Chapitre 13 - La porte & La morte
— Je ne vous mettrai pas de fers aux pieds, cria le primat Daelus, sa voix à peine audible au milieu des flots qui se fracassaient contre la digue. Mais vous devrez rester à mes côtés.
Aldea, la nuque raidie d'avoir trop gardé le nez en l'air, s'arracha à la contemplation du blizzard. Le magistère se tenait sur un des docks d'urgence de la Tour, sa main difforme offerte pour l'aider à descendre de la chaloupe.
— Sinon quoi ? demanda-t-elle. Vous m'enverrez aux caves ?
Sans attendre de réponse, elle ignora le bras tendu et sauta sur le ponton. Ou plutôt, s'y vautra paumes en avant avec la grâce d'un sac de pommes de terre. La faute aux vagues vicieuses qui secouaient l'embarcation. Bel acte de rébellion. Mais une fierté blessée valait cent fois mieux que de toucher l'infecte peau d'un magistère. En particulier celui-là.
— Vous connaissez l'adage populaire, dit Daelus. Le sage accepte toute aide qui lui est proposée, d'où qu'elle vienne.
— Dans ce cas, je vous propose mon aide pour vous assoir sur un pieu, marmonna Aldea en se relevant.
Le magistère lâcha un rire aussi désagréable que l'ouverture d'une porte de salle des tortures mal graissée.
— Discuter avec vous est des plus rafraichissant, ma reine. Cela dit, je ne plaisante pas pour ce qui est de rester proche de moi. Avec votre crâne rasé et sans collier d'appartenance, les marins excités par l'approche du blizzard pourraient se permettre des choses fort déplaisantes.
Aldea ravala son « Rien d'aussi déplaisant que votre simple existence ». Elle avait déjà assez perdu de temps en chicaneries.
Après avoir rabattu sa couverture sur la tête, elle contourna le magistère pour rejoindre le colonel qui s'éloignait sur la jetée. Non pas qu'elle goûte sa présence, mais sa taille en faisait un coupe-vent des plus efficaces.
Accompagnée par le glas des cloches, ils entreprirent de longer la Tour. Le voile dense de la pluie transformait le dos du colonel en une silhouette fantomatique. De violentes bourrasques déchiraient parfois ce rideau pour dévoiler les fresques ciselées dans le mur tout proche. De loin, ces sculptures pouvaient passer pour minuscules. De près, il était clair que chacune faisait la taille de dix hommes. Ici, des êtres affublés de quatre bras et deux têtes s'affrontaient en un entrelacs de membres coupés. Là, une meute de loups jetait une masse sombre de crocs et de cornes dans un précipice. Les historiens se déchiraient sur la signification de ces milliers de scènes, mais qu'importait leur message. À cet instant, seule leur beauté fascinait Aldea.
Sa contemplation s'interrompit lorsque la porte des hurlements surgit au milieu de la colère des éléments. Impossible de rater les imposants battants de bronze marqués du profil jumeau du Dieu-Double. Aussi hauts que quatre mâts de caravelle, et larges de deux, il était dit que leur taille aurait pu rendre humble les Titans de l'ancien temps.
Ses deux vantaux n'étaient plus espacés que d'une largeur d'épaules. Le verrouillage total de la Tour était imminent.
Le colonel pressa le pas. Aldea tâcha de suivre son rythme en dépit d'un lancinant point de côté qui ravivait les douleurs de son flanc. L'un derrière l'autre, ils se glissèrent entre les six mètres de mâchoires de bronze les séparant du hall intérieur. Large d'épaules, Rovan se plaça de profil pour passer. Alors qu'il s'apprêtait à atteindre le seuil de la Tour, il s'arrêta net. Un grincement retentit.
— Non ! couina le colonel. Merde, merde, merde. Mon plastron. Je... je suis coincé.
Un second grincement se mêla au premier, comme pour faire échos aux frissons qui courraient le long de la colonne d'Aldea. Elle plaqua ses mains contre les immenses surfaces métalliques dans l'espoir vain d'en ralentir la fermeture. Rovan se débattait. Son plastron se déformait lentement sous la pression, comme s'il n'était qu'un vulgaire insecte entre des encyclopédies.
— Aides... moi, gémit-il.
La plainte du colonel brisa la gangue d'angoisse qui tétanisait Aldea. Elle caressa un instant l'idée de laisser mourir ce traitre, mais sa soif de vengeance ne se mariait pas si facilement à l'atrocité d'un lent écrasement. Et puis, son corps bloquait le passage. Elle n'aurait jamais le temps de l'escalader avant la fermeture totale.
Résolue, elle le percuta aussi violemment que possible. Le choc envoya une intense douleur rayonner dans son épaule, mais le colonel frémit à peine.
Le cliquetis des engrenages du mécanisme de fermeture égrenait son compte à rebours morbide. D'autres cris paniqués s'élevèrent de l'intérieur de la Tour. Un soldat des Lames se précipita pour agripper le bras de Rovan. Malgré ses ahanements de possédé, ses efforts n'eurent guère plus d'effet qu'une flatulence pour arrêter un cyclone.
Le sens de l'humour du Dieu-Double manqua de faire glousser Aldea. Elle avait prié pour retrouver l'étreinte protectrice des murs de sa Tour. Elle n'aurait jamais imaginé qu'il lui accorderait ce souhait aussi littéralement.
— J'ai parfois l'impression de devoir me charger de tout, marmonna le magistère.
Le bras du primat surgit par-dessus Aldea. Lorsque sa paume se posa sur le plastron déformé de Rovan, l'armure s'évapora, dévoilant le gambison dissimulé en dessous. Dans un cri bien trop aigu pour son corps massif, le colonel libéré s'écroula en avant.
Aldea se jeta à sa suite. Elle retint un hurlement lorsque la porte comprima ses épaules. D'une secousse, elle s'arracha à l'étau et courut plusieurs mètres avant d'oser s'arrêter. Le magistère suivait, la tête aussi haute que s'il flânait dans les jardins.
Le vent gémit une dernière fois alors que la porte se refermait dans un lourd claquement qui fit trembler le sol.
Dissimulé par sa respiration rauque et le fantôme du souffle de la tempête qui sifflait encore à ses oreilles, Aldea ne remarqua pas tout de suite l'intense brouhaha qui régnait dans le hall.
Derrière les hautes palissades qui permettaient de canaliser le flot de réfugiés, une foule disparate de marin, esclaves et autres débardeurs patientait le temps que la tempête passe. Pour être autorisée à les rejoindre au cœur de la Tour, il fallait franchir un poste de garde surveillé par une dizaine de soldats de l'étage des Lames. Ceux-ci fouillaient sacs et habits pour s'assurer qu'aucun petit malin ne profitait de l'état d'alerte pour faire passer des produits de contrebande.
Aldea inspira longuement tout en admirant les arbres d'obsidienne qui soutenaient les multiples clés de voute du plafond. Avec leur feuillage d'émeraude qui semblait n'attendre qu'un souffle de vent pour prendre vie, ils étaient encore plus magnifiques que dans son souvenir. En dépit de sa situation, elle ne put retenir un infime sourire.
Elle était de retour !
— Ta capuche, beugla quelqu'un avec l'amabilité habituellement réservée aux chiens galeux.
Aldea sursauta. Un soldat la fixait. Il essayait de compenser sa jeunesse en fronçant sourcils et nez pour se donner l'air d'un dur. Le résultat tenait plus de la constipation.
— Enlève ta foutue capuche. C'est interdit dans l'enceinte de la Tour. Dernier avertissement.
Tout en se retenant de lui ordonner de surveiller son langage, elle obtempéra. La chaleur moite du hall sur la peau de son crâne était un délice après le crachin. Si elle n'était pas totalement nue en dessous, elle se serait volontiers débarrassée de sa couverture détrempée.
— Qui est ton maitre ? Un esclave doit toujours être accompagné ou fournir la preuve de son appartenance et de ses droits de transit, dit le soldat sur le ton blasé de celui qui récite un texte appris jusqu'à l'écœurement.
Aldea hésita un instant à lui dévoiler son identité. Une escouade complète gérait le point de contrôle. S'ils reconnaissaient leur reine, ils pourraient maitriser Rovan et le magistère. Mais elle renonça bien vite à cette idée. Dans son état, les seuls coups de main qu'elle pouvait espérer viseraient son visage.
— Mais c'est pas vrai, beugla Rovan en se précipitant vers le garde. Ne me dites pas que c'est le Blizzard qui vous empêche de réfléchir ? Il est évident qu'elle m'accompagne, et lui aussi.
Le colonel désigna le magistère. Celui-ci observait l'agitation de son air perpétuellement amusé. Personne n'avait encore osé l'approcher. Difficile de les en blâmer.
— Mon colonel. Je, c'est le protocole... Il... Il faut remplir le registre.
— Pensez-vous que je l'ignore, sergent ? J'apprécie votre zèle, mais laissez mon personnel tranquille. Nous allons régler ça directement entre nous. Suivez-moi.
Aussi blanc qu'une première neige, le soldat emboita le pas de son supérieur. Le magistère en profita pour venir se placer à côté d'Aldea. Bien trop près.
— Pauvre colonel, dit Daelus. Entre votre rejet et ce petit accident avec la porte, l'amour qu'il porte à la Tour semble très unilatéral. Mais dites-moi, le temps qu'il s'occupe de la bureaucratie, je me demandais. Savez-vous d'où vient le nom de la porte des hurlements ?
L'incongruité de la question prit Aldea au dépourvu, mais elle se ressaisit bien vite. Tout ce qui lui permettait de temporiser son arrivée aux caves était bon à prendre.
— Tortionnaire, génocidaire et maintenant historien, dit-elle. Quelle dilettante vous faites, primat Daelus. Si vous tendez l'oreille, vous aurez votre réponse.
A ces mots, un sifflement aigu fit vibrer la porte des hurlements. Son intensité augmenta jusqu'à devenir aussi physiquement douloureux que les cris d'un chat écorché vif. Le blizzard rouge passait sa rage sur la Tour, et le ferait pendant plusieurs heures au moins.
L'œil de son côté ravagé mi-clos, le magistère hochait la tête, appréciateur, comme si l'horripilant bruit était une sonate de Maldivi en personne.
— Oui. Bien sûr, dit-il. Le vent porte les imprécations des démons. Ils hurlent pour qu'on les laisse entrer dans leur ancienne demeure. Je connais la légende. Mais ma question concerne les véritables raisons. Celles qui remontent aux premiers colons. Les connaissez-vous ?
Bien qu'elle ne veuille l'avouer, la question piquait la curiosité d'Aldea. À sa connaissance, les archives de l'étage des Lettres ne contenaient aucun document de première main sur cette époque. Tout au plus remontait-on jusqu'à la 4e génération. Mais les magistères avaient peut-être accès à des ouvrages plus anciens.
— Je ne les connais pas, mais je suis certaine que votre question était purement rhétorique alors éblouissez moi.
— Savez-vous ce qu'il y a de plus terrible dans le châtiment de l'Envol ?
— Je ne sais pas, répondit-elle, les dents serrées par les souvenirs que cette question remuait. Le fait de mourir est un bon candidat.
— Au contraire, c'est la partie la plus simple. Non, le pire, c'est l'inéluctabilité. Une fois lâché, rien ne permet d'échapper à la mort. C'est cette certitude qui fait hurler les condamnés. La douleur de l'impact est trop brève pour être perçue.
— Et le rapport avec votre question ?
— En ce sens, l'Envol est presque trop miséricordieux, poursuivit Daelus comme s'il ne l'avait pas entendu. Le sentiment d'inéluctabilité ne dure que quelques battements de cœur, tout au plus. Pas assez au goût des premiers colons et leurs descendants. C'est pourquoi, ils procédaient différemment.
Le magistère approcha de la porte des hurlements. Il fit glisser un doigt le long de la jointure. Son ajustement quasi parfait la rendait à peine visible.
— Ils les plaçaient ici, la ou les battants se rejoignent. Les condamnés, j'entends. Ils faisaient fusionner leur dos avec le bronze de telle sorte que les en retirer les auraient tués. Puis ils attendaient simplement qu'un blizzard-rouge déclenche la fermeture des portes. Pendant ce temps, ils les nourrissaient, les soignaient... La certitude de mourir dans d'horribles souffrances à de quoi briser l'esprit des plus braves. Ainsi naquit son nom.
Un frisson saisit Aldea, mais elle le dissimula derrière un sourire confiant. Elle avait assez soupé des sadiques qui cherchaient à la terrifier de leurs histoires à dormir debout.
— Vous avez raté votre vocation, primat Daelus. Vous devriez intégrer une troupe de saltimbanques. Ils raffolent de fadaises dans ce genre.
Le magistère la jaugea un long et inconfortable moment.
— L'unique menteur dans tout ça est le temps. Son filtre déforme le passé et nous n'en retenons que ce qui nous arrange. À cause de lui, les suppliciés deviennent les démons des légendes parce que cela nous grandit. Derrière chaque vérité que l'on prend pour acquise se dissimule une part d'ombre. Surtout en ces lieux. Vous comprenez ?
— Je comprends surtout que, quel que soit le nom donné à cette porte, c'est grâce à elle si nous pouvons avoir cette déplaisante conversation. Le temps ne changera rien à cette vérité.
Le magistère sourit de plus bel et sembla chercher ses mots un instant. L'arrivée du colonel l'interrompit.
— Tout est en règle Votre Sainteté. Nous pouvons y aller.
Le magistère acquiesça avant de faire signe à Rovan de passer devant. Accompagné par des saluts militaires raides, celui-ci franchit les palissades du poste de garde. Aldea suivit, sous l'impulsion du magistère.
À peine eurent-ils dépassé les barricades qu'une marée de corps les engloutit. Les odeurs aigres de sueurs et de crasses agressèrent les sinus d'Aldea. Sa respiration se bloqua dans l'étau de sa gorge. Les sources de danger la submergeaient. Des coudes pointus surgissaient de toutes parts tandis qu'une pluie de bottes tentait d'écraser ses pieds nus.
Même recroquevillée, même minuscule, le moindre mètre était une épreuve. En plus du bric-à-brac d'étals et autres boutiques improvisées qui gênait les déplacements, des rabatteurs alpaguaient tous réfugiés qui avaient le malheur de passer à leur portée.
— Porteurs et chariots ! hurlait l'un d'eux. Un dios de cuivre par étage et par kilo de chargement ! Les meilleurs tarifs d'ici au sommet ! Porteurs et chariots !
— Un demi-dios la pinte Messire ! beuglait un autre. Pourquoi s'fatiguer à grimper pour picoler ?
Par les Dieux. Même dans les plus grands bals du sommet, Aldea n'avait jamais vu autant de monde. Enfin, vu... Sentir serait plus juste. Et pourquoi devait-elle affronter ça ? Pour croupir aux caves ?
— Montez une beauté, pas un escalier ! hurla un bateleur. Les plus belles femmes des trois royaumes à deux pas d'ici ! Directement dans l'alcôve de Dialgos IV !
Une vague de colère déferla sur Aldea. Elle tourna en tous sens à la recherche de l'origine de cette voix. Mais la foule changeait sans cesse et brouillait ses sens. Elle n'avait pourtant pas rêvée. Quelqu'un avait bien dit Dialgos IV ! Son propre père !
Des images de femmes lascives besognées par des hommes gras sur un gisant lui envahirent l'esprit. Comment osaient-ils profaner un lieu aussi sacré ? Et les Lames laissaient faire ? D'ailleurs, pourquoi autorisaient-ils ces attroupements alors que l'étage des Denrées n'était qu'à une volée d'escaliers du rez-de-chaussée ?
Aldea se mordit la lèvre pour ne pas crier sa frustration. Comment avait-elle pu rater ce laisser-aller ? Cela faisait mal de l'admettre, mais Mère avait raison lorsqu'elle l'accusait de ne pas connaitre les réalités de sa propre cité-monument.
La colère liée à cette nouvelle déception avait au moins l'avantage de repousser une partie de sa peur de la foule. Suffisamment pour lui faire réaliser une chose : plus qu'un danger, la cohue était un atout ! Elle pouvait s'y perdre. Fuir.
Le colonel s'occupait d'offrir des coups de gantelets à quiconque lui marchait sur les solerets. Il ne remarquerait rien. Le problème venait du magistère. Elle se tourna discrètement. Il ne l'observait que par intermittence, comme on surveille un chiot fou.
Aussi naturellement que ses nerfs lui permettaient, elle pressa le pas et se faufila devant un passant. Ainsi dissimulée, elle se déporta sur la droite et poussa un autre badaud dans la direction du magistère. Profitant des injures qui fusèrent, elle contourna la position de Daelus. Il ne chercherait pas immédiatement à la retrouver dans son dos. Et pour une fois, sa taille était un redoutable avantage.
Une fois certaine qu'il ne pouvait plus la voir, Aldea fonça droit devant. La mâchoire serrée, elle ignora les chocs et parvint même à retenir un cri lorsqu'un talon lui écrasa un orteil. Ses poumons crachaient du feu à chaque inspiration. Mais qu'importe. Seule comptait la distance entre elle et ses geôliers. Et à ce jeu-là, la souffrance la motivait bien plus qu'elle ne l'handicapait.
Alors que la foule commençait à s'espacer, un étau comprima l'ensemble du corps d'Aldea. Son hoquet de surprise s'éteignit en même temps que le contrôle de ses cordes vocales. Sa cage thoracique ne répondait plus. Sa respiration non plus.
— Je vous avais pourtant prévenue, susurra le magistère.
La voix semblait s'écouler directement au creux de son oreille, mais impossible de tourner la tête pour le vérifier. Un spasme montait en elle pour chercher de l'air.
— L'inéluctabilité est quelque chose de terrible et je regrette de vous l'infliger, mais vous ne me laissez guère le choix. Que vous le vouliez ou non, vous irez aux caves. La seule chose à décider est si vous souhaitez le faire consciente ou inconsciente.
Des points blancs papillonnaient à la périphérie de sa vision. Ses hurlements restaient prisonnier des parois de son corps.
— Faites oui si vous préférez la première option.
Aldea regagna le contrôle de sa tête, pas de ses poumons. Elle acquiesça frénétiquement en cherchant à reprendre son souffle. Mais c'était comme tenter de respirer après un coup de poing vicieux dans le ventre.
Le piège qui l'enserrait se relâcha sans prévenir. Elle tomba à genoux et aspira une longue goulée d'air. Les larmes lui brûlaient les yeux, mais elle les chassa d'un revers de main.
Ce fumier de magistère lui accorda à peine un regard. Le colonel les rejoignit un instant plus tard, essoufflé. Aldea ne tenta même pas de résister lorsqu'il lui agrippa un bras pour la trainer à sa suite.
Après plusieurs minutes d'un trajet silencieux, ils contournèrent l'escalier central. L'entrée des caves se dissimulait dans son ombre, comme un secret honteux. Un jeu complexe de poulies maintenait une plate-forme ascensionnelle au-dessus d'un trou de dix mètres creusé dans le sol.
Dessus, cinq gardes en armures de cuir noir et affublés d'un masque à l'effigie d'un corbeau – la division de la Plume chargée des caves - encadraient une ribambelle d'hommes et de femmes guère mieux attifés qu'Aldea. Dix corps emmaillotés étaient empilés derrière eux. Des familles pleuraient un peu plus loin en attendant le dernier voyage de leurs défunts.
Elle frissonna à l'idée que cet endroit n'avait jamais aussi bien porté son surnom de « puits à cadavres ».
— Mon colonel, dit un des soldats dans un claquement de talons. Nous vous attendions.
— Nos chemins se séparent ici, ma reine, chuchota le magistère. Je prie pour qu'ils se croisent à nouveau.
Aldea ravala le « Et moi je prie pour que vous trébuchiez sur des rasoirs rouillés. » qui lui brûlait les lèvres. La peur de l'asphyxie était encore trop vive. À la place, elle se tourna vers Rovan.
— Si je descends, je suis condamnée. Quel que soit ce que l'on vous a dit ou promis. Vous le savez.
Le jeune colonel fut incapable de soutenir son regard.
— Je prierais également pour vous, murmura-t-il avant de s'éloigner aux côtés du magistère.
Aldea sentit une main gantée de cuir lui agripper l'épaule. Elle se laissa amener jusqu'à la plate-forme. La tête haute au milieu des prisonniers et des corps, elle repoussa la boule d'angoisse qui menaçait de faire exploser son ventre. Elle ne craquerait pas devant ces enflures.
Dans un fracas de grincement, et accompagnée par les pleurs redoublés des familles endeuillés, les treuils s'activèrent. Aldea s'enfonça dans les ténèbres.
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