Atelier surprise [03h30]

CINQ MINUTES: UN CADAVRE

[À trois heures et demie du matin, je reviens d'une sortie à l'extérieur du cégep (j'étais allé prendre l'air avec une autre fille; il y avait comme une lourdeur désagréable dans l'air renfermé du bâtiment). À notre retour, il y a sur nos tables un bout de carton: au recto, une partie d'un portrait, au verso, quelques lignes textuelles. Atelier surprise! nous devons compléter le portrait, nous mettre en équipe, et écrire, en s'inspirant des lignes à l'endos des cartons, un cadavre exquis. J'ai le menton, je pense, de Léopold Sédar Senghor. Un grand merci à Victoria, Oscar et Christelle.]

Nuits d'insomnie ô nuits de Manhattan ! si agitées de feux follets, tandis que les klaxons hurlent des heures vides (Sédar, À New York)


À tous ceux qui, à l'heure où les grands bras sont tristes comme les branches battues du soleil

Le soir, se groupent frissonnant autour du plat de l'amitié (Sédar, Lettre à un prisonnier)


Ta lettre sur le drap, sous ma lampe odorante

Bleue comme la chemise neuve que lisse le jeune homme

En chantonnant, comme le ciel et la mer et mon rêve (Sédar, Ta lettre sur le drap)


Je veux assoupir ton cafard, mon amour

Et l'endormir,

Te murmurer ce vieil air de blues

Pour l'endormir. (Sédar, Spleen)

  ∗ ∗ ∗  

La porte de la cellule se referme dans un bruit sourd.

— Vous avez cinq minutes, dit le Garde.

Cinq minutes. Elle ne semble pas à sa place, ainsi derrière les barreaux. Elle semble y avoir vécu déjà toute sa vie. Elle regarde le sol, les dalles poussiéreuses, le carrelage délaissé au passage du temps.

Cinq minutes. Il a déjà ces yeux vides et caractéristiques de ceux qui savent que leur fin est proche. Lentement, il s'approche d'elle, ne semble pas savoir où placer ses mains, qui pendent inutilement à ses côtés, s'agitent et retombent.

Quatre minutes quarante. La femme fait un pas en avant, sans un mot, le prend dans ses bras.

Il étouffe un sanglot, blottit sa tête dans le creux de son épaule.

Quatre minutes. Il essaye d'arrêter. Il s'écarte. Il n'ose pas la regarder dans les yeux.

Elle ne parle toujours pas. Il y a trop à dire, pas assez de temps.

— Avant de m'excuser, je dois te montrer quelque chose.

Il recule, s'assied sur son lit. il déplie sa couverture, pose une enveloppe sur ses draps. Il la prend, la tend vers elle, qui elle-même la prend.

[Avec la moitié du temps alloué d'écoulé, l'équipe d'à-côté prend notre cadavre embryonnaire — il n'est pas fini — et y ajoute sa propre tournure. J'ajoute quelques lignes rimées à leur poème. C'est à propos d'une tempête, d'un orgasme, de la femme et d'éléments de la nature. Cela fait très Soleil et chair de Rimbaud. Je l'ai trouvé cocasse au début, mais il était très beau, en rétrospective. Ce que j'ai écrit, c'est l'amalgame de nos idées. Je vous mets aussi ce que le reste de l'équipe a écrit.]

VICTORIA

C'est le dernier jour du [con]damné, les dernières minutes avec sa bien-aimée.

Leur dernier bais[er] est une confirmation que leur amour traversera le temps et l'espace.

L'un est condamné à mourir, mais l'autre est condamné[e] à bien pire, apprendre à vivre avec la conscience d'avoir été arraché[e du] bonheur.

OSCAR

[Son texte a été incorporé dans son intégralité dans le mien.]

CHRISTELLE

Si les frêles moments qui nous restai[en]t, ma douce, sont nos derniers, enlaçons-nous et laissons les paroles de nos coeurs couler ensemble/en filet. Tu me vois attaché à ce cachot et j'apprends aujourd'hui qu'il sera ma dernière maison. Les regrets me rongent l'esprit et me courbent le dos, car je n'ai pu t'offrir ce que tu méritais. Je ne dors plus, je suis insomniaque; je ne rêve plus, mes désirs aboutissent à un cul de sac.

[Ah, et si vous ne l'aviez pas deviné, tout cela se passe au milieu de la nuit, dans un cachot quelque part près de New York, un jeune homme sur le point de se marier est emprisonné et montre un dépliant d'agence de voyage à sa fiancée, parce qu'ils prévoyaient un voyage de noces, si ce n'était pour une fâcheuse exécution.]

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