CHAPITRE 18

La chute est rude. Et je ne réussi pas à me réceptionner, au contraire. Je m'étale de tout mon corps, embrassant le sol gravillonné sans aucune pudeur. Ma peau me brûle, lorsque je sens des éléments extérieurs pénétrer ma chair. Je ne me suis pas ratée. Mes genoux, mes avant-bras et même la paume de mes mains sont griffés par les aspérités de la piste.

Je suis à la fois sonnée et en colère. Si ces stupides mecs de l'équipe n'avaient pas cherché à me déstabiliser, j'aurais pu terminer mon exercice, comme tout le monde.

À cause d'eux, je suis obligée de me coltiner une douleur que j'aurais pu éviter. Je grimace.

Les garçons sont tous repartis, sauf Jay. Il arrive devant moi alors que je me redresse, assise sur le sol. Les forts battements de mon cœur me chamboulent. Subitement, j'ai envie de pleurer. Mais, pourquoi ? À quand remonte ma dernière chute ? À si longtemps. J'ai oublié la sensation que ça faisait. Je reprends mon souffle, lorsque le capitaine me tends la main pour m'aider à me relever.

— Alors, on tient plus sur ses jambes ?

L'expression « la goutte d'eau faisant déborder le vase » n'a jamais été plus vraie à mes yeux, qu'à ce moment précis. J'ai subitement chaud, mais pas à cause de l'effort. Je tremble dans tout mon corps, haletante. Dans un dessin animé, de la vapeur serait sortie de mes oreilles. Je me relève seule, le défiant du regard.

— C'est aussi ce que tu as dit à Luna, lorsqu'elle a fait un malaise chez Steve et que tu l'as ramené dans la chambre ? C'est aussi ce que tu as dit à son fœtus, lorsqu'il est sorti de son ventre ? Oh... ou devrais-je plutôt dire, ton enfant ?

Sa main retombe contre son corps. Je ne sais pas si je réussi à lui clouer le bec. En réalité, je m'en fiche. Tout ce que je vois, c'est qu'il a serré des poings, que ses yeux se plissent à l'extrême et qu'il devient à son tour tout rouge.

-- Ne parle pas de ce que tu ne sais pas, éclate-t-il, pourtant sa voix est sortie comme un souffle.

Je compte les secondes avant qu'il ne me frappe sous la colère, mais aucun coup ne vient. Il ne réplique rien. Ne dit plus rien. Une veine nait sur son front, que je peux presque apercevoir pulser. La haine que je lis sur ses traits, n'est rien à côté de son regard assassin qu'il me jète.

— Abelle ?

C'était Peter qui arrive à notre hauteur, toujours autant essoufflé. Je ne veux pas l'ignorer, mais j'en ai plus qu'assez du comportement de Jay. Mon cœur se pince d'aussi peu tenir compte de mon ami. Cependant, à ce moment-là, il n'y a plus que cet odieux capitaine qui existe. À mon plus grand désarroi. Ses iris verdoyants me fixent avec amertume, sans jamais me lâcher. Il est toujours immobile, mais la tension qui grandit en lui, le fait davantage trembler. Je n'ai encore jamais vu quelqu'un d'aussi énervé réussir à garder son calme... j'avoue que cela m'effraie.

— Va te faire voir, cinglé-je à ce psychopathe en me retournant.

Ainsi, je continue ma course, laissant Jay en plan et Peter derrière-moi, sans lui avoir dit le moindre mot. Après quelques mètres, je regarde derrière moi. Jay se dirige vers les vestiaires, jette sa bouteille d'eau contre les gradins, tandis que les professeurs l'appellent. Visiblement, ma remarque l'a touché plus qu'espéré. À quoi s'attend-il ? Que j'accepte son aide pour me relever ? Il est... pitoyable.

Je fais mes derniers tours en essayant de rattraper mon retard. C'est complètement essoufflée que j'arrive à la hauteur des professeurs ensuite.

— Tu as besoin de te rendre à l'infirmerie ? m'interroge ma prof.

Je fais non de la tête.

— Va me nettoyer ça, dans ce cas, reprend-elle en désignant mes griffures du regard. Les autres, héle-t-elle le groupe. Vous avez cinq minutes de pause, on reprend ensuite avec quelques exercices de renforcement musculaire.

J'entends râler derrière moi, ce qui me fait lâcher un petit rire. Sans plus attendre, je me rends directement dans le vestiaire. Quelques filles sont venues récupérer des affaires dans leur casier, avant de repartir. Je perçois leur murmure, rire et claquement de métal lorsqu'elles terminent. Quant à moi, c'est le cœur léger que je me dirige jusqu'au fond du vestiaire. Je sais que Jay me laissera tranquille pour le moment. Il a bien admis sa défaite tout à l'heure.

J'arrive devant les robinets. Je m'occupe en premier de mes paumes et mes avants bras. Je laisse de l'eau froide couler sur mes plaies superficielles, non sans grimacer. Il faut avouer que ça pique un peu. En-dessous, le liquide qui coule dans le siphon est loin d'être limpide. Un mélange ocre de rouille et de poussière. C'est déjà ça en moins dans mes plaies. J'ai bientôt terminé, lorsque j'entends la porte des vestiaires s'ouvrir, puis se refermer.

Sans doute l'une des filles qui a oublié quelque chose.

Ayant terminé de laver le haut de mon corps, je m'enfonce un peu plus encore dans le vestiaire pour atteindre les douches. Là, un renfoncement permet d'être caché pour avoir un peu plus d'intimité. J'enlève mes basquets puis mes chaussettes et reste en short. Ensuite, j'ouvre le jet d'eau, qui se déverse sur le carrelage froid et antidérapant. Je met la première jambe meurtrit sous l'eau salvatrice. À l'aide de ma main, je retire délicatement les plus gros gravillons qui se sont incrustés.

Malgré le son des gouttes percutant le sol, j'entends nettement des bruits de pas. Mais il n'y a pas que ça. Il y a des claquements de casiers aussi. Et comme des sortes de... grattement ? Il me semble pourtant que les professeurs ne veulent pas trop que plusieurs élèves se rendent dans les vestiaires, outre que pour se changer. Je m'applique sur mon autre jambe, quand j'ai terminé l'autre.

La lumière commence alors à grésiller, lentement. Je ne m'inquiète pas plus que ça, pourtant au fond de moi, je sens que quelque chose ne va pas. C'est comme si le schéma se répète, comme à la bibliothèque. Je me dépêche. Toutes mes plaies lavées, je décide d'appliquer un peu de désinfectant, se trouvant dans l'armoire de premiers secours, planqué à côté de l'extincteur. Pour m'y rendre, je n'ai qu'à sortir du renfoncement des douches, débarquer dans le couloir principal, tourner tout de suite à gauche et me rendre jusqu'au fond.

Mais, à peine le pied mis hors des douches, les lumières s'éteignent subitement. Vu que les lampes ont grésillé juste avant, je ne me doute pas que quelqu'un a pu éteindre volontairement. Les diodes de secours se mettent en route, éclairant sol et plafond d'une lueur rougeâtre. Sans le vouloir, mon rythme cardiaque accélère.

C'est rien, Abelle. Calme-toi...

J'avance alors jusqu'à l'armoire de secours. Il ne fait pas complètement sombre, me rassurant quelque peu. Les bruits que j'ai entendu dans la douche cessent, mais je ne perçoit pas à nouveau la porte des vestiaires, comme si ceux qui faisaient du bruit sont encore là.

J'ouvre l'armoire à pharmacie et récupère le désinfectant. Je vaporise sur l'ensemble de mes plaies, puis referme l'armoire. Au moment-même où la porte claque, de longs frissons parcourent mon corps.

C'est désagréable. Vraiment. Très. Désagréable. Aussitôt, je sens un souffle dans mon dos, lent, régulier, comme une respiration. Cette dernière s'intensifi. Maintenant, c'est un râle morbide, le même que celui de la route, lorsque je suis partie de chez Steve. Un genre de gémissement qu'aurait pu pousser un malade en pleine agonie. Puis, quelque chose de froid. Très. Froid. Contre ma nuque. Comme une main gelée. Comme la main qui m'a tenu la mienne dans la bibliothèque. Il y a quelque chose derrière moi et j'ai peur de me retourner pour y faire face. Et ces doigts, qui semblent éthérés et gelés à la fois, caressent la surface de mon épiderme. Ce geste se veut tendre, comme à la bibliothèque. La main qui m'a tenu pour me mener jusqu'à la porte.

Mais là, ça n'a aucun sens. Aucun. Je délire complètement. Pourtant, mon corps ressent tout. Je ne peux pas inventer tout ça. C'est trop. Beaucoup trop. Le cœur battant à tout rompre, je halète comme si j'ai à nouveau couru et que j'ai poussé mon corps au-delà de ses limites. Je n'ai même pas la force de trembler, en fait, je sens que je peux m'effondrer à tout moment.

— Abelle ?

C'est la voix de Cidna. Elle vient d'ouvrir la porte des vestiaires, la lumière m'apparait aussitôt, comme si elle ne s'est jamais coupée. Les sensations désagréables s'évanouissent, ne laissant s'emballer que mon cœur. Ma cousine vient me chercher.

— Tu es blême. En dirait que tu as vu un fantôme. Tu as fini ? Les cours vont reprendre.

J'acquiesce et la suit à l'extérieur. Je tente de me persuader que j'ai déliré et qu'il ne s'est absolument rien passé. Rien. Du. Tout. Malgré le soleil brûlant qui me tape sur le crâne, je ne peux m'empêcher de frissonner. Je me sens mal. J'ai peur.

De nouveau sur le terrain, je remarque que Jay est revenu. Je l'ai aperçu alors que je jetais un œil circulaire pour trouver Peter. Maintenant, le capitaine me fixe depuis l'un des niveaux du gradin. Et aussi longtemps que le cours dure, pas une seule fois ses iris verdoyants ne me quittent. De même que ce sourire satisfait qui habite ses lèvres.

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