Chapitre 44 - Le problème des parents
J'ai mangé seule dans ma chambre. Personne à la maison ne m'adressait la parole et Juliette passait la nuit au Coven. Je regardais une série sur mon ordinateur, engloutissant une fourchette de spaghettis lorsque mon téléphone a vibré contre ma jambe.
J'ai presque sauté au plafond, en digne boule de nerfs que j'étais devenue. Puis je me suis souvenue que j'avais un portable et je l'ai levé devant moi afin de savoir qui me contactait au beau milieu de la soirée. J'espérais trouver le nom de Neven ou au moins ceux de Kitty ou de Cameron, mais la photo qui s'est affichée sur mon écran m'a laissée sans voix.
Ça faisait tellement longtemps... En vérifiant par deux fois les lettres qui apparaissaient, mon cœur a fait un bond dans ma poitrine et j'ai réalisé à quel point il m'avait manqué. Ne perdant pas une seconde de plus, j'ai décroché et plaqué le téléphone à mon oreille.
— Nathan !
J'avais presque hurlé et mon frère a éclaté de rire à l'autre bout du fil.
— Eh bien, quel entrain...
Un sourire s'est formé sur mes lèvres alors que sa voix enjouée me réchauffait toute entière. Mon grand frère avait cet effet-là sur tout le monde : c'était un petit morceau de soleil qu'on avait réussi à déloger du ciel. Enfin, quand il n'était pas enfermé dans sa chambre ou trop occupé avec sa copine.
Mais en ce moment, il était célibataire – de ce que j'en savais – et vu que c'était lui qui m'appelait, il n'avait pas envie de rester seul. Aussi, il était redevenu le super aîné que j'aimais plus que tout et qui savait comment me rendre heureuse même quand le pire était en train de se produire.
— Je suis tellement contente de t'entendre, ai-je soufflé.
— Alors contacte-moi plus souvent, idiote ! Tu ne me réponds jamais et tu ne prends pas la peine de rappeler. Les SMS, c'est pas pareil.
Non, c'était certain, je m'en rendais bien compte. J'ai poussé un profond soupir, n'osant pas lui avouer que si je ne lui avais pas parlé depuis tout ce temps, c'était parce que je ne me voyais pas lui cacher toute l'affaire Neven et qu'en même temps, je ne voulais pas le forcer à mentir aux parents pour moi alors qu'il se trouvait à Londres et qu'il paniquerait à coup sûr en apprenant la vérité.
— J'ai entendu dire que c'était pas la fête à Ryneshire ? a repris Nathan après une courte pause.
— C'est peu de le dire. Papa t'a dit qu'on partait dans pas longtemps ? On va fuir le village.
J'avais beau ne pas le voir, j'ai senti la grimace barrer les traits d'habitude si doux de mon frère.
— Ouais, on m'en a parlé. C'est dingue cette histoire. J'ai essayé de me renseigner auprès du Coven de Camden pour savoir s'ils avaient déjà vécu la même chose mais ils m'ont raconté des trucs inutiles.
— Quel genre de trucs ?
Soudain, mon cœur s'est emballé. Nathan détenait-il une information capitale dont il ne connaissait pas la valeur ? Pourrait-il m'aider sans le savoir ? Ou au contraire, avait-il inconsciemment éveillé l'attention des mauvaises personnes et empiré la situation ?
— Bah, je peux pas trop t'en parler. Surtout pas au téléphone. En plus, quand je l'ai expliqué à maman, elle m'a ri au nez. Donc je pense que ce n'est pas vraiment intéressant.
Au contraire, ça avait tout l'air d'être croustillant. Hélas, je ne pouvais pas insister sans paraître suspecte. Aussi, j'ai changé de sujet malgré le terrible sentiment de frustration qui inondait mes veines.
— Elle t'a dit aussi qu'elle me faisait la tête ?
Nathan a poussé un grognement agacé.
— Oui, je sais, l'histoire du pot cassé de tournesol. Non mais sérieux, elle perd complètement la tête avec cette histoire ! Ne l'écoute pas et ne t'excuse pas, Aly. Tu n'as rien fait de mal. Te connaissant, tu as voulu l'arroser mais au lieu de ça, tu as glissé sur l'eau et tu l'as renversé.
C'est vrai que ça aurait pu m'arriver. Non pas que j'étais hyper maladroite, mais je ne sais pas, avec les tournesols, je faisais toujours n'importe quoi. Je crois qu'ils me portaient la poisse.
— T'as tout compris. Mais elle n'a pas voulu m'écouter ! Je n'ai même pas le droit de manger dans la cuisine...
Mon chagrin a refait surface et mon frère l'a perçu. Il s'est mis à jurer.
— Alya, est-ce que tu veux partir plus tôt ? Je peux te loger si tu veux. Tu n'as pas à subir la tension de toute la famille sous prétexte que tu n'es pas concernée par le problème. Rejoins-moi à Londres et laisse-les se débrouiller avec les derniers points à régler.
Comme j'aurais aimé accepter sa proposition... Si nous avions parlé une semaine auparavant, je n'aurais pas hésité une seule seconde. Mais depuis hier, je savais ce qui m'attendait si je quittais la maison. Et ce n'était pas bon. D'autant que si je me rendais directement chez Nathan, je le mettrais en danger, lui aussi.
Une boule se formant dans ma gorge, j'ai dû décliner :
— Merci... mais je pense qu'ils ont besoin de moi ici. Je suis la seule à garder plus ou moins la tête froide. Si je m'en vais, j'ai peur qu'ils brûlent la maison.
Mon excuse était minable mais Nathan n'a pas semblé s'en préoccuper. Il devait s'inquiéter pour nos parents, lui aussi.
— Très bien. Mais s'il y a le moindre problème, tu rappliques. Ou tu m'appelles au moins. D'habitude, je suis là pour faire tampon... Juliette est trop jeune, elle n'est pas assez mature à leurs yeux, elle ne peut pas endosser ce rôle à ma place. Ça me tue de ne pas pouvoir t'aider.
Ses mots ont passé un baume magique sur toutes les blessures psychologiques que m'avait infligé ma famille. Je me suis mordu les lèvres, sentant mes yeux se mouiller.
— Nathan, tu me manques tellement, ai-je murmuré, tentant de contrôler les tremblements dans ma voix.
— Toi aussi, mon chat. Fais attention s'il te plaît.
Un bruit a retenti au loin et mon frère s'est éloigné du combiné en s'énervant.
— Nathan, ça va ?
Quarante-trois secondes se sont écoulées avant qu'il ne réponde :
— Je suis désolé mais je vais devoir raccrocher. Prends soin de toi, d'accord ?
J'ai pris une douche de déception.
— D'accord.
Pourquoi fallait-il que notre échange soit si court ? J'avais besoin de lui, besoin de quelqu'un dans mon camp, besoin de savoir que je n'étais pas simplement le petit rejeton Clarke que personne n'appréciait et qu'on se coltinait par défaut. Sauf que je ne pouvais pas dire ça. Pas dans une période aussi grave. Me plaindre auprès de Nathan n'aurait rien changé : au mieux, il aurait culpabilisé, au pire, il aurait appelé ma mère pour envenimer la situation.
J'allais éteindre mon téléphone, des sanglots plein la poitrine quand il m'a retenue.
— Alya ?
— Oui ? ai-je aussitôt lancé, pleine d'espoir.
— Fais attention. J'ai bien compris qu'ils ne s'intéressent pour l'instant qu'aux sorcières ayant fait leur éveil, ces cinglés, mais on ne sait jamais. Ne prends pas de risques inutiles.
Cette fois, une larme rebelle s'est échappée de mes yeux, a gravi la prison de cils qui la retenait et s'est mise à galoper sur ma joue.
— Promis, je vais faire au mieux.
J'ai raccroché presque immédiatement, craignant que mon frère entende toute la tension qui régnait dans cette réponse si peu honnête. Le silence est revenu, embrouillant mon esprit et emprisonnant mon cœur.
Je suis demeurée immobile pendant un long moment, les émotions en pagaille et le regard perdu. C'est tout ce dont je me souviens de la soirée. J'ai dû m'endormir comme ça, adossée dans mon lit, les joues humides et les poings serrés. Puis plus rien.
Lorsque j'ai rouvert les paupières, ma mère hurlait :
— Alya ! Tu vas être en retard.
J'ai gémi. Le sommeil engluait ma tête et mon corps était ramolli. Finalement, écouter les ordres de Neven n'allait pas être si désagréable. Tandis qu'on m'appelait encore, j'ai répondu de ma voix caverneuse :
— Je me sens pas bien ! Je vais pas à l'école !
Je comptais profiter des humeurs de ma mère pour qu'elle évite de se rendre dans la chambre et qu'elle me laisse seule. Un regard autour de moi m'a confirmé que Juliette était déjà descendue donc elle n'avait aucune raison de monter.
Mon plan avait toutes les chances de fonctionner. Vu comment Elena Clarke était têtue, elle ne prendrait pas la peine de venir me parler. Le simple fait de m'appeler devait lui coûter, j'en étais certaine. Je fermais donc sereinement les yeux, ne m'attendant plus à être dérangée et alors que je re-sombrais, ma porte s'est brutalement ouverte.
— Alya Clarke ! Il est hors de question que tu profites de la situation pour sécher les cours.
Ma couette a volé en arrière et deux bras se sont noués autour de mes poignets pour me forcer à me lever. Je me suis laissée faire, trop choquée pour réagir. Je sentais la rage émaner du corps de ma mère et quand j'ai ouvert les yeux, j'ai constaté qu'elle était dirigée vers moi.
Merde.
— Tu casses des tournesols, tu ne fais rien pour nous aider et maintenant tu veux manquer les cours ? Je ne t'ai pas élevée comme ça ! s'est-elle écriée en me secouant dans tous les sens.
Mon réveil ne datant que de quelques secondes, le monde s'est mis à tanguer et j'ai perdu l'équilibre. Mais elle m'a tirée contre elle, m'empêchant de m'effondrer sur mon lit.
— Arrête de faire n'importe quoi. Ta cousine en danger de mort se rend au lycée malgré la menace qui pèse sur sa tête et toi, qui n'as aucun problème, tu préfères rester bien au chaud sous les couvertures ? Non, ça ne marche pas comme ça. Tu t'habilles et je t'amène. Tu as dix minutes.
Sans me laisser le temps de répondre, la sorcière m'a lâchée et s'est ruée sur la sortie, claquant la porte derrière elle. Je suis retombée sur mon lit, vidée de toute énergie alors que la journée n'avait pas commencé. J'avais l'impression qu'un ouragan venait de passer.
Et cet ouragan était déterminé à m'envoyer en cours. C'était mauvais.
Jurant, j'ai attrapé mon portable et rédigé un message pour prévenir Neven. En espérant que ça le forcerait à faire plus vite et qu'il serait de retour avant la fin de la journée. Sachant qu'il ne me répondrait pas tant qu'il était à Londres, je n'ai pas prêté plus d'attention à mon écran et je me suis levée, attrapant un jean et un pull pour me traîner à la salle de bains.
Une fois le verrou tourné, je me suis appuyée sur le contour du lavabo et ai fixé mon reflet d'un air paniqué. Je prenais conscience de ce qui était en train de se passer : ma mère voulait m'obliger à sortir de cette maison.
Neven n'était pas là.
Je n'avais pas encore terminé mon éveil.
Les vampires connaissaient mon nom et mon adresse à présent.
Le cauchemar... Je devais tout tenter pour la faire changer d'avis. C'était une question de vie ou de mort. Tournant le jet de douche, je me suis déshabillée et me suis jetée sous l'eau brûlante. Je n'avais pas vraiment de plan si ce n'est celui de trop tarder.
La porte était fermée à clé et je comptais sur le bruit de la douche pour excuser mon absence de réponse. Même si ça allait l'énerver, elle n'aurait pas d'autre choix que de partir sans moi. Elle avait du travail au Coven, surtout en ce moment et elle ne pouvait pas se permettre d'être en retard. Je lui dirais ce soir que je ne l'avais pas entendue, je m'en prendrais sûrement une mais au moins, je serais en vie.
Au bout de quelques minutes, comme prévu, ma mère s'est mise à hurler mon prénom. Je n'ai rien dit. Je me suis même mise à chanter. Je devais rester ici, c'était indispensable pour ma survie. J'ai augmenté la pression dans le pommeau et j'ai poussé sur mes cordes vocales, braillant comme une casserole.
Malgré tout, elle s'est entêtée. Elle n'avait pas l'habitude que je lui résiste. En temps normal, je n'agissais pas comme ça. Mais je n'avais pas le choix. Une minute est passée, puis deux. Ma mère a crié tout ce temps, mais je l'ai ignorée.
Elle ne tiendrait pas longtemps. Il devait être environ neuf heure et demie, elle avait déjà du retard. Elle ne pouvait pas patienter plus. J'ai continué de chanter à tue-tête en fermant les yeux et en croisant les doigts, espérant de tout cœur que ce plan bancal tienne la route.
Et c'est ce qu'il a fait.
Pendant les trente secondes de silence qui ont suivi le dernier appel enragé de ma mère.
Puis soudain, sans crier gare, mon corps s'est mis en mouvement sans que je le lui en aie donné l'ordre. J'ai poussé un cri de stupeur.
— Mais qu'est-ce qu...
Mes pieds ont enjambé la baignoire, mes mains se sont saisies de la serviette et m'ont frottée ardemment pour me sécher. Alors j'ai compris. Maman était tellement remontée qu'elle utilisait sa magie. La peur m'a envahie et j'ai tenté de résister. J'ai poussé sur mes bras, tiré sur mes jambes mais rien n'y a fait.
C'était comme si la connexion entre mon cerveau et mon organisme s'était rompue. J'étais une marionnette. Mes bras ont enfilé le jean, ils ont passé le pull par-dessus ma tête et déverrouillé la porte. J'ai voulu crier, me plaindre mais mes lèvres sont restées closes.
Un flot de colère m'a submergée. Comment osait-elle ? Sous prétexte que je ne lui obéissais pas elle se donnait le droit de disposer de mon corps comme si c'était le sien ? C'était impardonnable !
Après m'avoir forcée à faire un crochet par ma chambre pour récupérer mon sac et nouer les lacets de mes chaussures, elle m'a fait descendre les escaliers. J'ai lutté. Je me suis concentrée de toutes mes forces, ai voulu planter mes pieds dans le sol et mes ongles dans la rampe mais je n'ai pas réussi.
Aucun muscle n'a ne serait-ce que tressailli. Mon corps ne m'appartenait pas. Il m'emprisonnait. Rapidement, je suis arrivée en bas et ma mère m'a fait face. Son regard était aussi glacial que l'air dehors et lorsqu'elle m'a parlée, mon esprit a frissonné :
— Tu n'imagines pas à quel point je suis énervée, Alya. Ce soir, tu rentres toute seule.
Et sans en dire plus, elle m'a tourné le dos. Comme j'aurais aimé qu'elle oublie de prolonger le sort, comme j'aurais aimé qu'elle me libère. Je me serais jetée en arrière, j'aurais attrapé la porte et je l'aurais claquée. Elle n'aurait plus été capable de passer à travers les protections qu'elle avait elle-même érigées. J'aurais pu être en sécurité.
Mais Elena était têtue et intelligente. Elle n'a pas oublié. Mon corps l'a suivie comme un zombie. Bientôt, je suis parvenue à l'entrée. Ma conscience m'a suppliée de m'arrêter, elle m'a envoyé des décharges électriques dans chacun de mes nerfs, tentant par tous les moyens de m'empêcher de passer le pas de la porte.
Mais ça n'a servi à rien. Mon pied gauche s'est posé sur la terrasse, mon droit l'a suivi. Et très vite, je me suis retrouvée à l'extérieur. Alors, un terrible sentiment d'appréhension m'a frappée. Je n'aurais pas dû me trouver ici, je n'aurais pas dû quitter la maison. J'en avais la certitude. Plus que de la peur, c'était un pressentiment. J'étais en danger. J'ai voulu le dire à ma mère, mais elle ne m'a pas autorisée à parler.
Nous avons fait tout le trajet en silence et elle m'a contrôlée jusqu'à s'être assurée que j'étais dans l'enceinte du lycée. C'était une catastrophe.
Aujourd'hui, le seul jour où je ne devais pas me rendre dehors, ce jour où j'étais totalement vulnérable, vouée à moi-même, je me retrouvais au lycée et je n'avais personne pour venir me chercher. En plus, ma mère n'avait pas pensé à me faire prendre mon téléphone, aussi, je ne pouvais pas espérer appeler mon père pour le supplier de venir quand même.
Aujourd'hui, j'étais seule face au reste du monde.
Aujourd'hui, j'étais surtout foutue.
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