CHAPITRE 5

— Salut beauté, tu es venue seule ?

   Et merde.

Maman m'a bien parlé de ces endroits de débauches, où viennent se rencontrer toutes sortes de personnes. Elle me confiait qu'il y a différents individus qu'on peut croiser dans les bars. Déjà, il y a le barman et, en même temps, propriétaire – du moins, c'est souvent le cas que la même personne occupe ce rôle. Ce dernier est plus ou moins scrupuleux et l'on ne peut pas toujours lui faire confiance. Il est du genre à bien saluer les habitués. Ceux-là, sont du genre à consommer sans compter, entourant la table de billard, tentant de jouer malgré l'alcool qui prend progressivement le contrôle de leur geste.

À ma droite, une partie est engagée. D'ailleurs, ceux qui semblent avoir pris une avance considérable se mettent à beugler pour fêter leur victoire, gagnée d'avance.

— Tricheur ! crie l'un des adversaires, éméché comme un dindon.

— Ta gueule, rétorque l'autre.

   Quelle répartie.

— Pff, les muettes, ça m'intéresse pas.

L'homme qui m'a abordé à mon entrée, partit s'occuper de quelqu'un d'autre. Il est habillé de manière douteuse, marche bizarrement. Il est vieux, sans doute veuf ou divorcé. Maman les appelle les déchus de la société. Ils ne savent rien faire d'autre que de boire, jusqu'à ce qu'ils soient assez mûrs pour que la Mort puisse venir les cueillir. Je remarque quelques regards appuyés sur ma personne, il est vrai que - et je dois remercier ma cousine Cidna pour cela - ma tenue ne passe pas inaperçue. Je me rassurrre en me disant que je ne suis pas la seule femme présente ici.

En effet, l'une d'elle, appuyée contre le comptoir et habillée de façon aguicheuse, me regarde de haut. La quadragénaire est entourée de filles plus jeunes, sans doute une femme qui n'a pas pu profiter de sa jeunesse et qui la rattrape maintenant. Sa jupe est courte et elle a une manière plutôt vulgaire de se comporter. Penchant son corps en avant, elle dévoile des fesses légèrement affaissées, que certains ne manquaient pas d'observer. Elle détourne finalement son regard du mien et se concentre sur sa bière qu'elle vient à peine d'entamer, c'est là que je comprends que je danse d'un pied sur l'autre.

Tout en tentant d'ignorer le mieux que je peux toute cette attention, j'avance lentement jusqu'au comptoir. Plusieurs personnes y sont accoudées ou assises, certaines s'attardant sur un match de football tout en criant. D'autres discutent bruyamment, mais l'humeur est joyeuse de manière générale. Une fois arrivée, le barman, qui est un homme de la cinquantaine d'année, me fixe.

Il sonde mon visage, tout en se demandant sûrement s'il me connait. Il a la peau mate et ses cheveux grisonnants retombent en queue basse dans son dos. Je remarque la naissance d'un tatouage à l'arrière de sa nuque, qui commence légèrement à l'avant de son cou.

   Tiens, un amérindien...

— Tu fais quoi ici, gamine ? Je pourrais voir ta carte d'identité ?

Je tilte. Ce patron ne fait pas partie des scrupuleux. S'il me pose la question, c'est qu'il ne laisse pas boire les mineurs dans son établissement.

— Bonsoir, ce n'est pas pour ça que je suis ici. En fait, j'aurais besoin de passer un coup de fil. Si c'est possible, bien-sûr.

— Ouais, passe par là, me fait-il signe vers une porte menant dans l'arrière-boutique. Je t'appelle un de mes serveurs.

Je suis donc la direction qu'il m'a donnée, m'arrêtant à côté de la porte. Ici, c'est déjà beaucoup plus calme. Des tourtereaux s'embrassent langoureusement sur l'une des banquettes. Totalement perdue dans mes pensées, je n'entends pas arriver un jeune homme, habillé de son vêtement de serveur.

— C'est toi qui a besoin de passer un coup de fil ?

Je sursaute, tendue.

— Oui, c'est moi. Bonsoir.

Il fronce les sourcils, lorsqu'il se met à me regarder de haut en bas, puis m'invite à entrer dans l'arrière salle. Il en fait de même, puis laisse la porte entrouverte.

— Tu..., dit-il, subitement gêné. Est-ce que tu as eu un problème ? Tu as fait une mauvaise rencontre ?

Je le regarde, perplexe. De quel problème veut-il parler ? Je lui fais comprendre mon incompréhension et le jeune homme, comme seule réponse, désigne mes jambes nues et mes pieds. Je regarde ces derniers, ahurie. Effectivement, ils n'ont pas fière allure. Ils sont sales, mes talons étant restés dans mes mains.

— Oh, non, tout vas bien, essayé-je de me rassurer.

Il n'a pas l'air convaincu et se contente de hausser les épaules. Il part dans un coin de la pièce où se trouve un canapé ainsi qu'un plaid, appartenant sûrement au personnel. En me le donnant, ses doigts effleurent les miens quelques secondes. En effet, sa peau chaude contrastant avec la mienne.

— Tu dois être gelée, il ne fait pas très chaud ces derniers temps.

Le regard plein de sollicitude qu'il me porte eut pour effet de me réchauffer, intérieurement cette fois. Si je peux dire, bien que je ne le connais que depuis quelques secondes, ce garçon est l'exact opposé de Jay. Du glacial, Jay.

— Merci.

Ainsi, je couvre mes genoux, affichant un sourire sincère sur mon visage. Je me sens beaucoup mieux ici, au calme, au chaud et en sécurité à l'arrière de ce bar.

— Tu peux utiliser le fixe. Je vais rester ici, si ça ne te dérange pas, Carlo n'apprécie pas vraiment les étrangers.

J'acquiesce, faisant signe que je comprends. Carlo devait être le barman avec qui j'ai échangé ces quelques mots. Je me rends donc jusqu'au poste, faisant attention à cette petite salle, minuscule certes, mais complète. Autant dans l'ameublement que dans la décoration : à la fois efficace et accueillante. Je suppose que ce Carlo doit être aimable avec son personnel. Plusieurs photos sont affichées sur les murs, représentant les différents employés. Sur l'une d'elles, je reconnais celui qui m'a accompagné dans cette arrière-salle. Je me rends compte maintenant de sa grandeur, dominant de plusieurs centimètres, ses congénères.

Ce qui m'interpelle peut-être le plus, c'est l'intensité qui habite son regard : il y a à la fois quelque chose de terriblement mystérieux... et poignant. Je me promets d'y faire plus attention lorsque je lui ferai à nouveau face. Entourés de ces garçons et filles, tout sourire aux lèvres, il dénote grandement.

Sans attendre davantage, je compose le numéro de Carla. Elle répond rapidement, je lui explique ma situation.

— J'étais à la soirée, avec Cidna. Mais quand j'ai voulu partir, je me suis rendue compte que je n'avais pas mon téléphone avec moi. Je me suis dit que marcher un peu ne me ferait pas de mal.

— Tu es inconsciente, déclara-t-elle doucement. Bon, dis-moi juste où tu es.

— Dans l'arrière salle d'un bar, celui sur le chemin menant chez Steve. On est passé devant lorsque tu nous as déposés.

— On arrive tout de suite.

Ainsi, elle raccroche. Je dépose le combiné, puis me retourne.

— Merci beaucoup. Je ne vous dérange pas plus, je vais attendre dehors, dis-je en me déplaçant vers la sortie, prête à lui rendre le plaid.

— Tu n'es pas obligé, déclare le jeune homme en faisant un pas vers moi. Euh, tu n'es pas obligé d'attendre dehors, seule, dans le froid. Je vais prendre ma pause alors, si tu veux, tu peux rester ici.

Son regard croise le mien quelques instants, des cernes lui couvrent le visage tel un panda. Il est vraiment jeune, devait avoir mon âge en fait, si ce n'est un an de plus. Grand, plutôt bien bâti, je remarque un estomac bien rempli sous sa chemise de serveur. Malgré sa bonne santé apparente, il semble rongé par les tracas et fatigué. Que dis-je ? Épuisé serait plus juste.

— Merci. Je m'appelle Abelle, lui dis-je en regardant où je peux m'installer.

— Peter, ajoute-t-il en me désignant une chaise rangée derrière une table. Tu veux boire quelque chose ?

Son regard ne quitte pas le mien. Je lis dans ses prunelles chocolat une certaine compassion. Son visage est doux, ses joues pleines parsemées d'une barbe naissante et ses lèvres me souriaient.

   Un gentil garçon, comme les appelle maman. Travailleur et attentionné.

— De l'eau, merci.

Cette fois, je ne compte pas m'éclipser. Avec ce garçon, Peter, je me sens bien. Il ne semble pas aussi malfaisant que Jay. Il est gentil ou, du moins, il en a l'air. De plus, il y a effectivement ce petit quelque chose dans ses prunelles. Cette petite étincelle, qui me donne davantage envie de le découvrir. Ce mystère... ce...

— Je t'apporte ça tout de suite.

Sans le savoir, il a réussi à me couper dans mes pensées. Quelques minutes plus tard, ma boisson est servie et Peter, appuyé contre le mur, déguste un hot-dog.

— Tu es nouvelle ici ? m'interroge-t-il entre deux bouchées. Je ne t'ai jamais vu. Et, c'est une petite ville ici. Je m'en serais souvenu si je t'avais déjà croisé.

Je crois discerner dans sa voix une certaine curiosité. Dire que Jay m'a à peu près sorti les mêmes paroles. « Je ne t'ai jamais vu ».

— Euh... disons que je suis venue passer quelques temps chez mon oncle et ma tante.

— D'accord, tu repars avant la rentrée, je suppose ?

Je secoue lentement la tête. Après avoir bu une petite gorgée d'eau, je reprends.

— Il y a de forte chance que je sois là pour la rentrée. Au lycée.

Une lueur brille dans son regard : celle de l'inquiétude.

— Tiens donc, rétorque-t-il, amusé. T'as pas choisis le meilleur lycée pour faire ta rentrée, toi.

— Pourquoi ?

Je suis subitement intriguée. Où voulait-il en venir ?

Ses yeux se voilent soudainement, ainsi, il me fait penser à mes parents, regardant dans le vide et perdu dans ce monde que je ne voyais pas. Il baisse alors la tête, morose, avant de se ressaisir. Un nouveau sourire, faux, contrit, barre ses lèvres.

— Ma pause est terminée, déclare-t-il simplement.

Je le regarde partir, impuissante, me faisant signe de le suivre. Je le suis, il m'installe juste à côté de l'entrée sur une banquette confortable. D'ici, je peux voir ma tante débarquer. Peter me débarrasse de mon verre, que j'ai vidé d'une traite.

— Je viendrais récupérer le plaid tout à l'heure. Il te faut autre chose ?

Je secoue la tête.

— Je dois reprendre mon service, bonne soirée, Abelle.

Mon nom dans sa bouche, avec sa voix, sonne agréablement bien. Il me tourne le dos, mais mes paroles sortent de mes lèvres sans que je ne le contrôle vraiment.

— On se verra à la rentrée ?

Finalement, en rencontrant Jay, je me demande si faire ma rentrée ici était vraiment une bonne idée. Surtout que, d'après Cidna, les membres de l'équipe de football ne valent guère mieux. Ai-je vraiment le choix, de toute façon ?

Un des sourcils de Peter se relève, il a l'air surpris. Ses fines mèches brunes cachent légèrement son front. En plus d'être gentil, il est vraiment beau garçon. Il ne répond cependant rien, son sourire s'efface et sa silhouette disparaît d'entre les clients.

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