CHAPITRE 14

Mais qui est vraiment Jay Carlton ? J'ai appris par Peter qu'il est le fils du maire. Il m'a ensuite expliqué, après m'avoir clairement mis en garde, que ce psychopathe n'est autre que le capitaine de l'équipe de football du lycée. Et les mecs qui le suivent partout comme des toutous, ne sont autre que le reste de l'équipe : des gars entraînés physiquement, mais aussi très intelligents. Je vais devoir me méfier de chacun d'entre eux, et pas que de l'Alpha.

À la fin des cours, en ayant bien pris soin de ne pas me faire embêter par Jay, je me suis dirigée sans attendre sur le parking. La voiture de Cidna n'est plus là, elle a donc bien reçu mon sms, même si elle ne m'a pas répondu.

Je reconnais d'office le grand Peter, cheveux décoiffés et vêtements larges, cachant ses généreuses formes qui font pourtant tout son charme. Peter est-il de ce genre de garçon à ne pas assumer son corps, alors qu'il est plus beau que n'importe qui ici ? Je lui souris lorsqu'il m'aperçoit arriver vers lui.

— Alors, ça a été ? Avec Jay ? m'interroge-t-il en déverrouillant sa voiture, directement en mettant la clef dans la portière.

J'acquiesce, me mettant du côté passager, attendant qu'il me face signe pour que j'ouvre à mon tour.

— Tu es sûr que ce... tas de ferraille va nous ramener à bon port ? me moqué-je de lui.

Il hausse les épaules, l'air embarrassé.

— Et bien, c'est possible qu'elle cale deux ou trois fois avant et qu'une roue se fasse la male mais...

Le sourire qui s'affiche ensuite sur ses lèvres, montre qu'il prend plaisir à plaisanter là-dessus. Je ris à mon tour. Nos regards se croisent au-dessus de son tas de boue. Il réussit enfin à déverrouiller la portière, entre, puis se penche de mon côté pour en faire de même à l'intérieur.

— Quel parcours du combattant ! fis-je remarquer.

— Et encore, ce n'est que le début, réplique-t-il, énigmatique.

Il démarre, faisant trembler l'ensemble du châssis. Le véhicule semble cracher tous ses poumons, tant elle tressaute. Après quelques tremblements supplémentaires, le quatre-roues démarre enfin, dans un crissement des pneus atroce. La voiture de Peter semble être la bête de foire de ce parking.

C'est quasiment le seul tas de boue. Je suis obligée de rire. Et, de son côté, le conducteur semble être étonné par ma réaction, pour autant il me suit dans mon hilarité : nous partons pour un fou rire bienvenu.

Durant le trajet, Peter et moi nous racontons nos après-midi respectives. Pendant qu'il parle, je prends le temps de le contempler. Observer l'arête régulière de son nez, sa robuste mâchoire et ses longs cils noirs. Je me surprends même à apprécier la pose qu'il prend pour conduire, admirant sa manière qu'il passe les vitesses, tendant les muscles de ses bras forts, les cuisses légèrement écartées. Il me surprend, au bout d'un temps. Honteuse et les joues en surchauffe, je n'ose pas détourner le regard. À quoi cela servirait-il ? J'ai été prise en flagrant délit. Cependant et contre toute attente, nous nous échangeons un regard complice. Lorsqu'il se reconcentre sur la route, je peux apercevoir sur ses lèvres l'esquisse d'un sourire.

— As-tu au moins entendu ce que je te disais ?

— Pas vraiment... mais je suis prête à t'écouter, maintenant.

C'est sur une ambiance légère que nous arrivons enfin sur le parking de la bibliothèque. Le bâtiment semble particulièrement dater, encore plus que le lycée. Cependant, les portes et fenêtres ont été remises au goût du jour, dénotant d'autant plus avec les fondations.

— Dit moi Peter. Cette ville m'a l'air plutôt ancienne, non ?

— Tu l'as dit, répond-il en verrouillant sa portière bancale. Un peu d'histoire, ça te dit ?

J'acquiesce vivement, subitement intéressée.

— Craterlake est connue pour avoir abrité une des plus anciennes tribus d'amérindien. La Tribu des Ancêtres, comme on l'appelait, était celle des grands sages. Ceux qu'on allait voir lorsqu'un groupe avait un problème avec un autre. Il faisait office de tribunal, entre autre. La légende raconte qu'avant l'arrivée des colons, ils auraient signés un pacte avec la Nature pour être sauvés. D'où le fait qu'en arrivant ici, c'est un campement vide que les premiers colonisateurs auraient trouvé.

— Je suppose qu'en voyant que leur demande ne donnait rien, ils ont tout simplement décidé de s'en aller.

Nous nous arrêtons face aux portes de la bibliothèque. Peter vient s'asseoir sur l'une des marches en pierre brute, j'en fais de même. Le bâtiment est situé face à une rue plutôt animée, où se déplacent plusieurs personnes occupées.

— En effet, l'imagination de ces colons aurait pu s'arrêter à cette constatation. Mais depuis la colline qui surplombait la vallée, ils sont tombés sur un bien sinistre paysage.

— Comment ça ?

La manière que Peter a de raconter le passé de cette ville est tout simplement fascinante. Pleine de mystère... comme lui, finalement.

— Disons qu'au pied de la colline où siégeaient les indiens, se trouvait un immense cratère noirci et recouvert de cendre. Quand aux alentours, ils avaient semblé balayé par une immense tempête.

— Un cratère, apparut comme ça, comme par magie ? Ça n'a aucun sens.

Peter me sourit, s'il veut me faire peur, c'est raté.

— Il y avait un dessin, dans le fond du cratère, reprit-il.

— Un dessin ?

— Oui, celui d'un visage, d'une femme. Possiblement l'entité qui représentait Nature à leurs yeux. Tu vas me dire qu'ils ont peut-être vu quelque chose, et qu'ils ont décidés de l'interpréter comme tel, soit. C'est vrai que ça paraît absurde.

— En tout cas, c'est fascinant, lui réponds-je.

Nous nous relevons en même temps. Dans un même geste. Comme si nous sommes menés par le même fil de vie. Je souris face à cette image.

— Ce travail ne va pas se faire tout seul, pas vrai ? lui dis-je en me dirigeant vers les portes.

Il me devance et, tel un bon gentleman, il me tient le battant et me fait d'un signe théâtrale, la présence d'entrer. Arrivée à sa hauteur, je lui donne une petite tape sur la joue.

Sur ce moment qui me fait lâcher un petit rire, nous entrons dans la bibliothèque. J'ai de suite plus froid ici qu'à l'extérieur. C'est sans doute dû à la matière des murs, qui fait office d'isolant thermique. De plus, la température doit être adéquate, pour favoriser la conservation des pages des différents ouvrages.

Je suis Peter dans cette ambiance de cathédrale, où nos pas résonnent jusqu'au plafond. La hauteur sous ce dernier me met presque mal à l'aise.

Nous nous arrêtons face à un guichet mêlant moderne et ancien, où Peter nous enregistre sur un ordinateur fixe. Ensuite, je le suis à nouveau jusqu'à une table en bois brut. Nous ne croisons qu'une ou deux personnes, tout au plus. Le bâtiment est vraiment désert et idéal pour un travail studieux. L'endroit est sombre, malgré les immenses chandeliers suspendus. Visiblement, si les ouvertures ont été remises au goût du jour, il n'en est rien de la décoration.

La ville veut sans doute garder son cachet historique, en conservant ces bâtiments construits dès l'arrivée des colons, rénovés plus tard au XIXe siècle.

Contre toute attente, Peter et moi avons travaillés presque toute l'heure. Nous avons bien avancés et sommes fièrs de la tournure que prends notre projet en commun. Je suis heureuse de constater que nous sommes sur la même longueur d'onde. De plus, je ne peux m'empêcher d'être étonnée par cet étrange rapprochement qu'il y a eu entre nous.

Assis face à face, par le plus grand des hasards, nos pieds se sont mêlés, si bien que maintenant mon genou repose contre le sien. Loin de le gêner, Peter s'est laissé aller.

Il doit nous rester environ deux heures à consacrer à notre travail, à répartir sur le reste de la semaine et nous aurons terminé. La bibliothèque s'est vidée entre temps et le bibliothécaire a pris sa pause.

Peter et moi sommes en train de ranger nos affaires pour nous en aller, lorsque la lumière électrique des chandeliers se met à clignoter. Heureusement, de par la luminosité extérieure, le lieu n'est pas complètement plongé dans le noir.

— Je préviendrai le bibliothécaire la prochaine fois, m'explique Peter. Ils devraient vraiment revoir leur système électrique.

Tout à coup, les plombs sautent, nous plongeant dans une semi-pénombre. Je sens aussitôt une présence dans mon dos ainsi qu'un froid mordant. Un souffle. Comme cette nuit-là.

— Peter ? dis-je d'une voix tremblante.

— Oui, je suis là, sortons d'ici.

J'avance jusqu'à la sortie, mal à l'aise, devant me repérer en tâtant les meubles qui m'entourent. Je suis une vraie nouille dans le noir. Je dois mon salut à mon ami lorsqu'en chemin, je trouve la main de Peter. Elle est glacée, peut-être un peu trop. Pour autant, rassurée par ce geste, je ne me fais pas prier pour glisser mes doigts dans les siens. A-t-il eu subitement peur lui aussi ?

Sa main se resserre contre la mienne, lorsque je passe les portes. Je suis passée devant lui et c'est comme s'il voulait me retenir, à l'intérieur. Pourtant, c'est lui qui voulait que je sorte la première, non ? Je fabule certainement, j'ai comme l'impression que mon ami m'appelait, où devrai-je plutôt dire, la pénombre dans mon dos... La sensation de sa paume dans la mienne s'efface brutalement, lorsque ma route croise à nouveau celle de la lumière.

Mon sang se glace, Peter se tient face à moi, sur l'une des marches de l'escalier, à plus d'un mètre. Le sac à dos contre son ventre, il cherche quelque chose dans la poche avant. Il me regarde, sourcils froncés, une lueur d'inquiétude habitants ses iris chocolat.

— T'en as pris, du temps ! Tu vas bien ? s'enquit-il finalement, voyant mon état. T'en fais une tête ! Je suis désolé, j'aurais dû t'attendre.

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