Chapitre 31 : Le dénouement

Les deux détectives descendirent de la voiture en la laissant plus ou moins garée devant les bureaux. Ils montèrent les marches quatre à quatre et foncèrent jusqu'au bureau de Patron, Maggie en tête et Ewen sur ses talons. La jeune femme tambourina à la porte. Étonné par un tel remue-ménage, Patron prit même la peine d'aller ouvrir la porte plutôt que de leur intimer de derrière son bureau l'ordre d'entrer.

« —Est-ce que je peux savoir ce qu'il se passe ici ? fit-il en faignant la colère pour dissimuler une importante curiosité.

—J'ai trouvé ! lança Maggie. Je sais qui a tué Isabel et l'a laissée pourrir dans cette cave pendant toutes ces années. »

Patron fit entrer les détectives, écouta le récit de Maggie, et un large sourire se dessina sur son visage. En effet, elle avait trouvé.

« —Maintenant, dit ce dernier sur un ton grave, je pense qu'il faut vous dépêcher d'aller le voir. De mon côté, je préviens le lieutenant Messant afin qu'elle envoie des hommes l'arrêter officiellement. J'imagine qu'il doit se sentir comme une bête traquée depuis le début de l'enquête, il faut faire vite. Qui sait de quoi est capable une bête qui a peur ? »

Patron était un professionnel dans l'art de mettre la pression à ses détectives. Une fois encore, ça avait fonctionné. Ewen et Maggie se précipitèrent à nouveau jusqu'à la voiture et foncèrent en direction de leur but, en direction du meurtrier.

Arrivés devant le cabinet d'architecture P&P, Maggie et Ewen ne s'embarrassèrent pas à demander l'autorisation d'accéder au bureau de Sébastien Pullin et s'y invitèrent directement. Ewen tenait fermement son arme de service à la main, mais il comprit rapidement qu'il n'en aurait pas besoin. Assis dans sa confortable chaise en cuir derrière son immense bureau moderne, Sébastien fixait les détectives avec des yeux sans âme.

« —Alors ça y est, lança-t-il d'une voix fantomatique, vous avez compris.

—Oui, souffla Maggie.

—Vous rendez-vous compte que vous allez détruire une famille en faisant éclater la vérité au grand jour ?

—Et vous, vous vous rendez compte de la famille que vous avez vous-même détruite en violant, tuant et cachant Isabel Rodriguez pendant toutes ces années ?

—Pas un jour ne passe sans que je n'y songe. Asseyez-vous, et expliquez-moi. Racontez-moi comment vous avez trouvé. Et ensuite, je vous raconterai mon histoire. »

Ewen et Maggie s'assirent dans les fauteuils face au meurtrier qui n'avait, à ce moment-là, plus grand-chose d'humain dans sa façon d'être. Ewen laissa sa collègue parler. Après tout, c'était elle qui avait – encore une fois – résolu ce mystère. La jeune femme prit donc une grande inspiration et se lança :

« —Je pense que, dès que nous avons su qu'Isabel avait été violée, nous avions déjà toutes les informations nécessaires. Votre nom est très peu revenu dans les différents interrogatoires que nous avons menés. Pourtant, lorsqu'on parlait de votre relation avec Isabel, c'était pour dire que vous étiez amoureux d'elle mais que vous ne saviez pas comment vous y prendre.

« Nous avons aussi rencontré Felipe Llorente, son fiancé espagnol. Il a eu cette phrase, celle que j'ai d'abord mal interprétée. Il nous a dit qu'Isabel avait peur de la famille dans laquelle elle travaillait. J'ai tout de suite lié cette remarque à la famille du Moulins. J'avais omis le fait qu'elle travaillait aussi quelques fois chez vos parents. D'ailleurs, je pense que Felipe avait compris que la disparition de sa bien-aimée devait avoir un lien avec votre famille ou celle des du Moulins et qu'il vous a envoyé des lettres afin de vous mettre la pression, et de comprendre la vérité. Hier, après qu'il soit venu rendre une petite visite à votre tante et à votre mère, votre maman a brûlé un carton de lettres. Elle nous a menti en nous racontant une histoire farfelue de votre père à l'armée. En fait, elle avait compris bien avant nous et brûlait toutes les preuves possibles.

« Votre tante Marie-Agnès nous a aussi dit un jour qu'Isabel avait un confident, sans pouvoir le nommer. Elle nous a aussi dit avec beaucoup de justesse qu'elle pensait que ce confident était un amoureux éconduit par Isabel. C'est lorsque je me suis rappelée de ce détail que toutes les pièces du puzzle se sont mises en place. C'était vous et personne d'autre.

« Parmi les hommes qui lui tournaient autour, il y avait un commerçant, décédé avant elle. Il y avait votre oncle Thierry, mais je n'ai pas imaginé une seule seconde qu'il ait pu devenir son confident. Il y avait aussi votre cousin par alliance, William. Je ne le voyais pas non plus dans ce rôle. Il ne restait donc plus que vous. Et pourquoi ne nous avoir rien dit pendant toute la durée de l'enquête ?

« Tout simplement parce que vous ne le pouviez pas. Parce que vous avez trahi sa confiance et vous l'avez violée avant de la tuer. Vous avez profité qu'elle se sentait en sécurité avec vous pour abuser d'elle. Et ça ne vous a pourtant pas empêché de construire votre vie en sachant que son corps reposait dans la cave de vos parents, ensuite devenue la vôtre. Je ne sais juste pas quelles étaient vos motivations exactes et si, oui ou non, cela est lié à la grossesse arrêtée d'Isabel. »

Maggie s'arrêta-là. Elle lui avait donné toutes les informations qu'elle possédait. Maintenant, les détectives allaient entendre la version du coupable. Ils n'espéraient qu'une chose, c'était qu'il soit franc avec eux.

« —En effet, commença Sébastien Pullin. Ma mère a tout compris hier. Elle m'a appelée tard dans la soirée pour me le dire. C'est à ce moment que j'ai su que vous trouverez, vous aussi. Et je ne me suis pas trompé. Déjà, je voulais vous dire bravo. Vous n'avez rien lâché malgré la difficulté de la tâche. J'aurais égoïstement préféré que la police reste sur cette enquête et ne la mène jamais. Mais parfois, les choses vous dépassent. Et si j'avais refusé votre aide, j'aurais été encore plus suspect. Maintenant, c'est à moi de vous raconter mon histoire.

« À cette époque, j'avais environ 25 ou 26 ans si mes souvenirs sont bons. Je n'avais jamais vraiment eu de petite amie. J'étais le garçon qui était toujours bon copain, mais jamais plus. Constamment rabaissé, je ne suis pas devenu l'homme puissant et fort que mon père attendait de moi. Harcelé du CM2 jusqu'en terminale, bizuté en prépa, rejeté pendant mes cinq années d'études, personne n'arrivait à m'aimer pour ce que j'étais.

« Un jour, ma mère a ramené Isabel à la maison. Elle nous a dit qu'elle servirait d'interprète à sa mère qui travaillait chez nous, et qu'elle allait parfois l'aider dans certaines tâches pour gagner un peu d'argent.

« Si vous l'aviez vue en vie, vous auriez compris pourquoi autant d'hommes tournaient autour d'elle. Elle n'était pas belle, elle était sublime, divine. Ses longs cheveux noirs, sa bouche pulpeuse, son regard sombre et pénétrant, son teint hâlé, son corps sculpté. Elle avait tout pour elle, tout.

« Moi, je vivais encore chez mes parents. Pas de copine, un travail qui m'ennuyait profondément et qui ne correspondait pas aux ambitions que je pouvais avoir en tant qu'étudiant, bref j'avais une vie inintéressante. Isabel a tout bousculé dans cette vie pâle et monotone. Ma mère m'a demandé de lui donner des cours pour perfectionner son français qu'elle maîtrisait pourtant déjà très bien. Rapidement, ces cours ne servaient plus à grand-chose et je suis passé de prof à confident pour elle.

« J'ai eu l'espoir que notre relation évoluerait au point de devenir son petit ami. Je ne savais pas comment m'y prendre. Elle me parlait beaucoup de ces deux gros lourds de Thierry et William. Je pensais alors devenir son sauveur en l'ôtant de leurs sales pattes. Mais j'ai échoué, je n'avais aucun charisme, aucun courage. Une fois encore, j'étais devenu le bon copain et dindon de la farce. Encore et toujours, l'histoire se répétait.

« Un soir, alors que je venais de surprendre mon oncle Thierry essayer d'abuser d'elle, je suis arrivé tel ce sauveur. Lorsqu'elle eut terminé sa journée de travail, elle m'a suivie jusque chez mes parents où je lui ai promis que je veillerai sur elle. Mes parents étaient sortis chez des amis ce soir-là. Nous n'étions que tous les deux. Et, je ne sais pas ce qu'il m'a pris mais, alors qu'elle pleurait dans mes bras, j'ai dérapé. Je lui ai volé un baiser et bien plus.

« Tétanisée par l'horreur de cet acte, elle ne s'est pas débattue. On aurait dit que son âme avait quitté son corps. Ensuite, elle s'est évanouie. Par chance pour moi, elle disait ne plus se souvenir de rien à son réveil, mises à part les avances un peu trop poussées de mon oncle.

« Après ça, je me suis promis de ne plus jamais recommencer et de vivre avec ce secret. Mais j'ai échoué. Quelques semaines plus tard, alors qu'on était à nouveau tous les deux seuls chez mes parents, je l'ai encore forcée à me faire l'amour. Encore une fois, son esprit avait quitté son corps pendant l'acte. Sauf qu'à la fin, elle ne s'est pas évanouie et s'en souvenait encore.

« Pris de panique, je l'ai alors menacée de se faire expulser si elle parlait. Sauf qu'elle a parlé. Elle a été dire à ma tante qu'elle était enceinte, sans dévoiler le nom du père. Elle n'a pas voulu me le dire à moi mais je l'ai suivie le jour où elle est allée à la clinique avec tante Ma. Quand elle est ressortie, elle était seule.

« J'étais garé sur le parking et je lui ai fait signe que j'allais la ramener. Elle était effrayée, elle n'a rien osé faire d'autre à part me suivre. Durant le trajet, je n'ai pas voulu d'explication. C'est une fois garé dans le jardin de mes parents que j'ai tout voulu savoir.

« Elle m'a alors dit que je l'avais mise enceinte et qu'elle venait d'avorter. Ça m'a mis hors de moi. La femme que j'aimais attendait un bébé de moi et elle l'avait tué plutôt que de nous laisser une chance d'être heureux en famille. Bien sûr, je ne pense plus de la même façon mais, à l'époque, j'avais un trop grand mal-être pour pouvoir réfléchir sainement. Fou de rage, je me suis jeté sur elle, j'ai massacré de mes mains son intimité qui avait porté et tué la vie que nous avions créée, et j'ai saisi sa grosse écharpe que j'ai serrée. J'ai serré très fort pendant une bonne dizaine de minutes.

« Au bout de ce temps, j'ai repris mes esprits. J'ai paniqué. Mes parents étaient dans la maison à quelques mètres de nous, et moi j'étais assis dans ma voiture avec le cadavre d'Isabel à mes côtés. J'ai attendu là, dans l'auto, que mes parents se couchent. Je leur ferait croire que j'étais resté tard chez un ami, chose qui arrivait assez souvent, faute d'avoir une petite-copine.

« Quand je fus sûr qu'ils dormaient, j'ai emmené le cadavre dans la cave sans faire de bruit. Il y a toujours eu un bordel monstre dans ce sous-sol. J'ai trouvé un baril oublié par les ouvriers, j'ai retiré le manteau et l'écharpe d'Isabel qui étaient trop imposants, je l'ai installée dedans et j'ai scellé ce baril en plastique avec un chalumeau qui trainait. Ensuite, j'ai poussé la barrique dans un coin, et elle n'a pas bougé pendant plus de 20 ans. Jusqu'à ce que ma femme tombe dessus l'autre jour. Le corps momifié a alors fait son apparition, avec tous les souvenirs que j'avais minutieusement enfouis dans ma mémoire pendant toutes ces très longues années. »

Sébastien s'arrêta-là dans le récit de ses horreurs.

« —Des policiers vont venir vous arrêter, l'informa Maggie. Vous serez d'abord placé en garde à vue, où ils voudront entendre cette histoire à leur tour, puis le procureur décidera du lieu où vous passerez les prochains jours jusqu'à votre procès.

—Ils n'ont rien contre moi, leur dit Sébastien d'un ton las. Je le sais très bien. Tout repose uniquement sur vos hypothèses.

—Ils arriveront à faire parler votre mère. Elle est sur le point de craquer. Sans compter les analyses complémentaires qu'on va demander maintenant qu'on sait où chercher.

—Pas s'il faut protéger son fils unique. Elle ne parlera pas. Mais maintenant, c'est à moi de protéger ma mère. Alors je parlerai.

—Sage décision. »

Moment de silence qui rendait l'atmosphère oppressante.

« —Je peux vous demander une dernière chose s'il vous plaît ? questionna Sébastien.

—Allez-y, lui répondit Maggie méfiante. Mais je ne vous garantis pas que nous pourrons accéder à votre requête.

—J'aimerais que vous me laissiez seul mettre mes papiers en ordre avant mon départ. Restez devant la porte si vous le voulez. Voyez, je n'ai aucune autre issue dans ce bureau. Même les fenêtres ne s'ouvrent pas complètement. »

Les détectives acceptèrent et laissèrent Sébastien Pullin seul dans son bureau, attendant l'arrivée des policiers devant sa porte.

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