Chapitre 32 - La mauvaise surprise
— Mais pourquoi t'es pressée comme ça ? Arrête de bouger tu me donnes le tournis !
Ma mère a essayé de me frapper et je l'ai évitée de justesse en lui tirant la langue et en me mettant à arpenter le couloir de long en large de plus belle. J'avais beau ne rien avoir dit à propos de Neven et de son retour, Juliette avait compris ce qui m'arrivait et me lançait des regards moqueurs tandis que je sautillais, intenable.
Dans moins d'une heure, j'allais le retrouver. Je m'étais accrochée à mon téléphone toute la nuit en espérant recevoir des nouvelles qui n'étaient jamais apparues. Excepté quelques messages désolés de Kitty m'expliquant qu'elle n'était pas à Ryneshire ce week-end, ma boîte de réception était aussi vide que le sens des phrases de Jean-Claude Van Damme.
— Bon, allez. On y va. Alya, tu sors la première et tu fais le tour de la maison en courant, sinon je t'assure que je t'étripe.
J'ai ri face à l'agacement de ma mère puis me suis engouffrée dehors, avalant un bol d'air frais revigorant. Je ne tenais plus en place. Sincèrement, si ça n'avait pas risqué de me mettre en retard, j'aurais obéi à ma mère et fait un petit jogging autour du notre foyer.
Quelques minutes plus tard, mon père et Juliette ont émergé de la terrasse, les membres tremblants et des nuages de buée se formant au coin de leurs lèvres. J'ai souri face au nez de ma cousine, rougi par le froid.
— Bah alors, on ne supporte pas les températures de novembre ?
Juliette a levé ses magnifiques yeux verts au ciel.
— Désolée mais ce n'est pas dans ma culture. À Séoul, même si les températures sont basses, on a toujours un rayon de soleil pour nous réchauffer. Ici... (elle a jaugé le temps d'un air hautain) il fait juste moche.
Sa remarque m'a fait glousser.
— Non mais quelle diva tu fais ! T'as vécu presque aussi longtemps à Ryneshire qu'en Corée du Sud, ma vieille. Arrête de faire genre que c'est nouveau.
— Écoute, on ne se refait pas. Mes origines restent là-bas, quoi qu'il arrive.
Sur ce, elle m'a décoché un clin d'œil avant de galoper jusqu'à la voiture pour se protéger du froid glacial. Je me suis frottée les mains et l'ai suivie d'un pas rapide. Je faisais peut-être la maligne, mais en réalité, cette matinée était particulièrement glacée et mes doigts étaient tout engourdis.
Le trajet s'est déroulé en silence, chacun se réveillant progressivement. Nous avons traversé la forêt de Silverwood, faisant des détours pas possibles histoire d'éviter de s'approcher d'une des deux scènes de crime qui avaient eu lieu ici.
Quand on a enfin rejoint la nationale, nous étions en retard et papa a appuyé sur le champignon.
— On ne pourra pas te ramener ce soir, Alya. Juliette a cours de magie après l'école et il faudra que ta mère l'amène.
— Ouais, je sais.
Non, on ne m'avait pas prévenue. Mais je préférais faire semblant d'être au courant plutôt que de montrer combien ce comportement me blessait : ils étaient tous aux petits soins pour Juliette. C'était bien, elle était en sécurité... mais en attendant, qui me protégeait moi des méchants ? D'accord, je n'étais pas leur cible numéro une, mais quand même !
Le bois qui entourait notre maison était le terrain de chasse des meurtriers, comment se faisait-il qu'ils ne soient pas un minimum plus inquiets pour moi ?
— S'il te plaît, rentre le plus tôt possible et envoie-nous des messages en arrivant, a repris mon père, sans s'apercevoir de ma morosité nouvelle.
— Oui, oui.
Ma voix était basse, tintée de tristesse ce qui a paru le déranger. Soudain, il a quitté la route du regard pour me dévisager.
— Hé, tu vas bien ma chérie ?
Un immense sentiment de culpabilité m'est tombé sur les épaules. Non mais qu'est-ce qui me prenait ? Juliette était en danger. Elle était la proie des tueurs, pas moi. C'était tout à fait normal que mes parents s'inquiètent pour elle. Je devais vraiment me calmer ! Depuis quand m'étais-je transformée en monstre d'égoïsme ?
Heureusement, le grand bâtiment en pierre du lycée a percé le brouillard, apparaissant au milieu des nuages noirs qui s'amoncelaient dans le ciel. J'ai fait mine de ne pas avoir entendu la question et me suis exclamée, les mains cramponnées à la poignée :
— On est arrivés ! Kitty m'attend, je dois y aller.
— Mais... Alya !
Je ne l'ai pas laissé terminer. Sautant quasiment de la voiture en marche, j'ai claqué la portière derrière moi et me suis élancée vers l'entrée de l'établissement où Kitty patientait effectivement, en grande conversation avec Cameron et deux autres garçons.
Je les ai rejoints en quelques enjambées et lorsque Cam m'a vue, son regard s'est illuminé.
— Mais qui vois-je ? Ne serait-ce pas mon nouveau plan cul ?
Cette remarque a étonné tout le groupe et trois têtes se sont tournées brutalement dans ma direction, m'observant avec curiosité. Lorsque Kitty et les deux camarades de Cameron ont fini par me reconnaître, ils ont éclaté de rire.
À croire qu'il était évident que je n'étais pas une fille qui pouvait plaire à Cameron Lee. En temps normal, je les aurais imités, mais là, sur le moment, peut-être parce qu'il était tôt et que j'avais très peu dormi, je l'ai plus ou moins mal pris.
— Pourquoi vous riez ? Ça vous semble si impensable qu'on puisse coucher avec moi ?
Ma question ne sonnait pas très agressive mais Kitty a compris qu'elle était tout de même sérieuse puisqu'elle m'a attrapée par la taille pour me serrer dans ses bras.
— Bien-sûr que non, c'est juste que tout le monde sait combien je suis folle de toi. Et sérieux, Cameron ne fait pas le poids face à moi.
Ma meilleure amie a lorgné le garçon du regard, une moue dédaigneuse se dessinant sur sa bouche. Évidemment, Cameron n'a pas pu s'empêcher de réagir.
— Comment ça je ne fais pas le poids ?
Je n'ai pas eu le temps de cligner des yeux qu'il m'attrapait à son tour pour m'arracher de l'étreinte de Kitty et me coller à son torse. Avant d'appuyer son menton sur mon crâne.
— À ton avis, lequel de nous deux a eu le droit à une nuit des plus torrides avec notre petite Clarke, toi ou moi ? Sachant que tu n'étais pas en ville ce week-end, je te laisse réfléchir...
Non mais c'était quoi ce délire ? Deux secondes plus tôt, je me plaignais de ne pas me sentir désirable et voilà que mes deux meilleurs amis se lançaient dans une dispute acharnée afin de conquérir mon cœur.
Un sourire est enfin apparu sur mes lèvres.
Ils étaient géniaux. Avant de laisser le temps à Kitty de répliquer, je me suis dégagée de la prise de Cameron pour les prendre tous les deux sous mes bras et les serrer contre moi.
— Merci, les gars. Maintenant j'ai l'impression d'être beaucoup trop populaire. Je vais prendre la grosse tête si vous continuez, je vous préviens.
Et sur cette boutade, nous avons gloussé comme des idiots. La sonnerie a rapidement retenti et, sans demander mon reste, j'ai foncé en direction de notre classe, l'impatience me faisant trembler. Kitty et Cameron m'ont laissé faire, sachant pertinemment pourquoi je me comportais comme une junkie en manque et j'ai grimpé les marches quatre à quatre avant tout le monde.
Quand je suis enfin arrivée devant la salle, j'ai réalisé que je m'étais peut-être montrée un peu trop pressée, me retrouvant en tête à tête avec le prof. Oups...
— Eh bien Madame Clarke, le lycée vous a tant manqué que ça ?
En un sens, oui. Mais simplement parce que lycée voulait dire cours et que cours voulait dire assise-à-côté-de-Neven-Arsher. Bien-sûr, j'ai gardé ce détail pour moi. Affectant un sourire poli mais figé, j'ai répliqué :
— Oui, beaucoup. Les vacances m'ont paru très longues.
N'ayant pas pu retenir mon ironie, je me suis mordu la lèvre, trop tard. Le mal était fait. Ce prof allait vraiment finir par me détester. J'ai levé les yeux, honteuse face à ma mauvaise blague mais l'expression que j'ai découverte sur le visage du vieil homme m'a laissée sans voix : il avait l'air dévasté.
— Je vous comprends, ma petite. Les temps n'ont pas été faciles cette saison. La CPE m'a informé que vous habitiez dans Silverwood. J'espère que vous ne rentrez pas seule après les cours. S'il s'avère que les autorités ont vu juste, nous faisons face à un tueur en séries et vous avez le parfait profil de ses victimes.
Toute l'excitation qui m'animait quelques secondes plus tôt a glissé sur mon corps pour ramper au sol et s'évaporer à mes pieds, aussi brusquement que de l'azote liquide. J'avais oublié ce détail.
— Euh, oui, Monsieur, ne vous inquiétez pas.
Enfin, plutôt non d'ailleurs. Personne ne viendrait me chercher ce soir, parce que personne ne s'inquiétait pour ma sécurité. Je me suis sentie bien insignifiante en pensant à ça. Heureusement, avant que mon prof ait pu en rajouter une couche, le bruit d'une porte qui claque a résonné dans tout le couloir, suivi de près par le bourdonnement des conversations des élèves.
— Bon, il me semble que le cours va bientôt commencer, entrez Madame Clarke.
Il m'a ouvert la porte et j'ai foncé à ma place, le cœur battant. Non mais pourquoi avait-il fallu qu'on parle de ce sujet ? Je me sentais tellement éreintée que mes jambes grelottaient et que mon souffle était saccadé.
Je me suis effondrée sur la chaise et, pour éviter de partir dans une crise d'hyperventilation, je me suis penchée par-dessus mon bureau pour sortir mes affaires de mon cartable. Rapidement, d'autres élèves sont entrés dans la classe pour se placer dans la classe.
Lorsque j'ai entendu un raclement de gorge, je me suis redressée en vitesse, pleine d'espoir, pour tomber nez à nez avec... Lily. Génial. Pendant une seconde, j'ai cru qu'elle était là pour m'annoncer qu'elle avait passé la semaine avec Neven et qu'ils étaient en couple, maintenant, mais les cernes sur son visage m'ont rapidement détrompée.
— Dis-moi... Alya. Est-ce que...
De nouveau, elle s'est éclairci la voix. Le fait de m'adresser la parole semblait lui coûter. Cependant – et à mon grand étonnement – elle a repris :
— Est-ce que tu sais si Neven va bien ?
Je suis restée bouche bée. Si je m'étais attendue à ça... aussi, comme une imbécile, je n'ai rien trouvé de mieux à dire que :
— Hein ?
Lily a froncé les sourcils, recouvrant son air condescendant qu'elle empruntait toujours à mes côtés.
— Je te demande si tu as eu des nouvelles de Neven.
Cette fois, je n'avais plus de doute. Ç'a été à moi d'avoir du mal à répondre.
— Euh, non. Je suis désolée. Il ne m'a pas parlé depuis Halloween...
Soudain, Lily s'est jetée sur mon bureau pour m'attraper par les poignets et me secouer dans tous les sens.
— Tu l'as eu à Halloween ? Il était comment ? Il avait l'air bizarre ?
Interdite, je me suis laissée faire, les mots mourants sur le bout de ma langue. Non mais c'était quoi ce délire ? J'avais dit plus tôt que je me comportais comme une junkie en manque, mais ce n'était rien par rapport à Lily maintenant.
— En fait, il m'a envoyé un message, c'est tout. Pourquoi ?
Le teint de la jeune fille a encore pâli.
— Je... Depuis la semaine dernière, il y a eu tant de morts... j'ai eu peur que...
Si nous nous étions trouvées au beau milieu d'un dessin-animé en cet instant, je suis sûre que mon menton aurait cogné le plancher. J'ai glissé un regard autour de nous pour m'assurer que personne ne pouvait nous entendre puis j'ai répliqué à voix basse :
— Enfin Lily, tu sais bien que les victimes sont des jeunes sorcières. Neven n'a pas du tout le profil. Il est juste rentré à Londres pour une affaire urgente. Il doit revenir aujourd'hui d'ailleurs.
Cette fois, Lily a planté ses ongles dans ma peau, si fort que j'ai poussé un gémissement de douleur qu'elle a complètement ignoré.
— Je sais ça, Alya. Mais je ne l'ai pas vu. J'ai attendu devant la grille jusqu'au dernier moment. Il n'est pas là. Neven n'est pas revenu. Je...
J'ai senti une goutte de sang perler le long de mon avant-bras et ma tête s'est mise à tourner. Je n'avais jamais vu Lily réagir de la sorte. Elle était généralement mesurée, avait même une capacité assez extraordinaire à enfouir ses émotions derrière un sourire glacial. Que lui arrivait-il ?
— J'ai besoin de savoir qu'il va bien, tu comprends ?
J'étais sur le point de lui ordonner de me libérer lorsqu'une voix froide et autoritaire m'a devancée :
— Lâche-là tout de suite, Lily.
La jeune fille a cligné des yeux, et baissé la tête, observant ses propres mains comme si celles-ci ne lui appartenaient pas.
— Mais qu'est-ce qui m'a pris ? a-t-elle murmuré.
Apparemment, ce matin, Lily Adams et moi avions une chose en commun : nous ne comprenions pas son comportement à mon égard.
— Je t'ai dit de t'écarter, a répété Cameron.
La belle métisse ne s'est pas fait prier et s'est détachée de moi comme si je l'avais brûlée.
— Je... je crois que j'ai besoin d'aller aux toilettes.
Elle m'a regardée moi, puis Cameron, puis encore moi avant de s'avancer vers le prof pour lui demander la permission de sortir. Ce n'est que quand elle a disparu de mon champ de vision que je suis sortie de ma transe. J'ai baissé les yeux pour regarder mes poignets et ce que j'ai découvert m'a arraché un cri : ma peau était parsemée de petits croissants de lune sanglants.
Lily n'y était vraiment pas allée de main morte.
— Putain, c'est elle qui t'a fait ça ? s'est indigné Cameron.
Il s'est brusquement tourné vers l'avant de la classe, comme prêt à en découdre, mais je lui ai attrapé le bras pour l'empêcher de suivre mon ennemie.
— Laisse tomber, elle n'était pas dans son état normal. Je crois... je crois qu'elle était amie avec une des victimes, ai-je chuchoté.
En effet, après quelques secondes de réflexion, j'en étais arrivée à cette conclusion. Je ne voyais pas d'autre raison pouvant expliquer son état si... étrange.
— Oh... a soufflé Cameron.
Il a jeté un second regard vers la porte mais cette fois, il paraissait désolé. Finalement, le prof a frappé dans ses mains pour nous enjoindre à nous asseoir et mon ami et moi avons dû faire face à une nouvelle réalité, toujours plus inquiétante : Neven continuait de briller par son absence. Or, elle ne coïncidait plus avec les informations qu'il nous avait données.
Une vague de peur s'est mêlée à mon sang et j'ai serré les dents, tandis que Cameron prenait place à côté de moi. Jusqu'ici, je n'avais fait que maudire le silence du beau Neven. Mais maintenant, je commençais sérieusement à m'inquiéter. Et si, en allant chercher des réponses à mon sujet, il avait rencontré des ennuis, de gros ennuis ? Du genre de ceux dont on ne ressortait pas vivant ?
Toute la colère que j'avais mariné dans mon ventre ces derniers jours a disparu, remplacée par l'angoisse. J'avais un très mauvais pressentiment. Et le silence éloquent de Cameron ne faisait que confirmer mes soupçons.
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