Chapitre 35 - Des créatures de la nuit

L'espace de quelques secondes, l'air autour de nous s'est envolé dans le ciel, il s'est tapi derrière les nuages denses qui s'amoncelaient au-dessus de nos têtes. J'ai eu l'impression d'évoluer dans de l'eau, d'avoir plongé dans un océan de terreur et de ne pas pouvoir m'en dépêtrer.

Tout était étrangement lent autour de moi, aussi bien leurs mouvements que les miens. Les personnes dissimulées dans la forêt se sont révélées à la lumière de ma maison, s'approchant avec des sourires effrayants, munis de dents ciselées.

L'homme qui me tenait m'a tirée en arrière, m'a forcée à reculer, à m'éloigner de mon refuge et je me suis débattue. Tout se passait au ralenti. J'étais engluée par ma peur. J'avais beau cligner des yeux, rien n'y faisait. Le temps s'écoulait différemment et mes perceptions en étaient pour le moins impactées.

Ce qu'il y avait de plus difficile encore, c'était mon cri, qui ne cessait de s'étendre dans l'espace, de partir se cogner contre les arbres pour me revenir dans les oreilles comme un boomerang et me les boucher à grand renforts d'acouphènes destructeurs.

— Qu'est-ce que tu lui as fait ?

Une voix de femme a soudain retenti au loin, mais elle aussi était effacée, ne parvenant pas directement jusqu'à moi, comme si une gomme en avait émoussé les contours et que je ne recevais plus qu'un son assourdi.

— Rien du tout, je ne sais pas ce qui lui arrive !

J'ai cligné des paupières, tenté de répondre mais j'étais ailleurs. J'étais dans un autre monde, un monde où la panique avait tant accéléré les battements de mon cœur que tout ce qui avait lieu autour semblait fonctionner dans une lenteur accablante.

— Je te jure que si elle est blessée, je te tue. On a besoin d'elle vivante, je te rappelle.

— Elle est vivante ! Tu le vois bien.

J'ai bougé les lèvres pour répondre, pour leur dire que je les entendais, les ordonner de me lâcher mais mon corps n'a pas suivi. Comme dans un mauvais rêve, j'ai voulu hurler mais c'est à peine si un souffle a réussi à s'échapper de ma gorge.

— Pourquoi elle ressemble à un cadavre ?

La conversation a continué mais je ne suis pas parvenue à suivre. Mon cœur était en train d'exploser dans ma poitrine, ses battements martelaient ma cage thoracique si fort qu'une douleur insoutenable venait d'apparaître et torturait la totalité de mon torse, me rendant incapable ne serait-ce que de me tenir droite.

J'étais en train de faire un infarctus. Il n'y avait pas d'autre explication. J'allais mourir avant même qu'ils aient pu me tuer. Quelle ironie ! Cependant, les meurtriers ne partageaient apparemment pas mon sens de l'humour parce que la femme s'est soudain matérialisée devant moi, sans que j'aie eu le temps de la voir approcher et sa main s'est abattue sur ma joue, si fort que ma tête est partie en arrière et que des étoiles se sont mises à briller derrière mes paupières en même temps qu'un bourdonnement atroce à l'intérieur de mon crâne.

— On se réveille maintenant, j'ai pas le temps de m'occuper de ta crise de panique, fillette.

Et d'un coup, tout est revenu à la normale : l'air s'est faufilé dans le dôme brumeux qui nous surplombait pour me ramener à la vie. Le temps a repris son cours et les sons se sont intensifiés brusquement, étouffant toute trace d'acouphènes ou de bourdonnement dans ma tête. Le visage de la femme qui s'était avancée est devenu plus net et ce que j'ai pu discerner en premier, ç'a été ses canines tranchantes qui m'ont tiré un nouveau hurlement suivi d'une série de questions que je n'aurais jamais cru poser :

— Qu'est-ce que vous me voulez ? Pourquoi vous êtes là ? Vous allez me tuer ? Vous êtes qui ? Non... je veux dire : vous êtes quoi ?

La femme a haussé un sourcil, pas impressionnée par mon aplomb pour un sous. Au contraire, elle semblait même déçue, comme si elle s'était attendue à ce que j'ai déjà les réponses en ma possession. Mais évidemment, je ne les avais pas, j'avais bien trop souvent été mise de côté pour pouvoir connaître une quelconque information sur le monde surnaturel.

Et aujourd'hui, face à ce groupe de monstres, je me suis rendu compte que je loupais bien plus encore que tout ce que j'avais pu imaginer au cours de ma brève existence. Et j'ai compris alors que cette ignorance allait m'être fatale.

Dans un dernier relent d'espoir, j'ai enfoncé mes ongles dans le cou de la femme qui a poussé un petit couinement de surprise et a relâché sa prise autour de mes épaules. Sans attendre, je lui ai envoyé mon genou dans l'abdomen – geste que j'avais eu la chance d'apprendre en regardant nombre de films d'action – et, tandis qu'elle se pliait en deux, j'ai fait volte-face pour foncer vers mes escaliers le plus vite possible.

Dans ma tête, la détermination prenait toute la place, elle me criait de courir, m'encourageait à aller plus vite, m'ordonnait de survivre. J'étais peut-être faible, commune et pas bien maligne, mais ça ne pouvait pas justifier qu'on m'ôte la vie.

J'étais jeune, dynamique et courageuse. Je devais me défendre. J'avais un abri à quelques mètres, un endroit où me réfugier, une sorte de bunker magique construit par ma mère dans le cas de situations en tous points similaires à celle que je subissais actuellement.

Ne réfléchissant pas, j'ai senti la première marche glisser sous mon pied et je me suis rattrapée in-extremis à la rambarde. Pestant contre la neige, je n'ai pas ralenti pour autant. Derrière moi, crissait la cadence effrénée des pas de mes assaillants. Je n'avais pas de temps à perdre.

Poussant sur mes jambes, j'ai parcouru les quatre autres marches, suis arrivée sur la terrasse et, alors que j'allais pousser la porte, deux bras m'ont de nouveau ceinturée. J'ai hurlé, me suis débattue de toutes mes forces mais rien n'y a fait. L'étau qui m'enserrait n'a pas faibli.

— Tu ne nous échapperas pas. Ça fait bien trop longtemps qu'on attend ce moment, a soufflé un autre homme à mes oreilles.

Mes poils se sont hérissés sur ma nuque et je me suis mise à trembler de rage : ils n'avaient pas le droit de m'enlever, pas le droit de me tuer, pas le droit de faire ce qu'ils voulaient de moi simplement parce qu'ils en avaient décidé ainsi. Toute ma vie, je m'étais pliée aux ordres, j'avais accepté qu'on me restreigne, qu'on rabaisse, qu'on m'entrave.

Il n'était pas question que je meurs dans les mêmes conditions. Il n'était pas question que je me laisse faire une énième fois. J'avais beau dire que ma condition m'était égale, c'était tout le contraire. J'en avais marre qu'on me dicte ma conduite, marre qu'on me répète inlassablement que j'étais inférieure, marre qu'on me mette à l'écart et qu'on m'oblige à m'enfermer, seule, au milieu d'une forêt mortelle.

Ça devait changer. Tout de suite.

— Hé, arrête de te tortiller comme ça. Tu n'iras nulle part, tu es à nous, a repris l'homme.

Grosse erreur. J'ai ressenti une brusque chaleur se déverser dans mes veines, une chaleur familière, qui m'avait emplie quelques mois plus tôt dans des circonstances nettement différentes. J'aurais sûrement dû avoir peur face à un tel souffle de puissance, mais au contraire, j'ai accueilli son intensité avec reconnaissance. Il était temps de leur faire comprendre que je n'appartenais à personne, que personne n'avait le droit de me traiter ainsi, même si j'étais frêle et isolée.

Prenant une grande bouffée d'air, j'ai répondu d'un ton tranchant :

— Je... (le vase d'un des tournesols près de nous a explosé en mille morceaux), ne... (un autre l'a suivi), suis pas... (trois fenêtres ont éclaté à notre droite), à vous !

Cette fois, les gonds de la porte ont lâché et elle a été projetée au milieu du porche, dans notre direction. Pendant une seconde, j'ai cru que l'homme allait me libérer, qu'il serait impressionné, mais d'un mouvement fluide et d'une rapidité inhumaine, il nous a fait sauter par-dessus la rambarde et nous avons atterri de manière totalement contrôlée au milieu du jardin, au centre du groupe de monstres.

J'étais cuite.

— Qui croyait encore qu'on s'était trompés ? a demandé un homme d'une vingtaine d'années.

Personne n'a répondu, leur regard s'étant entièrement fixé sur moi, une lueur inquiétante luisant dans leurs iris opaques.

— C'est la bonne, a confirmé quelqu'un d'autre.

Tout le monde a hoché la tête et alors, la femme qui m'avait giflée s'est frayé un passage au sein de l'équipe pour se placer à nouveau devant moi. Elle m'a saisi le menton entre ses ongles crochus et ses traits se sont déformés sous le coup de la colère.

— Tu as osé me frapper ? s'est-elle indignée.

Ses doigts se sont enfoncés dans ma peau, faisant naître une douleur cuisante dans ma mâchoire. Je n'ai pas moufeté, paralysée par la peur. Mon absence de réaction a paru l'énerver encore plus.

— Qu'est-ce qui te fait croire que tu peux me salir avec tes mains dégoûtantes, sale sorcière ?

Sa voix était terrifiante. Elle ne criait pas et pourtant, son timbre rugissant semblait agiter l'air autour de nous, le faire virevolter dans mes cheveux, les enjoignant à me fouetter le visage violemment. J'ai cligné des paupières pour protéger mes yeux contre l'assaut de mes propres mèches entortillées en des lianes étranges.

— Kalia, tu l'as dit toi-même : on ne doit pas la blesser, a tenté de la raisonner une voix au loin.

Mais la tyrante Kalia ne l'écoutait pas. Elle n'écoutait plus personne, aveuglée par la haine que j'avais éveillée en elle.

— Il est hors de question que tu t'enfuies. Nous en avons tué trop qui étaient inutiles. Je ne peux faire que ces petits tours de passe-passe ridicules.

J'ai rouvert les yeux pour voir de quoi elle parlait et j'ai regardé son nez pointer ma chevelure ensorcelée. Malgré la peur qui me tenait aux tripes, j'ai dû ravaler un sourire : si c'était son seul pouvoir, jamais elle n'aurait fait le poids contre ma mère. Ni même contre mon père, d'ailleurs. Ses capacités magiques étaient pour le moins médiocres. La preuve : même moi, une demie sorcière de la nuit n'ayant pas terminé son éveil, étais capable de le sentir.

— Et tu te moques en plus ?

Mon sourire a brusquement disparu sur mes lèvres. Mince ! J'avais cru le retenir mais il s'était épanoui sur ma bouche de son propre chef. Quelle idiote ! Cette erreur allait me valoir la mort, c'était certain.

Les ongles de Kalia se sont encore un peu enfoncés dans mon menton et cette fois, j'ai grimacé.

— Je vais te faire regretter ces affronts. Tu as besoin d'une leçon.

Kalia a alors montré les dents, la lumière du porche se reflétant sur ses canines interminables et sans plus attendre, elle s'est jetée sur ma gorge, broyant ma peau entre ses incisives tranchantes. Une souffrance insupportable s'est mise à palpiter dans mon cou, elle s'est étendue dans ma mâchoire, dans mes oreilles et ma poitrine et je me suis mise à hurler d'agonie.

Je me suis débattue, ai agrippé ses cheveux, les ai tirés, arrachés, éparpillés sur le sol, mais la femme ne s'est pas détachée. Elle s'est mise à aspirer de grandes goulées de sang et j'ai été prise de vertiges.

— Laissez-moi ! À l'aide !

L'horreur m'a emplie toute entière, s'est insinuée par litres dans mes veines qui se sont rigidifiées sous le coup de l'anémie. Je n'avais pas mangé, j'étais faible, j'avais à peine dormi et voilà qu'on me vidait du peu d'hémoglobine qu'il me restait. J'allais y passer. J'allais mourir sous les crocs d'un vampire.

Je n'en revenais pas de penser ça, je n'en revenais pas d'y croire ! Mais c'était la vérité : qui d'autre possédait des dents pointues, une peau diaphane, une vitesse surnaturelle et une soif de sang ? Ma conscience me criait peut-être que ce n'était qu'un mythe, qu'une histoire qu'on racontait dans des romans à l'eau de rose pour émoustiller les ados de mon âge, je devais me rendre à l'évidence : les vampires existaient. Et l'un d'eux allait me tuer.

Mes jambes m'ont soudain lâchée. Je me suis écroulée mais la femme m'a retenue, me collant à elle pour aspirer toujours plus de sang. Des points blancs se sont mis à briller dans mon champ de vision et les battements de mon cœur ont dangereusement ralenti.

— Lâchez-moi (ai-je soufflé faiblement), je vous en supplie.

Ma voix s'est brisée. Un voile noir a recouvert mes pupilles, j'ai entendu quelqu'un glapir, sûrement pour ordonner à ma prédatrice d'arrêter, mais c'était trop tard. Personne ne serait capable de l'arrêter à temps. Je le sentais. Je le savais.

J'allais baisser les paupières, me résignant à perdre la vie ainsi, à quelques mètres de ma maison protégée, seule et pitoyable, lorsqu'on m'a brutalement arrachée à l'étreinte de Kalia. J'ai ouvert grands les yeux, désorientée et observé avec surprise le visage de mon assaillante se décomposer.

Sa bouche s'est arrondie pour former un cri sourd et elle a plaqué ses mains sur sa poitrine, où bourgeonnait une fleur écarlate. En son centre, luisait une lame pourpre, fichée dans son cœur. J'ai aspiré l'air, épouvantée, ai tenté de m'écarter en chancelant mais me suis cognée contre un torse dur.

— Lai... laissez-moi, ai-je répété dans un murmure.

— Alya... Tu vas bien ?

Alors que je vacillais, deux mains se sont accrochées à mes coudes et m'ont forcée à me retourner. Ce que j'ai découvert m'a laissée sans voix. Ça ne pouvait pas être possible, j'étais en train d'halluciner. Il ne pouvait pas être là. Pas après tout ce qui s'était passé.

Pourtant, malgré le brouillard qui prospérait dans ma rétine, ses traits ainsi que la sensation que son contact me procurait ne pouvaient pas me tromper. Utilisant les dernières forces qu'il me restait, j'ai chuchoté :

— Tu es revenu ?

Le garçon m'a adressé un sourire pincé, me dévisageant avec inquiétude.

— Oui, je suis là, a-t-il répondu d'une voix ferme.

Il a passé un bras sous mes genoux, l'autre derrière ma nuque et m'a soulevée, me lovant contre son torse.

— Je suis là, Alya, a-t-il soufflé d'un ton rassurant.

Le soulagement balayant le peu d'adrénaline qui me maintenait éveillée, j'ai fermé les paupières et ai serré les poings autour de son pull.

— Tu m'as manqué, Neven.

Puis j'ai sombré, l'entendant me répondre d'une voix troublée par ma faiblesse.

— Toi aussi, ma belle, tu n'imagines pas à quel point.

Hello les amis,

J'espère que vous allez bien !

Dites moi, j'ai changé la couverture de L'Éveil d'Alya, vous en pensez quoi ?

Sinon, merci à vous pour votre présence ! Oh la la, si vous saviez comme je m'amuse à lire vos commentaires ! Sachez que Alya vit grâce à vous parce que, sérieux, c'est vous qui me poussez à écrire !

Gros bisouuus

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