'imprévisibilité était devenue la clé pour remporter les duels et Théa possédait un nette avantage sur lui sur ce plan-là, surtout avec sa baguette qui continuait à faire des siennes. Il avait cru que ça allait mieux pourtant, mais la gêne était toujours là, implacable depuis un an et véritablement handicapante depuis la rentrée. Et sa frustration commençait à être dure à contenir.
Agacé, il se concentra plutôt sur l'article pour éviter de s'attarder sur son problème et les mots – épais et énormes en haut de la page – lui sautèrent aux yeux :
L'AFFAIRE EMILIA COOPER : OPPOSION POLITIQUE
Rares sont les affaires qui divisent autant l'opinion publique que le cas d'Emilia Cooper, la mystérieuse disparue de l'Amérique réapparue dans un coup de théâtre l'été dernier. Et ce ne sont pas notre Présidente du MACUSA, Belva Laker, et son opposante principale, Celestina Rappaport qui diront le contraire. Il aurait été étonnant que les deux femmes tombent d'accord de toute manière, elles dont les visions pour l'avenir de notre communauté sont si radicalement différentes.
Pour rappel, l'affaire Emilia Cooper a défrayé la chronique toute l'année dernière et pour cause tous les éléments étaient là pour en faire un fait-divers parfait : une disparition le 4 juillet, une jeune fille simple et sans histoire, une enquête qui piétine pendant des mois... Tout ça pour finir par rencontrer une autre affaire, celle de Ronan Graves, le fugitif bien connu ancien soutien de Gellert Grindelwald. Si l'Auror en charge du dossier, Hercules Fischer, est avare de détails, des informations ont fuité tout au long de l'été sur le lien entre les deux individus. Il semblerait qu'Emilia Cooper et Ronan Graves se soient introduits à Ilvermorny en mai dernier, mettant des étudiants en danger, afin de mener une action touchant à la magie noire. Il est difficile d'en savoir plus tant Eulalie Hicks, la directrice de l''école, verrouille chaque élément en lien avec l'affaire et refuse de s'exprimer auprès des médias. En revanche, cela soulève une question de taille : quelle est la part de responsabilité d'Emilia Cooper, 17 ans au moment des faits ? Sa disparition en était-elle vraiment une ?
La réponse à cette question semble ambigüe et les premières audiences du procès, ouvert à New York en septembre, tendent à confirmer que la jeune fille serait partie volontairement avec Ronan Graves. A ce jour, ni elle ni sa famille n'ont souhaité s'exprimer et Graves est toujours en fuite à travers le pays.
Interrogée sur cette affaire qui passionne littéralement toute la communauté sorcière, la présidente Belva Laker a eu un commentaire indulgent à l'égard d'Emilia Cooper : « je ne peux m'exprimer sur son cas sans connaître tous les éléments de l'enquête menée avec sérieux et professionnalisme par le département des Aurors ; mais j'appelle tout le monde à faire preuve de recul. Il s'agit d'une jeune fille dont la confiance a sans doute été abusée par un homme manipulateur et dangereux. Inutile de rendre les choses plus difficiles qu'elles ne le sont déjà ».
Une attitude étonnamment bienveillante qui n'a pas du tout été au goût de Celestina Rappaport, Haute Secrétaire du Congrès chargée de la Protection des Sorciers Américains. Les deux femmes s'étaient déjà opposées l'année dernière sur la fermeture de nos frontières pour protéger le pays de la menace liée à la guerre que connait actuellement l'Angleterre et Celestina Rappaport avait remporté la bataille. Il est évident que leur nouveau terrain d'affrontement sera désormais une salle de tribunal.
Mrs Rappaport a en effet déclaré via un communiqué de presse : « [...] la complaisance de la Présidente Laker sur un sujet aussi sérieux montre bien, qu'encore une fois, elle ne prend pas la mesure de la menace pour nos citoyens. Si la dangerosité de Ronan Graves n'est plus à prouver, il est primordial d'interroger le vrai visage de celle qui semble avoir été sa complice toute cette année. Miss Cooper n'est pas une enfant et paraissait être en pleine possession de ses capacités de jugement. Son appartenance à une famille Non-Maj' l'aurait visiblement rendue sensible au discours de Graves et je crois que c'est un élément que la justice devra également prendre en compte ».
A travers cette dernière remarque dans son communiqué, Celestina Rappaport glisse un subtil rappel à sa politique menée depuis plus de dix ans et qui s'articule autour d'un projet : le retour de la loi Rappaport instaurée par son ancêtre et abrogée pour permettre aux sorciers et aux Non-Maj' de s'unir.
Deux visions, deux regards donc. Et une promesse : l'affaire Emilia Cooper n'a pas fini de faire parler d'elle.
Sa lecture terminée, Julian replia le journal. Il comprenait mieux la colère soudaine de Liam, mais les mots de Celestina Rappaport étaient à prévoir : l'opinion publique en voulait en partie à Emilia et se sentait trahie, un peu à leur image. Rien d'étonnant que certaines voix s'élèvent contre elle, surtout quand Ronan Graves était introuvable et qu'il fallait désigner un couple. Or, elle était seule sur le banc des accusés.
L'estomac lourd face à cette pensée – et à l'ambiance toujours pesante du compartiment – il se leva sur un coup de tête. Ses jambes engourdies protestèrent, mais il avança tout de même.
- Je reviens, dit-il à personne en particulier.
Liam tourna la tête vers lui.
- Tu vas voir Noah à l'isolement ? lança-t-il, ironique.
Il s'arrêta net, la main sur la poignée du compartiment, et sentit littéralement la tension déjà palpable se renforcer lorsque Théa et Othilia dirigèrent leur attention sur lui. Il chercha une autre excuse, n'importe quoi de crédible, mais Liam reprit avant qu'il n'ait pu trouver quelque chose :
- C'était peut-être un peu violent de le laisser tout seul tout le trajet, non ? s'inquiéta-t-il. Je veux dire, ok, il le voulait plus ou moins mais bon... Ca va faire un mois votre rupture, non ?
- Un mois, c'est court, claqua Othilia comme seule réponse.
Son ton froid ne laissa pas de place à la discussion et Liam battit en retraite quand Théa y ajouta un regard éloquent. Mains en évidence en signe d'excuse, il fit semblant de verrouiller sa bouche et de jeter une clé imaginaire. Othilia crispa sa main sur le pli de sa jupe.
- Mais oui, va voir Noah, lui dit-elle, une pointe acide dans la voix. Ce n'est pas comme si tu avais besoin de ma permission, tu fais bien ce que tu veux. (Elle marqua une pause, puis ajouta pour les autres). Ça vaut pour tout le monde d'ailleurs. Je ne vous demande pas de ne pas lui parler, c'est votre choix.
- Oh non, crois-moi, je me porte mieux ici, assura Théa. Ne lui passe pas le bonjour de ma part, Ju', surtout.
Il déglutit. Sans qu'il s'y attende, le « Ju' » dans la bouche de sa cousine lui donna un coup dans la poitrine, mais il décida de l'ignorer pour enfin s'échapper du compartiment. La phrase d'Othilia résonnait bien assez à ses oreilles. « Ce n'est pas comme si tu avais besoin de ma permission, tu fais bien ce que tu veux. » Le message avait été clair pour qui savait écouter : il ne lui avait rien demander pour lui voler son copain, ce n'était maintenant qu'il allait commencer.
Expirant une grande goulée d'air pour éviter la sensation familière d'étouffement qui le prenait trop souvent, il remonta le couloir, instable à cause des roulis du train. Il n'eut pas à marcher longtemps. Noah se trouvait à seulement trois compartiments, là où ils l'avaient laissé dans un moment de gêne étrange avant qu'il n'affirme vouloir de toute façon être seul pour avancer sur les ébauches de sa fresque. Sans frapper, il ouvrit la porte et se glissa à l'intérieur.
Assis en tailleur sur une des banquettes, Noah sursauta et une pile de feuille s'écrasa au sol.
- Merde... jura-t-il, pris au dépourvu avant de le reconnaître. Jules, bon sang !
- Désolé, désolé, c'est juste moi. (Il se baissa pour ramasser les esquisses). Je venais juste voir si ça allait et...
Mais Noah le coupa en se levant brusquement pour lui arracher les feuilles des mains.
- Ah ah non ! chantonna-t-il avant de les cacher derrière son dos. Crois-pas découvrir tous mes secrets comme ça. T'as toujours pas le droit de savoir.
- Quoi ? Mais allez, t'as commencé la fresque là, c'est bon.
- Justement. C'est un travail en cours, il ne peut être apprécié qu'une fois terminé. Mais tu peux quand même rester pour ma noble personne.
Le sourire goguenard de Noah lui fit lever les yeux au ciel autant qu'il fit cogner son cœur, mais il veilla à garder une expression neutre avant de faire mine de reculer.
- Non, c'est pas une motivation suffisante ça. Je crois que je vais plutôt retourner avec Liam, Théa et...
- Hors de question, Jules. T'es venu, tu restes.
Vif, Noah l'attrapa par le bras pour le tirer vers lui et il se laissa faire en riant jusqu'à ce qu'ils basculent sur la banquette, assis côte à côte. Un genou replié sous lui, Noah ne fit aucun cas de leur espace personnel et se colla presque contre lui de profil, le menton posé sur son épaule. Il le fixa un long moment et il sentit l'étau dans sa poitrine se renforcer, comme des bulles de champagne en train d'exploser. Il espéra ne pas rougir sans vraiment s'en soucier.
- Eh... murmura finalement Noah d'une voix rauque. Ça a été ? Dans le compartiment, là-bas ?
Il se força à se concentrer.
- Plus ou moins. J'ai l'impression que Théa veut m'arracher la tête à chaque fois qu'elle me regarde...
- Bienvenue dans mon monde, lâcha Noah, cynique.
- Ouais... sourit-il, partagé entre amusement et défaitisme. Et Othilia... C'est compliqué aussi. Elle est plus subtile que Théa, mais elle me lance des piques. Après, je suppose que je ne peux pas lui en vouloir.
Noah soupira.
- Même, c'est à moi qu'elle devrait les lancer. T'as déjà accepté de dire la vérité à Théa.
- Je ne suis pas sûre qu'elle le voit comme un grand geste altruiste. Et elle a raison : je l'ai dit à Théa parce que je le voulais, même si je sentais qu'elle avait besoin de ne plus être toute seule aussi.
- Hum... Et Théa t'a toujours rien dit ?
Nerveux, il secoua la tête. Le silence radio de Théa était peut-être le plus perturbant dans toute l'affaire. Il s'était attendu aux piques d'Othilia, à sa colère ; il s'était attendu à une réaction similaire de la part de Théa même. Vu son éducation, il y avait eu plus de chance qu'elle penche du côté de la réaction d'Hanna que de Matthew, il fallait bien l'admettre. Pourtant, il avait eu une lueur d'espoir devant son attitude protectrice dans le couloir avant que tout ne bascule. Ça ne faisait que rendre son silence désapprobateur des derniers jours que plus difficile.
- Je suis désolé, Jules... souffla soudain Noah.
Il inclina la tête vers lui. Aussi proches, leurs têtes se touchaient presque et il perçut la culpabilité de Noah, inscrite sur ses traits. L'explosion des bulles de champagne dans sa poitrine reprirent de plus belle. Il aurait voulu lui dire que ça en valait la peine. Même si la froideur de Théa faisait mal, la distance entre eux avait fait encore plus mal et il s'en était rendu fou toute la fin d'année dernière, voire cet été aussi. Pouvoir enfin être ensemble sans faux-semblants était bien plus important.
- C'est Théa, elle a besoin de temps, relativisa-t-il. Je suis sûr que j'arriverai déjà plus à lui parler pendant les vacances quand on sera tous les deux. On verra bien...
- Un miracle de noël à venir, sans doute.
- Quelque chose comme ça, oui.
Noah ne sembla pas aussi convaincu que lui, mais s'abstint de commentaire. Au lieu de ça, il continua de le fixer, puis sa main vint mine de rien se poser contre sa jambe dans un mouvement de va-et-vient, à peine une carasse mais un contact en plus. Julian sentit tout son corps se mettre à picoter : après autant de temps à maintenir une barrière physique entre eux, il adorait la sensation de ne plus avoir aucune règle à respecter.
- Et... avec ta mère ? relança Noah prudemment sans enlever sa main. Tu penses que ça ira ?
- Hum...
C'était une autre pensée qu'il avait plus ou moins occulté avec tout ce qui s'était passé dernièrement. Il allait devoir repasser du temps avec sa mère pendant ces vacances puisqu'ils logeaient tous encore chez les Grims. Leonidas lui avait dit que ses parents ne voulaient pas se lancer dans la recherche d'un appartement tant que tout le battage juridique et médiatique autour de la « résurrection » de sa mère ne soit passé et pour cause : le manoir des Grims offrait une protection idéale. En plus, grand-mère Isadora n'était visiblement pas prête à laisser partir sa fille cadette si peu de temps après l'avoir retrouvé et ça arrangeait donc tout le monde, y compris son père et son projet de recherche en cours. D'après ce qu'il avait compris, sa mère adorait aider Elizabeth à s'occuper de son bébé puisqu'elle aussi s'était plus ou moins installée au manoir avec Archer.
- « Hum », parodia Noah, un sourcil dressé. Merci pour cette grande éloquence. Rappelle-moi pourquoi t'es considéré comme l'intelligent de notre bande ?
- Oh tais-toi.
Sans conviction, il lui donna un coup sur le torse, mais Noah se contenta de rire, le menton toujours posé sur son épaule. La vibration résonna en écho le long de son bras.
- Oui, je pense que ça ira, jugea-t-il finalement. On avait quand même bien parlé avant la rentrée et je crois que ça y est, je suis moins... en colère contre elle. C'est juste que... ça va faire bizarre de repasser un noël avec elle...
- T'en as juste eu un seul sans elle.
- Ouais, mais ça a tellement tout changé justement. C'était le premier chez les Grims, le premier où j'ai vraiment parlé à Théa, le premier où mon père remontait la pente... Je sais pas, j'avais intégré l'idée qu'on pouvait quand même être une famille, même sans elle. Et là...
- Et là, ça sera comme l'année dernière, mais elle sera là. Tu verras, ça ira.
Présenté sous ce jour, le tableau que décrivait Noah n'avait en effet pas l'air si mal. Il espérait juste que le « comme l'année dernière » serait au moins un peu atténué : il n'avait pas besoin de revivre une crise comme avec Hanna, merci bien.
- Est-ce que si c'est comme l'année dernière, tu repasseras par la fenêtre pour faire croire à ma sœur qu'on s'embrassait pas deux minutes avant ? se moqua-t-il alors sans pouvoir se retenir, amusé.
Immédiatement, Noah grommela dans un souffle rauque et il enfouit son visage un peu plus dans son épaule, gêné.
- C'est ça... N'empêche qu'elle a rien compris, non ? répliqua-t-il avec défi au bout de quelques secondes. Donc c'est que mon jeu d'acteur égale mes talents en dessin. Un artiste complet, voilà.
- Bien sûr. Enfin, pour le dessin, je ne peux plus juger comme tu me montres plus ce que tu fais pour la fresque...
- Belle tentative, Jules, mais non.
Il soupira, vaincu.
- Ok, ok... Mais bon, ça devrait aller pour les vacances. Matt va venir en plus.
L'effet fut aussi prévisible qu'instantané : Noah roula des yeux.
- Bones ? Ah oui, j'avais oublié. Génial...
- Arrête, rit-il. Tu l'as vu littéralement une après-midi dans ta vie et vous vous êtes même pas parlé.
- Parce qu'il avait l'air d'avoir envie de me frapper.
- La faute à qui ? Tu venais d'être horrible avec Hanna.
Noah grimaça.
- Je me suis excusé.
- Pas envers elle. Mais vu qu'elle est en Angleterre, je t'accorde que ça aurait été compliqué. (Il secoua la tête, peu enclin à revenir sur cet épisode, et poursuivit). Enfin, bref... Je suis sûr que t'aimerais Matthew si vous vous connaissiez. Vraiment.
- Non, maintint Noah, buté. J'aime que toi, pas besoin de Bones.
Le ton était volontairement provocateur et un brin subjectif, mais Julian eut la certitude d'arrêter de respirer une seconde alors que les mots se suspendaient entre eux. Pas encore un « je t'aime », pas vraiment, mais si proche que ça lui arracha presque un frisson. Noah sembla réaliser lui aussi ce qu'il venait de déclarer car une touche de panique et de vulnérabilité s'alluma dans son regard, même s'il ne chercha pas à faire marche arrière ni à faire diversion. Une petite partie encore rationnelle de son esprit nota que c'est sans doute ce qu'il aurait fait l'année dernière pourtant. S'il fallait encore une preuve que les choses avaient changé et que l'engagement de Noah était sincère, c'était sans doute celle-ci.
- Tu sais ce que j'aimerais, là tout de suite ? lança-t-il soudain, porté par un élan spontanéité.
- Non ?
- Qu'on soit que tous les deux sans risque, que personne puisse arriver sans prévenir...
Une étincelle d'intérêt traversa le visage de Noah et sa main quitta sa jambe pour venir trouver la sienne avant de les entremêler ensemble. Le toucher l'électrisa un peu plus.
- Ouais ? Et qu'est-ce que tu ferais si c'était le cas ? murmura-t-il tout bas, comme s'il avait peur d'être entendu.
- A ton avis ?
Il savait qu'il n'avait pas besoin d'exprimer explicitement ce qu'il voulait dire : les possibilités dansaient devant eux, silhouettes aussi vaporeuses que les esprits du Bal des Fantômes, mais bien présentes. Honnêtement, il se retenait à peine de combler la distance pour embrasser Noah. C'était une envie entêtante à ce stade, une envie qui lui faisait envisager d'ailleurs bien plus qu'un simple baiser, mais les roulis constants du train le ramenaient à la raison.
Noah s'écarta un peu, un soupir frustré au fond de sa gorge.
- Dis pas ça, Jules... T'es censé être le raisonnable, là !
- Je sais...
Mais il ne se sentait pas du tout raisonnable à cet instant. Il aurait voulu embrasser Noah, voir ce que ça faisait de ne plus avoir à se soucier de mille choses à la fois quand ils étaient ensemble, tout ce qui n'avait pas été possible l'année dernière ni même depuis que Noah avait enfin rompu avec Othilia. Le dernier mois avait certes été incroyable, plus libre que tout ce qu'ils avaient jamais connu, mais ils étaient toujours à Ilvermorny sous l'œil de leur camarade de dortoir et de leurs amis.
Comme un signe du destin – et un rappel cuisant – quelqu'un toqua soudain à la porte du compartiment. Le bruit sec manqua de les faire sursauter et Noah lâcha sa main comme s'il venait de se brûler.
- C'est moi, fit la voix d'Aileen. Je peux entrer ?
Merlin, Aileen... Juste Aileen, tenta-t-il de se calmer alors qu'il échangeait un regard chargé de sens avec Noah. Dans ses yeux, il lut ce que lui-même ressentait : cette liberté en demi-teinte, toujours entaché par la peur. Mais ils ne pouvaient rien y faire alors il ravala la boule dans sa gorge avant de crier :
- Oui, vas-y, viens.
La porte du compartiment coulissa et Aileen entra, les traits tirés. Depuis qu'il avait laissé, elle avait attaché ses cheveux roux en une queue de cheval sommaire qui ne faisait que renforcer son air fatigué. Les vacances n'avaient jamais paru aussi nécessaires et il se demanda quelle dose d'énergie elle avait encore dépensé pour calmer Liam.
- Eh... dit-elle d'une voix timide. Je peux rester avec vous quelques minutes ? C'est un peu tendu là-bas, Théa et Liam se sont mis à parler de Ronan Graves et... enfin, vous les connaissez.
- Pas de problème, rassura-t-il. Installe-toi.
Il désigna la banquette d'en face avec un sourire et Aileen s'y laissa tomber, reconnaissante. Elle porta ses mains à ses tempes en soupirant.
- J'ai hâte que le procès se termine, vraiment. Même si ça sera pas tout de suite, ça apaisera Liam au moins.
- Tu peux aussi l'envoyer balader quand il est chiant, tu sais, fit Noah en repoussant un peu plus les derniers parchemins et matériaux à dessin qui traînaient. Ça te défoulera.
Aileen fit la moue.
- Et le frustrer encore plus ? rétorqua-t-elle. Merci, mais non merci. En plus, je comprends qu'il ressente ça, c'est normal. Imagine si je t'avais envoyé balader, toi, après ce qui s'est passé avec ta mère et l'enlèvement ? T'aurais aimé ?
Elle lui jeta un regard équivoque et Noah se crispa, sans répondre toutefois. Il fut impressionné qu'elle ose évoquer cet épisode, mais la comparaison était parlante. Il savait que les relations de Liam et Noah s'étaient dégradées à l'époque, mais il n'avait jamais pris le temps de se demander ce qu'il en avait été avec Aileen. Il n'était pas étonné d'apprendre qu'elle avait dû se montrer compréhensive : elle l'était toujours.
- Elle marque un point, défendit-il. Surtout qu'il est coincé à Ilvermorny pendant tout le procès.
- C'est sûr... reconnut Noah de mauvaise grâce.
Aileen eut un petit sourire de victoire, mais n'insista pas.
- Et toi ? Ça va, pas trop dur l'isolement ? s'inquiéta-t-elle.
- Non, c'est juste pour quelques heures. Et puis, regarde : au final, vous êtes là avec moi et Othilia reste avec Théa et Liam. C'est pas catastrophique.
- Pas faux...
Ses yeux glissèrent sur la pile de parchemin maintenant rangée près de la fenêtre.
- Tu faisais quoi ? Des esquisses pour la fresque qu'Hicks a demandée ?
- Ouais. J'ai l'idée principale et elle a validé presque tout, mais faut que je réfléchisse encore à la meilleure technique pour la réaliser. Les murs de pierre sont assez absorbants, faut de la peinture spéciale.
- Oh...
- Eh ! s'indigna-t-il. Pourquoi Aileen a le droit d'avoir des infos et pas moi ?
Noah sourit en retournant son attention vers lui.
- Parce qu'elle veut pas savoir ce que représente la fresque, nuance. Alors reste bien où t'es et t'approche pas.
Pour faire bonne mesure, Noah recula un peu pour mettre son corps entre lui et les brouillons. Il se retint de rouler des yeux. Il faillit lui faire remarquer qu'il pouvait très bien prendre sa baguette et s'emparer des parchemins sans effort, mais il se rappela soudain les aléas de sa baguette ces derniers temps. Se ridiculiser était la dernière chose dont il avait besoin. Au lieu de ça donc, il se renfonça un peu plus contre le dossier de son bout de banquette, creusant un peu plus l'écart entre eux. Ce n'était peut-être pas plus mal : ils avaient sans doute été trop proches au moment où Aileen était rentrée et il fallait faire attention aux apparences. Noah devait en être conscient aussi car il ne sembla pas blessé, juste amusé. Il ne devait pas maîtriser son expression de « je m'en fiche de toute façon, ça m'intéresse pas » aussi bien qu'il le croyait.
Le regard d'Aileen fit la navette entre eux. Elle ouvrit la bouche une première fois, prête à visiblement commenter, avant de la refermer et ils lui renvoyèrent une œillade surprise. Elle sembla hésiter un peu plus.
- Oui ? poussa Noah. Tu veux te moquer de Jules avec moi ? Ça sera avec plaisir, vraiment.
Pour toute réponse, il allongea la jambe pour lui donner un coup dans le genou et Noah se fendit d'un « aïe » exagéré. S'il avait pu, il l'aurait aussi repris sur le « Jules » mais il ne voulait pas attirer l'attention d'Aileen dessus. Dans tous les cas, elle ne releva pas et un simple sourire étira ses lèvres.
- Non, rien... Je voulais juste dire...
Elle marqua une nouvelle pause, encore plus hésitante. Les épaules voûtées, elle laissa les secondes filer à tel point qu'il commença à s'inquiéter et il s'apprêtait à lui demander si tout allait bien lorsqu'elle lâcha enfin :
- Vous n'êtes pas obligés de faire semblant pour moi, vous savez... Je sais que c'est assez compliqué comme ça, mais... ça me dérange pas, moi.
Elle ponctua sa phrase d'un sourire doux, presque prudent, qui n'apaisa pourtant rien. Pendant une seconde, il fut persuadé de mal comprendre, de mal interpréter ce qu'elle était en train dire. A force de ne penser qu'à Noah et leur secret et d'encaisser les piques d'Othilia, il filtrait toutes les paroles des autres sous ce prisme. Ça ne pouvait qu'être ça. Pourtant, il comprit qu'il n'était pas le seul à paniquer quand Noah se tendit à côté de lui et répondit à Aileen d'une voix soudain beaucoup plus tranchante.
- Faire semblant de quoi ?
Le ton, mêlé de défi et d'agressivité, la fit tressaillir.
- Arrête, Noah... Te braque pas, s'il te plaît, plaida-t-elle. Je n'ai pas dit ça pour être méchante, je me doute juste que c'est épuisant pour vous. Et ça fait un moment que je voulais en parler, au moins à toi Julian, mais c'était jamais le bon moment alors...
Elle haussa les épaules, faute de mieux, mais il n'arriva pas à calmer les battements douloureux dans sa poitrine. Ça commençait à faire trop. Il ne s'était pas encore remis de Théa et Othilia et voilà qu'il devait gérer Aileen maintenant... Il avait l'impression d'assister à l'effondrement d'un château de carte soigneusement monté et le fait que Noah soit présent cette fois-ci ne faisait qu'accentuer son malaise.
- Morgane, gronda-t-il. C'est Othilia c'est ça ? Elle a tout balancé ?
- Quoi ? Non, non, bien sûr que non...
- Qui alors ? Théa, c'est ça ? Elles sont les seules au courant. (Il contracta la mâchoire, hors de lui, mais Julian vit surtout l'éclat blessé qui traversa ses traits). Putain, elles avaient promis...
Son regard glissa vers lui et il sut à quoi il pensait comme si Noah l'avait hurlé. Il avait fait promettre à Othilia de rien dire sur eux, mais plus que tout sur lui. Ça avait été toute la tension de leur rupture et il ne pouvait pas blâmer Othilia d'en avoir été blessée, même si l'élan de sacrifice de Noah faisait encore naître dans son estomac une chaleur et un nœud paradoxal. Quant à Théa, même si elle n'avait rien promis au sens strict du terme, il lui avait fait confiance... Se dire qu'elle en avait quand même parlé à Aileen lui écrasa la poitrine avec force, douloureusement.
- Je vais leur parler, décréta Noah en se levant sans prévenir. Elles peuvent pas jouer à ça, bordel !
- Non ! Attends ! le retint Aileen.
Dans un sursaut, elle l'agrippa par le bras avant qu'il n'ait pu atteindre la porte du compartiment. Un frisson la parcouru sans qu'il arrive à déterminer si c'était à cause des roulis du train ou du regard noir que Noah lui jeta.
- Attends, répéta-t-elle d'une voix blanche. Je te jure qu'elles ne m'ont rien dit. Je savais avant elles !
Choqué, Julian la dévisagea.
- Tu savais avant... ? Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Je veux dire que ça fait presque un an que je suis au courant ! affirma-t-elle, désespérée. Noah, s'il te plaît, n'y va pas... Je vais vous expliquer à tous les deux, allez. Un secret pour un secret.
Elle avait l'air si solennelle d'un coup. Il resta figé, le souffle court, mais la curiosité piquée. Doucement, il tendit sa main à son tour pour prendre celle de Noah et le tira en geste apaisant.
- On peut au moins l'écouter... suggéra-t-il. Ça changera plus rien à ce stade.
C'était vrai. Elle savait de toute façon, alors à quoi bon ? En un sens, Aileen n'était peut-être pas la pire des personnes. Quand il était resté éveillé des nuits entières à se demander comment les gens de son entourage pouvaient réagir en apprenant la vérité, Aileen n'avait jamais été celle qui avait causé à son esprit des crises d'angoisse irrépressibles. Il se souvenait encore de sa réaction après l'agression de Zack l'année dernière : elle s'était montrée bien plus bienveillante que lui et Noah réunis.
De mauvaise grâce, Noah céda alors. Il se dégagea de leur prise à tous les deux et Aileen ne se rassit qu'une fois que lui aussi.
- Très bien, souffla-t-elle, les mains à plat sur ses genoux. Désolée, j'ai peut-être été un peu brusque, ce n'était pas mon intention. Je ne voulais pas vous faire paniquer...
- C'est réussi, railla Noah, acerbe.
Julian lui jeta un regard d'avertissement qu'il ignora superbement.
- Comment t'as su ? Tu nous as entendu ? Vu ?
- Non, détrompa Aileen avec patience. Non, t'inquiète pas. Vous avez été assez discrets si on y regarde pas de trop près. Si Othilia a fini par savoir, c'est particulier, elle était... aux premières loges on va dire. (Elle grimaça puis secoua la tête). Non, moi j'ai su autrement...
- Comment ?
Tendue, Aileen hésita à nouveau. A croire que c'était elle qui était en train d'avouer un secret et pas l'inverse.
- Est-ce que vous savez ce que c'est la legilimancie ? lâcha-t-elle soudain, nerveuse.
Noah se tourna vers lui, perplexe.
- Non ? Jules ?
Il dévisagea son amie, le cœur battant, puis se détourna vers la fenêtre. Le paysage défila à toute vitesse alors qu'un mauvais pressentiment s'infiltrait en lui.
- Dans les grandes lignes, oui, admit-il, tendu. C'est une technique magique assez rare. Ça permet de... rentrer dans l'esprit des gens en quelque sorte pour en extraire des pensées, des souvenirs... (Il déglutit et releva les yeux vers Aileen). Ça veut dire que tu es... ?
- Legilimens ? Non, réfuta-t-elle avec un sourire contrit. Non, je ne suis pas Legilimens.
- Quoi ?
Il cilla, étonné. Dès qu'elle avait prononcé le mot, il avait été persuadé d'enfin avoir saisi la clé de l'énigme que représentait parfois Aileen. Depuis qu'il l'avait rencontré, une sorte d'aura mystérieuse flottait autour d'elle : elle semblait toujours trop au courant de tout, de savoir ce qu'il ressentait d'un simple regard, d'être capable de mettre les mots justes sur ceux qui l'entouraient. La legilimancie aurait tout expliqué. Son esprit rationnel en fut tout de suite frustré et Aileen laissa échapper un léger rire.
- C'est ce que les guérimages ont cru aussi au début pourtant, expliqua-t-elle. J'avais souvent des maux de tête petite, je savais des choses que je n'aurais pas dû savoir et ça commençait à effrayer ma famille. Tu savais qu'il existait deux types de Legilimens ?
- Vaguement. Il y a ceux qui ont un don inné et ceux qui ont appris à maîtriser la technique même si elle est très compliquée. Les Legilimens de naissance ne peuvent pas parfois même pas arrêter de lire dans les pensées, leur magie le fait en continue à un certain degré. Je crois qu'aucun théoricien de la magie n'a réussi à comprendre d'où ça venait. C'est comme être métamorphomage, c'est génétique.
- Exactement. Et ce qu'on sait encore moins, c'est que la legilimancie a des branches, un peu comme des déclinaisons. Elles sont encore plus rares, bien sûr.
Elle posa ce constat avec fatalisme et le regard de Noah se fit plus perçant.
- C'est ce que tu es ? Une des branches ? devina-t-il.
- C'est ça. Je suis ce qu'on appelle une Empathe. Mon don à moi n'est pas lié aux pensées, il est lié aux émotions. Je suis comme une sorte d'éponge, si on veut donner une image.
Une Empathe. Le mot flotta entre eux, presque flou, mais si prégnant à cet instant. Il rongea son frein pour ne pas déverser toutes les questions qui se bousculaient dans sa gorge. Sa panique avait au moins céder le pas à sa curiosité et il détailla Aileen, cherchant un quelconque indice extérieur. Il ne trouva rien, bien évidemment. Rien à part ces prunelles si particulières, celles qui lui avaient donné plus d'une fois la sensation d'être compris avec un peu de trop de précision et il comprenait aujourd'hui pourquoi.
Il accusa le coup en silence. Pour être honnête, il avait toujours eu du mal avec ce type de magie. C'était comme la divination. Ça relevait d'une magie aléatoire, liée à l'âme humaine dans toute sa complexité. Et justement, quoi de plus complexe que les émotions ?
- Tu me l'a détraqué, ça y est, lança soudain Noah, railleur. Dans deux secondes, on va voir de la fumée sortir de son cerveau.
Aileen sourit.
- Ca fait souvent cet effet-là, désolée, j'aurais dû prévenir.
- Très drôle, fit-il avec ironie.
Il se força à sortir de sa torpeur. Quand il coula un regard vers Noah, il fut rassuré de voir que lui aussi avait l'air perdu et que sa tentative d'humour n'était là que pour le masquer.
- Je sais que ça peut être déstabilisant, convint Aileen, bienveillante, en interceptant leur regard. C'est aussi pour ça que je n'en parles pas autour de moi. Ça fait paniquer les autres ou il me voit plus comme une sorte de curiosité qu'autre chose. J'ai jugé que tant que les autres n'étaient pas en danger, ça m'appartenait de le dire ou non. Mais je peux répondre à toutes vos questions, promis.
- Génial, parce que j'en ai plein, admit-il sans honte. Enfin, t'y réponds seulement si tu veux, je comprends le choix que t'as fait, vraiment... Mais quand tu dis que tu ressens les émotions... ? C'est-à-dire ? A quel degré ?
- Ca dépend. Je n'ai pas une vision avec une étiquette précise qui flash dans ma tête si c'est ça que tu demandes. Ce n'est jamais précis d'ailleurs. On croit toujours que les émotions sont singulières, mais il est rare que quelqu'un ressente une seule émotion à la fois, à part dans des moments intenses. Le deuil, le stress, ce genre de choses. (Elle se mit à jouer avec ses mains, mais continua sans flancher tandis que son accent canadien se faisait plus présent à chaque mot). Au quotidien, on ressent plus des émotions diverses, un peu toutes mélangées. Et on a tous une façon différente de les vivre. C'est assez perturbant à « recevoir » pour une Empathe, même si j'ai appris à vivre avec.
Perturbant devait être un bel euphémisme. Il avait déjà du mal à vivre avec ses propres émotions, alors celles des autres ? Noah devait être arrivé à la même conclusion car il siffla, impressionné.
- T'as aucun moyen de le bloquer ? demanda-t-il. Même à l'école ?
- Non, grimaça Aileen. Ilvermorny, ça a été le pire au début. Beaucoup de monde, beaucoup d'émotions. La première année, j'en avais des migraines horribles.
- Je m'en souviens, ouais...
- C'est pour ça que t'aimes pas aller au stade ? réalisa Julian dans un éclair de lucidité.
Aileen acquiesça.
- Exactement. Essaye de rester assis dans un espace restreint pendant tout un match de Quodpot alors que tout le monde vit ses émotions à son maximum... Une horreur. Je l'ai fait une fois pour voir le premier match de Liam quand il a eu le poste de commentateur et plus jamais.
- Je comprends, dit-il avec compassion avant de sourire pour le détendre l'atmosphère. Le sport, c'est surfait de toute façon.
Un éclat amusé fit pétiller l'œil de son amie. Ses épaules se détendirent doucement et elle dénoua ses mains pour les remettre à plat sur ses genoux, plus à l'aise. Même Noah semblait avoir oublié sa colère, trop intéressé par le sujet pour penser à ce qui l'avait amené.
- Après, même si je ne peux pas bloquer mon don d'Empathe, j'ai quelques trucs qui peuvent m'aider maintenant, reprit-elle en retournant son attention vers lui. Asclépius me donne un élixir à base de plantes quand je viens le voir à l'infirmerie à cause de mes vertiges ou mes maux de tête. Ca atténue les sensations. Au début, ça me donnait l'impression de flotter, j'étais un peu anesthésiée on va dire... Mais on a réussi à trouver un dosage qui me convient maintenant. Et puis, j'évite de toucher les gens en général, ça m'aide aussi.
- Pourquoi ? Le toucher, ça rend les choses pires ?
- Oui, assez. Ça favorise la transmission des émotions en tout cas.
Tout faisait sens. Combien de fois avait-il vu Aileen tressaillir en touchant une autre personne ? Elle le faisait toujours avec réluctance, mais sa compassion naturelle la poussait à céder et il comprenait mieux pourquoi désormais. Toutes les fois où Liam était mal à cause de sa sœur – même celle où il avait envoyé son poing dans la vitre de la serre en début d'année dernière – Aileen s'était fait un devoir de le soutenir et il la trouva soudain encore plus admirable pour ça.
- C'est comme ça que tu savais qu'il n'y avait personne d'autre, ce soir-là, comprit-il soudain. Quand on a reçu le premier mot du corbeau près de la serre à minuit. Liam était persuadé que le kidnappeur d'Emilia était là, mais t'arrêtais pas de lui affirmer que non.
- C'est vrai. Je pouvais le... sentir, on va dire. Il n'y avait pas d'autres signes d'émotions que les nôtres autour. Après, j'aurais pu me tromper, ma sensibilité ne s'étend pas à plus de quelques mètres mais...
Elle laissa sa phrase en suspens, faute de mieux, comme pour minimiser son talent. Ça ne fonctionna évidemment pas : Julian le trouvait déjà fascinant.
- Comment ça marche ? voulut-il savoir. Ce que tu ressens des autres ? Leurs émotions ?
- Ça dépend, jugea Aileen avec nuance. Ça dépend de comment les personnes ressentent eux-mêmes leurs émotions. Toi et Noah par exemple, c'est complètement différent.
Surpris, Noah redressa la tête et ils échangèrent un regard. Le crayon qu'il faisait tourner entre ses doigts s'immobilisa.
- Ah ouais ? Pourquoi ?
- Je ne sais pas comment expliquer, attends...
Aileen chercha ses mots, puis expliqua lentement :
- Pour Julian, c'est ce que j'ai appelé des « émotions sous pression ». Tu les exprimes peu en apparence, mais c'est écrasant dès que je m'approchais un peu trop et que ça allait pas. Par moment l'année dernière, j'ai essayé de te demander si ça allait, je me disais que tu finirais par me parler... Bon, je n'ai pas trop réussi je crois. Mais je sentais plein d'émotions entremêlées qui s'écrasaient ensemble, c'était impressionnant.
Il en resta sans voix, perturbé. Même si elle tenta d'adoucir son exposé par un sourire, c'était étrange de s'entendre décrire ses propres émotions ainsi et il tenta de se remémorer tout ce qui s'était passé l'année dernière. Une bouffée de chaleur lui monta au visage en réalisant tout ce dont Aileen avait dû être témoin, même indirectement.
- Après je le répètes, ce n'est pas comme lire dans les pensées, s'empressa-t-elle d'ajouter en avisant sa gêne. Vraiment, la moitié du temps je ne comprends pas pourquoi les gens ressentent une émotion ou une autre, à part si le contexte me le rend évident. Si j'ai fini par comprendre pour vous, c'est parce que j'ai remarqué que vos émotions se répondaient souvent et au même moment. C'était impossible que ça ne soit pas lié.
Vu sous cet angle, ça se tenait en effet. Malgré tout, son malaise ne se dissipa pas tout à fait, mais Aileen ne le releva pas. Elle pivota vers Noah et décrivit pour lui cette fois-ci :
- Toi, c'est encore différent. Tes émotions... Comment dire ça ? Je les prenais en pleine figure, on ne va pas se mentir. Si pour Julian, je les ressentais enfouies en lui, toi tu les extériorisais par vagues. Sincèrement, je penses que t'es le cauchemar de tous les Empathes.
Elle fit passer la réflexion avec un rire léger pour dédramatiser et Noah eut la décence de paraître gêné à son tour.
- Désolé ? fit-il, incertain.
- Oh non, t'inquiète. T'aurais rien pu faire. Pas plus que moi en tout cas. Je vous dis, les émotions, ça fonctionne différemment pour tout le monde. C'est juste que les vôtres se répondent bien.
Julian émit un « hum » censé vouloir tout et rien dire. Il devait croire Aileen sur paroles de toute façon, c'était assez dur de se représenter la réalité qu'elle décrivait.
- Et c'est comme ça que t'as su alors ? relança Noah. Pour nous ?
- C'est ça... Je n'ai pas tout compris au début, c'était assez contradictoire. Parfois, je me disais « d'accord, j'en suis sûre maintenant » et puis une semaine après, quelque chose changeait dans vos émotions et je n'étais plus sûre. J'avoue, je serai assez curieuse de savoir... comment on en est arrivé là, si on peut dire.
Elle les désigna d'un geste vague tous les deux et ils échangèrent un nouveau regard éloquent. Comment résumer leur histoire ? D'un coup, la perspective semblait tout aussi complexe que de décrire le don d'Empathie d'Aileen.
- Tu t'es pas trompée, reconnut Julian avec diplomatie. Ça a été compliqué pour pleins de choses...
- Je me doute... Pleins de choses comme Zack, c'est ça ?
Elle n'explicita pas, mais ils comprirent bien tous ce qu'elle englobait : la loi, la menace des pyschomages, les attaques physiques et verbales, les réactions de la famille et des amis. Rien que d'y penser, il sentit la pression revenir peser sur son thorax et il se força à expirer lentement.
- C'est ça, confirma Noah en voyant qu'il gardait le silence. Y avaient Othilia et Hanna aussi...
Aileen fronça le nez.
- Quand j'ai compris avec certitude, c'était après les vacances de printemps justement. T'avais rompu avec Hanna, Ju'. C'était encore plus dur de capter les émotions d'Othilia à ce moment-là... Mais j'avais eu des soupçons avant.
- Ouais, je me doute. C'est juste qu'avant... c'était particulier, se rémora-t-il. C'était plus... une sorte d'expérience ?
Il lâcha le mot en doutant lui-même et Noah porta le poing à sa bouche comme pour s'éviter de commenter. Aileen, elle, les fixa tour à tour en attendant visiblement qu'ils poursuivent, mais il ne voyait pas quoi ajouter sur l'année dernière sans se lancer dans une rétrospective détaillée tant les choses avaient été complexes. Puis, tout d'un coup, Aileen éclata de rire.
- Une expérience ? répéta-t-elle. Quoi ?
- Oui, bon, ça va... tenta d'esquiver Noah immédiatement.
- Non, non, attends, je veux comprendre. Une expérience, c'était sérieux ?
Julian soupira dans un grognement mi agacé, mi embarrassé.
- C'était plus facile comme ça, se justifia-t-il.
- Peut-être ouais, mais... vous y avez cru ? C'était l'idée de qui ?
- Noah, dénonça-t-il sans scrupule.
Celui-ci se redressa vivement et son poing quitta ses lèvres en une seconde.
- Jules !
- Alors là, c'est incroyable, se moqua Aileen, un rire dans la voix. Tu voulais vraiment lui faire croire ça ? Noah Douzebranches, je ressens tes émotions depuis tes douze ans et je jure devant Morgane que tu...
- Allez, ça suffit !
- Noah, rah !
Il n'eut pas le temps de faire un geste avant que Noah ne se lève pour se jeter sur Aileen et plaquer sa main sur bouche pour la faire taire. Elle ne put que basculer à moitié en arrière, à étouffée autant par sa prise que par son rire.
- Ju' ! A l'aide ! héla-t-elle.
- Non, Jules, tu restes où t'es.
Mais Aileen continuait de se faire plaquer contre sa banquette, Noah à moitié au-dessus d'elle et leurs rires étaient si surprenants après l'ascenseur émotionnel de cette après-midi qu'il les laissa faire. Il se laissa à rire lui aussi, confortablement assis de son côté. Il savait qu'Aileen et lui devraient reparler de tout ça – il avait encore une tonne de questions – mais pour l'instant il voulait garder cette image-là : celle du partage de leurs deux plus grands secrets et de la joie qui venait d'en résulter.
Pour le reste du trajet, Aileen ne repartit d'ailleurs pas et resta avec eux. Personne ne vint la chercher, signe qu'Othilia et Théa préféraient ne pas tenter une dispute en posant un pied en « territoire ennemi ». Il était à peu près sûr que c'était comme ça que sa cousine avait baptisé le compartiment de Noah en début de voyage.
Quand la bataille entre Noah et Aileen eut fini de se solder par un abandon de la seconde, elle avait somnolé contre la fenêtre pour apaiser le reste persistent de son mal de tête. Pendant près de trente minutes, l'atmosphère avait alors été étrange avec Noah : c'était une chose de savoir que leur amie était au courant et les acceptait, c'en était une autre d'agir en conséquence. Pourtant, la lassitude l'avait finalement emporté. Après la troisième fois où leurs mains ou leurs jambes s'étaient frôlées pendant qu'ils dessinaient assis l'un à côté de l'autre et qu'ils s'étaient écartés avec gêne, Noah avait soupiré.
- C'est bon, stop... avait-il murmuré pour ne pas réveiller Aileen.
Puis, sans cérémonie, il avait fait les choses à la Noah Douzebranches : sans concession. Tout le reste du trajet, Julian s'était ainsi retrouvé avec sa tête posée sur ses genoux pendant que Noah prenait les trois quarts de la banquette, allongé à dessiner distraitement. La position n'était pas la plus instinctive, mais il y avait quelque chose de libérateur à agir comme ça alors qu'Aileen était présente. Comme si tout était normal d'une certaine façon... Rien que pour ça, il respira un peu mieux et n'arriva pas à chasser le sourire de ses lèvres quand Aileen rouvrit les yeux à quelques minutes de l'arrivée. Elle lui rendit son sourire avec sincérité.
Une fois le train arrivé en gare et immobilisé, la distance avait cependant reprit ses droits. Planté devant la porte du compartiment, Julian observait le flot des élèves qui se pressaient pour sortir, cherchant à apercevoir Charlotte, lorsque Noah jura derrière lui.
- Bon sang, évidemment... l'entendit-il marmonner.
- Qu'est-ce qu'il y a ? s'étonna Aileen, postée près de lui à la fenêtre.
Noah lui fit signe.
- Viens voir, Jules.
- Attends, je veux voir ma sœur...
- Elle est déjà sur le quai, je la vois. Viens voir, je te dis.
Perplexe, il traversa le compartiment en deux enjambées pour faire ce que Noah lui demandait. Aileen se décala et il regarda donc à travers la fenêtre. Une foule dense se pressait déjà sur le Sous-Quai, parents et enfants confondus, mais il repéra sa famille sans mal. Leonidas était dur à louper avec sa haute stature et sa mère se distinguait grâce à ses cheveux longs laissés détachés aujourd'hui.
Mais ce ne fut pas sur eux que son regard s'arrêta. Oh non, une surprise l'attendait plutôt et il se sentit sourire à nouveau instinctivement.
- Allez Ju', descend ! lui hurla Matthew Bones depuis le quai. J'ai pas traversé l'Atlantique pour te regarder dans un train !
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Ta da ! Verdict ? ^^
Vous l'attendiez le secret d'Aileen haha ! Et non, elle n'est pas legitimens, sorry. Depuis le début, mon idée était de la lier aux émotions davantage qu'aux pensées pour en faire ce personnage à la présence rassurante et un peu psychologue sur les bords avec ses amis. J'ai donc décidé de créer le terme d'Empathe dans le monde magique. Voilà, vous avez enfin la clé de compréhension du personnage d'Aileen et j'espère que vous n'êtes pas déçus !
Pour le reste du chapitre, on est dans la continuité des intrigues entamées : procès d'Emilia, Théa et Othilia qui ont appris la vérité, le couple caché du Nolian... Et on secoue ce cocktail pour se lancer dans les vacances de noël avec Matthew en cerise sur le gâteau. Alors ? Prêt.es ? ^^
Avant de se quitter avec les memes de Lina (donc vous avez le droit à une double dose parce qu'elle avait oublié de m'envoyer ceux du chapitre 23); une petite mention pour Perri qui a terminé La Dernière Page aujourd'hui. Immensément fière d'elle comme toujours, c'est avec un pincement au coeur que je la vois donc terminer sa dernière fanfiction... Le titre ne pouvait pas être plus symbolique. Ca a encore une fois été un honneur de l'aider à brainstormer et de l'avoir accompagné dans l'écriture de cette superbe histoire qui a vu naître un des personnages les plus iconiques de l'hydraverse : Joséphine. Mais tout le reste était aussi frais, touchant, prenant... Une magnifique histoire écrite avec une plume toujours aussi juste ! Et je ne pourrais pas avoir plus hâte de nous lancer dans nos prochaines aventures avec ses romans originaux. Merci Perri pour tout et plus encore !
A dans deux semaines tout le monde ^^
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