Chapitre 4 : L'interrogatoire des Pullin
Une fois que Béthanie, Djamila et Ewen furent servis – Maggie n'avait jamais aimé le café ni le thé – l'interrogatoire commença, mené par Béthanie :
« —Vous êtes madame Pullin, c'est ça ?
—Oui, mais par pitié, appelez-moi Magali. Madame Pullin c'est beaucoup trop formel.
—D'accord Magali. Que pouvez-vous nous dire à propos de votre macabre découverte ?
—Je l'ai faite hier après-midi. Mon mari cherchait une fuite dans le sous-sol, mais il n'arrivait pas à accéder au tuyau tellement la pièce était encombrée. Alors je l'ai aidé à débarrasser. À un moment, j'ai trébuché sur un vieux marchepied que je n'avais pas vu et je suis tombée en entraînant un gros baril bleu qui s'est ouvert et qui a laissé échapper cette espèce de momie difforme et putride.
—Vous venez d'emménager, n'est-ce pas ?
—Oui, il y a deux mois.
—D'où venait ce baril ?
—Comme la plupart des objets qui sont entreposés dans la cave, il était déjà là quand on a repris la maison. Je ne sais pas du tout quand il y a fait son apparition. Avant d'emménager, je n'étais jamais descendue.
—Que pouvez-vous nous dire à propos de cette maison ?
—Elle appartenait à mes beaux-parents qui l'ont eux-mêmes héritée des parents de mon beau-père. Ils ont voulu nous la léguer quand je suis tombée enceinte de Théo, notre troisième enfant, mais nous n'en avons d'abord pas voulu. Puis, nous avons remarqué que mes beaux-parents peinaient de plus en plus à entretenir la propriété alors nous avons consenti à nous y installer car ils n'auraient pas voulu la vendre. Elle est émotionnellement trop importante pour eux et mon mari.
—Votre mari est fils unique ?
—Oui. En revanche, mon beau-père ne l'est pas. La succession, à son époque, avait fait beaucoup de tapage qui se répercute encore aujourd'hui. Les grands-parents de mon mari ont voulu donner leur maison à leurs enfants de leur vivant parce qu'eux non plus n'arrivaient plus à l'entretenir. Malheureusement, aucun de leurs enfants, à part mon beau-père, n'a voulu de cette chaumière insalubre dans un premier temps.
« Sauf qu'une fois magnifiquement retapée pour l'époque, ses quatre frères et sœurs se sont subitement intéressés à la maison. Comme il n'a pas lâché l'affaire, il est devenu la bête noire de la famille. Depuis, plus aucun de ses frères et sœurs ne lui adresse la parole. Mon mari souffre beaucoup de cette situation car il ne connaît pas beaucoup ses cousins et cousines. Sauf une, Anne. Il entretien soigneusement cette relation qui lui est très chère.
—Vous vous entendez bien avec cette Anne ?
—S'il n'y avait que moi, ça fait bien longtemps que je me serais éloignée de ce couple absolument toxique. Ils ne font que critiquer tout ce qu'on peut entreprendre. Surtout elle. Et leur fils, n'en parlons pas. Un neuneu fini. Le pauvre.
—Que faites-vous dans la vie ?
—Je suis actuellement femme au foyer depuis la naissance de mon fils il y a deux ans. Avant ça, j'étais secrétaire médicale pour un cabinet de médecins généralistes.
—Vous m'avez l'air d'être passablement fatiguée.
—Je suis épuisée. Je n'aime pas la vie que je mène depuis que je suis sans emploi. Ce déménagement m'a tapé sur les nerfs. Et la découverte de ce cadavre a été la goutte d'eau. Je rêve de partir quinze jours dans un pays loin d'ici, sans mari ni enfant, et avec toute une troupe d'employés pour me chouchouter. Croyez-moi, dès que Théo rentre à l'école, j'envoie mon CV dans tous les cabinets médicaux de la région. Mais en quoi ça peut vous intéresser ?
—On cherche à mieux vous connaître, à nous imprégner de votre histoire pour mieux la saisir et comprendre comment ce cadavre a pu atterrir ici, et pourquoi c'est vous qui êtes tombée dessus seulement maintenant. D'ailleurs, avez-vous des hypothèses à ce sujet ?
—Honnêtement, je ne pense pas qu'il soit l'œuvre de mes beaux-parents, même si j'imagine qu'on va les accuser en premier lieu puisque la maison leur appartenait au moment où le corps a été enfermé dans ce baril. Je me demande s'il n'est pas issu d'une vengeance de l'un des frères ou des sœurs de mon beau-père. En le détestant si fortement, ils ont trouvé une pauvre âme qu'ils ont tuée et enfermée dans ce baril pour faire porter le chapeau à mon beau-père afin qu'il quitte cette maison et qu'ils puissent la récupérer.
—Hypothèse intéressante. Mais vous ne pensez pas que le corps aurait été découvert il y a bien plus longtemps si c'était le cas ?
—Peut-être, je ne sais pas. Ce sera à vous de déterminer tout ça. »
Magali avait prononcé cette dernière phrase avec bienveillance. Le lieutenant Messant n'avait pas menti, c'était probablement une femme bien et très intéressante. Son interrogatoire prit fin, elle appela alors son mari pour qu'il prenne sa place face aux détectives.
Sébastien Pullin, quadragénaire aux portes de la cinquantaine, bedonnant, les cheveux noirs grisonnant dangereusement avec une calvitie qu'il ne cherchait même plus à dissimuler, s'assit lourdement sur le fauteuil que venait de quitter sa femme.
« —Bonjour à vous, commença-t-il. Je suis heureux de savoir qu'une équipe de détectives est sur le coup. Ça ira plus vite comme ça. Pauvre petite chose. Les bras m'en tombent.
—Bonjour monsieur Pullin, lui répondit Ewen qui prit les rênes de cet échange. Êtes-vous prêt à commencer cet interrogatoire ?
—Oui ! Faites, qu'on en finisse rapidement avec cette sale histoire qui risque de ternir ma réputation professionnelle si elle s'ébruite trop. »
À ces mots, les détectives pensèrent à Raphaël et son article qui ferait la une du journal local dans quelques ridicules petits jours. Ils n'en touchèrent pas un mot à monsieur Pullin, ils n'étaient pas là pour ça.
« —Bien, poursuivit Ewen. Que pouvez-vous me dire à propos de la découverte du corps ?
—C'est ma femme qui l'a faite, cette découverte. J'étais avec elle, mais c'est elle qui est tombée sur le baril et qui a libéré ce terrible secret.
—Avez-vous une idée quant à l'identité de la personne enfermée dans ce baril pendant toutes ces années ?
—Non. C'est difficile à déterminer sans avoir le moindre indice quant à la période à laquelle elle s'est retrouvée dedans.
—Vous n'avez pas eu de disparition autour de vous ?
—Aucune disparition suspecte, non.
—Ce n'est quand même pas anodin un cadavre qui reste enfermé dans la cave de la maison de vos parents durant toutes ces années et que le sort fait ressortir au moment où vous emménagez.
—J'en suis le premier surpris. Et terrifié aussi de savoir que mes parents ont vécu avec un mort dans leur maison pendant tout ce temps.
—Depuis hier après-midi au moment de la découverte, vous avez bien pu vous imaginer un scénario pouvant être plausible concernant l'existence de cet intrus chez vous ? »
Sébastien Pullin prit une pause inspirée. Il réfléchit un court moment avant de finalement dire :
« —Non, vraiment je n'y arrive pas. L'explication la plus cohérente selon moi serait un coup monté de l'un de mes oncles ou l'une de mes tantes pour se venger de mes parents. J'imagine que vous êtes déjà au courant de l'histoire de cet héritage ?
—Oui, nous le sommes. Mais si c'était vraiment une vengeance, vous ne pensez pas que la personne qui a fait ça aurait souhaité qu'elle soit mise à exécution plus tôt ?
—Peut-être que ses plans ont été contrariés pour une quelconque raison. Je ne sais pas moi ! Vous me demandez une explication, j'essaie de vous en donner une ! Mais je n'en sais rien ! »
Ewen attendit que l'homme qu'il interrogeait se soit légèrement calmé.
« —Parlez-moi un peu de vos oncles et tantes s'il vous plaît, reprit le détective.
—Ils sont quatre. Mon père est l'avant-dernier, la bête noire. L'aînée est Marie-Agnès. C'est la mère de ma cousine Anne. Ma tante Ma est celle qui a été la plus diplomate dans le conflit qui opposait mon père à sa fratrie. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je suis encore en contact avec ma cousine. Ils peuvent être un peu snobs parfois, mais ils sont vraiment gentils. Tante Ma est veuve depuis huit ans maintenant.
« Ensuite il y a ma tante Catherine. Elle est mariée à Jean-Christophe et ont eu mes cousins Émile et Ambroise. La dernière fois où j'ai eu des nouvelles d'eux, Émile vivait au Japon et Ambroise aux États-Unis. Ils sont tous deux chercheurs en nanotechnologies. Je n'ai aucune idée de ce que peuvent devenir mon oncle et ma tante.
« Juste avant mon père, il y a mon oncle Thierry. Il a divorcé de nombreuses fois et n'a jamais eu d'enfants. À moins que je ne sois pas au courant, mais ça m'étonnerait beaucoup. C'est un tombeur, impulsif et manipulateur. Même avant que la dispute fraternelle éclate, je le détestais déjà.
« Enfin, tante Odette la cadette. C'est sans aucun doute la plus virulente à l'égard de mes parents et ma famille. Vieille vicieuse aigrie. Elle a été la première à monter la tête aux autres. Elle est divorcée d'Hadrien qui l'a battue pendant de nombreuses années. Ensemble, ils ont eu Mike, Brandon et Gwenn. J'ai appris qu'elle a divorcé depuis et que, maintenant, elle est mariée à un certain Jacques. Je ne le connais pas mais ma cousine Anne me dit qu'il est gentil. Et voilà pour ma famille paternelle. Je ne peux pas vous en dire plus, je ne les ai pas vus depuis environ 20-25 ans. »
Djamila avait pris des notes à une vitesse impressionnante durant tout le monologue de Sébastien Pullin. Maggie, quant à elle, s'était concentrée à la fois sur son discours et sur les aspects non-verbaux qu'il pouvait renvoyer. Et Sébastien mentait. Il mentait en parlant de sa tante Ma. Béthanie échangea un furtif regard à sa collègue qui lui indiqua qu'elle pensait à la même chose aussi.
« —Parmi eux, poursuivit Ewen, lequel serait le plus à-même de tuer quelqu'un et de placer le cadavre dans la cave de la maison de vos parents pour se venger ?
—Thierry, sans hésitation, aucune.
—Autre chose à ajouter ?
—Faites vite et, pour l'amour de Dieu, soyez discrets. »
L'interrogatoire s'arrêta ici.
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