Chapitre 19 : Une nouvelle journée qui s'achève

Les quatre détectives s'étaient réunis aux bureaux afin de faire le point sur leur journée qui se terminait. Ils étaient assis dans le petit coin de leur open-space aménagé en salon. Patron les avait rejoints.

« —On a trouvé aucune trace d'elle ou de ses parents dans les archives de la police, dit Béthanie avec lassitude après une journée entière passée dans la pénombre et la poussière à lire des centaines et des centaines d'archives, accompagnée de sa collègue.

—De notre côté, enchaîna Ewen, on a un portrait un peu plus précis de qui était Isabel Rodriguez. Ça aurait été une jeune femme d'une grande beauté qui faisait chavirer les cœurs qu'elle croisait. Là où on en est de l'enquête, on pencherait plutôt pour une histoire de jalousie, ou quelque chose dans ces eaux-là. »

Patron, le menton entre les mains, était perplexe. Sa grande expérience lui disait que le mobile du meurtre était plus profond qu'une simple jalousie. Pensait-il cela parce qu'il savait qu'il serait déçu s'il s'avérait que ce n'était rien de plus qu'une histoire d'homme éconduit par l'amour de sa vie ? Cette enquête hors du temps l'avait tout de suite charmé. Au fond de lui, il espérait que le dénouement serait au moins aussi unique.

« —Comment comptez-vous organiser votre journée de demain ? demanda-t-il finalement à ses détectives après un certain temps de réflexion.

—Je pense que nous commencerons à rechercher dans les archives des différents hôpitaux à proximité, l'informa Djamila qui s'était préalablement mise d'accord avec Béthanie à propos de leur emploi du temps du lendemain. »

Ewen et Maggie furent plus en difficulté que leurs collègues pour répondre à cette question. Ils ne savaient plus qui interroger à ce stade de l'enquête.

« —J'aimerais bien aller à la rencontre la fille de Marie-Agnès du Moulins, finit par dire pensivement Maggie. Puisqu'Isabel a travaillé chez ses parents pendant un certain temps, elle doit forcément la connaître. Je serais curieuse de savoir ce qu'elle pouvait penser d'elle.

—Excellente idée, lui répondit Patron. De mon côté, j'ai déjà vu avec François et Bastien pour qu'ils effectuent des analyses complémentaires sur le cadavre en attendant que le labo leur envoie certains résultats. Je vous tiendrai au courant dès que j'aurai des nouvelles. Sur ce, vous pouvez rentrer chez vous. Je crois que vous avez tous bien mérité un peu de repos. »

Les détectives se saluèrent et rentrèrent chacun de leur côté.


Arrivée à son appartement, Maggie fût accueillie par un Alex souriant, habillé d'une chemise impeccablement repassée, et des cheveux domptés (chose suffisamment rare pour être remarquée). La table était dressée avec la nappe et le service à vaisselle habituellement réservés à leurs petites réceptions. La lumière était tamisée et des bougies flamboyaient au centre de la table. Une douce odeur de nourriture mêlée à celle du jasmin provenant d'un bâton d'encens qui se consumait un peu plus loin dans le salon enivra immédiatement la jeune femme.

« —On a quelque chose à fêter ? paniqua soudain Maggie qui pensait avoir oublié un évènement important.

—Parce qu'on est obligés d'avoir une raison particulière pour passer une soirée romantique ? lui demanda Alex avec son air malicieux qui faisait fondre sa compagne. »

Le visage de Maggie se fendit d'un large sourire en même temps qu'elle se détendit. Aussitôt, elle se précipita dans sa chambre et la salle de bain afin de porter une tenue légèrement plus habillée – sans en faire trop – et de retoucher son maquillage fatigué par la journée qui venait de s'écouler.

Lorsqu'elle revînt dans la pièce à vivre, Alex avait revêtu un tablier et il s'affairait en cuisine. Sa compagne vînt s'appuyer contre le plan de travail et se mit à l'admirer avec un sourire béat.

« —Va t'asseoir dans le canapé, lui lança-t-il en se concentrant pour ne pas se brûler avec le plat qu'il tenait dans ses mains, j'arrive. »

Docile, Maggie alla s'installer dans leur canapé et prit l'initiative de leur servir deux verres. Un verre de vin pour lui, une piña colada industrielle et sans alcool pour elle. Alex la rejoignit peu de temps après avec deux assiettes d'amuse-gueules, puis ils trinquèrent à leur santé.

« —Comment s'est passée ta journée ? demanda-t-il.

—Très bien. Je pense que nous avançons rapidement. On ne devrait plus en avoir pour très longtemps. Et toi ?

—Mes étudiants avaient des exposés à présenter. C'était tranquille, ils ont bossé à ma place. »

Les deux tourtereaux rirent de bon cœur.

« —Tu es rentré il y a longtemps pour préparer tout ça ? le questionna Maggie.

—J'ai terminé un peu plus tôt que d'habitude, oui. J'ai fini en avance tout ce que j'avais à faire. Et comme tu rentres souvent tard quand tu es d'enquête, j'ai pensé qu'on pouvait se faire une petite soirée un peu sympa. Ça fait longtemps. »

Maggie acquiesça. Ils échangèrent d'autres banalités avant de passer à table.

Le repas fût succulent. Si Alex n'était pas toujours adroit en cuisine, il adorait ça et arrivait toujours à se débrouiller pour servir des plats de qualité. Malgré tout, plus le dîner avançait, plus Maggie sentait son petit ami tendu. Il lui cachait quelque chose, c'était évident.

Le dessert n'avait pas été fait maison. Alex avait acheté deux pâtisseries dans une boulangerie, par peur de manquer de temps. Elles étaient délicieuses.

Une fois leur dessert avalé, Alex se lança :

« —Maggie, j'ai quelque chose à te demander. »

Il avait prononcé cette phrase sur un ton très solennel, en se frottant les mains sur ses cuisses, signe évident de stress.

Maggie fixa son petit ami avec des yeux grands ouverts et le cœur qui battait à tout rompre. Pas le mariage, pensa-t-elle soudainement paniquée. Elle n'était pas prête pour un tel engagement. Son passé, ses démons, étaient encore trop présents en elle pour qu'elle puisse imaginer de tels projets.

Soudain, une pensée encore plus terrifiante s'imposa à elle. Un bébé. Il veut un enfant. Alex était 12 ans plus âgé qu'elle. Il était évident que le jour où il voudrait fonder sa famille arriverait vite. Si Maggie n'était pas prête pour se marier, elle l'était encore moins pour devenir mère. Elle, l'orpheline, qui avait vécu de foyer en foyer et de famille d'accueil en famille d'accueil. Saurait-elle un jour être mère ? Arriverait-elle à aimer et élever un petit être qu'elle aurait mis au monde ? Non, à l'heure actuelle, la réponse était non.

Si elle savait qu'elle voulait passer sa vie avec Alex, elle n'arrivait pourtant pas à se projeter dans un mariage et une vie de famille. Il avait été trop instable pendant leurs premières années de relation. Elle avait encore besoin de temps avant de lui faire entièrement confiance à nouveau. Épouse-t-on un homme dont on pense qu'il pourrait partir d'un jour à l'autre ? Fait-on un enfant avec ce même homme ? Non.

Mais pouvait-elle vraiment lui répondre « non » à l'une de ces deux questions ? Si elle le faisait, elle le briserait sans doute à jamais et leur relation s'arrêterait là. Elle ne pourrait pas le supporter. Elle avait besoin d'Alex à ses côtés. C'était son équilibre, sa force. Alors, elle devrait lui dire oui, mais ce serait contraire à ses envies et besoins. Elle était piégée. La pièce se mit à tourner dans sa tête au fur et à mesure qu'un malaise grandissait en elle. Elle aurait préféré se faire inviter au dernier moment chez l'un de ses collègues, et rater cette soirée qui, jusque-là, avait été parfaite. Puis une vague de culpabilité l'assaillit d'avoir pensé une telle chose alors que son petit ami s'était très certainement donné énormément de mal pour préparer tout cela.

« —Je t'écoute, arriva-t-elle à articuler en un souffle.

—J'aimerais beaucoup qu'on s'achète une maison tous les deux. »

Oh le con ! Tout ça pour ça !

Maggie eut un soupir de soulagement qu'elle regretta aussitôt, mais c'était trop tard, Alex l'avait vu.

« —Avec plaisir ! lui répondit-elle armée de son plus beau sourire, espérant ainsi lui faire oublier les quelques secondes qui venaient de s'écouler. On sera beaucoup mieux que dans cet appartement.

—Je suis tellement soulagé que tu acceptes ! J'avais peur que tu ne veuilles pas prendre un aussi gros engagement avec moi.

—Mais pas du tout Alex, je suis super heureuse qu'on ait un tel projet tous les deux ! Tu as déjà des idées de ce que tu veux ?

—J'aimerais beaucoup rester à proximité de Jouville, commença Alex songeur. Pas trop de jardin parce que, il faut se l'avouer, ni toi ni moi n'avons la main verte. Des places de parking à proximité, et pas trop loin de petits commerces. Et un étage avec deux ou trois chambres pour les enfants. »

À ces mots, Maggie se crispa et espéra que son petit ami, qui fit semblant de la regarder avec désinvolture alors qu'il guettait attentivement la moindre de ses réactions, ne l'ait pas remarqué. Ça aurait été trop pour une soirée.

« —Oui, pourquoi pas, lui répondit la jeune femme avec un peu moins d'assurance. À condition que ce soit une construction moderne. Je ne voudrais pas me retrouver avec un vieux cadavre dans mon sous-sol. »

Cette dernière remarque les fit beaucoup rire, ils en avaient besoin.

Le couple continua à papoter de longues minutes avant de décider d'aller se coucher. Une fois au lit, Alex se colla contre sa compagne et lui chuchota à l'oreille :

« —Au fait Mademoiselle Annisterre. Il me semble que vous m'avez interrompu ce matin. J'y ai pensé toute la journée. C'était pas très sympa.

—C'est vrai ? Vous m'en voyez vraiment désolée Monsieur Faitre. Je peux faire quelque chose pour réparer cet affront ?

—Oui, et j'ai plein d'idées. »

Maggie et Alex firent l'amour avec passion. Ils seraient encore plus épuisés le lendemain qu'ils ne l'avaient été aujourd'hui, mais cela leur importait peu, ils étaient heureux. Ils s'aimaient.

Une fois leur affaire terminée, ils s'endormirent le cœur léger. Une pointe de tristesse empêcha Alex de rejoindre les bras de Morphée aussi vite que sa compagne. S'il avait imaginé cette soirée, c'était plutôt pour tâter le terrain. Il se doutait que Maggie penserait qu'il voudrait la demander en mariage, et c'était justement la réaction de la jeune femme, lorsqu'elle aurait compris que ce n'était pas son intention, qu'il attendait.

Maggie avait été soulagée. À tel point qu'elle n'avait même pas pu le lui cacher. Il avait aussi vu qu'elle regrettait sa propre réaction, ce qui le rassurait un peu. Elle n'était pas non plus prête à avoir des enfants. Il le savait déjà, mais elle lui avait confirmé ce soir en perdant son assurance lorsqu'il avait abordé le sujet.

Tout ça n'était finalement pas grave. Un projet à la fois. Il s'estimait déjà heureux qu'elle ait accepté de devenir propriétaire avec lui. Connaissant sa compagne, cet engagement était un pas de géant pour elle. Le principal, c'est qu'elle ait accepté, qu'elle s'y projette déjà, et qu'elle soit heureuse. Le bonheur de Maggie comptait énormément pour lui. Elle avait suffisamment souffert dans son enfance et son adolescence pour enfin avoir droit à une vie meilleure une fois adulte.

C'est tout aussi heureux que sa compagne qu'il finit par s'endormir lui aussi. Le solitaire qu'il avait déjà acheté il y a quelques mois de ça patientera encore un peu au fond du tiroir de sa table de nuit. Chaque projet en son temps.

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