Chapitre 16 : Du même sang
Hey !! Comment ça va cette semaine ? Libéré pour certain.es des épreuves du bac ? Encore à passer ? ^^
Bon j'avoue cette intro ne sera pas longue, je suis fracassée par le boulot et je vais aller me coucher tôt comme si j'avais 45 ans, trois gosses et une charge de mentale de malade alors que... bah on en est loin haha !
Mais bref ! Pour ceux.lles qui n'auraient pas vu : j'ai posté une nouvelle partie de mon bonus De cendres et de lumières dans mon Recueil de bonus. Vous pouvez allez y découvrir la suite de mon récit revisité d'Ombres et Poussières de Perri, aka l'histoire du point de vue de Jules et Noah.
Ensuite, je voudrais revenir brièvement sur le dernier chapitre. Il a eu un peu moins de commentaires que d'habitude, mais je m'y attendais et je pense que c'est normal au vu de la teneur de sa scène... disons particulière haha ! Du coup je voulais juste vous redemander votre avis à froid ici : est-ce que la scène vous a paru réussi ? Faute d'être réussi, sinon intéressante ? Et est-ce que certain.es ne l'ont juste pas aimé à cause d'un malaise ou autre ? Est-ce que d'autres scènes dans le même genre vous gênerait ou au contraire enrichirait le récit pour vous ? Voilà c'est juste avoir un petit retour un peu plus précis sur cette scène ^^ Ca me serait super utile (et ça me rassurerait haha)
Place au chapitre du jour désormais ! Et si le cœur vous en dit, hésitez pas à aller écouter la superbe chanson de Grand Corps Malade en citation, Une Sœur. Le texte est sublime !
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Chapitre 16 : Du même sang
« On a grandi dans la même chambre et on a écouté les mêmes histoires.
Comme les plus lointains souvenirs s'assemblent, je croise forcément son regard [...]
On est issu des mêmes paysages, il y a des liens indéfinissables »
- Grand Corps Malade, Une sœur -
// 4 octobre 1980 //
- Bon sang, allez... C'est pas compliqué...
- C'est pas compliqué, mais ça fait trente minutes que t'y arrives pas !
Baguette brandie devant lui, Julian se figea dans son mouvement et releva d'un tête d'un air mauvais.
- Liam, si j'avais besoin de tes commentaires, je te les demanderai... grommela-t-il.
- Je sais, mais je t'entends marmonner depuis tout à l'heure, alors je me permets d'intervenir un peu. C'est mon dortoir aussi, tu sais.
- Et bah va dans le Foyer si c'est comme ça, je te dérangerai plus.
D'un geste équivoque, il désigna la porte et Liam se leva en soupirant. Il le regarda traverser leur chambre en traînant les pieds, impatient de le voir disparaître pour pouvoir se concentrer. Peut-être qu'elle était là, la clé de son échec. Il n'était pas assez concentré à force d'être assailli d'un essaim de pensées parasites et Liam était une abeille particulièrement piquante. Certes, son ami avait pourtant tous les droits de rester dans son dortoir comme il l'avait fait remarquer, mais pas aujourd'hui. Pas en ce samedi après-midi où il avait milles activités possibles à faire hors du dortoir pendant que Julian essayait péniblement de réviser.
Avoir choisi Enchantements comme matière forte pour cette ultime année d'étude avait semblé être un bon choix de base... Après tout, il s'agissait de sa matière de prédilection depuis sa première année, mais c'était aussi une des plus exigeantes. Et il s'en rendait bien compte aujourd'hui alors que le sortilège de Tête-en-Bulle lui résistait fortement. Il s'entraînait pourtant sur une simple plante et le sort aurait dû donc en être plus facile : ce n'était pas un être doué de respiration, il y avait moins de précision et de variable à prendre en compte que pour un animal ou un humain. Malgré cela, sa magie refusait de coopérer. C'était comme si sa baguette était... fatiguée faute d'un autre terme et s'était décidée à jeter des sorts moins puissants, moins précis. Un calvaire. La puissance et la précision avaient en plus toujours fait de lui un excellent enchanteur, ce qui rendait la situation encore plus frustrante. Il avait réussi à comprendre et à vaincre le maillage de sortilèges d'un Rituel d'Ancrage pas plus tard qu'il y a quelques mois, par Merlin ! Et voilà qu'il butait sur un simple sortilège de Tête-en-Bulle qui était certes un niveau d'ASPICS, mais qui n'était pas non plus le plus difficile qui soit !
Vraiment, sa concentration défaillante devait être plus importante qu'il ne le réalisait... Est-ce qu'on pouvait être déconcentré de sa déconcentration ? C'était le genre de question que Noah aurait adoré tiens.
Noah...
Bon sang, voilà son cerveau repartait dans tous les sens. Si Liam était une abeille particulièrement piquante, alors Noah était la reine de la ruche de ses pensées parasites. Sa mère, Emilia, et Matthew pouvaient tous en faire partie aussi.
La première avait enfin réussi cette semaine à gagner son bras de fer avec l'administration américaine qui la considérait à nouveau comme une sorcière à part entière et surtout vivante. Ça n'avait pas été simple, il avait fallu rassembler des preuves, des témoignages, des papiers administratifs, avoir le soutien de Hercules Fischer en personne... mais elle y était enfin parvenue. La prochaine étape restait l'Angleterre, même si normalement la procédure y serait moins longue après celle menée et aboutie aux Etats-Unis. Emilia, quant à elle, avait moins de chance... Et c'était sans doute ce qui rendait Liam autant sur les nerfs et donc par procuration lui-même également. Sa première audience aurait lieu lundi, soit dans deux jours. Et même si elle ne serait la première qu'une longue série lors de ce procès qui promettait déjà de passionner l'Amérique sorcière, elle était aussi déterminante. La première audience donnerait le ton et l'orientation du reste du procès. De l'autre côté de l'Atlantique, Matthew l'inquiétait aussi. Il avait reçu une lettre de son meilleur ami la veille et le ton empressé qu'il y avait trouvé lui avait serré l'estomac. Rien d'étonnant de prime abord : Matthew avouait lui-même avoir rédigé la fameuse lettre dans les vestiaires de Quidditch, juste avant un match, il était donc normal qu'il n'ait pas eu le temps de s'étendre sur des pages et des pages. Non, c'était plutôt ce que Julian avait deviné entre les lignes qui l'inquiétait. Matthew avait l'air submergé par tout : son rôle de capitaine, la nostalgie des élèves qui avaient quitté Poudlard, le stress des examens et de l'avenir, sa relation avec Charity... Il ne posait jamais de mots explicites sur son état, mais il était visible pour ceux qui le connaissaient. Et il se trouve qu'il commençait à bien connaître Matthew : toujours un « tout va bien » de prêt à la question « comment ça va », que cela soit vrai ou non. Or, c'était frustrant de ne pouvoir rien faire à un océan d'écart.
Quant à Noah... Il ne savait pas par quoi commencer. Aujourd'hui, il avait rendez-vous avec Hicks pour lui soumettre ses projets de fresque et il avait bien entendu refusé de lui en montrer ne serait-ce qu'une seule. Julian avait eu beau déployer tous ses trésors d'ingéniosité – il avait même tenté de lui piquer son carnets de croquis – Noah était resté inflexible. Tu verras quand ça sera validé, Jules. Derrière l'évident plaisir de le faire tourner en rond, il ne s'y trompait pas, il avait surtout perçu une hésitation dans le sourire de façade de Noah, comme s'il craignait que la directrice ne décide finalement de revenir sur son projet après avoir vu ses idées. Il était persuadé que ça n'arriverait pas pourtant : personne avec une vision à peu près efficiente pouvait ne pas aimer l'art de Noah... mais il était peut-être biaisé.
- Peut-être que si t'essayais ton sort sur Manfred, tu serais plus motivé, non ? lança Liam sur le pas de la porte. Genre, image-le avec une bulle autour de la tête, on pourrait lui souffler dessus toute la journée et le balloter partout !
- Liam, la dernière personne à laquelle j'ai besoin de penser là, tout de suite, c'est Manfred Sullitzer, rétorqua-t-il en roulant des yeux malgré sa pointe d'amusement. Mais va embêter Théa, ok ? Tente de la battre aux échecs tiens.
- Comme si ça pouvait arriver... (il plissa les yeux). Eh, c'est pour ça que tu fais la tronche ? Parce qu'elle t'a encore battu au club de Duel ?
Il perdit son vague sourire en une seconde.
- Liam, dégage !
- Rah d'accord, d'accord...
La porte claqua dans son dos et Julian fut enfin seul. Soulagé, il pressa ses paumes contre ses paupières closes et inspira profondément. Allez, il pouvait y arriver. C'était un sort défensif et élémentaire qui mêlait la magie à l'air. Rien de compliqué. Le professeur Fleming leur avait montré en cours cette semaine et il avait compris, ce n'était pas logique qu'il n'arrive pas à le reproduire maintenant... Même si, maintenant qu'il y pensait, Fleming pouvait sans doute être ajouté à sa liste de « déconcentration ».
C'était quelque chose qu'il n'avait pas anticipé et, avec du recul, il aurait dû. Ravoir Miranda Fleming en tant que professeur après le rôle qu'elle avait joué dans la dissimulation de la mort de sa mère n'était pas chose aisée et il sentait bien que c'était réciproque. Elle ne maintenait plus de longs contacts visuels avec lui et évitait même de l'interroger en cours lorsqu'elle le pouvait, même si cela s'avérait difficile quand il était son meilleur élève. Elle s'en sortait mieux en club de Duel en se concentrant davantage sur Théa, ce qui avait le don de l'agacer aussi. A moins que ça ne soit le petit rictus provocateur de sa cousine à chaque fois qu'elle le désarmait qui jouait. Il supposait que, de toute façon, il faudrait du temps aussi bien pour Fleming que pour lui afin d'être à l'aise l'un avec l'autre et que le nom de sa mère ne flotte pas au-dessus de chacun de leurs échanges.
La nuque raide à force d'être resté assis sur son lit depuis un moment, il s'apprêtait à jeter à nouveau le sortilège de Tête-en-Bulle lorsqu'on toqua à la porte. Il retint un grognement agacé de justesse et lança :
- Liam, je te jure que c'est autour de ta tête que je vais mettre une bulle si tu reviens pour...
Il s'interrompit. Le battant venait de s'ouvrir, mais ce n'était pas Liam qui se tenait derrière. C'était Charlotte.
- Oh Lottie...
- Hey... souffla-t-elle. Désolée, je te dérange ?
- Hum ? Oh non, non. De toute façon, j'y arrive pas, ça peut attendre... Viens, entre, vas-y.
Il l'invita d'un signe de la main et elle entra plus franchement. Elle portait son uniforme d'Ilvermorny, l'Oiseau Tonnerre emblème de sa maison se détachant fièrement sur sa poitrine. Ça lui paraissait presque encore étrange de ne pas voir celui de Poufsouffle et il se demanda si ça lui faisait la même impression quand elle le regardait.
- Tout va bien ? demanda-t-il en avisant le pli contrarié de sa bouche.
Sa sœur haussa les épaules, penaude, avant de venir s'assoir à côté de lui. Il se décala immédiatement pour lui faire de la place et lui faire face, inquiet.
- Eh Lottie ? Qu'est-ce qui se passe ?
- Rien...
- Alors pourquoi tu fais la même tête que si quelqu'un t'avais piqué le dernier paquet de Dragées Surprises ?
- N'importe quoi, sourit-elle enfin dans un souffle moqueur.
Ce simple sourire le rassura un peu.
- C'est rien vraiment, c'est juste venu comme ça... Bam, d'un coup !
- Venu quoi ?
- Rien de précis, une sensation, tu sais ? dit-elle dans une explication qui n'en n'était absolument pas une. (Il dut froncer un peu trop les sourcils car elle poursuivit). J'avais juste envie de te voir parce que j'ai réalisé que... j'avais l'impression que ça faisait longtemps qu'on avait pas parlé, toi et moi, c'est tout...
- Oh...
Gênée, Charlotte baissa les yeux, les joues rouges. Il ne l'avait pas vu venir celle-là, mais ça le frappa aussi maintenant qu'elle en parlait. A Poudlard, ils ne traînaient pourtant pas particulièrement ensemble, mais il avait l'impression qu'ils se voyaient quand même plus souvent. Ils avaient beau avoir des cercles d'amis différents, ils se retrouvaient parfois au petit déjeuner ou en Salle d'Etude... Des petites interactions par-ci, par-là, même si leur vrai lien s'exprimait une fois de retour à la maison pendant les vacances. Depuis leur déménagement aux Etats-Unis, la donne avait changé. Pour commencer, sa sixième année avait été plus que chargée entre le Rituel d'Ancrage, appréhender Ilvermorny, les clubs, Noah... Charlotte, elle, avait eu toutes ses nouvelles activités sur balai, un examen à rattraper... Et pendant les vacances, ils n'avaient plus vraiment eu de « maison » où se retrouver. Le manoir des Grims avait été aussi nouveau que tout le reste et il s'était davantage accroché à Théa à mesure que sa relation avec elle se renforçait, laissant sans doute sa cadette un peu de côté... Il s'en voulu immédiatement.
- Non, Ju', c'était pas un reproche ! s'empressa de corriger Charlotte, les yeux écarquilles en voyant son expression. Je te jure !
- Mais...
- Je te dis, ça m'a juste frappé d'un coup et j'ai eu envie de venir te voir, c'est tout...
- Lottie...
Elle avait visiblement renoncer à essayer de corriger son surnom en « Charly ». Tout le monde l'utilisait désormais, mais il savait qu'il n'arriverait pas à corriger une habitude prise depuis l'enfance.
Touché, il lui ouvrit finalement les bras et elle se décala jusqu'à venir contre lui alors qu'il passait un bras autour de ses épaules.
- Tu sais, j'ai réalisé que je m'étais jamais excusée... souffla-t-elle dans son cou.
- T'excuser ? Pourquoi ?
- Pour t'avoir laissé tout gérer l'été dernier, le déménagement, les cartes de condoléances, mamie, papa...
La voix enrouée, elle leva ses yeux verts vers lui – les mêmes que les siens – et il se rendit compte qu'elle avait les larmes aux yeux. Une soudaine émotion le cueillit au ventre. Tout dans le visage de sa sœur criait leur lien de parenté, c'était un fait. Ils ne faisaient pas partie de ses frères et sœurs où tout le monde s'étonnait en découvrant qu'ils étaient de la même famille : eux, ils n'avaient jamais pu ni le nier ni le cacher. C'était inscrit sur leurs traits et il en avait tiré une certaine fierté. Lottie et lui, les enfants Shelton. C'était une preuve que quoiqu'il arrive, il n'était pas seul. Peu importe les doutes qui l'assaillaient sur ce qu'il était, il avait sa sœur à ses côtés : elle était celle qui l'avait connu depuis l'enfance, avant même Matthew, Hanna et tous ses amis, elle avait partagé ses jeux et inventé des dragons imaginaires à combattre avec lui. Ils avaient partagé des rires, des souvenirs de famille, des larmes, des peines... C'était un lien d'une force indescriptible, noué et renoué par chaque moment passé dans la même chambre à se chuchoter des confidences d'enfant.
- T'inquiète pas, Lottie, rassura-t-il doucement, la gorge comprimée. C'est fini maintenant, il fallait bien que quelqu'un s'en charge et j'ai réussi. Ça ne sert à rien de t'en vouloir, surtout avec maman qui est revenue.
- Mais justement, t'avais pas à t'en charger tout seul ! J'aurais dû au moins t'aider. Quand tu me demandais de faire mes cartons, je partais toujours voir des amies ou l'équipe de Quidditch... Même Mary McDonald fin août, alors que je la connaissais à peine !
Il grimaça.
- Ok, peut-être que je t'en ai un peu voulu ce coup-là, admit-il. Mais sérieux, Lottie, ce n'est pas grave.
- Peut-être, mais je te demande pardon quand même. (Elle inspira un souffle tremblant). C'est juste que... j'avais besoin de fuir la maison, je crois, avoua-t-elle comme un secret honteux. C'était devenu étouffant avec papa qui allait mal, et toi aussi... même si tu le montrais moins. J'avais besoin de sortir et voir des gens qui me rappellent pas toutes les cinq minutes que maman n'était plus là...
Le cœur lourd, il hocha la tête. Merlin, ce qu'il comprenait. A la fin, leur appartement avait paru prendre une teinte sombre, habité par le souvenir de leur mère. Chaque pièce et chaque objet évoquaient un souvenir d'elle... Et toutes les photos accrochées... Rien que d'y penser, sa respiration se fit douloureuse et il resserra sa prise autour de Charlotte.
- Alors je sais que ce n'est pas une raison totalement, ni une excuse, reprit-elle d'une voix chevrotante, mais c'était pour ça. Et puis... pour toi, tout avait l'air à peu près bien. Tu ne pleurais pas, t'arrêtais pas de répéter qu'il fallait qu'on déménage... Je t'en voulais un peu, je crois.
- Oh Lottie...
Ses entrailles se nouèrent. Est-ce qu'il avait vraiment renvoyer cette image plus froide, insensible ? Il savait qu'il pouvait en donner l'air, surtout à côté de sa sœur si solaire et émotive ou d'un Matthew Bones habité par un feu brûlant dès qu'il aimait ou défendait quelque chose. Même Noah le lui avait dit à son retour à Ilvermorny le mois dernier : il avait eu peur qu'il ne lui pardonne pas et il avait été incertain quant à ses sentiments tant il avait tendance à se retrancher en lui-même.
- Mais je t'en veux plus maintenant, promis ! s'empressa de préciser sa sœur, inquiète.
Il sourit.
- Je sais... mais désolé aussi, je suppose. Si toi t'avais besoin d'agitation autour de toi pour oublier un peu, moi je crois que j'avais besoin de m'occuper, de tout gérer. Il fallait que quelque chose aille bien, tu sais ? Que je maintienne à flot la famille, sinon tout perdait son sens...
- Je comprends... consentit Charlotte. Ouais, t'as raison. Rien n'avait l'air d'avoir de sens en fait, c'est ça.
- Et encore, finalement ça en avait bien plus que ce qui s'est passé en fin d'année ! Qui aurait pu deviner, hum ?
Désabusée, elle laissa échapper un rire sans joie en guise d'assentiment. Oui, le retour de leur mère avait eu encore moins de sens et en même il avait eu tellement plus aussi... Un paradoxe dur à appréhender qui les avait encore une fois divisé dans leurs réactions. Charlotte parut penser à la même chose que lui car elle tourna son visage vers lui, le menton posée contre son épaule.
- Ca aussi, je suis désolée Ju'... murmura-t-elle, les pommettes rosées. J'aurais pas dû te rentrer dedans comme ça cet été. Je me suis un peu... hum...
Elle chercha ses mots, l'air d'avoir des difficultés à mettre de l'ordre dans ses pensées, avant d'avouer finalement sans le regarder dans les yeux :
- ... défoulée sur toi, je suppose ? Je voulais tellement pas être un colère contre maman qu'il me fallait quelqu'un...
- Et en bon frère agaçant, j'étais le parfait punching-ball, c'est ça ?
Il veilla à mettre un sourire dans sa voix et Charlotte lui donna un coup de coude sans conviction.
- C'était ton rôle attitré, voilà, dit-elle avec un rire contrit. Mais je ne sais pas, j'avais l'impression que si j'en voulais à maman après avoir tant prié pour qu'elle revienne... on allait me la reprendre. (Elle inspira un souffle haché, un sanglot soudain étouffé dans la gorge). J'avais pas le droit de faire la tête comme toi sinon ça voulait dire que j'étais pas heureuse qu'elle soit là... Et alors elle pouvait disparaître encore une fois...
- Je comprends, je comprends...
A nouveau, il resserra ses bras autour de sa sœur et déposa un baiser dans ses cheveux, si proche que le poids dans sa poitrine l'attirait vers elle instinctivement. Il ne pouvait que comprendre : cette pensée, il l'avait eue aussi. A l'infirmerie, il avait été persuadé que s'il la quittait des yeux, elle allait s'évanouir dans les airs à nouveau... et que la douleur serait encore pire que la première fois. C'était peut-être pour ça qu'il avait eu la réaction inverse de Charlotte en s'accrochant à sa colère : tant qu'il n'y croyait pas, tant qu'il ne laissait pas l'espoir l'envahir, alors la chute ferait moins mal.
- Mais je suis contente que ça aille mieux avec maman... ça lui fait plaisir, tu sais.
- Ouais... fit-il, le cœur gonflé prêt à en exploser. A moi aussi. Et même si je te l'ai pas dit dernièrement, je suis fier de toi, Lottie.
- C'est vrai ?
La petite voix de sa sœur lui arracha un sourire et il hocha la tête, sa joue contre le sommet de sa tête. Ses longs cheveux blonds, détachés, lui chatouillèrent la peau.
- Evidemment ! Et désolé aussi, je sais que j'ai été pas mal sur ton dos...
- « Un peu », releva-t-elle, amusée.
- Ok, beaucoup, concéda-t-il. Mais t'avais raison l'année dernière, j'avais pas pu sauver maman, alors je te protégeais toi, mais ce n'était pas... raisonnable. En plus, tu te débrouillais très bien. Le Quodpot, l'acrobatie sur balai, tes cours, tes nouveaux amis, même ton examen à rattraper !
- Je l'ai eu de justesse...
- Mais tu l'as eu.
Charlotte rayonna. Il savait que, même si leurs parents ne les avaient jamais mis en compétition, elle pouvait souffrir de la comparaison avec lui, plus scolaire, et que ce compliment devait lui faire plus plaisir qu'un autre. Il n'avait jamais osé lui dire qu'au contraire, il lui enviait quant à lui cette capacité à être amie et sympathique avec n'importe qui, à être sociale et à sourire sans jamais faiblir. Ce n'était pas un hasard s'il ne s'était pas vraiment lié avec ses camarades de dortoir à Poudlard : il avait toujours crée peu d'affinité avec les autres. Les « peu » en question étaient solides en revanche, mais exclusives. Matthew et Hanna avaient été son cercle rapproché tandis qu'il avait maintenu seulement des conversations banales du quotidien avec ses autres camarades. Ici, à Ilvermorny, son cercle s'était un peu plus étendu mais il avait fallu tout le drame du Rituel d'Ancrage pour que cela arrive.
- Tu sais, tu m'as dit aussi autre chose l'année dernière, sur le bord du terrain de Quodpot... se força-t-il alors à admettre. Et je t'admire vraiment pour ça...
- Qu'est-ce que j'avais dit ?
- Que t'avais besoin que je te laisse être libre... Que t'avais besoin d'être toi.
Mal à l'aise, il se râcla la gorge et Charlotte hocha la tête en reconnaissance.
- Oh... oui, je me souviens. Et t'admire ça ? s'étonna-t-elle.
Il faillit en rire. Pour elle, ça semblait si naturel. Être soi-même, vivre de ses passions librement sans se soucier de l'avis d'autrui, même son grand frère. Il aurait aimé ressentir la même chose mais la vérité c'était qu'il était rongé par la peur... Parce que sa passion n'était pas aussi simple qu'aimer voler sur un balai, ni vouloir prendre son indépendance. Rien qu'à cause du dessin, il savait que certains le trouvaient étrange. Ce n'était pas vraiment la passion masculine par excellence ! Quant à être libre ? La loi le lui interdisait, noire sur blanc. Et si ce n'était pas la loi, c'était la morale... Que dirait Charlotte si elle savait ce qu'il imaginait au sujet de Noah Douzebranches ? Qu'il était habité par l'envie de l'embrasser exactement comme il aurait dû vouloir le faire avec des filles parce que c'était ce que la norme avait décidé ? Un garçon aimait une fille, c'était ainsi, sans compromis.
Du plomb dans la poitrine, il finit par soupirer en sentant le regard pesant de Charlotte sur lui, toujours en attente d'une réponse.
- Oui, je t'admire Lottie. Parce que moi... Disons que j'essaye d'être moi, mais parfois je ne sais pas vraiment ce que ça signifie... avoua-t-il d'une voix sans timbre.
- T'es mon grand frère, répondit-elle du tac au tac, sans réfléchir.
Cette fois, il éclata de rire franchement.
- C'est vrai ! (Il déposa un nouveau baiser dans ses cheveux). Et c'est déjà assez.
- Largement, approuva Charlotte. T'es plutôt pas mal dans le genre !
- Je le mettrai sur mon CV alors.
Elle gloussa, amusée, et le repoussa en roulant des yeux. Il allait en faire de même – plus fort, quitte à la faire rouler sur le lit – quand la porte du dortoir se rouvrit brusquement. Ils relevèrent les yeux dans un même ensemble, surpris. Ce fut comme si leur bulle venait d'exploser par ce simple bruit et il découvrit Noah sur le pas de la porte. Comme à chaque fois, son estomac fut contracté par une drôle de sensation à sa simple vue, mais il veilla à ne rien laisser paraître, trop conscient de la présence de sa sœur à ses côtés. Hésitant, Noah leur jeta un regard surpris : visiblement, il ne s'attendait pas à découvrir Charlotte ici et il avança avec prudence, son carnet à dessin caler sous le coude.
- Salut bébé Shelton, lança-t-il en s'adossant à la colonne du lit. Qu'est-ce que tu fais là ?
- Je venais embêter mon grand frère... Mais j'ai fini maintenant, ça m'a assez défoulé. Je vais y aller !
- Je te mets pas dehors, tu sais.
Charlotte sourit.
- Merci pour ta bonté d'âme, plaisanta-t-elle, mais j'ai entraînement dans quinze minutes. Faut que je me dépêche. (Elle se leva du lit avant de se pencher pour lui planter un baiser sur la joue). A plus tard, Ju' !
- Ouais... et fais attention sur ton balai !
Pour toute réponse, elle lui fit un sourire d'enfant terrible et sortit du dortoir d'un pas bondissant. Noah la suivit des yeux.
- Désolé... je vous ai dérangé ? fit-il, l'air mal à l'aise.
- Hum ? Non, non, on avait tout dit je pense...
Il se rendit compte qu'il le pensait vraiment. Plus léger, il avait l'impression de s'être libéré d'un poids dont il n'avait pas eu conscience jusque-là, noyé dans le reste de ses problèmes.
- Ca faisait un moment que je vous avais pas vu ensemble, commenta Noah avec nonchalance. C'est bien. Elle te manquait.
- Comment tu... ?
Il ravala sa question avant même de l'avoir achevé. Noah n'avait pas cherché à en poser une, il avait affirmé sa conviction sans l'ombre d'un doute et il lut dans son regard qu'il n'avait pas besoin de nier. C'était un fait : Charlotte lui avait manqué et Noah, plus observateur que ce que les autres voulaient bien croire, l'avait évidemment remarqué. Ce constat lui arracha un sourire désabusé.
- Et toi ? Il te manque pas parfois ton frère ?
L'idée lui était venue, spontanée. Noah et Raphaël n'avaient pas beaucoup d'écart, à peine plus que lui et Charlotte, ça n'aurait pas été étonnant malgré leurs différences d'opinion et de personnalité. Pourtant, l'expression de Noah demeura soigneusement neutre alors qu'il haussait les épaules.
- Raph' et moi, c'est pas comme toi et ta sœur... On a jamais été très proches, à part peut-être vraiment gamins.
Il y avait une touche de fatalisme dans sa voix que Julian trouva triste.
- Et c'est forcément voué à rester comme ça ? protesta-t-il. Si vous parliez un peu, vous pourriez... je sais pas, trouver des points d'entente, non ?
- Sur quoi ?
- Tu le sauras en essayant !
- Hum... fit Noah, sceptique.
Il ne chercha pas à insister. Le tournant que Noah était en train de prendre devait venir de lui et, depuis cet été, il s'engageait sur une nouvelle voie petit à petit. Peut-être que son ultimatum sur son comportement y était pour quelque chose, mais Julian ne voulait pas le pousser non plus dans une direction qui ne lui convenait pas ou s'immiscer dans sa relation avec son frère. Au lieu de ça, il laissa la curiosité qui l'avait saisi depuis qu'il était entré dans la pièce prendre le dessus et pointa le carnet du doigt.
- Alors ? Qu'est-ce que Hicks a dit pour ton projet ? Elle a aimé tes idées de fresque ?
- Elle a tout validé ! annonça Noah avec enthousiasme. Franchement, j'étais sûr qu'on allait devoir y repasser des semaines, faire des ajustements, qu'elle aimerait pas mes idées mais... Non, elle était satisfaite. Elle a juste émis quelques exigences par-ci, par-là, genre il faut que le logo de l'école apparaisse nécessairement et peut-être la devise de chaque maison aussi, mais sinon tout est bon.
- C'est génial !
- Ouais... Vraiment, en y allant j'étais presque sûr qu'elle allait m'annoncer qu'on laissait tomber le projet et que je ferai des travaux d'intérêt général plus classique, mais...
- Mais faut croire qu'elle a reconnu ton talent, apprécia Julian, une sorte de fierté fleurissant dans la poitrine.
Dans une réserve qui lui ressemblait plus, Noah baissa la tête, même si un sourire flottait au coin de ses lèvres. Ses boucles noires jetaient des ombres sur les angles de son visage sans arriver à cacher ce qui était criant : pour la première fois, Noah se sentait soutenu par le corps professoral. Il n'était plus seul face à sa passion pour l'art, mise en valeur dans un projet légitime qui compterait, porté par la foi que les autres allaient y mettre. Peut-être que c'était ce qui lui manqué jusque-là et Julian était heureux que Hicks réalise enfin ce qu'il avait vu dès les premiers jours. Il ne pouvait pas dire que ce n'était pas non plus étrange... Depuis un an, il avait été le seul à pousser et à porter Noah dans ce sens, à reconnaître son talent, et voilà que cette exclusivité lui échappait. Seulement, il ne pouvait pas l'exprimer. C'était trop marginal face à l'importance que revêtait ce projet de fresque.
- Je peux voir alors ? demanda-t-il plutôt, impatient. Les premières idées ?
- Ah, ah, tu ne veux pas garder la surprise ?
Amusé, Noah cacha son cahier derrière son dos et il le fusilla du regard.
- Non, ça fait un mois que « tu gardes la surprise ». C'est bon, j'ai gagné le droit de voir !
- Le droit, Jules ? Carrément ?
- Noah...
- Non, non, je pense vraiment que ça aura plus... d'impact si tu découvres la fresque plus tard. C'est comme une leçon un peu, tu sais ? La patience, gagner vraiment le droit de la découvrir, la mériter, tout ça tout ça.
Merlin, il s'en amusait beaucoup trop et Julian comprit soudain d'où venait sa soudaine ferveur à prôner la patience et le mérite.
- Une leçon que t'es toi-même en train d'apprendre, c'est ça ? lança-t-il avec un regard entendu.
- Peut-être.
- J'appelle ça une vengeance.
Faussement piqué – ou peut-être un peu pour de vrai – il soupira en se laissant retomber contre sa tête de lit. Noah eut un rictus et vint se pencher au-dessus de lui, debout près du lit, son carnet toujours bien en dehors de portée.
- Et... t'as toujours pas changé d'avis, pas vrai ? dit-il prudemment. Parce que j'ai fait tout ce que t'avais demandé tout le mois de septembre : pas de prise de tête, des révisions, pas de tentative de séduction, et même une bonne note en Enchantement !
Il énuméra le tout avec assurance et Julian lui concéda chacun des points mentalement, même les tentatives de séduction... Et bon sang ce que c'était dur de partager un dortoir et de se voir tous les jours avec ce genre de distance entre eux, surtout quand il pensait au moins une fois par jour à l'embrasser. Seulement, la condition ultime, sans doute la plus importante, n'était toujours pas remplie et il secoua la tête.
- Je sais pas, t'es toujours avec Othilia ? répliqua-t-il avec plus de mordant qu'il ne l'avait prévu.
Noah eut un mouvement de recul alors que son rictus glissait de ses lèvres. Le regard fuyant, il se contenta de grommeler quelque chose d'incompréhensible et Julian ressentit la déception familière qui le tiraillait de plus en plus souvent.
- Jules...
- Non, rien, laisse... Je comprends.
- Ce n'est pas toi, ok ? insista Noah malgré tout. C'est tellement plus... c'est moi, j'ai besoin d'un peu plus de temps...
- Combien ?
Merlin, il avait horriblement conscience de son timbre de voix enfantin, presque avide... mais il était un Serdaigle qui avait besoin de concret, de solide, de faits. Et l'incertitude qui les entourait allait le faire redevenir aussi fou que l'année dernière si la situation s'éternisait. Face à lui, Noah sembla chercher une réponse, mais il n'eut pas le temps de la vocaliser. La porte du dortoir se rouvrit d'un coup et ils manquèrent de sursauter tous les deux.
- Ju' ! J'ai besoin de toi !
- Merlin, Lottie...
Ce n'était que sa sœur qui était de retour et Noah recula vers son propre lit pour s'y assoir alors que Charlotte se réavançait dans la pièce. Elle s'était changée dans les dix dernières minutes et portait désormais sa tenue d'entraînement aux couleurs de l'école, bleu roi et rouge airelle frappé d'un nœud gordien, symbole d'Ilvermorny et de sa fondatrice Isolt Sayre. Il comprit ce qu'elle voulait avant même qu'elle ne le demande, un élastique brandi dans sa main et ses longs cheveux blonds lâchés sur ses épaules.
- Tu me fais une tresse ? fit-elle avec une voix de bébé. Ça sera plus simple pour voler ! S'il te plaît.
Il soupira.
- Viens-là, accepta-t-il. Mets-toi sur le coffre et tiens-toi droite. Ouais, comme ça.
A genoux sur son lit, il laissa sa sœur s'assoir sur le coffre à vêtement au pied du cadre en baldaquin et attrapa l'élastique avant de séparer ses cheveux en trois. Il s'étonna lui-même de ses gestes mécaniques, presque automatiques, alors que ça faisait une éternité que Charlotte n'était pas venu le voir pour faire une tresse. A sa droite, il sentait le regard brûlant de Noah sur lui, mais refusa de s'en sentir déstabilisé.
- Tu sais faire des tresses ? lâcha-t-il finalement, l'air choqué. Toi ?
- Et pourquoi pas ? La princesse ici présente n'a jamais voulu apprendre puisque je suis toujours là pour elle, alors voilà. Mais ravi de pouvoir te surprendre pour une fois !
- Eh ! protesta sa sœur face au surnom moqueur. C'est juste que tu les fais très bien, donc à quoi bon ? Je ferais moins bien que toi, comme d'habitude !
La touche de résignation dans la voix de Charlotte lui serra le ventre et il s'apprêtait à protester avant que Noah ne lui coupe le feu sous le chaudron.
- C'est faux, t'es plus douée que lui sur un balai, bébé Shelton. Ça serait même très drôle à voir de vous mettre côte à côte pour comparer !
- Ne lui donne pas des idées, Noah... grommela-t-il.
Charlotte gloussa.
- Mais il a raison, Ju', t'es sûr que tu veux pas réessayer ?
- Hors de question, enlève-toi l'idée de la tête. Et penches-la un peu en arrière tiens...
Vivement, il entremêla les trois mèches ensemble pour former la fin de la tresse avant d'y nouer l'élastique. Noah le regarda faire avec attention.
- Non, il a raison bébé Shelton, ça serait une catastrophe avec son vertige. Il est doué qu'avec ses mains en fait, c'est tout...
- Noah !
- Je parlais du dessin et des sortilèges, bien sûr.
Derrière un rictus mal dissimulé, Noah lui adressa un air innocent, amusé, et il secoua la tête en terminant la tresse.
- Voilà, fait ! déclara-t-il. Tourne-toi.
Charlotte obéit pour lui faire face et il l'observa d'un œil critique. Ce n'était pas sa plus belle œuvre, mais la tresse retenait bien toutes ses mèches folles et ferait l'affaire pour aujourd'hui. Le visage ainsi dégagé, elle faisait plus âgée d'une certaine façon, nota-t-il distraitement. Elle avait toujours les joues rondes de l'enfance pourtant, mais aussi quelque chose de plus mature. Cette constatation lui fit presque étrange et il préféra ne pas s'y attarder, faute de savoir quoi en penser.
- Parfaite, comme toujours, sourit-il en tirant sur le bout de la tresse. Prête ? C'est quoi aujourd'hui ? Entraînement de Quodpot ou d'acrobatie sur balai ?
- Acrobatie ! Mon salto arrière est presque maîtrisé maintenant et normalement après noël Elicia Jauncey a promis de m'apprendre à le faire avec une vrille.
- Pourquoi j'ai posé la question... Non, laisse, je ne veux rien savoir en fait.
- Je te jure que c'est super cool pourtant ! assura Charlotte avec enthousiasme.
- J'en doute pas.
Ça ne l'empêchait pas de visualiser tous les scénario où elle se brisait quelque chose, bracelet antigravité ou non. De toute manière, sa sœur n'avait pas l'air d'accorder une grande importance à ses inquiétudes car elle commença à se diriger vers la porte.
- Bon, je file, Raph' va m'attendre ! On doit se retrouver dans cinq minutes !
- Attends bébé-Shelton ! la retint Noah, soudain alerte. Tu vas rejoindre Raphaël ? Au stade ?
Charlotte s'arrêta, coupée dans son élan, et planta ses poings sur ses hanches.
- Tu sais que j'ai un prénom ? Charly, c'est deux syllabes ! (Elle sourit, sans trace d'animosité). Et oui, au stade. C'est généralement là où les élèves de cette école font du sport.
Julian refoula l'éclat de rire qui monta en lui devant l'expression de Noah, soudain fier de sa sœur. Les personnes capables de lui tenir tête niveau répartie étaient rare, mais elle ne se laissait pas démonter, encore un signe peut-être qu'elle grandissait. Noah, lui, ne répliqua même pas tout de suite, l'air plongé dans une bataille avec lui-même. Puis, il s'exclama soudain :
- C'est bon, je t'accompagne.
**
*
Très honnêtement, Noah regrettait déjà d'être venu. Encore un de ses coups de tête dont il aurait pu se passer, mais maintenant qu'il était là... L'air froid de début octobre l'enveloppait comme un manteau humide, contrebalancé heureusement par de faibles rayons de soleil estivaux qui venaient rougir l'horizon. Des couleurs que Jules aurait adorés, surtout qu'elles faisaient rougeoyer le stade d'un halo particulier. C'était un peu pour lui qu'il était là. A moins qu'il ne se cache derrière cette excuse car dans le fond personne ne l'avait forcé. Jules l'avait juste... poussé dans cette voie, aussi instable soit-elle, mais il avait raison sur un point : il était peut-être temps d'échanger plus que quelques phrases avec son frère pour une fois. Ça ne rendait pas l'idée plus simple et il sentit la nervosité le gagner. Il avait envie d'une cigarette pour calmer ses nerfs.
Les épaules tendues, il porta son regard le plus loin possible, assis au milieu des gradins du stade. Raphaël était en train d'entamer son dernier tour de piste à une vitesse hallucinante, porté par le vent qu'il avait dans le dos. Parfois, il oubliait à quel point son petit frère était bon dans son domaine. La course sur balai n'était pas le sport le plus répandu, bien loin derrière le Quodpot, mais il prenait de plus en plus d'ampleur aux Etats-Unis et il savait pour en avoir entendu Hilda parler que le nom de Raphaël circulait déjà dans les cercles concernés. Pour lui dont l'avenir prenait davantage la forme d'un flou obscur, il trouvait ça impressionnant. Mais trouver son frère impressionnant sur ce point ne serait pas suffisant pour renouer un dialogue depuis longtemps brisé. Il se devait quand même d'essayer... S'il avait pu le faire avec Julian et Hilda, il pouvait continuer sur sa lancée et le faire avec lui.
En contre-bas, Raphaël venait de descendre de son balai, ses cheveux ébouriffés par le vent. Il tenait ses boucles des Douzebranches, comme le reste de la famille, mais avait les siens d'une teinte plus claires, sûrement hérité de leur père. Il ne l'avait jamais vu assez longtemps pour vraiment s'attarder sur ce genre de détail. Le ventre noué, il se pencha au-dessus de la barrière de sécurité pour mieux voir au moment où Charly venait à la rencontre de son frère. Ils échangèrent deux-trois mots avant qu'elle ne se retourne pour pointer soudain les gradins du doigt. Pour le pointer lui... Très bien, donc il ne pouvait même plus reculer désormais, bien joué bébé-Shelton !
Expirant un grand coup, il resserra sa cape autour de lui et se leva, plombé, pour descendre quelques mètres. Son frère, lui, monta à sa rencontre, son balai à l'épaule.
- Qu'est-ce que tu fais là ? s'étonna-t-il sans même un bonjour. Y'a un problème avec maman ? Avec Hilda ?
Noah se figea. C'était ça la première justification qui venait à l'esprit de Raphaël en le voyant ? Qu'il y avait un problème ? Morgane, les choses allaient être plus compliquées qu'il n'avait cru.
- Hum non, non, tout va bien. Enfin, je crois. Je venais juste... te voir.
D'un geste vague de la main, il engloba le stade et Raphaël lui renvoya un regard surpris.
- Me voir ? répéta-t-il, perplexe. Pourquoi ?
- Je sais pas, ça faisait longtemps que je t'avais pas vu voler. Quoi ? J'ai pas le droit ?
- Si, bien sûr...
Pris au dépourvu, son frère continua pourtant à le fixer comme s'il se demandait s'il n'avait pas été enlevé par un changelin pendant la nuit et Noah finit par soupirer. Il indiqua les gradins en une invitation muette, mal à l'aise à force de rester face à face à se regarder dans le blanc des yeux. Raphaël parut hésiter une seconde, mais céda finalement en posant son balai par terre à leurs pieds et il le désigna d'un coup de menton, curieux :
- C'est quoi comme modèle ? Toujours ton Friselune ?
- Non, j'ai plus le Friselune depuis au moins deux ans, fit Raphaël avec un sourire désabusé. C'est un Flèche d'Argent. Il est fabriqué artisanalement par Leonard Jewkes, tu sais le fabricant ? Il est plus rapide que le Lancechêne 79 et le Friselune, c'est même une édition limitée !
- Ah...
Le nom du fabricant lui disait peut-être vaguement quelque chose et encore, tout comme celui des autres modèles que Raphaël venait de citer, mais il veilla à garder une expression neutre et à avoir l'air intéressé.
- Et t'as quand même réussi à en avoir un ?
- Plus ou moins... On l'a payé moitié prix en fait avec Hilda. Les recruteurs qui sont venus me voir au printemps dernier ont proposé que je m'entraîne dessus à condition que je cours avec si je faisais la Kopparberg-Arjeplog l'année prochaine.
- A tes souhaits.
Raphaël sourit en secouant la tête.
- La Kopparberg-Arjeplog, répéta-t-il avec patience. Tu sais, la course annuelle sur balai en Suède où tu dois relier les deux villes ? Bon sang, Noah, elle existe depuis le Xe siècle, j'en parle depuis gamin !
- Ah si ! Celle qui fait 500km ?
- Voilà, elle !
Il acquiesça. Maintenant qu'il le disait, c'est vrai que son frère en parlait énormément. Il en avait même des posters dans sa chambre, même si de son humble avis, il fallait être légèrement perturbé pour vouloir voler sur une distance de 500km en Suède vu les températures et le vent. S'il se souvenait bien, le public ne restait même pas tout le long du trajet pour voir la course : il transplanait du départ à l'arrivée. C'était dire à quel point la course devait être longue et pénible malgré son prestige.
- Mais vas-y, crache le morceau, relança soudain Raphaël avec un regard en biais suspicieux. T'es pas venu pour parler balai, non ?
Instinctivement, il voulut répliquer un « et pourquoi pas ? » mais même lui savait que ça aurait pousser un peu loin. Au lieu de ça, il maudit la tête dure qu'était son frère en se disant que c'était sûrement un peu hypocrite, puis soupira.
- Disons que je me suis fixé des... objectifs, cette année, dit-il avec prudence. J'ai mis les choses à plat avec maman, avec Hilda, même avec Hicks si on peut dire...
- Et j'étais le prochain sur ta liste ?
- Peut-être.
Raphaël émit un vague rire dépourvu d'amusement et roula des yeux.
- Bah pour quelqu'un qui veut mettre les choses à plat, tu restes vachement vague.
- Raph'...
Il l'avait sans doute mérité cette pique, mais il était sincère : il était vraiment venu pour discuter, sans savoir réellement par où commencer. Il y avait tellement à rattraper que tout lui semblait important et il ne savait pas sur quel point fixer son attention, comme si une corde lui glissait entre les doigts en lui brûlant la peau au passage et qu'il ne pouvait plus refermer ses mains pour enrayer la chute.
- Ok, pardon, je t'écoute. Qu'est-ce que tu voulais me dire du coup ?
- Je sais pas... M'excuser, je suppose. Pour tout ce qui s'est passé depuis un moment.
Il voulait englober tellement de choses derrière ces mots si informes, une réalité si complexe... Raphaël prit pourtant le temps de les contempler un instant et haussa les épaules.
- Je suis pas sûr que ça soit à moi que tu dois faire des excuses, hasarda-t-il avec lenteur. A la limite, je suis peut-être celui qui a été le plus épargné. Hilda et Othilia par contre...
- Je t'ai dit, j'ai déjà parlé avec Hilda.
Et il n'avait pas envie de revenir sur Othilia maintenant, pas alors qu'elle était un cas à part davantage lié à tout ce qui se passait avec Jules.
- Et tu t'es excusé pour lui avoir fait la peur de sa vie cet été, hum ? D'avoir ramené maman sur le tapis encore et encore ? De jamais lui rendre la vie facile ?
- Oui, si tu veux tout savoir. Et un peu de nuance, on peut pas dire qu'elle m'est rendu la facile non plus.
Raphaël se tourna brutalement vers lui.
- Tu déconnes ? Elle nous a littéralement pris chez elle ! On aurait pu finir en famille d'accueil ou pupilles du MACUSA sans Hilda ! On aurait même pu être séparé.
- Evidemment et je la remercierai jamais assez pour ça, abonda-t-il, un nœud dans l'estomac. Ça ne veut pas dire qu'elle n'a pas fait d'erreur non plus. Et puis, laisse tomber, je te dis je me suis déjà expliqué avec Hilda. Là, je voulais te parler à toi...
- Et tu crois pas que les deux sont liés ? rétorqua Raphaël, toujours habité par cette colère calme et déstabilisante. Que ton absence pendant les vacances n'a pas été une présence super lourde à porter finalement ?
Il déglutit. Ça y est, ils commençaient à toucher quelque chose du doigt.
- Comment ça ? voulut-il savoir.
- Réfléchis deux secondes, Noah. C'est toujours comme ça à la maison : il y en que pour toi, peu importe ce que tu fais et cet été c'était pire que tout. Hilda angoissait tous les jours. « Où est-ce que Noah peut être ? », « c'est encore la faute d'Heather », « et s'il leur arrive quelque chose », « les Aurors veulent rien faire »... La même rengaine et les mêmes regards inquiets. J'aurais pu être transparent pour tout ce que j'en savais puisque moi j'étais là.
- Alors ça c'est riche, répliqua-t-il, tranchant. Tu crois que je n'ai pas subi la même chose constamment pendant des années ? « Regarde, prends exemple sur Raphaël », « ah si tu pouvais être plus comme ton frère », « il a encore eu des compliments de ses professeurs et il a gagné sa course ». T'étais l'idéal dont j'arrivais pas à me défaire !
- La faute à qui ? Encore une fois, prends le temps deux secondes de voir l'envers du décor ! Parce que peut-être que c'est ce que t'entendais, mais moi j'avais le droit à « ton frère a encore fait ci ou ça » ou « il a encore répondu à Hilda et la mit dans tous ses états ». C'était tout le monde, constamment ! Mes amis, les clients du café, les profs... Comme si j'étais responsable, comme si je pouvais y faire quelque chose.
- Comme si ça te rendait pas plus parfait à leurs yeux, oui...
Amer, il secoua la tête. Raphaël n'allait pas lui faire croire qu'il n'avait pas pris chaque critique à son égard comme un compliment déguisé, lui le parfait petit garçon qui ne faisait pas une bêtise ni ne disait pas un mot plus haut que l'autre.
- Putain, Noah, s'emporta-t-il soudain. Sois pas autocentré deux secondes, tu veux bien ? Tu crois que c'est ça que je voulais ? Ce dont je me préoccupais ? Ou plutôt des tensions entre toi et Hilda alors que c'était déjà assez dur avec maman... Tu vivais mal toute la situation où on était trimballés de maison en maison, ok, ça je peux comprendre. Mais la seule personne qui pouvait comprendre ce que tu vivais, c'était moi ! Ca t'a pas effleuré ça ?
- Justement... tu le vivais bien, toi...
- « Bien » est peut-être un grand mot, arrête. C'est juste que j'en voulais pas à la terre entière pour quelque chose que je ne pouvais pas contrôler. Je voulais de la stabilité et contrairement à toi j'avais compris que ce n'est pas avec maman que ça allait arriver. C'est pour ça que je me suis accroché à Hilda.
Il exposa le constat plus sereinement qu'il y a quelques secondes, oscillant entre énervement et calme... Des émotions paradoxales que Noah avait l'habitude de provoquer et il prit le temps d'assimiler les paroles de son frère. Sur ce point, il avait deviné à l'avance leur divergence d'opinion, même s'il n'avait réalisé que récemment la façon opposée avec laquelle ils avaient perçu la situation enfant. Et il voulait bien admettre que Raphaël avait sans doute eu raison de ne pas croire les mensonges de leur mère, mais il n'avait juste pas réussi à se détacher de l'espoir qu'elle dise la vérité parce qu'il en avait eu besoin.
Pourtant, quelque chose ne passait pas... Raphaël avait sans doute raison sur beaucoup de choses – notamment sa fugue de cet été et le poids qu'il avait dû porter à cause de son absence – mais il en avait marre de juste être traité « d'enfant difficile » à longueur de temps, comme s'il le faisait exprès. Certes, il utilisait souvent les mots comme ultime défense ou défouloir, mais ça allait bien plus loin que ça.
- Tu sais, ce que je crois que c'est juste devenu plus simple parfois, avoua-t-il d'une voix rauque, les yeux résolument baissés sur le balai entre leurs pieds.
- Quoi, être un con ?
Il donna un coup de coude à son frère.
- Eh depuis quand tu parles comme ça ? Si Hilda t'entendait...
- Je prends exemple sur mon grand frère, ironisa Raphaël avant de retrouver son sérieux. Pourquoi tu dis que c'était plus simple parfois ?
- Je sais pas... A force que tout le monde attende le pire de toi, je pense que tu finis par te complaire dans le rôle, tu vois ? C'était plus facile. A quoi bon vouloir leur prouver qu'ils ont tort s'ils ont déjà décidé que je n'étais pas assez bien...
Une boule chauffée à blanc dans la gorge, il n'osa pas se tourner pour voir l'expression de Raphaël. Il n'avait pas prévu de lui avouer cette réflexion, mais il en était intimement persuadé. Julian le lui avait fait comprendre à vrai dire, presque indirectement... Parce que lui n'avait pas cédé, ne l'avait pas laissé être cette version de lui-même. Othilia, Hilda, Hicks, Liam, Raphaël... Eux avaient tous émis un jugement sur lui, parfois avant même qu'il puisse leur donner tort ou qu'il puisse s'expliquer. C'était ce qui s'était passé à son retour de fugue. Il aimait sincèrement Othilia, mais il ne pouvait s'empêcher d'entendre dans chacun de son discours ce qu'elle pensait tellement c'était inscrit sur ses traits : elle était meilleure que lui, elle était dans le droit chemin, elle faisait partie d'une norme dans laquelle il ne rentrerait jamais. Et à ce titre, elle pouvait lui faire des leçons et tenter de le sauver de lui-même.
Seulement, il commençait tout juste à réaliser qu'il n'avait justement pas besoin d'être sauvé. Il avait besoin d'être mis face à lui-même et au mal qu'il pouvait faire à cause de sa souffrance, et c'était exactement ce que Julian s'évertuait à lui faire comprendre. La nuance était mince, mais la différence était énorme.
- Je comprends, murmura Raphaël, compatissant. C'est dur de se défaire de l'étiquette qu'on peut te coller...
- Comme celui de prodige sur balai ? Du futur champion américain ?
Son frère laissa échapper un rire étouffé, lui donnant raison.
- Quelque chose comme ça, ouais, admit-il. C'est pour ça que j'aime bien traîner avec Charly cette année, elle considère tellement la course comme une bizarrerie américaine qu'elle ne voit pas les enjeux comme tout le monde. C'est sympa pour une fois.
- Hum... A croire que les anglais ont un autre regard sur beaucoup de choses. (Il ajouta dans un souffle, pris dans son élan :). A moins que ça un truc des Shelton...
Heureusement, Raphaël ne releva pas rien d'étrange dans cette remarque d'apparence banale. D'un même ensemble, ils jetèrent un coup d'œil en contrebas. Charly était toujours en train de s'entraîner avec Elicia Jauncey dont les boucles blondes et épaisses étaient reconnaissables même de cette hauteur. Elles n'étaient pas perchées sur des balais, mais au sol, et Charly se lança dans un salto arrière parfaitement exécuté, le corps contracté et les jambes collées entre elles. Morgane, la gravité avait-elle cessé de fonctionner au milieu de ce foutu stade ? S'il avait tenté la même chose, il se serait brisé la nuque.
- Il se passe un truc ? lança-t-il brusquement. Entre toi et Charly ?
L'idée le perturbait intensément et il ravala un soupir de soulagement devant l'air indigné de Raphaël qui s'empourpra à côté de lui.
- Non ! se récria-t-il. Juré, rien... T'es pas le premier à demander... à croire qu'on peut plus être juste ami avec une fille.
- Pardon, j'oubliais que t'étais déjà en couple avec ton Friselune.
- Tu le fais exprès, hein ? C'est pas un Friselune, c'est un Flèche d'Argent !
Noah retint un rictus. Bien sûr qu'il le faisait exprès, mais c'était amusant de constater que son frère était aussi indigné devant l'insinuation d'une relation avec Charly Shelton qu'en entendant le nom de son précieux balai être écorché. Raphaël sembla le comprendre et leva les yeux au ciel, les joues gonflées par l'agacement d'être tombé dans le panneau.
- Juste un conseil, fit-il après quelques secondes. Peut-être que c'est plus facile de se complaire dans le rôle dans lequel on t'a enfermé, c'est vrai ; mais... Oublies pas non plus que la personne qu'on est vraiment est autant dans nos intentions que dans l'œil de celui qui nous fait face. Hilda m'a dit ça un jour.
- Je me disais bien que ça sonnait trop intelligent pour toi... (Il encaissa le coup dans l'épaule que son frère lui donna de bonne grâce et continua, songeur). Mais donc quoi ? Si je renvois une certaine image, c'est ce que je suis ?
- Non, justement. Ça ne l'est qu'à moitié. Tu ne peux pas mettre tout sur le dos des autres ; s'ils te perçoivent d'une certaine façon, c'est aussi en partie ta responsabilité. (Son frère se tourna soudain plus franchement vers lui, un éclat trop sérieux dans les yeux d'un gamin de seize ans, et il se retrouva à l'écouter, le souffle suspendu). Ne leur pas le plaisir de leur donner raison, Noah... s'il te plait... Si t'aimes tellement être dans la contradiction, fais-ça. Prouve-leur que tous les préjugés qu'ils ont sur toi ne sont pas vrais. Prouve-le-nous, même...
Il fut frappé par le fait que Raphaël s'inclut lui-même dans une touche de maturité manifeste. Bon sang, il retrouvait tellement les mots de Jules dans ceux de son frère. C'était ce qu'il essayait de faire à l'instant même : corriger ses erreurs, comprendre les torts qu'il avait pu avoir, ne plus être autant en colère contre le monde entier. Prouver, encore et toujours. Prouver pour réparer la confiance qu'il avait écorché, prouver pour montrer qu'il n'était pas seulement un Douzebranches de détraqué en plus, prouver pour conquérir son absolution...
- J'essaye, Raph', promit-il avec résolution. J'essaye...
- C'est le plus important alors...
Satisfait, son frère hocha la tête, l'air libéré d'un poids. Peut-être que cette conversation avait été nécessaire pour tous les deux finalement et il se surpris à sourire. Raphaël, lui, étira ses bras au-dessus de sa tête et commença à se lever comme pour clore leur moment émotion.
- Bon, je vais aller prendre une douche... Je vais finir par attraper la crève.
- Même malade t'arriverais à venir t'entraîner.
- Ouais, mais j'irai moins vite. Et alors quel intérêt ?
Noah éclata de rire. La passion de son frère avait peut-être grandi au fil des années, mais elle avait gardé la même racine : aller plus vite, toujours plus vite. Un véritable plaisir d'enfant qui le rassura quelque part.
Apaisé, il le regarda s'éloigner et resta à sa place pour observer le ballet des joueurs qui se succédaient. Enjolras avait rejoint Charly et Elicia et paraissait leur prodiguer des conseils pendant que Clémence Laveau tirait les cartes sur le bord du terrain à Maria Gonzales. Derrière l'horizon, le soleil avait considérablement baissé et n'était plus visible à part une mince bande d'un jaune fuyant. Le bleu nuit et la lueur du jour se fondaient l'une dans l'autre dans un spectacle que seul le ciel dégagé des montagnes du Massachussetts savaient offrir.
- Encore là ? Je commençais à me dire que tu t'étais perdu sur le chemin du retour au dortoir.
Il sursauta. Perdu dans ses pensées, il n'avait pas vu Julian arriver, et pourtant c'était bien lui qui s'avançait entre les rangées de gradins. Il avait jeté sa cape sur ses épaules pour lutter contre le vent frais, mais aussi sa fameuse écharpe bleu et bonze de Poudlard que Noah lui associait tellement, même dans ses rêves. A sa décharge, les couleurs lui allaient très bien.
- Qu'est-ce que tu fais là ? Je te manquais trop, c'est ça ?
Julian leva les yeux au ciel et vint s'assoir près de lui.
- Non, je venais voir si ça allait... j'ai réalisé que j'avais peut-être été trop insistant tout à l'heure, je ne voulais pas te pousser à aller parler avec Raphaël si tu ne voulais pas ou si tu pensais que ça se passerait mal...
- Nope. T'as eu raison. On avait besoin de parler et contre toute attente... ça s'est plutôt bien passé. Incroyable ce qu'un peu de communication peut obtenir !
- Et c'est maintenant que tu le comprends... je te jure.
L'air à la fois fier de lui et rassuré, Julian secoua la tête en souriant avant de lui jeter malgré tout un regard prudent.
- Quand tu dis que vous avez parlé...
- Hum ?
-... tu ne lui as rien dit, pas vrai ? Pour... nous ?
Ce « nous » sonna étrange, presque évanesçant tant il avait peu de consistance ces derniers temps, mais il lui renvoya une œillade incrédule.
- Non, évidemment que non ! réfuta-t-il.
- Je préfère vérifier après ta mère, se défendit Julian, mains en évidence. On ne sait jamais, Raphaël est plus risqué, il est ici et il est ami avec Lottie alors...
- Non, Jules, promis. Je n'ai rien dit.
Il mit toute sa conviction dans sa voix et Julian expira lentement, à nouveau rassuré. Ce constat fit germer un sentiment ambivalent en lui et il déglutit, reportant son attention sur le centre du stade.
- Quoi ? fit Julian, percevant immédiatement son changement d'humeur.
- Rien...
- Noah...
Jules tenta de croiser son regard, mais il s'y refusa. La frustration le submergea d'un coup et il se souvint brusquement de ses propres paroles, prononcés il y a une minute à peine. La communication aidait. Elle permettait de prendre sa part de responsabilité dans l'image qu'il renvoyait aux autres.
- Cette peur qui nous bouffe, elle me rend dingue, souffla-t-il alors comme un aveu étouffant. J'aimerais que tu puisses ressentir... ce que tu veux. Que tu puisses ressentir ça avec moi, avec tout le monde, et que personne ne soit surpris. Que ça ne choque personne, tu vois ?
Morgane, il devait sonné comme un lunatique en quête d'utopie, même s'il n'arrivait pas à vraiment nommer le fameux « ça » qui s'agitait en lui. Et pourtant, Julian parut comprendre parce qu'il comprenait toujours tout. Ce fut grâce à ce sentiment profond d'être compris qu'il ne se mit pas tout de suite sur la défensive en sentant les doigts de Julian frôler les siens le long de leurs corps. Une sensation de chaleur se répandit de sa poitrine jusque dans ses mains et son visage. Il eut l'impression d'être projeté en arrière d'un an lorsqu'il avait lui-même initié ce même geste. Il ne brûlait pas comme la dernière fois ceci-dit, c'était une chaleur réconfortante aujourd'hui qui lui donna le courage de poursuivre.
- En tout cas, j'aimerais que tu ressentes ça avec moi... murmura-t-il, le regard au loin.
- C'est le cas, avoua Julian d'une voix aussi enrouée que la sienne. Promis...
Le soulagement qui déferla en lui fut phénoménale. Il ne l'avait pas encore perdu alors... Et même si Jules le lui avait déjà affirmé il y a un mois lors de son retour à Ilvermorny, cette réaffirmation le fit respirer un peu mieux. Elle ne rendait pas sa colère contre le monde qui refusait de les accepter moins brûlante, mais elle lui donnait du sens.
A côté de lui, Julian ne se décala pas et laissa leurs mains continuer à se frôler entre eux. Il fit même un pas de côté sur le banc jusqu'à ce qu'ils soient épaule contre épaule, leurs mains cachées par leur cape d'hiver. Le cœur battant, il sentit leurs doigts se joindre et s'entremêler à l'abris des regards. Julian baissa les yeux, puis les releva vers lui et il lui renvoya un rictus presque provocateur. Evidemment, Julian céda à la provocation et serra brièvement ses doigts entre les siens, sûrement porté par le même sentiment de bravoure qui courrait dans ses veines à lui aussi. Il aurait aimé se pencher, l'embrasser... Julian avait l'air de vouloir l'embrasser aussi, mais il ne le fit pas. Les personnes en contre-bas pouvaient les voir et surtout l'ultimatum était toujours suspendu entre eux.
Mais Noah ne se laissa pas démonter. Il en était persuadé désormais : il arriverait à prouver à Julian qu'il était digne de sa confiance. Pas qu'il méritait ses sentiments, non, il avait compris qu'on ne pouvait pas forcer les choses pour mériter que quelqu'un ressente quelque chose à son égard ; mais il pouvait en être digne. Julian Shelton, prépare-toi à être conquis. Il pouvait lui prouver.
Prouver pour conquérir.
*************************************************
Verdict final ? ^^
Ce chapitre était vraiment pour vous ! Plusieurs fois en commentaire vous m'avez demandé une conversation entre Julian et Charly, mais aussi entre Noah et Raphaël. C'est chose faite ! Je trouvais ça intéressant de les mettre en parallèle pour donner un thème au chapitre.
Mine de rien, même si Noah est clairement dans une ambition affichée de "corriger ses torts" en réparant une à une ses relations avec les autres; Julian fait de même aussi d'une certaine façon. Tout le but du tome était de déconstruire la toxicité installée dans le premier tome : ça passait par le Nolian bien sûr, mais également par Julian et sa soeur, et Noah et sa tante. C'est chose faite des deux côtés, on avance donc progressivement.
Evidemment, Othilia sera la dernière pierre à l'édifice, la plus importante.
Voilà voilà ! Merciiii ! On se retrouve dans deux semaines et si vous êtes sages peut-être que je posterai une autre partie de bonus la semaine pro haha ! Mais avant cela, place au meme de Lina aka HarryStranger (je remets le pseudo pour que vous puissiez aller voir son compte !)
Bisous!!!
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