Chapitre 2 : L'histoire d'Aurélia Shelton

Oh mon dieu, ça m'a fait tellement plaisir de vous retrouver ! Merci pour tous vos commentaires et réactions, ça a illuminé ma semaine ^^ 

J'étais très touchée que plusieurs d'entre vous soulignent que les crises de panique de Julian faisaient écho à ce que vous aviez pu vivre. J'essaye de décrire toujours avec justesse, même si c'est compliqué pour certaines réalités que je n'ai pas vécu moi-même ou seulement à certain degré, donc ça m'a rassuré.  

Ensuite, petit jeu ! Certains ont peut-être vu passer sur instagram le sondage sur les maisons de Poudlard pour les personnages américains. Pour ceux.lles qui n'auraient pas insta, je propose de faire le jeu ici aussi. Je vous donne le nom d'un personnage, vous répondez en commentaire et je vous donne ma réponse/analyse au chapitre suivant ainsi que les résultats généraux des votes. Je propose de commencer par.... Liam ! Allez, à votre avis, dans quelle maison de Poudlard aurait-il été réparti ? 

En ce qui concerne le chapitre du jour, il est loooong. J'ai fait une Perri, on dépasse les 10 000 mots, mais j'espère que ça vous plaira car vous aurez une grande partie des réponses au sujet de l'histoire d'Aurélia dedans comme l'indique le titre. Et il ne me reste plus qu'à vous souhaiter une bonne lecture ! 

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Chapitre 2 : L'histoire d'Aurélia Shelton

« L'ennemi de la vérité n'est pas le mensonge, mais le déni entretenu par certaines croyances qui vont s'imposer à nous comme des certitudes. »

- Jacques Salomé -

// 21 mai 1980 //

Leonidas referma la porte du bureau d'Eulalie Hicks, le corps engourdi et l'esprit lourd. Il aurait dû se sentir épuisé, mais il fonctionnait à l'adrénaline depuis plus de deux heures... Depuis qu'il avait reçu un coup de cheminette en urgence d'Ethan Shelton lui demandant de venir avec lui à Ilvermorny car la directrice le convoquait sans attendre.

Il avait tout de suite imaginé le pire. Etrangement, c'était l'image de Théa qui lui était d'abord venu, peut-être parce qu'il s'inquiétait pour elle depuis ses cinq ans et l'avait toujours senti habitée d'une mélancolie certaine. Un jour, ce genre de mélancolie pouvait basculer en tragédie. Puis, sa raison avait repris le dessus : si Ethan l'appelait, alors ça ne concernait pas Théa. Ça concernait Julian ou Charly, voire les deux. Son inquiétude avait redoublé et plusieurs scénarios s'étaient formés dans son esprit alors qu'il s'habillait en vitesse. Depuis le lit, Lysandra lui avait demandé ce qui se passait, ensommeillée. Elle était revenue seulement deux jours plus tôt d'Angleterre grâce au passeport diplomatique que leur mariage lui conférait et il s'en voulait de lui imposer son stress, mais il ne se voyait pas refuser son aide à Ethan, pas alors qu'il remontait tout juste la pente. C'est pour cela qu'à près de minuit, il avait transplané de Boston à New York en urgence. Ethan l'attendait chez les Grims, Cordelia à ses côtés. Et Leonidas avait alors pris conscience que la situation était vraiment critique lorsque sa cousine lui avait annoncé qu'elle était elle aussi convoquée. Dans le bref échange qu'elle avait eu avec Eulalie Hicks, la directrice n'avait évoqué que quelques éléments, agitée : Théa et Julian étaient impliqués dans quelque chose, le règlement avait été enfreint, il y avait un élève blessé, et Ronan Graves était visiblement concerné. Sur le nom de son ex-mari, le teint de Cordelia avait viré au gris cendre et Leonidas avait su qu'elle était prête à s'effondrer, bien plus qu'Ethan. Sous ses airs de grande dame insensible et forte, Cordelia était habitée par une peur viscérale, celle de toute mère ayant perdu un enfant : qu'il arrive quelque chose au second. Sans attendre, il était donc parti pour Ilvermorny avec Ethan et Cordelia dans un silence lourd.

Il était impossible de transplaner directement dans le château, ils étaient alors arrivés au Village, au pied du mont Greylock. La nuit était noire, même si les rues étaient éclairées par les lueurs de sorts, et le vent du printemps aurait presque pu donner l'illusion d'une soirée paisible si la porte du café d'Hilda Douzebranches n'avait pas claqué dans leur dos. En se retournant, Leonidas avait aperçu la patronne en personne se diriger vers eux, vêtu d'une cape jetée à la va vite sur ses épaules. Elle s'était figée en les voyant et c'est à ce moment-là qu'il avait commencé à comprendre que l'affaire devait être d'une ampleur plus grande qu'il ne l'avait soupçonné au départ. Hilda lui avait donné raison une seconde plus tard :

- La directrice m'a dit de venir... avait-elle murmuré, anxieuse mais la tête haute. C'est pour mon garçon.

Leonidas avait hésité, il savait qu'elle avait deux neveux, mais elle avait précisé d'elle-même avant qu'il n'ait pu lui demander :

- Noah, je veux dire. Evidemment...

Evidemment, peut-être pas. Il ne trouvait lui-même rien d'évident dans les évènements de ce soir. Si Noah Douzebranches donnait du fil à retordre à Hilda, Leonidas était perplexe au sujet de Théa et Julian. La première pouvait certes parfois entrer en conflit avec sa mère, mais elle n'avait jamais été mauvaise élève, bien au contraire. Il n'avait même jamais entendu dire qu'elle avait eu une heure de colle depuis sa première année à Ilvermorny. Et il ne parlait même pas de Julian ! Enfin... Maintenant qu'il y repensait, il y avait eu des signes étranges autour de Julian cette année. Il n'avait peut-être juste pas été attentif, mais il se souvint brusquement de toutes ses questions, son attitude nerveuse, son départ précipité à la dernière sortie au Village avec Aileen McCallum. Naïvement, il avait mis son attitude sur les bouleversements que son filleul avaient connu toute cette année et c'était peut-être une erreur.

En tout cas, il ne s'était pas attendu au spectacle qui l'avait accueilli à l'infirmerie. Julian était bien là, Théa aussi... Ainsi que Noah Douzebranches, Aileen McCallum, Othilia Fontaine et Liam Cooper. Les parents étaient aussi présents – sauf ceux d'Aileen dont la venue du Canada devait être un peu plus longue – tout comme un Auror. Et pas n'importe quel Auror : Hercules Fischer, le nouveau chef du Département. C'est là que Leonidas avait compris le caractère sérieux de l'affaire. Apparemment, Emilia Cooper – la disparue qui faisait la une des journaux depuis des mois – venait d'être transportée à l'hôpital et était liée à l'histoire. Tout ça était déjà déstabilisant en soit, voire complètement dépourvu de sens... jusqu'à ce que la porte de l'infirmerie ne s'ouvre à nouveau sur les éclats de voix de Miranda et qu'Aurelia n'entre à son tour.

Là, Leonidas s'était demandé le temps d'une seconde s'il ne rêvait pas, toujours endormi auprès de sa femme à Boston. C'était surréaliste. Même la magie n'avait pas le pouvoir de faire revenir les morts. Ce qui s'était passé ensuite, Leonidas était persuadé de ne jamais l'oublier malgré son état hébété. Ni les pleurs d'Ethan, ni les suppliques d'Aurelia pour être crue, ni les émotions déchirantes sur les visages de Charly et Cordelia, et encore moins la détresse visible de Julian. Il avait dû user de toute son autorité pour convaincre Hicks et Aurelia de lui laisser quelques minutes avec Noah Douzebranches dans la salle des douches pour reprendre contenance et il ne le regrettait pas. Il avait eu le présentiment que forcer Julian à sortir aurait été bien plus dommageable qu'autre chose.

Ce présentiment s'était confirmé quelques minutes plus tard quand Noah était ressorti – seul – sous le regard incendiaire de sa tante pour annoncer que Julian ne voulait pas encore voir sa mère et avait juste besoin de dormir. Plusieurs voix s'étaient alors élevées, chacune avec un avis différent, et Leonidas devait admettre une chose sur le neveu d'Hilda : il avait de l'aplomb. Campé devant la porte, il avait refusé qu'Aurelia ou Ethan entre et avait exigé une potion de sommeil sans ambages. La situation aurait pu s'envenimer si Eulalie Hicks n'avait pas fini par reprendre son rôle de directrice. D'une voix sans appel, elle avait ordonné à l'infirmier de garder les jeunes avec lui toute la nuit et de les laisser se reposer ; puis elle avait indiqué la sortie aux parents et à Hercules Fischer d'un geste impétueux. Personne n'avait eu le choix. Hilda et Algibert Fontaine, le père de la jeune Othilia, s'étaient vu donner des chambres de professeurs inoccupées pour la nuit, avant que Hicks ne les fasse monter à l'étage réservé à la direction.

C'est ainsi que Leonidas se retrouva enfin à être le dernier à entrer dans le bureau de la directrice, tête basse. La tension autour de lui était si palpable qu'il ne savait pas quoi faire. Ça faisait longtemps qu'il n'avait pas été aussi démuni, ni pris par surprise... Peut-être depuis la mort de Théophilius et l'arrestation de Ronan. Mais même ce jour-là n'arrivait pas à la hauteur du miracle que constituait le fait de voir sa cousine devant lui, bien vivante. Aurelia était le centre des regards à l'instant. Agitée, elle avait les larmes aux yeux, même si ça ne l'empêcha pas de fusiller d'une œillade noire la directrice Hicks.

- Vous n'avez pas le droit ! déclara-t-elle, rageuse, dès que la porte se referma. Vous n'avez pas le droit de me garder loin de mes enfants !

Cette dernière la toisa d'un air impénétrable.

- En l'occurrence, j'en ai le droit, lui répliqua-t-elle. Estimez-vous déjà heureuse d'avoir pu leur parler quelques minutes et de ne pas avoir été maîtrisée dès que vous avez posé un pied dans cette infirmerie. Aux dernières nouvelles, Aurelia Shelton est décédée dans un attentat à son travail à Londres l'année dernière, alors excusez-moi de faire preuve d'un minimum de prudence.

- Mais je vous ai dit que je pouvais m'expliquer ! Miranda a témoigné !

Du doigt, elle pointa Miranda Fleming. Elle aussi avait l'air épuisé et Leonidas eut du mal à superposer l'image de la jeune femme énergique aux cheveux à la garçonne qu'il avait connu quinze plus tôt et la professeure de sortilèges respectable qu'elle était devenue. Il garderait toujours d'elle le souvenir d'une soirée arrosée et d'un karaoké moldu dans Soho. Miranda n'eut cependant pas le temps de répondre car Hicks reprit d'un ton ferme.

- Même si j'ai toute confiance en Miranda, personne n'est au-dessus d'une tromperie, asséna-t-elle. Agent Fischer, pour ma tranquillité d'esprit, pouvez-vous... ?

Elle indiqua vaguement Aurelia en une question muette et l'Auror se râcla la gorge.

- Je l'aurais fait sans même que vous me le demandiez. Madame, si vous permettez.

Il pointa sa baguette sur Aurelia. La marque de politesse n'était que formalité, Leonidas s'en doutait très bien : sa cousine n'avait pas le choix. D'ailleurs, elle ne prit même pas la peine d'acquiescer, ni d'hocher la tête, et se contenta de serrer les dents, furieuse.

- Revelio, jeta Fischer. (Rien ne se passa). Finite. (Encore rien). Ce n'est pas un sort d'illusion, décréta-t-il après quelques secondes et d'autres sorts informulés. Le polyectar n'est pas à exclure.

- On ne peut pas prendre l'apparence d'un mort, rétorqua Aurelia. Si je l'étais, personne n'aurait pu se faire passer pour moi.

- A moins que des mangemorts aient enlevé Aurelia Shelton pendant l'attaque et la maintienne en vie pour l'imiter.

Leonidas trouva la théorie bancale, mais se retient d'exprimer son opinion. Sa cousine le fit très bien toute seule de toute façon.

- Pour quoi faire ? s'écria-t-elle, incrédule. Qu'est-ce qu'ils auraient à gagner ? Vous l'avez dit, ça fait presque un ! Pourquoi m'utilisez maintenant ? Ça n'a aucun sens !

- Parce que ce soir, pour la première fois, Emilia Cooper et Ronan Graves ont refait surface. En même temps que vous. Et je suis désolé, appelez ça une déformation professionnelle, mais je ne crois pas aux coïncidences.

Sur ce point en revanche, Fischer avait raison. Il se passait trop de choses étranges à la suite pour qu'il n'y ait pas un lien. Aurelia se garda d'ailleurs bien de répondre, défaite. Elle croisa à nouveau ses bras contre son ventre et hocha la tête.

- Vous savez quoi ? On avancera pas tant que je ne vous aurais pas convaincu entièrement que je ne suis pas un mangemort. Faites ce que vous avez à faire, même si ma famille m'a identifié.

- N'importe quelle famille voudrait croire au retour d'un proche décédé, objecta Fischer. Ça ne prouve rien.

Après ce débat, le silence retomba pendant que l'Auror effectuait son travail. Leonidas se garda bien d'intervenir. Oui, Aurelia avait raison : elle avait passé son test du souvenir tout à l'heure, mais avec le recul il se rendait compte que ce n'était pas suffisant. Un mangemort ou une personne douée en magie pouvait infiltrer les souvenirs, les extirper d'un esprit... Aurelia était morte – ou avait disparu – en juin dernier. Les mois qui s'étaient écoulés avaient très bien pu servir à s'emparer de sa mémoire pour l'imiter. C'était ce que la partie rationnelle de son cerveau lui disait... celle émotionnelle tenait un autre discours. Leonidas avait vu l'émotion qu'Aurelia avait exprimé en retrouvant ses enfants et son mari. Ce genre de choses ne pouvaient pas être feintes, pas à ce point...

Pourtant, tout le monde devait comprendre qu'ils n'avanceraient pas tant que l'Auror n'aurait pas dissiper ses doutes. Ils se rassemblèrent donc tous contre la bibliothèque de Hicks tandis que Fischer continuait à passer sa baguette autour d'Aurelia et lui posait des questions. Des informations de base, certaines plus compliquées, des faits d'actualité sur l'année écoulée. Hicks fournit même une fiole de veritaserum à un moment après qu'Aurelia ait signé une décharge pour autoriser l'Auror à lui administrer. Leonidas attendit avec anxiété. Il ne savait pas s'il supporterait une révélation contraire à sa croyance profonde d'avoir retrouvé sa cousine préférée. A sa droite, Ethan ne la lâchait quant à lui pas du regard, comme enfermé dans un autre monde. A sa gauche, Cordelia était toujours aussi pâle. Il hésita une seconde de peur de se prendre un sort ou un mot grossier, mais il finit par se pencher vers elle :

- Est-ce que ça va... ? souffla-t-il.

Lentement, elle détacha son regard de sa sœur pour se tourner vers lui. Ses cheveux auburn – hérités de leur grand-mère Eugénie Perrot – ressortaient davantage que d'habitude à cause de son teint.

- Je ne sais pas, avoua-t-elle honnêtement dans un rare accès de vulnérabilité. Je crois que je n'arrive même à envisager que ça soit... réel. (Elle pencha la tête sur le côté, songeuse). Qu'elle soit réelle, ajouta-t-elle après coup.

Leonidas comprenait la sensation. Lui non plus n'était pas sûr de le croire, mais Fischer se redressa à ce moment-là et annonça avec certitude :

- Bon... J'ai fait tous les test possibles et si vous êtes formels également, je ne vois aucune raison de penser le contraire. Cette femme est bien Aurelia Shelton.

- Merlin...

Le murmure soulagé venait d'Ethan, yeux clos en une reconnaissance évidente. Leonidas était plus partagé : l'apaisement de ses craintes se mêlait à ses interrogations, nombreuses et douloureuses. Aurelia, elle, se contenta d'expirer un souffle qui avait dû suspendu au jugement de l'Auror et elle se releva de la chaise sur laquelle était assise, empressée.

- Je peux voir mes enfants, maintenant ? demanda-t-elle.

Hicks, derrière son bureau, leva une main pour l'arrêter.

- Certainement pas. Il est... (elle jeta un coup d'œil au cadrant d'horloge en suspension dans le vide grâce à la magie) presque quatre heures du matin et il est hors de question de réveiller des enfants qui avaient clairement besoin de repos. Vous aussi, agent Fischer. Toutes les questions que vous voulez leur poser peuvent attendre demain.

L'Auror se rembrunit. Il n'était pas venu pour authentifier une revenante, mais bien pour enrichir le dossier Emilia Cooper, et voilà que les informations promises lui étaient encore déniées. Leonidas l'aurait presque plaint.

- Peut-être que les enfants peuvent attendre demain, concéda Cordelia, mais j'estime ne pas avoir besoin de sommeil. Ce dont j'ai besoin, c'est de réponses.

Elle vrilla son regard sur sa sœur, impérieuse, et la tension se renforça. Il soupira.

- Marquez bien mes mots, je ne le dis pas souvent, intervint-il avec un calme qu'il était loin de ressentir, mais Cordelia a raison. Vous avez toutes les deux des réponses à donner.

Il pointa successivement Aurelia et Miranda. Les deux échangèrent un long regard à leur tour, puis hochèrent la tête. Sans se concerter, ils prirent place autour du bureau de Hicks. Seul Fischer resta debout.

- Je ne sais pas par quoi commencer... avoua Aurelia, les mains crispées sur ses genoux. Tout s'est passé très vite ce jour-là...

- Ce jour-là ? Celui de l'attentat des Archives Magiques ? dit la directrice.

- Oui... Peut-être que Miranda... ?

Elle glissa un nouveau regard démunie à son amie. Leonidas eut plus que jamais la sensation de se retrouver face à une étrangère. Il avait retrouvé Miranda il n'y a pas si longtemps, ils avaient évoqué le bon vieux temps ensemble et partagé des Dragées surprises de Bertie Crochue autour d'un verre. Elle lui avait paru normale, pas du genre à cacher en secret sa cousine normalement décédée. A croire qu'on ne connaissait jamais vraiment les gens.

- Je peux expliquer ce qui s'est passé depuis le 23 juin dernier, oui, accepta Miranda. J'étais en Angleterre à ce moment-là. Avec vous, Eulalie.

Elle désigna la directrice. Cette dernière haussa un sourcil sombre.

- Je le sais, fit-elle avec hauteur. J'étais moi-même en déplacement pour rendre visite à Dumbledore et à d'autres vieux amis. J'ai fait plusieurs allers-retours dont celui en août pour voir les Shelton et leur expliquer le fonctionnement d'Ilvermorny. Vous aviez... insisté pour m'accompagner.

- C'est vrai...

- Et vous avez refusé de loger avec moi chez mon ami Norbert Dragonneau en prétextant avoir déjà un endroit où rester.

Miranda grimaça.

- Ce n'était pas réellement un prétexte, simplement...

- Simplement, tu ne pouvais pas débarquer avec une morte comme invité supplémentaire, claqua Cordelia.

Aurelia et Miranda tressaillirent. De l'avis de Leonidas, ça prouvait surtout que Cordelia était en train de reprendre ses esprits et il en fut au moins rassuré sous le maelstrom d'émotions qui l'agitait.

- On peut dire ça comme ça, convint la professeure de sortilèges, contrite. En vérité, ce n'était pas prévu. Le 23 juin, je vous accompagnais juste pour visiter l'Angleterre et revoir Londres où j'avais passé une partie de ma jeunesse quand j'étais étudiante. Je ne sais pas, ça m'amusait... (elle déglutit). Je n'avais pas prévu de tomber sur Aurelia.

- Tomber ? répéta Fischer. C'était un accident ?

Il y eu un léger silence et Miranda s'agita sur sa chaise, mal à l'aise.

- Oui et non... J'ai très vite appris pour l'Attentat, j'étais au Chaudron Baveur à ce moment-là. La nouvelle est tombée quelques minutes après quand des fonctionnaires du Ministère, qui est juste à côté, ont déboulé. Je savais qu'Aurelia travaillait là-bas et même si on s'était pas vues depuis des années... j'y suis allée.

- Pour savoir si elle allait bien ?

- Evidemment ! On avait été si proches à vingt-cinq ans, je ne pouvais pas rester là sans rien faire alors que j'étais dans le même pays !

- Donc vous vous êtes rendue sur place ?

Leonidas avait la désagréable impression d'assister à un interrogatoire. Il se demanda soudain dans un éclair de lucidité si Aurelia et Miranda encouraient des poursuites judiciaires... Était-ce un crime de feindre sa mort chez les sorciers ? Il ne s'y connaissait pas assez en droit pour le savoir, mais il se fit une note mentale de poser la question à Cassiopée et Edgar dès demain matin. Ou plutôt tout à l'heure comme lui rappela l'horloge murale. Nerveux, il plongea la main dans la poche intérieur de son veston pour en sortir une cigarette de la petite boite en fer en argent qu'il gardait toujours sur lui. Le regard noir d'Eulalie Hicks l'arrêta net. « Une école », lui mima-t-elle sans un mot avec ses lèvres.

Miranda, qui n'avait pas intercepté l'échange, continua à répondre aux questions de Fischer sans se soucier de lui.

- Oui... Les Aurors étaient déjà là, le bâtiment était bouclé. Ils détournaient et oubliettaient les Non-Maj' en disant que c'était une fuite de gaz, mais je voyais bien la marque des Ténèbres au-dessus des Archives. Il y avait une jeune femme sur le côté avec le nom de la liste des victimes, j'ai été lui demander si elle savait quelque chose sur Aurelia.

Leonidas sursauta. Cette jeune femme, il la connaissait, il lui était lui-même allé lui poser la même question lorsqu'il était arrivé sur place après avoir entendu parler de l'Attentat. Il n'avait jamais vu Miranda dans la foule en revanche, mais il y avait tellement de monde ce jour-là, tellement d'agitation et de chaos... Ce n'était pas impossible qu'ils se soient croisés ou qu'il soit arrivé après elle.

- Blonde ? intervint-il malgré tout. La jeune femme ?

Miranda cilla, surprise.

- Euh... oui, oui c'est ça. Mais elle n'était pas Auror, enfin elle n'était pas en uniforme.

- Marlène McKinnon, ça devait être elle, en déduisit-il.

Aussitôt, il regretta d'avoir donné son nom en voyant Fischer le noter dans son calepin et se maudit pour sa négligence. Il n'en avait pas la certitude bien sûr, mais la dernière fois qu'il avait vu la jeune McKinnon, elle était en compagnie de Frank et Alice Londubat, un couple d'Aurors, à la fête de fiançailles de Lucius et Narcissa Malefoy. Sur le coup, il n'avait pas été sûr de lui, mais plus il y avait pensé plus l'évidence s'était imposée : ils devaient tous faire partie du groupe anti-mangemorts autour duquel Edgar évoluait avec Dumbledore. Tout était flou et, en tant qu'américain, Leonidas n'avait pas vocation à en découvrir beaucoup plus. Il soupçonnait aussi Cassie et Edgar de les avoir maintenu dans l'ignorance, lui et Lysandra, pour les protéger si la situation dérapait ou que des hauts placés du Ministère et du MACUSA viennent leur poser des questions. Pour ne pas orienter davantage Fischer sur la piste, il garda le silence et fit signe à Miranda de poursuivre.

- Enfin bref... hum... reprit-elle en cherchant ses mots. La jeune femme m'a dit qu'Aurelia ne figurait pas encore sur la liste, ni comme survivante ni comme victime. J'ai donc attendu devant, j'avais espoir, et surtout je ne voulais pas repartir sans informations.

Leur différence était donc là. Quand lui-même s'était adressé à McKinnon, le nom d'Aurelia figurait parmi la liste des morts, même si son corps n'avait pas été retrouvé formellement. Il avait dû arriver bien plus tard que Miranda sur les lieux, au moins une heure. Il ne savait pas quoi ressentir face à ce constat. S'il avait eu la nouvelle plus tôt, les choses auraient-elles été différentes ? Aurait-il été tenu au courant et pas maintenu dans l'obscurité pendant un an ? Même s'il n'était pas adepte de refaire le passé, il ne pouvait pas s'empêcher de songer à ce « et si » entêtant.

- Et ensuite ? pressa Fischer.

- Ensuite... Eh bien, c'est là que les chose se sont emballées...

A nouveau, Miranda échangea un coup d'œil avec Aurelia. Il en ressentit une pointe d'agacement : c'était le moment de dire la vérité, pas de cacher des choses. Cordelia dû partager son avis car elle se pencha en avant, crispée, et tapa du plat de la main sur le coin du bureau d'Hicks.

- Eh ! claqua-t-elle, vindicative. Je suis prête à demander qu'on réutilise une dose élevée de veritaserum si c'est ce qu'il faut pour obtenir la vérité. Je ne comprends peut-être rien à ce qui passe, mais ça a poussé Ronan à venir s'en prendre à ma fille ce soir ! Alors Aurelia, ne crois pas une seconde que revenir d'outre-tombe me fait oublier où sont mes priorités.

Le ton était froid, clinique, à des années-lumière de l'émotion brute qu'elle avait laissé filtrer en début de soirée. Etrangement, Leonidas n'en fut pas surpris. Après tout, il l'avait bien vu : Cordelia était une mère qui avait pensé l'espace d'un instant perdre un deuxième enfant et une sœur – aussi vivante soit-elle après avoir été morte pendant un an – ne pouvait faire le poids. Si Aurelia se figea un peu plus derrière son masque, Miranda eut le mérite de prendre l'air honteux.

- Oui, désolée... s'excusa-t-elle. Je comprends que ça ne soit facile pour personne.

- Surtout pour ceux qui ont l'impression de s'être fait avoir, non.

- Cordelia, si tu les laissais s'expliquer, tenta d'intervenir Ethan, toujours compréhensif.

Leonidas trouvait ça impressionnant la façon dont plusieurs personnes pouvaient réagir différemment à une même situation. Il était évident que Cordelia et Ethan n'étaient pas du tout sur la même longueur d'onde... Lui-même devait se trouver au milieu, sans bien savoir où se situer non plus.

Debout dans son coin, Fischer s'impatienta à nouveau.

- Les choses se sont emballées donc ? relança-t-il, désireux d'avorter la dispute qui se profilait.

Miranda saisit la baguette tendue avec gratitude.

- Oui, c'est ça. Je m'étais écartée pour laisser les Aurors faire leur travail quand j'ai vu une silhouette blonde parmi la foule. Sur le coup, j'ai cru que j'hallucinais.

- C'était vous ? devina Fischer en s'adressant à Aurelia.

- C'était moi... confirma-t-elle. J'avais réussi à sortir par une fenêtre au bout de l'aile du bâtiment. Un jeune homme m'avait aidé...

- Un jeune homme ?

- Il n'était pas Auror non plus et il ne travaillait pas aux Archives, du moins pas à ma connaissance. J'ai cru que c'était un stagiaire au début, il était jeune, même pas vingt-cinq ans. Aujourd'hui, je ne suis plus sûre... Il essayait d'aider les gens à évacuer, il donnait des consignes. Il a même écarté un mangemort de notre chemin.

La description laissa tout le monde perplexe, Fischer le premier. Leonidas le voyait bien à sa tête. Entre McKinnon et ce jeune homme inconnu, le pauvre devait se demander ce qui se passait en Angleterre pour que des civils interviennent autant sur des missions qui auraient dû clairement revenir exclusivement aux Aurors. Encore une preuve que le réseau de résistance de Dumbledore avait dû être impliqué ce jour-là.

- Vous n'avez jamais appris son nom ? insista Fischer.

Aurelia secoua la tête.

- Non. Je l'ai perdu dans la foule en sortant du bâtiment en ruine. J'étais blessée, désorientée... Je voulais...

Elle s'interrompit. Fischer n'avait cependant plus une once de patience en lui.

- Oui ? pressa-t-il.

- Je voulais partir le plus vite possible, avoua-t-elle dans un filet de voix. Je devais disparaître.

Le choix de mot fit tiquer toutes les personnes présentes. Leonidas trouvait ça réconfortant de ne pas être le seul et Hicks croisa ses mains sur son bureau, intéressée.

- Disparaître ? répéta-t-elle. C'est radical, non ? Pourquoi vouliez-vous disparaître ?

La question à cent milles gallions, songea-t-il. Celle qu'il se posait depuis que sa cousine était réapparue sur le seuil de l'infirmerie et même Ethan se redressa dans son siège, tendu. Il prit toutefois la main de sa femme dans la sienne, ce qui sembla lui donna du courage. Elle ne rencontra aucun regard quand elle répondit enfin après de longues secondes interminables :

- Parce qu'il m'avait retrouvé. Ronan.

C'était si simple et compliqué à la fois. Ils en revenaient toujours à ce nom. Cordelia réagit avant que l'Auror n'ait pu le faire.

- Ronan venait de sortir de prison ! s'exclama-t-elle d'une voix déraillante. Comment est-ce qu'il aurait pu se rendre en Angleterre ?

- Il est facile de rentrer dans un pays en guerre. Les autres pays ne veulent pas que des sorciers britanniques viennent chez eux, mais le Ministère a trop à faire pour surveiller qui arrive sur son sol. Ronan était un homme libre pour la première fois depuis dix ans et même s'il avait interdiction de voyager, on sait tous qu'un transport outre-Atlantique peut se négocier, surtout pour lui qui est considéré comme le dernier supporter de Grindelwald.

Cette fois, Aurelia croisa son regard et Leonidas sut à quoi elle repensait. Vingt-cinq ans plus tôt, en 1954, elle était arrivée chez lui avec des marques rouges sur le cou pour lui demander un visa pour l'Angleterre. Il lui en avait obtenu un dans l'heure grâce à son poste à l'Ambassade. S'il avait lui-même pu le faire, tout juste diplômé et loin de sa position actuelle, alors ce n'était pas difficile d'imaginer que Ronan ait pu avoir des contacts lui aussi. Par voie légale ou par un passeur, beaucoup de sorciers se souvenaient encore de cet homme de bonne naissance qui avait tenté de libérer Grindelwald : un dernier partisan dont les actes avaient porté un idéal de libération du monde magique.

- Je ne comprends pas... protesta-t-il malgré tout. Pourquoi Ronan voulait te retrouver toi ? Et pourquoi est-ce que tu as voulu le fuir au point de nous faire croire que tu étais morte ?

Pour lui, la clé du mystère résidait en ces deux questions, mais Aurelia hésita encore une fois. Les secrets qu'elle cachait devaient être bien plus lourds qu'il ne l'avait cru.

- Leo, peut-être qu'on devrait laisser Miranda continuer, entonna alors soudain Cordelia. Les doubles récits m'embrouillent, elle n'avait pas terminé...

Sa suggestion jeta une onde de surprise et, étonné, il se retourna vers elle. Il aurait aimé l'avoir gardé dans son champ de vision car visiblement un changement avait eu lieu en quelques minutes et il ne comprenait pas quoi. Elle n'avait plus son air glacial, non. Elle regardait sa sœur, une lueur étrange dans le regard, comme si elle venait brusquement de comprendre quelque chose qui leur échappait tous. Il pouvait presque voir un fil entendu les relier.

- Non, non, attendez ! coupa Fischer. J'en ai ma claque, on tourne en rond. Vous avez dit que vous étiez prêtes à vous expliquer toutes les deux. Donc vous allez répondre aux questions maintenant ou je vous arrête par mesure préventive tout de suite et on continuera cette entretien au Bureau des Aurors dans la matinée. A vous de voir.

Le ton implacable de l'Auror ne laissait aucun doute sur son sérieux. Aurelia sembla réfléchir à toute vitesse, nerveuse, puis échangea tour à tour un nouveau regard avec sa sœur et Miranda. Leonidas eut l'impression d'être de plus en plus laisser hors de quelque chose.

- Très bien, très bien... céda finalement Aurelia, une main sur le front. Ronan est venu pour trouver... à cause de ce qui s'est passé ce soir avec les enfants.

- Le Rituel ? fit Hicks, alerte.

Leonidas n'avait pas la moindre idée de ce dont elle parlait. Il leva la main pour la couper.

- Stop ! Quel Rituel ? On nous a même pas expliqué ce que les enfants avaient fait !

- Nous devions l'expliquer aux parents, répliqua Hicks. Vous vous êtes invité, monsieur Grims.

Cordelia renifla dédaigneusement.

- C'est sa spécialité, commenta-t-elle.

Il lui jeta un regard peu amène, agacé. Elle oubliait sans doute qu'il l'avait aidé au moment même où elle perdait pied en début de nuit.

- Julian est mon filleul, j'estimais avoir le droit de venir, se défendit-il. Jusqu'à peu, il n'avait qu'un représentant légal et encore, non ?

La pique fit son effet. Aurelia lui renvoya un regard blessé et Ethan baissa la tête, honteux, mais il était trop à cran pour s'en soucier. Il n'allait pas se laisser mettre à l'écart comme ça, pas après tout ce qu'il avait fait cette année pour aider Julian et Théa.

- De toute façon, continua-t-il, on a déjà souligné qu'on n'était plus dans un cadre légal depuis un moment. (Il pointa Fischer) Cet interrogatoire n'est pas dans les normes du MACUSA et vous le savez. (Il fit face ensuite à Hicks). Vos élèves et une de vos professeure ont visiblement brisé des lois et pourtant on est toujours là à discuter sans faire appel à une autre autorité. (Il désigna enfin Aurelia elle-même). Et ne parlons pas de toi qui a fait semblant d'être morte pendant des mois car je ne suis pas sûr que ça soit accepté par la loi non plus. Donc, conclut-il, je refuse de sortir de ce bureau sous prétexte que je n'ai pas d'enfants directement concernés par ce qui s'est passé cette nuit. Parlez.

Il ponctua sa tirade en sortant enfin une cigarette de son étui et de prendre une bouffée libératrice pour ses nerfs mis à rude épreuve. La directrice ne le reprit pas. Elle se contenta de l'observer, résignée et impressionnée à la fois comme seule Eulalie Hicks pouvait le faire, avant d'acquiescer. Elle se mit alors à leur fait le récit de ce qu'elle savait en précisant bien qu'il faudrait encore interroger les enfants pour dénouer tout le nœud de cette affaire. Et Leonidas tomba des nues.

Apparemment, Julian, Théa, Othilia Fontaine, Noah Douzebranches et Liam Cooper avaient tenté de briser un Rituel d'Ancrage vieux de plusieurs siècles pour Ronan Graves. Emilia Cooper s'était retrouvée sur place, même si son rôle était encore flou, mais le Rituel avait échoué et s'était retourné contre eux. Tout ça pour quoi ? Pour la baguette de Salazar Serpentard, enfoui sous un arbre du parc d'Ilvermorny par Isolt Sayre en personne au temps de la fondation de l'école. La baguette contenait un pouvoir important, mais surtout elle alimentait les défenses du château et procurait à l'arbre sous lequel elle était enterrée une vertu particulière : celle de produire des fleurs guérisseuses jamais obtenues ailleurs. Ces fleurs alimentaient l'infirmerie d'Ilvermorny depuis des décennies, bien que le secret soit jalousement protégé. Seuls les directeurs de l'école pouvaient savoir ce que l'arbre cachait, conformément au vœu d'Isolt Sayre de ne plus voir cette baguette maudite tomber entre de mauvaises mains. Visiblement, ce souhait n'avait pas été respecté et Ronan Graves avait réussi à en entendre parler.

A la fin du récit d'Hicks, un long silence plana. Fischer avait renoncé à prendre lui-même des notes et laissait faire sa plume à papote qui filait comme une folle sur le papier comme si elle avait avalé dix cafés. Leonidas en fut rassuré. Même la plume avait la tête qui tournait face à toute cette histoire.

- Mais pourquoi impliquer les enfants là-dedans ? s'étonna brusquement Ethan, pragmatique.

- Ca, il faudra leur demander, répondit Hicks. J'ai mes soupçons et mes théories, mais...

- Parce qu'il ne pensait pas venir lui-même récupérer la baguette, coupa Aurelia. En tout cas, il ne l'avait pas fait la dernière fois.

Il avait cru que l'effarement ne pouvait pas monter d'un cran. Il avait eu tort. Il recracha la fumée de sa cigarette dans une quinte de toux et Cordelia se redressa vivement, agitée.

- Aurelia ! siffla-t-elle entre ses dents.

Mais Aurelia secoua résolument la tête.

- L'agent Fischer a raison, il est temps que je m'explique. Je l'ai dit moi-même. Juste... ne m'interrompez pas. J'ai besoin d'en parler depuis des années maintenant, ce n'est pas facile.

- Mais tais-toi !

Encore une fois, Leonidas sentit que les choses lui échappaient. Les regards se vrillèrent vers Cordelia, étonnés. Aurelia eut un sourire triste.

- Ma sœur cherche à me protéger, dit-elle, et c'est tout à son honneur car elle ne connait pas la vérité. Elle n'a rien à voir dans cette histoire.

Elle appuya sa phrase d'un regard ferme et Cordelia la dévisagea, crispée. Pourtant, elle ne chercha pas à interrompre à nouveau sa sœur quand elle reprit :

- J'avais à peine quinze ans, le même âge que les enfants aujourd'hui, raconta-t-elle. Je connaissais tout juste Ronan, il était le fiancé de ma sœur qui n'avait même pas encore fini ses études. Elle avait tout : elle était belle, déjà promise à un homme riche et cultivé avant même de partir d'Ilvermorny, et nos parents n'arrêtaient pas de me dire que j'aurais dû être plus comme elle.

Ça, Leonidas s'en souvenait. Son oncle Gerbert et sa tante Isadora avaient été des parents aimants mais conservateurs. Ils avaient encouragé Robert à monter les échelons et à s'imposer dans la vie, mais avaient eu pour leur deux filles une vision plus classique. Une vision dans laquelle Aurelia ne s'était jamais bien reconnue, surtout à l'adolescence. Elle était passionnée d'histoire, elle s'était engagée pour le droit des filles à faire partir des équipes de Quodpot à Ilvermorny, et elle rejetait le modèle que sa sœur aînée n'avait pas eu l'air d'avoir du mal à épouser, littéralement.

- Ca m'énervait, admit Aurelia. Ronan l'a vu et il l'a exploité. Il était très porté sur l'histoire, il était le seul avec qui je pouvais discuter, notamment d'Isolt Sayre. Je trouvais cette femme qui avait su s'imposer dans un monde d'homme fascinante et lui aussi. Au fil de nos discussions, il a fini par me parler de ce qui l'intéressait particulièrement à son sujet.

- La baguette de Serpentard, devina Hicks d'un air entendu.

Aurelia serra un peu plus la main de son mari dans la sienne et acquiesça. Cordelia ne quittait pas sa sœur des yeux, les épaules tendues, et Leonidas se demanda si c'était à cause du souvenir de Ronan à cette époque qui la hantait, même si son attitude semblait plus profonde que ça.

- Voilà... Il m'a expliqué les recherches qu'il avait fait sur le Rituel d'Ancrage qui la protégeait, poursuivit sa cousine. Il savait beaucoup de choses, c'était évident que ce n'était pas une passion récente. Dès que Cordelia n'était pas les parages, il venait m'en parler. Je l'écoutais parler avec enthousiasme... il avait juste ce truc, vous savez ? Il était impressionnant, plus âgé, intelligent.

- Vous voulez dire que... ? commença Fischer maladroitement. Vous et lui... ?

Il ne termina pas sa phrase, mais l'idée était claire et Leonidas fut prit d'horreur. Il n'avait pas été assez aveugle pour louper ça quand même ? A l'époque, Aurelia avait quinze ans et Ronan presque vingt-sept... ça aurait inenvisageable, mais après tout revenir d'entre les morts l'était aussi. Heureusement, Aurelia secoua la tête avec vigueur et ses mèches blondes accrochèrent les premières lueurs de l'aube, encore pâles face à la profondeur fuyante de la nuit.

- Non, non, jamais ! détrompa-t-elle. Ça n'a jamais été comme ça, ni pour lui ni pour moi. (Elle mit autant de force que possible dans sa voix, son attention fixée vers Cordelia). Je te jure que...

- Je sais, coupa cette dernière. Continue.

Elle paraissait toujours aussi tendue, mais aussi résolue à aller au bout de ce récit. Aurelia reprit, soulagée.

- Un jour, il est venu me rendre visite à Salem pendant un week-end de sortie. Il avait dit que c'était mieux que le Village pour le charme historique.

- Et pour être moins vu par les autres, commenta Leonidas.

- C'est sûr, mais à l'époque je ne l'ai pas compris. C'est là-bas qu'il m'a parlé de son projet de récupérer la baguette pour la première fois. Et moi, comme une idiote... j'ai plongé.

Sur ce constat, elle se reprit le front entre les mains, lâchant celle d'Ethan au passage. Leonidas aurait bien été incapable de dire ce qu'il pensait derrière ses lunettes à monture écailles et son air fermé.

- Vous voulez dire que Ronan Graves avait déjà tenté de voler la baguette de Serpentard ? fit Hicks, incrédule.

- Non, il avait déjà tenté de manipuler quelqu'un pour le faire à sa place, nuança Aurelia. Ronan était respecté et occupé, il ne pouvait pas prendre ce risque ni le temps suffisant. Moi en revanche ? J'ai laissé tomber des clubs, des amis... et je me suis consacrée au contre rituel. Il m'avait donné presque toutes les instructions, je n'ai eu qu'à compléter un peu de mon côté à la bibliothèque. Tout ce que j'avais à faire ensuite, c'était de trouver où était la baguette. Ça, Ronan ne le savait pas encore.

Hicks dévisagea son ancienne élève, l'air sidéré.

- Laissez-moi reformuler pour que je sois sûre de comprendre. Vous avez réussi toute seule à l'âge de quinze ans, sans qu'aucun professeur ne soupçonne une activité de cette ampleur, à réaliser toutes les étapes d'un Contre-Rituel d'Ancrage ? Alors même que cette année, ils étaient apparemment cinq sur ce projet ?

La question semblait soudain légitime. Aurelia avait toujours été une bonne élève – une intellectuelle – mais elle brillait plus en Histoire de la magie et en Droit magique qu'en Défense contre les Arts Magiques Obscurs ou en Enchantements. Leonidas s'y connaissait mal, mais d'après le ton de la directrice ce fameux contre rituel n'était pas pour les débutants. C'était incroyable qu'Aurelia ait réussi à tout faire seule, même avec l'aide lointaine de Ronan, sans que quiconque sans aperçoive. Il se rappelait bien qu'elle s'était éloignée de lui à cette période, mais il avait mis ça sur le compte de ses nouvelles fréquentations. Après tout, il la voyait sans cesse avec Barenne Perrot, Heather Douzebranches, Diego Calderon et même Cordelia. Il s'en souvenait encore aujourd'hui, c'était dire à quel point ça l'avait marqué, et il en avait même parlé à Julian quand celui-ci lui avait demandé des informations sur sa mère et... Leonidas se figea.

Il ne prêta pas à attention à la réponse de sa cousine – elle esquivait la question en affirmant qu'elle avait réussi, oui, bien sûr – et son cerveau se mit à relier des points jusque-là éparpillés. La réaction de Cordelia prit soudain une autre signification. Quelles étaient les chances pour que Ronan et son ego démesuré n'ait embrigadé qu'une sœur dans son idée ? Qu'il ait laissé de côté sa fiancée, si influençable et prête à tout pour lui plaire ? Que quelque chose ait dérapé ? Quelque chose qui aurait poussé Aurelia à partir pour Los Angeles après ses études, puis à s'exiler en Angleterre quelques années plus tard après une violente dispute avec Ronan et Cordelia ? Depuis des années, Leonidas s'était demandé ce qui avait bien se passer ce jour-là, et même s'il ne comprenait pas encore tout, des éléments de réponses commençaient à prendre forme. Et s'il avait raison, Aurelia était toujours en train de mentir en ce moment-même face à eux, face à un Auror, face à son mari...

Une sensation acide s'installa dans son ventre. Il n'avait jamais posé de questions, il avait toujours été un soutien infaillible pour sa cousine, et voilà ce qu'il recevait en retour. Encore des demi-vérité et des zones d'ombre. Agacé, il aurait voulu la confronter immédiatement, mais son bon sens reprit le dessus. Il demanderait des explications plus tard, seul avec elle, avant de juger. Ne pas aller trop vite, c'est ce que l'âge lui avait appris. Lysandra, quant à elle, appelait ça « son côté Serpentard ». Discernement ou mêtis, peu importe, il préférait être prudent.

Arrivé à cette conclusion, il se reconcentra sur la conversation. Visiblement, Aurelia avait fini de raconter ce qui s'était passé à Ilvermorny quand elle était jeune, à savoir l'échec du plan de Ronan pour retrouver la baguette.

- Mais il continuait à me harceler, même après mes études, disait-elle d'une voix tremblante. Il ne s'embarrassait même plus de son charme : il faisait officiellement parti de la famille depuis son mariage avec Cordelia et il me parlait tout le temps de la baguette, il voulait comprendre où est-ce qu'on avait échoué. Ça ne m'amusait plus moi, mais je ne pouvais en parler en personne. J'avais brisé tellement de règles pour faire ce contre rituel, j'avais même acheté des ingrédients de potions au marché noir. Pour moi qui venait d'une bonne famille, j'avais l'impression d'être une criminelle et il me confortait dans l'idée. (Elle inspira un souffle tremblant). Un jour, je l'ai quand même menacé de tout raconter à mes parents ou de prévenir la Bridage de Police magique... Il a juste éclaté de rire en me disant qu'il nierait, que j'étais juste une gamine qui s'était montée la tête toute seule et qu'il avait juste bien voulu discuter avec moi de ma passion pour la baguette, sans rien de plus. Et il avait raison... Qui allait me croire ? Il n'y avait aucune preuve de son implication, tout s'était passé à Ilvermorny, tout était passé par mon argent, par mes mains... Il suffisait de remonter les sorts de ma baguette pour s'en rendre compte. J'étais piégée.

Sa détresse semblait si sincère... L'espace d'une seconde, Leonidas se demanda s'il ne s'était pas trompé. La solitude d'Aurelia l'avait après tout frappé à l'époque, mais il fallait dire que son groupe d'Ilvermorny avait explosé à ce moment-là et que Cordelia et elle s'étaient éloignées. Il supposait que comme dans tout mensonge, il fallait après tout un fond de vérité.

- C'est ça qui vous a fait partir en Angleterre ? demanda Fischer, toujours attentif malgré l'heure tardive et le manque de sommeil.

Aurelia se mordit la lèvre.

- Oui, à peu près... je n'en pouvais plus, je vivais la peur au ventre. J'ai pris ma décision le jour où il est revenu me voir en me disant qu'il avait compris ce qui n'avait pas fonctionné. Il fallait du sang d'Isolt Sayre pour terminer le contre-rituel. Il voulait se mettre en quête d'un de ses descendants, mais j'ai refusé. C'était devenu trop pour moi, ça n'avait plus rien de l'enquête historique si prometteuse qui m'avait motivé plus jeune.

- La réponse ne lui a pas plu ? supposa Hicks avec colère.

- Non, effectivement. Il m'a à nouveau menacé, simplement... il n'a pas utilisé que des mots cette fois... expliqua Aurelia d'une voix tremblante. (D'un geste absent, elle porta ses mains à sa gorge, comme si elle sentait une vieille douleur se réveiller et Leonidas comprit soudain). Il m'a attrapé et... il a essayé de m'étrangler... je...

Sa voix flancha. Elle était soudain pâle, emprisonnée par le souvenir d'une main fantôme, et tout le monde la dévisagea, frappé d'horreur. Leonidas regarda autour de lui. Cordelia était redevenue si blême qu'il eut peur un instant qu'elle ne finisse par s'évanouir et des larmes avaient empli ses yeux, même si elle refusait de les laisser couler. Mais le plus bouleversé restait sans nul doute Ethan qui, sans hésitation, se saisit à nouveau de la main de sa femme. Le geste était à la fois tendre et tendu.

- Tu as eu raison de partir, déclara-t-il. Tu m'entends, ma chérie ? Absolument raison, n'en doute pas une seconde.

Dans cette conviction profonde, Leonidas retrouva l'ancien Ethan, celui qu'il avait connu dans les années 60, et cette vision le perturba après tous ces mois d'apathie. Aurelia lui rendit un sourire faible mais sincère.

- Merci... murmura-t-elle. Ça a sans doute été la meilleure décision de ma vie, oui. J'ai demandé à Leo de m'aider à fuir et je t'en remercie encore aujourd'hui, vraiment...

Là encore, elle lui parut sincère. L'acidité céda la place à une chaleur indécise dans le creux de son ventre. Il se souvint de ce qu'il avait affirmé à Julian au Village il y plusieurs mois : « ce jour-là, j'avais l'impression que si je ne l'aidais pas à quitter les Etats-Unis, je la condamnais ». Aujourd'hui encore, il était intimement habité par cette conviction, et l'émotion sur les traits d'Aurelia lui laissaient à penser qu'il avait raison. Mais il se rappelait aussi ce qu'elle taisait à cet instant : quand elle était arrivée chez lui, elle criait contre Ronan, certes, mais aussi contre sa sœur. La dispute qui avait tout fait basculer s'était menée à trois voix, pas à deux, et ce détail avait son importance. Le récit qu'elle leur délivrait continuait d'être tronqué, mais Aurelia détourna le regard avant qu'il n'ait pu la fixer trop longtemps.

- En mettant un océan d'écart entre nous, j'espérais qu'il me laisse tranquille... reprit-elle enfin. Et c'est ce qui s'est passé pendant un temps. J'avais coupé les ponts avec toute ma famille pour être sûre d'être débarrassé de lui, à part avec Leonidas qui vivait à Londres à cette époque. J'ai rencontré Ethan et Miranda. Je vivais enfin heureuse sans le poids de Ronan sur mes épaules...

- Mais il n'en est pas resté là ? fit Fischer en jetant un œil à son calpin qui se noircissait à vue d'œil sous la frénésie de sa plume à papote.

- Non... A la naissance de mon fils, j'ai reçu une lettre de Cordelia qui m'annonçait qu'elle allait bientôt accouchée de jumeaux. Elle voulait renouer les liens, j'imagine.

Cordelia roula des yeux.

- Tu imagines ? répéta-t-elle avec hauteur. Je venais d'apprendre que ma petite sœur avait eu un bébé et qu'elle ne m'avait pas prévenu. Même moi, j'ai assez de maturité pour savoir qu'il était temps que je t'envoie une lettre pour t'annoncer que j'allais devenir mère moi aussi.

Ça, Leonidas n'eut pas de mal à croire que c'était la vérité. Il avait eu des échos de la réaction de Cordelia en apprenant la naissance de Julian et elle avait été sincèrement vexée d'avoir été maintenue dans l'ignorance. Bienvenue au club, songea-t-il avec ironie.

- Je suis désolée, mais je ne voulais prendre aucun risque, se justifia Aurelia. Si tu savais quelque chose, Ronan le savait aussi et je préférais éviter de me rappeler à son souvenir ! J'avais raison d'ailleurs... Il m'a envoyé une lettre lui aussi...

- Quoi ? réagit Ethan. Mais quand... ? A la naissance de Julian ? Pourquoi tu... ?

Il ne termina pas sa phrase, mais personne n'eut dû mal à comprendre. Pourquoi tu ne m'en a pas parlé ? Si Ethan avait encaissé tout le récit en se disant sûrement qu'il appartenait au passé de sa femme, ce revirement le laissa pantois. La culpabilité s'imprima sur les traits d'Aurelia.

- Oh mon chéri... souffla-t-elle. Je ne voulais t'inquiéter, on avait déjà tellement de choses à gérer avec un bébé et... je ne sais pas, cette histoire était restée un secret depuis tant d'années, je ne me voyais pas te l'imposer.

Et elle ne le faisait toujours pas, se dit Leonidas. Sa cousine s'était enfoncée si loin dans ses secrets qu'elle paraissait incapable d'en sortir et il se demanda encore une fois ce qui justifiait toutes ces demi-vérités. Il avait hâte d'être seule avec elle. Ou peut-être qu'il pourrait confronter Cordelia, bien plus au courant qu'elle ne le laissait croire, il en était persuadé.

- J'ai répondu à ma sœur malgré tout, poursuivit Aurelia, tête basse. J'avais envie de lui reparler, de lui raconter un peu ce qu'était devenue ma vie. Ça a été une énième erreur. Ronan m'a renvoyé des courriers où il évoquait mes proches, mon fils, mon métier... A l'évidence, il avait lu mes lettres pour Cordelia et il s'en servait contre moi. Alors j'ai refait ce qui avait marché la dernière fois : je me suis éloignée. J'ai arrêté de voir Miranda et Leonidas, je l'ai même poussé à prendre son poste à Boston, je me suis retranchée autour de ma famille et j'ai démissionné.

- Parce que vous travailliez où avant ? demanda Fischer, soucieux des détails.

- Un cabinet de recherche magique, répondit-elle. C'était une sorte de société magique qui sous-traite certains dossiers du Département des Mystères ou de l'IRIS. C'est là que j'ai rencontré Miranda, on était collègues...

Des images des années 60 et de cette époque dansèrent dans l'esprit de Leonidas. Il se revoyait, bien plus jeune, traverser Tower Bridge pour enjamber la Tamise et retrouver Aurelia, Ethan et Miranda pour boire un verre et refaire le monde. C'est là qu'il avait rencontré Lysandra également, si singulière et forte d'esprit. Il se revoyait aussi tout perdre brusquement en 1963 après l'accouchement d'Aurelia. Tout leur groupe avait pourtant attendu la naissance de ce premier enfant avec impatience et il avait ressenti une fierté sans égal quand il découvert être le parrain de Julian en tenant le nourrisson dans ses bras. Autant dire qu'il n'avait pas pu exercer son rôle longtemps... Quelques mois plus tard à peine, Aurelia disparaissait presque : plus de nouvelles, plus d'invitations, des excuses multiples pour ne plus venir aux déjeuners ou aux soirées. Aujourd'hui, il commençait à comprendre quel rôle Ronan avait vraiment joué là-dedans.

- Il t'a laissé tranquille après ça ? voulut-il savoir, inquiet malgré tout.

Aurelia se tourna vers lui, touchée par sa sollicitude.

- Oui... confirma-t-elle d'une voix douce. Le plan a marché, comme la première fois. Je pense qu'il a dû aussi être occupé par ses enfants, ça change toujours quelqu'un, même lui.

Elle jeta un coup d'œil à sa sœur en une question muette et celle-ci hocha la tête avec réticence.

- Je reproche beaucoup de choses à Ronan, des choses que j'aurais dû voir avant, mais... Il aimait ses enfants. (Elle marqua une pause, puis se corrigea). Nos enfants... Je ne l'ai jamais vu comme ça avant leur naissance, mais ça lui avait donné un nouveau but. Théa était sa princesse et Théo... Théo, il...

Cordelia n'arriva pas à achever sa phrase et un malaise empreint de pitié tomba sur la pièce. Elle n'était jamais plus humaine qu'en évoquant ses enfants et Leonidas lui tendit une cigarette en guise de diversion. Elle s'en saisit avec reconnaissance. Même si elle n'avait jamais été une grande fumeuse, elle aimait se calmer les nerfs parfois et il sentait bien qu'elle en avait besoin à cet instant. Hicks ne chercha toujours pas à l'en empêcher.

- Enfin... tout ça pour dire que je pensais être enfin débarrassée de lui, reprit Aurelia avec gravité. Surtout au moment où il a été condamné à la prison. Mais j'avais toujours peur... Libérer Grindelwald, c'était extrême, même pour lui et je ne pouvais pas savoir s'il l'avait seulement fait pour tenter de sauver son fils ou pour aussi récupérer enfin la baguette qu'il convoitait depuis des années. Donc j'ai continué à mener ma vie sans renouer les liens avec ma famille et ça m'allait très bien... Après tout, j'en avais fondé une autre.

Elle pressa affectueusement la main d'Ethan qui lui renvoya un regard tendre. Leonidas, lui, tenta d'ignorer le coup au cœur qu'il ressentit. Oui, Aurelia s'était reconstituée une famille. Lui aussi l'avait fait après tout : il avait trouvé Lysa, il s'était rapproché de ses propres parents avant leurs morts, il avait appris à aimer les Bones et leurs trois enfants... mais sa cousine était restée une plaie sans réponse toutes ces années.

- J'avais raison d'être inquiète de toute manière... dit Aurelia, insensible à son trouble. Parce que Ronan m'a retrouvé après sa sortie de prison. Je ne m'y attendais pas...

- C'est pour ça que vous vouliez « disparaître » ? se souvint Hicks.

Il lui fut reconnaissait de revenir sur le sujet de départ, perdu par le fil du récit et le flot de ses souvenirs.

- Oui... Plusieurs fois j'avais tenté de fuir et de couper les ponts avec mon entourage pour éviter qu'il me retrouve, mais j'étais le point central, j'étais celle qu'il cherchait... (Elle déglutit, comme toujours habitée par une vieille peur impossible à lâcher). Ce jour-là, il est venu me trouver aux Archives. Il savait donc où je travaillais. Il voulait avoir accès à des documents historiques, il affirmait avoir retrouvé la trace d'une descendante d'Isolt Sayre mais qu'il devait en être sûr et que j'étais la mieux placée pour ça. Au début, j'ai refusé, mais il a menacé... il a menacé Ethan et les enfants. (Elle crispa sa main libre sur le bord de sa chaise et sa voix trembla une seconde avant qu'elle ne reprenne contenance). J'ai compris que la prison l'avait changé. Ce n'était plus un homme respectable avec une bonne réputation auquel j'avais affaire... c'était un homme qui n'avait plus rien à perdre.

La fin de la phrase, presque chuchotée, envoya un frisson glacé le long du dos de Leonidas. Cette fois-ci, il n'eut aucun mal à croire sa cousine.

- Et alors ? demanda Fischer. Vous lui avez donné les documents qu'il voulait ?

- Oui... C'étaient des vieux manuscrits sur Martha, la fille d'Isolt, née Cracmol. Peu d'historiens se sont penchés sur son cas, mais on avait quand même quelques textes, des morceaux de journaux intimes de personnalités qui l'avaient connu ou des sources généalogiques. Il a tout pris et il voulait me convaincre de finir ce qu'on avait commencé, de reprendre la quête de la baguette... Il disait qu'il avait trouvé son emplacement, il était certain que le Rituel fonctionnerait cette fois-ci. Comme une idiote, je l'ai pris de haut. J'étais tellement en colère après lui quand il a menacé mes enfants et... (elle secoua la tête de dépit avant d'annoncer :) Rah, je lui ai dit que le Rituel ne se briserait sûrement pas...

Immédiatement, les sourcils dessinés d'Hicks s'envolèrent et ridèrent son front.

- Parce que vous le saviez ?

- Pas avec certitude, non. Mais disons que... je suis historienne, mon mari est chercheur en sortilèges. En vingt ans, j'avais eu l'occasion de me renseigner sur le Rituel d'Ancrage, je n'avais pas été emprisonnée, moi. Et j'ai compris que la première fois, il ne nous manquait pas que le sang d'Isolt pour réussir.

La réalisation frappa soudain Leonidas.

- C'est pour ça que le contre-rituel n'a pas fonctionné ce soir ? s'exclama-t-il. Enfin je veux dire, c'est pour que les enfants n'ont pas réussi ?

- C'est plus Ronan qui n'a pas réussi, mais oui, il semblerait, acquiesça Hicks avant d'ajouter, autoritaire. Mais je préférais que vous gardiez les subtilités de ce contre-rituel pour vous, Mrs Shelton. Il est censé n'être connu que de peu de personnes et j'apprécierais que cela reste le cas. Nous en parlerons plus tard.

Elle marqua sa demande – qui n'en était en réalité pas une – par un regard sévère et Aurelia hocha la tête. Leonidas ne ressentit même pas de frustration : elles pouvaient bien faire des mystères autour de ce fameux Rituel d'Ancrage, sa cousine avait assez d'enfui comme ça, pas besoin d'en rajouter. Au lieu de ça, il lui fit signe de reprendre maintenant qu'il avait posé sa question. Elle s'exécuta.

- Après ça, Ronan est devenu plus virulent. Il voulait à tout prix me faire dire ce que je savais et ce que j'avais découvert. Il devenait violent, mais j'avais peur qu'un de mes collègues arrive et devoir me justifier... Mais ça n'a pas eu grande importance ensuite parce que... le bâtiment s'est mis à trembler et...

Elle s'interrompit, le regard hanté. Tout le monde comprit avant même qu'elle n'énonce l'évidence :

- Les mangemorts ont attaqué.

Ethan resserra sa prise un peu plus à lui en faire blanchir le bout des doigts, mais personne n'eut le cœur à lui faire une remarque.

- J'ai perdu Ronan dans la panique, raconta Aurelia. Les gens fuyaient et le jeune homme qui m'a aidé à sortir m'avait débarrassé de Ronan, c'était plus que suffisant. Et c'est là que ça m'a frappé... Jamais il me laisserait. Ce n'était même plus qu'une question de me dénoncer pour ce que j'avais fait adolescente, il pouvait s'en prendre à moi et à ma famille... c'était une question de sureté.

- Alors vous n'avez trouvé rien d'autre que de vous faire passer pour morte ? s'exclama Fischer, incrédule.

Cette fois, Aurelia se redressa, piquée au vif. Ses yeux verts brillaient d'un éclat déterminé.

- Pourquoi ? Vous aviez mieux, vous ? lui rétorqua-t-elle. La dernière fois que les Aurors s'étaient occupés de Ronan, ça ne l'a pas empêché de revenir dès sa sortie de prison ! Ce soir encore, il vous a filé entre les doigts ! Ca faisait vingt ans que j'essayais de lui échapper sans succès, il savait trop de choses, il était dangereux... il...

Essoufflée, elle laissa retomber son élan et pinça les lèvres en une expression butée. Leonidas tiqua sur autre chose. « Il savait trop de choses ». Des choses qu'elle avait passé sous silence ? Il aurait aimé se tourner vers Cordelia pour juger sa réaction, mais il n'osa pas quitter sa cousine des yeux. Elle reprit, moins véhémente, mais toujours habitée par la conviction.

- J'étais morte de peur, d'accord ? tenta-t-elle de leur faire comprendre. Ronan venait de me retrouver, les mangemorts venaient d'attaquer et le bâtiment était à moitié en flammes moitié en train de s'effondrer ! J'étais désespérée... et c'est là que je suis tombée sur Miranda.

La suite, Leonidas l'avait plus ou moins deviné entre les lignes. En pleine tourmente, Aurelia s'était accrochée à ce visage familier et Miranda, toujours soucieuse d'aider, s'était laissée embarquer par amitié. Elle avait ramené Aurelia chez elle en avion moldu pour la cacher le temps de trouver une solution, mais les mois avaient passé sans que Ronan n'ait été repéré. Trop dangereux. Toutes les deux prises par le tourbillon de leur mensonge, Miranda avait continué sa vie de professeure en veillant de loin sur Julian et Charly pour donner de leurs nouvelles à leur mère. Elles s'étaient données un an avant d'en parler à quelqu'un ou de faire quelque chose et sortir de cette situation impossible. Aurelia commençait à devenir folle, enfermée dans un appartement de toute façon. Finalement, le destin avait tout provoqué pour elles. Quand Miranda avait appris ce qui s'était passé ce soir, elle avait envoyé un patronus à Aurelia sur le champ et cette dernière n'avait plus supporté d'être cachée à l'écart, pas avec son fils en danger. Le reste, ils l'avaient tous vécu en direct.

La fin du récit de cette folle histoire fut accompagnée d'un silence plus pesant que tout ceux qu'ils avaient enduré jusque-là. Personne n'avait plus d'énergie pour protester ni s'énerver et même Cordelia resta prostrée sur sa chaise, sonnée. Leonidas se doutait que demain matin, les explications et les accusations reprendraient. Il en avait lui-même certaines à formuler. Pour l'instant, Hercules Fischer endossa à nouveau son costume d'Auror en charge de l'affaire et déclara, l'air dépassé :

- Bien... Pour tout vous avouer, je ne m'attendais pas à ça ce soir quand vous m'avez appelé, madame la directrice, soupira-t-il. Mais voilà ce qu'on va faire : je n'embarque personne ce soir. (Il leva sa plume à papote devant lui). J'interdis en revanche à quiconque d'impliquer dans les deux dossiers – votre résurrection, Mrs Shelton, et la contre-rituel tenté par vos élèves, Mrs Hicks – de quitter les lieux. Vous serez tous soumis un sortilège de traçage temporaire. Demain après-midi, j'interrogerai tous les gamins collectivement et séparément s'il le faut. Oui, les parents ont droit d'être présents, ajouta-t-il en voyant Cordelia ouvrir la bouche. A la suite de cela, Mrs Shelton, je vous laisserai quelques heures avec votre famille au vu des... circonstances exceptionnelles. Mais il faudra que vous veniez ensuite avec moi pour que je puisse recueillir votre déposition et faire les démarches nécessaires.

Il promena son regard sombre sur eux tous.

- Est-ce que c'est clair ?

Un murmure d'assentiment lui répondit. Pour un peu, ils auraient pu passer pour les élèves et lui le professeur. Le lieu s'y prêtait après tout bien. Pourtant, Leonidas ne ressentait absolument pas l'insouciance de sa jeunesse. Il était épuisé. A l'extérieur, le ciel avait commencé à se parer de couleurs mauve et orangée à mesure que le soleil entamait sa course dans le ciel. Il songea que Julian aurait adoré dessiner ce spectacle. Seulement, songer à son filleul lui fit tomber une pierre glacée dans la poitrine. Le réveil allait sans doute être difficile pour lui, mais aussi pour tout le monde, lui-même compris. Et il était assez lucide pour savoir que la confrontation qu'il devrait avoir avec Aurelia ne serait pas une partie de plaisir...

Morgane, Lysandra n'allait pas en revenir quand il lui raconterait tout. Il la voyait déjà s'exclamer que « finalement, Leo, ta famille est pire que la mienne et il fallait le faire ! ». Cette simple pensée lui arracha au moins un sourire.   

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Verdict ? J'espère que vous ne l'avez pas trouvé trop descriptif/narratif, il fallait quand même que je pose des rappels et qu'Aurélia puisse raconter son histoire. Perri était partagée, mais elle connaissait tout déjà elle, donc je me dis que votre regard neuf doit avoir une autre perception ? 

La semaine prochaine, on se retrouve encore pour un 3e chapitre ! Mais avant de se quitter, on reprend les bonnes habitudes avec les memes de Lina sur le chapitre précédent  ^^ Ah ça m'avait manqué aussi ! 

A samedi prochain ! Bisous ! 

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