CHAPITRE 3
Cette allée si sombre pourtant aurait dû me repousser. Au lieu de cela, je m'étais enfoncée dans la tanière du prédateur, avant de tomber nez à nez avec l'Alpha. Si j'avais su... si seulement j'avais su. Mais comment, au juste, aurais-je pu ?
***
— Tu ne vas pas le regretter, lance Cidna après lui avoir fait part de ma décision. Steve Milton possède l'une des plus belles maisons de ce coin pourri.
— Cidna..., gronde alors son père, Bill, qui lisait un journal appuyé contre le plan de travail en granit.
Sa fille l'ignore ouvertement, me prenant à part.
— Ce mec n'est pas méchant, mais pas gentil non plus. Si tu veux te faire draguer ce soir, je te conseille de l'éviter. Il fait partie de l'équipe de football et... disons que ces membres sont plutôt détestables. Mais bon, dans les croyances, ceux qui ne se rendent pas à ce genre de fêtes sont plutôt pris pour cibles.
Je ne réponds pas et la laisse me traîner jusqu'à sa chambre. Nous y sommes restées jusqu'au soir afin de me trouver une tenue convenable. Sans parler de la coiffure... le pire est sans doute le maquillage.
— Stop, lui dis-je alors qu'elle applique une énième couche de fond de teint. J'ai l'impression d'avoir du plâtre sur le visage.
— Comme tu veux, ces cernes sont vraiment moches mais c'est toi qui vois ! J'ai une réputation à tenir, moi, ne me fais pas honte, je t'en prie.
Ensuite, comme promis, Carla nous dépose chez Steve Milton. Sur le chemin, j'apprends qu'il est le fils de l'adjoint du maire de la ville. En même temps, il est l'un des premiers de l'établissement de par ses notes exemplaires et son rang de second de capitaine de l'équipe de football. Mais, malgré sa beauté étourdissante, les filles sont du genre à l'éviter. Disons qu'il inspire la peur. Comme à peu près tous les autres membres de l'équipe.
Personnellement, je m'en fiche pas mal de ce Steve ou des autres garçons que je peux rencontrer. Et je compte bien l'éviter moi aussi, de toute manière.
— Arrête-toi ici, maman ! s'écrie Cidna en tapant sur le tableau de bord.
Comme un bon toutou bien élevé, Carla s'arrête face à un grand portail en fer forgé. Il fait nuit, mais je reconnais un peu le chemin. Nous avons grimpé dans les hauteurs de la ville et, sur une colline entourée de vastes prés, se trouve la demeure tout droite sortie d'un magazine de science-fiction. Tout fait de blanc et de gris, le bâtiment dénote de tout ce qui se trouve autour. J'imagine un instant une maison, faîte de bois et de pierre, d'où une odeur de fumée s'échappait d'une cheminée. Ici, des spots lumineux entourent le chemin menant jusqu'à la bâtisse.
Même sans cela, il aurait été impossible de se perdre. Tout est compris dans la maison, même le garage. Je regarde au loin. Quelques jeunes traînent sur le chemin de gravier menant chez Steve, leur pas crissant dans le caillou blanc. Carla me fait un signe discret, me rappelant que je pouvais l'appeler à tout moment, puis déserte les lieux. Aussitôt, Cidna se tourne vers moi.
— Bon, on se retrouve ici à minuit, okay ? Tu n'acceptes de verres de personne, tu ne te soûles pas, pas de drogues, bref. Et si jamais l'envie te prend de faire des folies, demande d'abord au mec s'il a une capote.
Suite à cela, elle s'éloigne rapidement, me laissant à l'arrière. Elle se retourne une dernière fois.
— Ah, et fait toi des amies, hein ? Si je te couve, personne ne voudra de toi. Alors, fait un effort, ok ?
Elle s'en va définitivement. Sacré Cidna. Je reste là, en plan, sans trop savoir quoi faire. Une nouvelle voiture arrive dans mon dos, m'éclairant de ses phares. Sans plus attendre, le cœur battant à mille et les mains moites, je prends la direction de la villa. Heureusement, contrairement à Cidna, mes chevilles ne risquent pas de se tordre dans ces graviers. Car, par rapport à elle, j'ai pris soin de retirer mes talons – elle s'arracherait les cheveux si elle en a connaissance. De toute manière, marcher avec ces derniers me dérange trop. Et puis, ce n'est pas comme si j'ai l'habitude.
Mes pieds sont gelés. Quelle idée a-t-elle eu de me faire porter cette jupe ? Si je me penche, on verra mes fesses.
Cependant, je n'y pense pas plus. Autre chose attire mon attention. La bâtisse m'émerveille de par sa grandeur et le luxe qui ressort de chaque centimètre de béton. Visiblement, l'adjoint du maire a dû faire carrière dans l'industrie avant de commencer la politique. Aux larges fenêtres, ont voient des silhouettes danser. Les lumières bougent dans tous les sens, de toutes les couleurs : du rouge, du bleu, du vert. Et la musique. Elle s'intensifie au fur et à mesure de mes pas, les basses au rythme des battements de mon cœur. J'arrive enfin en bas des escaliers, ceux menant à l'immense porte d'entrée. Un mec attend, saluant un groupe de jeunes. J'arrête de m'attarder sur lui pour enfiler à nouveau ma paire de talons.
Redressant la tête vers lui, un groupe me dépasse pour pénétrer à leur tour dans la maison. Je ne me sens vraiment pas à l'aise. Je regarde autour de moi, personne ne m'accorde de l'attention et c'est très bien comme cela. Sur le côté, se trouve une sorte d'allée, menant directement dans le jardin. Là-bas, cela semble être plus calme que dans l'immense maison où tous ces corps bougent.
M'y dirigeant, je passe sous l'arche feuillue entourée de buissons parfaitement taillés. Être subitement entouré d'obscurité me rassure. Ici, aucun spot lumineux. Juste l'éclairage de la lune pleine et lumineuse. Je fais quelques pas, toujours pieds nus. C'est magnifique ici. Bordant les haies, des lucioles survolent de petites fleurs blanches, elles aussi plantées en rangées. Il me semble que l'allée est une sorte de labyrinthe où il est impossible de se perdre.
Au bout, ce qui m'interpella d'abord est un bruit de courant d'eau. Du liquide qui ruisselle doucement. C'est apaisant.
— Oh...
Je lâche comme un petit soupir. C'est vraiment magnifique : une immense fontaine fait s'écouler en abondance un liquide translucide. Dans le fond du bac, des petits spots lumineux éclairent, faisant briller la surface. Autour, les massifs de roses blanches donnent un air de conte de fée. Soudain, je suis coupée dans ma contemplation par une silhouette qui se détache de l'obscurité.
***
— On s'est perdu ? annonce une voix à la fois mystérieuse et fortement virile.
L'inconnu s'approche de moi lentement. C'est un garçon plutôt grand et musclé, mais c'est difficile d'en voir davantage. En effet, sa tenue qui n'est autre qu'un costard entièrement noire, ne m'aide pas trop à le discerner.
— Non, je visitais juste, dis-je subitement embarrassée. Je trouve ce jardin magnifique.
La personne s'approche encore, jusqu'à s'arrêter à un mètre de moi. Il me surplomble de toute sa hauteur : une seule question me vient. Qui est-il ? Mon cœur rate un battement à la vue de son visage. Un teint légèrement hâlé, une mâchoire carrée enveloppant un visage raffiné. Tout ce qui m'interpelle cependant, placés harmonieusement sous une crinière brune et bien coiffée, des yeux verdoyants rappelant la pierre de jade. Il se tient droit, me dominant complètement. Subitement, c'est comme si je n'ai plus aucune échappatoire.
Mal à l'aise, j'ai même l'impression qu'une chose d'invisible se tient derrière moi.
— Qui es-tu ? me demande-t-il finalement. Il me semble que je ne t'ai jamais vu ici. Je m'en serais rappelé, sinon.
Un mince sourire barre ses lèvres, mais ce dernier semble ne dégager aucune chaleur. Il croise les bras contre sa poitrine, renforçant un peu plus sa présence, ici, à mes côtés.
— Je... je m'appelle Abelle. Et toi ? osé-je après un effort qui me parut surhumain.
Il met un long moment à me répondre. Il baisse les yeux, avant d'à nouveau les poser sur moi, brillants d'une intensité nouvelle.
— Jay, prononce-t-il simplement.
Je dois sûrement halluciner. Je me fais encore des films. Et, parce que ce garçon est terriblement séduisant, je perds mes moyens en lui parlant. Voyons, Abela... je suis sûre que tu peux mieux faire !
M'encourageant comme je le peux, je lui tends la main, signant ainsi cette nouvelle connaissance que je viens de me faire. Il me fixe, surpris et déstabilisé. C'est moi qui le mets dans un état comme ça ? Et dire que je stressais, quelques minutes plus tôt. Sa main forte s'empare finalement de la mienne, la serrant doucement. Nos regards ne se quittent pas, ne dévient pas. Ses prunelles de jade scrutent chaque centimètre de mon visage. Ses doigts sont froids, forts et encore plus lorsqu'il resserre sa poigne et qu'il me tire vers lui.
Mon visage est maintenant à côté du sien, il a dû baisser la tête pour être à ma hauteur. Il est si près de moi, qu'il me suffit de respirer pour sentir l'odeur chimique d'un parfum dont je ne connais pas le nom.
— Passe une bonne soirée, Abelle, déclare-t-il, un éclat sauvage dans le regard.
Il me relâche ensuite, j'en profite pour m'éloigner de lui. Je ne sais pas trop comment je me sens sur le moment : disons que je prends ce petit jeu sur le ton de la rigolade.
— Okay, t'es un malade, toi !
Puis, je pouffe de rire face à son regard courroucé, lui tourne le dos et me précipite hors de ce tunnel de plantes. Une nouvelle fois devant la maison, je me donne une nouvelle chance et monte une à une les marches de la villa. Le garçon à l'entrée ne s'y trouvant plus, ce qui est tant mieux pour moi.
Aussitôt après avoir franchi la porte, la différence de température me fait sourire. Les corps qui se trémoussent sur le rythme endiablé de la musique, produisent une chaleur agréable – je ne commenterai pas la légère arôme de transpiration et d'alcool, ainsi que la fumée de cigarette et d'herbes. La musique bat son plein, tandis que je reste de nouveau en plan, dans l'entrée. Je regarde autour de moi, perdue. L'intérieur est luxueux et tellement vaste que tous ont la place pour danser. Si je veux passer inaperçue, je vais avoir du mal. Une main se pose sur mon épaule, me faisant sursauter.
Je me retourne et retrouve Cidna, entourée d'une bande de filles toutes aussi jolies qu'elle. Grandes, perchées sur talons et bien coiffées, ma cousine reste la plus généreuse en termes de formes.
— T'es là ! Bon, si tu es entrée, c'est que tu as passé le test du proprio, déclare-t-elle malicieusement.
— Comment ça s'est passé ? demande une autre fille. Abelle, c'est ça ?
— Cidna nous as parlé de toi sur Insta, renchérit une rousse. On avait hâte de voir à quoi tu ressembles.
Je suis envahie de pies qui piaillent toutes en même temps dans mes oreilles. Je plisse les yeux, quand ma cousine me vient en aide.
— Sht, les filles. Abela, alors, c'était comment avec Steve ?
— Steve ? répété-je, perdue.
— Mais, oui, Steve ! Le mec à l'entrée, reprend la rousse, trépignant d'impatience.
Je leur lance une mine désolée. Étant donné que j'ai fait une ballade avant d'entrer, j'ai raté ce fameux Steve.
— Je ne l'ai pas croisé, expliqué-je.
Je ne sais pas si je dois leur parler de cet autre garçon. Nous nous sommes simplement salués, mais la façon qu'il avait de me regarder ne me m'était pas à l'aise du tout. De plus, il y avait dans son regard quelque chose d'effrayant... sans parler du fait que je l'avais ouvertement qualifié de « malade ». De plus, pourquoi se trouvait-il dans cet endroit si reculé, où visiblement, personne à part lui – et le jardinier – ne s'y rendait ?
Les filles affichent une mine déçue. Ma cousine fit la première à reprendre de sa contenance.
— Super ! s'émerveille Cidna. Bon, les filles, venez, il faut que j'aille dire bonjour à l'autre, là... à plus tard, Abela.
Je lui fais un petit signe, la regardant s'éloigner dans sa superbe robe longue à volants. Puis, je me retourne à nouveau et mon regard tombe sur la porte d'entrée. Bon, comment faire pour éviter ce Jay, en espérant qu'il ne daigne pas m'adresser une nouvelle fois la parole ?
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