Chapitre 52 - Le début d'une aventure magique

Les mots m'ont manqué. Je suis restée muette. Je n'avais pas pensé à en parler avec Neven, lui faire part de mes doutes. Celui-ci m'a discrètement pincé le poignet et quand j'ai tourné la tête dans sa direction, j'ai vu qu'il se mordait l'intérieur des joues. Lui non plus, n'était pas franchement sûr de ce qu'il fallait faire.

Ou bien il était sûr, mais pour la négative. Cependant, nous ne pouvions pas parler maintenant, il n'avait donc pas l'occasion de m'expliquer les raisons qui le poussaient à vouloir me faire dire non et de toute façon, cette décision me revenait entièrement. Aussi, j'ai décidé de réfléchir par moi-même, repensant aux cartes que j'avais en main.

Les sorciers de vie m'avaient sauvée, Amalia et Sole avaient même fait jurer à ma mère qu'elle ne m'abandonnerait pas. Elles ne voulaient pas ma mort. Cependant, Neven m'avait expliqué que leur espèce redoutait la mienne, que mon pouvoir les effrayait... Et de ce que j'avais pu observer lorsqu'elles avaient révélé à Elena la manière dont était conçue une sorcière de la nuit, j'étais à peu près sûre qu'il disait la vérité.

Et c'est à cette pensée que j'ai réalisé. Leur comportement s'est brusquement éclairé : elles voulaient que j'intègre leur école pour pouvoir me contrôler. Si elles n'avaient plus la capacité de me confisquer ma magie, elles pouvaient au moins essayer de la maîtriser en choisissant ce que j'étais en droit de connaître et ce qu'on garderait sous silence.

C'était plus qu'évident. Tous les sorts trop puissants, ceux qui les mettraient en danger seraient effacés, seuls les exercices qui leur plaisaient me seraient enseignés. D'un côté, je trouvais ça plutôt logique et si je me mettais à leur place, j'aurais fait la même chose. D'un autre, le fait qu'elles ne me disent pas tout alors que nous venions à peine de faire connaissance me froissait.

C'était la preuve ultime que je ne faisais pas vraiment partie du Coven de Ryneshire. Comme je l'avais expliqué une fois, le Coven était une famille. Mais si je ne faisais même plus partie des Clarke, comment pouvais-je décemment intégrer leur frères et sœurs de magie ? C'était impossible.

En acceptant leur proposition, en m'intégrant à l'Académie, je faisais un choix. Si je disais oui, je leur donnais le droit d'avoir une emprise sur moi. Si je disais non, je serais complètement bannie du village. Plus rien ni personne ne me retenait ici. Il aurait peut-être été plus judicieux de prendre la seconde option.

Après tout, je ne connaissais pas vraiment ces sorcières, je n'étais pas certaine qu'elles ne me feraient pas de mal si elles découvraient qu'elles n'arrivaient pas à contrôler mes pouvoirs. Mais je n'arrivais pas à m'imaginer partir de Ryneshire avec mon baluchon sur l'épaule et la solitude comme seul compagnon de voyage.

J'avais peut-être Neven, mais comme j'avais pu le comprendre, il croulait sous les secrets et rien ne me disait qu'un jour ou l'autre, ceux-ci se retourneraient contre moi. Je refusais de lui être entièrement dépendante. Cette idée me terrorisait autant que le fait de quitter ma famille.

Aussi, suite à une longue réflexion durant laquelle personne n'a essayé de me presser, j'ai enfin pris ma décision. Me redressant pour gagner en assurance et ne pas me sentir toute petite face à leur âge avancé et leur position dans la hiérarchie du Coven – que je ne connaissais pas le moins du monde, pour tout dire – j'ai déclaré :

— Oui, je veux intégrer votre académie.

Dans mon dos, les corps de Neven s'est contracté. Cela confirmait mes soupçons : il voulait que je refuse. Mais je préférais suivre mon instinct, faire mes propres choix. Le visage d'Amalia s'est illuminé, celui de Sole s'est un peu déridé et elles m'ont répondu :

— C'est une excellente nouvelle !

L'une a applaudi quand l'autre s'est contentée de hocher la tête d'un air appréciateur. La sorcière aux cheveux enneigés s'est encore avancée et m'a expliqué :

— Tu commenceras les cours dès la rentrée de janvier. Nous avons hâte de t'accueillir au sein de notre école. En attendant, tu feras la cérémonie d'entrée au Coven dans quelques jours, quand tu seras pleinement rétablie.

Les battements de mon cœur se sont accélérés. J'avais rêvé tant de fois de me retrouver dans cette exacte situation, d'entendre ces mots, d'y obéir. Et pourtant, aujourd'hui, un goût amer me polluait la langue. Parce que mon souhait le plus cher semblait tout droit sorti de la lampe d'un génie : retourné par un esprit malicieux, il m'apparaissait maintenant plus comme une corvée que comme un plaisir.

— Il faut que nous annoncions l'heureuse nouvelle au reste de la communauté. Excuse-nous, a repris Amalia.

Cette fois, elle et sa consœur ont battu en retraite, quittant ma chambre au pas de course. Neven a profité de ce court instant de répit pour me dire :

— Tu n'aurais pas dû accepter. Elles sont dangereuses.

— Je le sais, je ne suis pas idiote. Mais je veux apprendre l'histoire de la magie, je veux apprendre à utiliser mes pouvoirs.

Un sourire ironique a étiré les lèvres du vampire et son expression s'est refroidie.

— Si tu crois que tu vas apprendre quoi que ce soit avec elles, tu te fourres le doigt dans l'œil jusqu'au coude, ma belle.

Étrangement, sa remarque a sonné comme une insulte. J'ai croisé les bras pour conserver un minimum de contenance face à son agressivité qui me semblait totalement injustifiée, puis j'ai poursuivi :

— Je ne comprends pas pourquoi tu t'énerves. Je ne risque pas grand-chose. OK., elles ne m'apprendront pas les meilleurs sortilèges, mais au moins j'en apprendrais plus sur l'histoire de la magie, je serais moins ignorante ! J'en ai marre de me sentir toujours à la ramasse.

— Tu as tout faux, Alya. Ces femmes ne te diront rien sur le monde de la magie.

— Et pourquoi ça ?

Neven s'est massé nerveusement le front, signe que cette conversation l'agaçait.

— Elles ne savent rien. Désolé de te l'apprendre, mais ton village est un trou paumé. Ton Coven est complètement à l'ouest. Demande-leur qui t'a attaquée la nuit dernière, tu verras !

Ses paroles m'ont profondément blessée. J'avais soudain l'impression d'apparaître comme une pauvre petite péquenaude aux yeux de Neven. Une campagnarde débile qui n'avait aucun bon sens et dont la famille était totalement écervelée. Sous le coup de la colère, j'ai rétorqué :

— Oh, mon pauvre chou... La vie londonienne te manque ? Les provinciaux ne sont pas assez clairvoyants pour toi ? Si tu souffres tant que ça, tu n'as qu'à...

— Félicitations Alya !

La voix de Juliette a résonné dans la cage d'escalier. J'ai sursauté et me suis encore écartée de Neven qui n'a pas essayé de me retenir. Une brise glaciale nous a enveloppés et le silence s'est installé tandis que nous attendions l'arrivée de ma famille.

Quelques secondes plus tard, mon père, Juliette et Nathan, en FaceTime sur le téléphone de ma cousine, sont apparus dans l'encadrement.

— Tu l'as fait, ma puce ! s'est exclamé mon frère dans un hurlement de joie.

Son enthousiasme, bien qu'à des kilomètres d'ici, m'a contaminée et j'ai repoussé les mauvaises ondes qui nous entouraient, Neven et moi, pour laisser un sourire fleurir sur ma figure.

— Je l'ai fait ! ai-je répondu joyeusement.

S'en est suivi une série de compliments de la part de tout le monde et mon Adelphe en a profité pour s'éclipser discrètement. Un sentiment de vide m'a assaillie lorsque je me suis retrouvée seule dans mon lit. Mais je n'ai rien dit. Ce n'était pas le moment.

On m'a demandé comment je me sentais, si j'étais contente d'intégrer l'académie, qu'est-ce que je porterais pour la cérémonie d'entrée au Coven. Je ne savais pas quoi répondre à tout ça, je me suis confondue en remerciements et en gloussements.

Finalement, quand l'ambiance s'est un peu calmée, j'ai osé demander d'un air plus sombre :

— Qui étaient-ils, ceux qui m'ont fait du mal ?

Les rires se sont taris aussi secs. Nathan a baissé les yeux, les épaules de Juliette se sont affaissées et mon père a plongé son regard plein de pitié dans le mien. Après quelques secondes de silence, il a avoué :

— Nous ne savons pas très bien. Le Coven pense que nous avons eu à faire à des humains sataniques et ça semble assez logique. Mais ne t'inquiète pas, ils sont tous morts lors de ton éveil, tu ne recroiseras jamais leur route, ma chérie.

Les mots de Neven ont résonné dans ma tête : « elles ne savent rien ». J'ai enfin compris ce qu'il voulait dire par là : le Coven de Ryneshire n'était pas conscient de l'existence des autres espèces, il s'était isolé, exclu. Pourtant, Amalia et Sole étaient au courant de la présence des démons dans ce monde.

Cependant, en y réfléchissant, elles semblaient croire qu'ils n'étaient plus que des légendes, ayant vécu longtemps auparavant. Le simple fait que j'existe les perturbait. Ça me coûtait de le reconnaître, mais le vampire avait raison : il y avait malheureusement peu de chances pour que j'en apprenne plus sur le monde magique à leurs côtés... Alors, qu'allaient-ils m'enseigner qui me soit utile ?

C'est dans cette incertitude que j'ai repris la conversation avec papa, Juliette et Nathan. 

Elena, elle, n'est jamais venue.

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