Chapitre 20 : L'interrogatoire d'Anne

Encore une fois, le réveil fût dur pour Maggie. Mais ça avait valu le coup. La soirée qu'elle avait passée la veille avec son petit ami avait été riche en émotions, surtout en amour. Et elle en avait besoin. Alex aussi eut quelques difficultés à sortir du lit.

« —Ce soir, commença-t-il la tête dans le brouillard, dès que tu rentres on avale une soupe et on file au lit. Je suis absolument exténué. »

   Maggie acquiesça en pouffant et alla se préparer en vitesse dans la salle de bain. Elle revint embrasser Alex pour lui dire au revoir, et sortit en emportant un morceau de brioche qu'elle mangerait sur la route en se rendant aux bureaux.


« —T'as l'air d'être à la fois radieuse et crevée, lui dit Ewen une fois qu'elle fût installée derrière son bureau.

—Je crois que tu résumes parfaitement la situation, lui répondit-elle avec un sourire en coin.

—On peut savoir comment tu as passé la soirée ? la questionna Béthanie sans chercher à dissimuler sa curiosité.

—C'est Alex. Il a mis les petits plats dans les grands pour me faire une surprise. Il avait quelque chose d'important à me demander.

—Oh non c'est pas vrai, t'es fiancée ?! »

   Béthanie jeta un rapide coup d'œil sur les mains de son amie, espérant y voir une bague scintillante.

« —Non, lui répondit Maggie avec douceur. Il m'a simplement fait part de son souhait qu'on devienne propriétaires.

—Oh, fit Béthanie qui n'arriva pas à cacher sa déception, c'est super aussi. Oui, je me rappelle quand nous le sommes devenues avec Coline. C'était une sensation incroyable de franchir le pas de la porte de notre appartement.

—Tu m'as l'air déçue, lui lança Djamila qui ne ratait jamais une occasion de mettre les deux pieds dans le plat au moment le moins opportun pour les autres.

—Non, non ! J'étais juste très enjouée à l'idée de préparer un mariage. C'est toujours un super évènement. Mais devenir propriétaires aussi ça l'est, et c'est aussi un pas de géant dans un couple.

—Et pourquoi ce ne serait pas TON mariage que nous pourrions préparer ? lui demanda Maggie avec malice, mais aussi avec la volonté d'orienter la conversation vers quelqu'un d'autre.

—Eh bien, hésita Béthanie, pour tout vous dire, j'y pense de plus en plus.

—Qu'est-ce qui t'en empêche ? l'interrogea Ewen, autant adepte des commérages que ses collègues.

—Je ne sais pas. Peut-être la peur qu'elle dise non. Ça n'a pas toujours été facile pour nous. Elle a eu du mal à accepter et faire accepter son homosexualité. J'ai peur que la demande en mariage fasse remonter tout ça à la surface.

—Je peux mettre ma main à couper que Coline n'attend que ça elle aussi, lui dit gentiment Maggie. »

   Leur conversation prit ensuite fin et les deux binômes se séparèrent chacun de leur côté. Tandis que Béthanie et Djamila allaient faire le tour des hôpitaux de la région, Ewen et Maggie se rendirent chez Anne Bertin.

   Anne, Philippe et leur fils Célestin vivaient dans une jolie villa à proximité de Jouville. Aujourd'hui samedi, la cousine de Sébastien Pullin ne devait pas travailler. Comme il était encore assez tôt, les deux détectives espéraient la trouver chez elle.

  Ils sonnèrent au portail de la villa. Après un temps qui leur parut interminable, une voix de femme se fit entendre à travers l'appareil :

« —Oui ?

—Bonjour Madame, dit Ewen qui était au plus proche du micro. Nous sommes Ewen Mercier et Maggie Annisterre, les deux détectives engagés par Sébastien et Magali Pullin pour enquêter sur le cadavre qui a été retrouvé dans leur sous-sol. Nous aurions quelques questions à vous poser. »

   Un déclic, puis le portail s'ouvrit. Ewen, au volant de la voiture de fonction, entra dans la propriété et se gara derrière un immense 4x4 parfaitement propre. Les deux collègues se rendirent devant la porte d'entrée et c'est toujours Ewen qui y frappa avec une certaine autorité.

   Une femme d'une bonne quarantaine d'années, peut-être même déjà quinquagénaire, leur ouvrit la porte. Après une brève présentation, ils apprirent qu'il s'agissait d'Anne Bertin en personne. Elle avait un carré serti d'une frange droite qui lui tombait juste au-dessus de ses fines lunettes de marque. Ses cheveux couleur ébène étaient striés de fines lignes grises. Elle avait un air hautain et dévisageait les détectives des pieds à la tête sans aucune gêne. Elle ne ressemblait pas à sa mère.

« —Suivez-moi, leur dit-elle. Nous allons nous installer dans ma salle à manger. »

   Anne emmena les détectives dans une superbe salle à manger très moderne, tout comme le reste de la maison. Ils s'installèrent autour d'une table devant certainement valoir plusieurs mois de salaire pour n'importe quel petit ouvrier. Aucune boisson ne leur fût proposée, signe que la propriétaire des lieux s'attendait à ce que cet interrogatoire ne s'éternise pas.

« —Je vous écoute.

—Avant toute chose, commença Ewen avec fermeté, êtes-vous au courant de toute cette histoire ?

—Bien sûr que je le suis. Je communique avec ma famille. J'ai eu ma mère de longues heures au téléphone. Elle vous apprécie beaucoup. C'est l'unique raison pour laquelle j'ai décidé de vous faire confiance et que je vous ai ouvert ma porte aujourd'hui. Sinon, je me serais méfiée. Vous avez quand même été engagés par mon cousin. Et il faut dire qu'il n'est pas toujours le meilleur en ce qui concerne la prise de décision.

—Je croyais que vous vous entendiez bien avec votre cousin, lança Maggie avant que son collègue n'ait le temps d'entrer dans le vif du sujet.

—Je fais cet effort car tous les autres ont coupé les liens avec eux à cause de son père, et j'ai pitié de lui. Mais nous n'avons pas grand-chose en commun. Surtout sa femme. Si vous saviez à quel point Magali m'insupporte. Elle est complètement déconnectée de la réalité. Du grand n'importe quoi. À se donner des airs de prolétaire alors qu'elle est aussi bourgeoise que je lui suis. »

    Les détectives eurent quelques difficultés à rebondir après ce qu'ils venaient d'entendre. Ils avaient visiblement une femme très particulière en face d'eux.

« —Que pouvez-vous nous dire de ce que vous savez de l'enquête ? reprit finalement Ewen sans se laisser démonter.

—Je sais que mon cousin a trouvé un cadavre dans son sous-sol et qu'il s'agit d'Isabel Rodriguez.

—Justement, parlez-nous d'elle s'il vous plaît.

—Elle était gentille et assez intelligente. Toutefois peu efficace dans les tâches ménagères si mes souvenirs sont bons. Mais il faut dire qu'elle n'était pas destinée à cela en Espagne. L'immigration qu'elle a subit à cause de ses parents a dû la faire tomber de très haut. Je ne comprends pas les gens qui fuient leur patrie au lieu de s'y battre pour y survivre et la faire prospérer. »

   Toi tu votes à droite, songea Maggie en réprimant un immense soupir de lassitude face au discours qu'Anne leur tenait.

« —Qu'en était-il de vos relations à toutes les deux ?

—Qu'est-ce que vous voulez que je vous en dise ? Je ne vais quand même pas me mettre à fréquenter tous les employés qui passent sous la direction de mes parents. D'autant plus que j'avais déjà convolé en justes noces depuis un moment lorsqu'elle a débarqué ici. Nous avions des échanges cordiaux quand nous nous croisions chez mes parents, c'est tout.

—Avez-vous la moindre idée de ce qui a pu lui arriver pour qu'elle subisse ce triste sort ? »

    Anne se mit à réfléchir un court instant. Maggie en était persuadée, elle simulait. Il lui avait fallu très peu de temps pour cerner le profil de cette femme et la jeune détective était certaine qu'elle avait déjà toutes ses hypothèses en tête.

« —Je pense qu'elle a fait une mauvaise rencontre, finit-elle par dire. Un homme, c'est sûr. Elle les attirait comme un aimant. Je n'ai jamais compris ce qu'ils lui trouvaient car elle n'était pas très belle, d'après mes goûts. Et je pense avoir un excellent sens du jugement. Je disais donc qu'elle a sûrement fait chavirer le cœur d'un homme peu recommandable et que, sur un coup de tête, il l'a tuée et l'a fait disparaître dans cette cave complètement bordélique. Aussi loin que mes souvenirs me le permettent, je ne me rappelle pas avoir vu ne serait-ce qu'une seule fois ce sous-sol ordonné.

—Avez-vous une idée sur l'identité de cet homme ?

—Sans doute un ouvrier qui était venu faire des travaux dans la chaumière. Pendant cette période, c'était un vrai moulin. Tout le monde y entrait et en sortait à sa guise. Sans parler de tous ces doubles des clés qui circulaient à droite et à gauche. En tout cas, ce ne peut pas être un membre de la grande famille Pullin qui a fait le coup. Nous ne sommes pas des sauvages, nous. »

   Anne et les détectives échangèrent encore quelques banalités qui ne feraient pas avancer l'enquête, puis Ewen et Maggie mirent rapidement fin à l'interrogatoire. Ils auraient eu beaucoup de mal à supporter avec neutralité les déblatérations racistes de la femme qu'ils avaient en face d'eux.

   En les raccompagnant, Anne leur présenta avec beaucoup de fierté son fils Célestin qui passait au même moment dans le hall d'entrée, portable dernier cri scotché à la main.

« —Je vous présente mon magnifique fils. Il est très doué, toujours premier de sa classe. Un futur ingénieur en aviation. Et il est si beau mon fils ! »

   Ewen et Maggie sourirent poliment. Loin d'être beau, Célestin n'avait pas été gâté par la nature. Une grosse tête ravagée par l'acné, surplombant un corps rachitique et disproportionné qui dénonçait une grande maladresse. Des lunettes aux vertes attestant d'une sévère myopie, ainsi que des cheveux aussi gorgés de sébum que sa peau. Voilà à quoi ressemblait un beau garçon selon Anne. Les deux détectives comprenaient mieux comment elle pouvait ne pas trouver Isabel Rodriguez belle, contrairement à l'avis général qu'ils avaient entendu jusqu'à présent.

« —Oh punaise ! lâcha Ewen une fois qu'ils furent assis dans la voiture et qu'ils eurent quitté la propriété des Bertin. J'espère qu'on n'aura plus jamais à la réinterroger celle-là ! Et qu'on ne recroisera pas son fils non plus. Il me fout l'angoisse.

—Je l'espère aussi... lui répondit Maggie pensive. »

   Alors qu'ils reprenaient la route en direction des bureaux, le téléphone de Maggie sonna. C'était Bastien.

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