CHAPITRE 7

   J'aurais dû me douter qu'il y avait quelque chose de bizarre dans cette ville, une ombre grandissante qui n'attendait qu'un clap retentissant pour faire son entrée. Mais comme bon nombres d'habitants, j'avais préféré fermer les yeux. Il était plus rassurant de me dire que tout allait bien, que j'étais comme en vacance ici et que d'ici un mois, ou deux, je serais de retour chez mes parents.

La rentrée est dans deux jours et je n'ai toujours pas eu de nouvelles de mes parents. Mes messages vocaux doivent s'empiler dans leur messagerie, à moins qu'ils ne les écoutent – ou effacent, mais je ne préfère pas y penser.

Le reste du temps, Carla et Bill font en sorte que je n'y pense pas. Avec Cidna, ils nous ont plusieurs fois ramenés faire des achats pour la rentrée. Ma cousine et ma tante m'ont conseillé d'acheter un nombre phénoménal de vêtements, d'accessoires et de chaussures, sous excuse qu'ils m'allaient bien. Carla me disait que le shopping était le remède pour aller mieux, elle avait tort. Mes parents me manquent et leur absence m'affole.

Sinon, nous avons fait plusieurs sorties ou barbecue dans le jardin, près de la piscine. Cidna passait la plupart de son temps sur son téléphone, tandis que Carla feuilletait son magazine de mode préféré. Pendant ce temps, Bill était heureux d'apprendre à quelqu'un comment retourner un steak d'un seul coup de poignet. Je n'avais revu ni Jay, ni Peter. Par contre, Jay avait tenté de me contacter via les réseaux sociaux. J'avais préféré l'ignorer, comme d'autres que j'avais vus à la fête. Il était probable que je parte bientôt, alors autant que je ne m'attache à personne et inversement. À moins que ce n'était qu'une excuse pour ne pas faire connaissance avec des étrangers ?

Si Cidna avait été au courant, elle se serait tiré les cheveux. En effet, toutes ses tentatives pour me sociabiliser avaient échoué.

Ce matin-là, quarante-huit heures avant le retour sur les bancs de l'école, Carla décide que nous devons renouer avec la nature. Quoi de mieux pour cela qu'un panier repas, quatre vélos et le parc de la ville ? Je termine de me préparer, réussit à éviter ma cousine qui voulait me maquiller et enfourche mon deux roues.

— Ne boude pas ma chérie, tu es magnifique, déclare Clara en lui caressant la joue.

Visiblement, Cidna semble mal à l'aise lorsqu'elle porte des baskets. Elle ignore sa mère et vient se mettre en selle à son tour. Bill émet un rire léger, qui s'envole dans le ciel en même temps que les oiseaux, pendant que nous nous mettons en route.

Le parc se trouve un peu en périphérie de la ville et est directement relié à une réserve naturelle. L'espace bois a été aménagé, et accueille plusieurs activités : camping, plage, table de pique-nique... beaucoup de famille viennent s'y retrouver. Ils partagent alors un bon repas, une partie de foot et j'en passe.

Ma cousine semble nerveuse par rapport à sa réputation. Bill m'a expliqué que le parc est connu pour être fortement fréquenté pendant les vacances et se garer autour était une plaie. D'où la bonne idée de Carla pour le vélo. D'ailleurs, elle et moi roulons en tête de file, filant comme le vent. Bill et sa fille suivent à leur rythme, mais Cidna semble toujours aussi tendue. Pourtant, mes cheveux bruns dans le vent, j'apprécie la caresse de la brise. Cette journée me tient la promesse qu'elle serait magnifique.

La chaleur du soleil se diffuse lentement sur ma peau. C'est agréable, presque hypnotisant. La ville en elle-même est calme ce jour-là. Par contre, c'est sans surprise que nous découvrons toute une population euphorique au parc. Nous passons les grilles en métal forgé et, aussitôt, les Johnson sont assaillis de toute part. Ici, tout le monde les connait : Bill et Clara sont tous les deux associés dans une grande entreprise. En plus de cela, ils font partie de plusieurs associations et, de manière générale, ils sont plus qu'appréciés.

Plusieurs têtes se relèvent sur leur passage pour les saluer, puis ils froncent des sourcils lorsqu'ils m'aperçoivent. Je tente de ne pas me laisser atteindre par ce revirement de comportement. Dans cette petite ville, tout le monde connait tout le monde. Forcément, mon arrivée n'est pas passée inaperçue.

Choisir un coin tranquille pour passer cette journée n'a pas été évident. Heureusement, nous trouvons enfin notre petit paradis, au pied d'un grand chêne au tronc large et aux feuilles faisant office de parasol. Cidna semble aux anges, elle descend rapidement de son vélo qu'elle laisse en plan sur l'herbe frémissante sous le vent, avant d'ouvrir une grande parure pour pouvoir s'allonger.

— Enfin, c'est pas trop tôt ! se plaint-elle en s'allongeant, sortant son téléphone de sa poche. Plus jamais vous me ferez sortir comme ça.

— Tu es moche quand tu te plains, tu sais ?

— Papa ! s'écrie ma cousine en tentant de taper son père.

Ils commencent alors à se taquiner, lorsque Clara m'invite à préparer l'autre parure de taille familiale qui pourra nous accueillir, elle, Bill et moi.

— Comment tu te sens ? m'interroge ma tante une fois installées. Tu m'as l'air d'avoir bien meilleure mine ces derniers temps.

En même temps, elle me pince une joue, ce qui m'arracha un sourire. Derrière-nous, Bill continue d'embêter sa fille.

— Je vais bien. À vrai dire, je dors beaucoup mieux. Ce n'était pas facile au début mais... je me dis que tout ira pour le mieux maintenant.

Clara pose sur moi un regard tendre, qui m'incite à continuer. D'une main, je caresse des fins brins d'herbes, qui me passent sous les doigts.

— Mes parents ont tout le temps et l'espace qu'il leur faut pour soigner leur blessure. Je suis certaine qu'après, ils viendront me chercher. Et tout ça sera enfin dernière nous.

Du moins, je l'espère. Je ne peux penser autrement. Il est bien trop difficile d'admettre que mes parents ont possiblement tiré une croix sur moi. Leur propre fille. Nous passons le reste de la matinée à discuter tous ensembles et à jouer aux cartes. Enfin, nous mettons la table à table et dégustons le bon plat que Carla et moi avons cuisiné. À la fin du repas, nous avons tous le ventre si plein, que maintenant, le sommeil nous appelle. Bill et Carla s'allongent pour piquer un somme, tandis que Cidna se lance un film sur son portable.

De mon côté, je sors un bouquin de mon sac et me mets à lire un peu. Après un chapitre mouvementé où mes protagonistes préférés se font poursuivre par un monstre, je décide de relever la tête de mes pages. Autour de moi, le parc s'est calmé. Les parties de jeu bruyant laissaient place au repos quasi-général d'après le repas du midi. Des familles mangeaient toujours, sur ma droite, une mère nourrissait son fils à la cuillère. Sur la gauche, d'autres sommeillaient ou s'occupaient tranquillement. J'apprécie les rires des enfants, cette bonne ambiance générale sous un soleil doux et réconfortant.

J'en oublie presque tous mes soucis et respire d'aisance. Ce lieu est vraiment immense. Si bien, que le lac n'est presque qu'un point à l'horizon, malgré son titanesque volume. Mon regard continue de parcourir le parc, passant sur les arbres centenaires, les bosquets fleuris éclatant de couleur, les familles heureuses, les sourires contagieux et...

   Peter ?

Je cligne lentement des yeux. Peter est debout, à une dizaine de mètres et tourne subitement la tête quand mon regard se pose sur lui. Il se trouve du côté de l'entrée de la réserve naturelle, ouverte aux joggeurs et à ceux qui veulent promener leurs chiens.

   Trop tard, je t'ai vu.

Il est habillé d'une salopette des travaux publics, d'un t-shirt aux manches retroussées et tient une cisaille qu'il utilise pour tailler un arbuste. Il semble seul, bien que d'autres travailleurs sont parsemés un peu partout dans le parc. Je me relève, lentement.

— Où tu vas ? me demande Cidna subitement intriguée.

   Moi qui la croyait absorbée dans son film...

— Dire bonjour à un ami.

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