Chapitre 30 - Rendez-vous forcé

Je me suis réveillée haletante, le front couvert de sueur et le cœur battant tellement vite que ma poitrine tremblait. Pourtant, je n'ai pas bougé d'un pouce, je n'ai poussé aucun soupir, ayant trop peur de réveiller Juliette, dont la tête était confortablement nichée sur mon épaule.

En temps normal, je n'aurais pas eu le moindre scrupule à la secouer, mais à cette seconde, j'étais paralysée par la terreur de la découverte que je venais de faire : ce soir, au plus profond de mon rêve, j'avais vu les Ipomées Blanches des massacres de Silverwood. Depuis des mois, ces fleurs hantaient mes cauchemars, bien avant que le premier meurtre ne soit perpétré, et cela ne me disait rien qui vaille.

Ça ne faisait que me conforter dans l'idée que, d'une façon ou d'un autre, j'étais liée au groupe maléfique qui semait le chaos à Ryneshire. Cette constatation m'a tellement ébranlée que je me suis mordu la lèvre jusqu'au sang, inondant ma bouche d'une saveur métallique désagréable.

Comment allais-je faire ? Devais-je continuer de garder le secret ? Devais-je mettre ma famille à l'écart de toute cette histoire ? J'aurais voulu dire que non, j'aurais voulu pouvoir changer d'avis, mais les mots de Neven ne cessaient de tourner dans ma tête : et s'il avait raison ? Et s'ils décidaient de me confisquer mes pouvoirs ?

Je n'en avais déjà presque pas, je les attendais depuis tellement longtemps... Les perdre avant même d'avoir pu y goûter serait une véritable torture ! Et puis, si j'en croyais le seul sorcier de la nuit que je connaissais, l'unique raison qui poussait les sorciers de la vie à faire ça, c'était leur peur de l'inconnu : leurs confrères du monde obscur étaient trop rares pour qu'ils puissent vraiment les côtoyer et leur magie, différente de celle de la vie, les effrayait d'autant plus qu'ils n'en réalisaient pas la totale portée.

Aussi, ça ne faisait que me conforter dans l'idée que je devais continuer de me taire. Même si c'était une torture, même si je rêvais de dénouer mes lèvres, de m'agripper aux épaules de ma cousine pour la réveiller et tout lui révéler. J'avais trop peur des répercussions de mes actes. Et puis... rien ne me disait que Neven ait vu juste : certes, il s'était passé des phénomènes étranges lorsque nous avions été réunis.

Mais plus le temps passait, et plus je commençais à me dire que c'était lui, sans s'en rendre compte, qui les avait provoqués. Pourquoi ? Parce que depuis son départ, c'était le calme plat, la tempête était passée, laissant derrière elle une étendue plus claire et limpide que celle d'un miroir d'eau. Pas une vague, une seule, n'était venue perturber mon quotidien dépourvu de magie.

Le simple fait d'y penser a alourdi le poids sur ma poitrine. Car, si j'avais raison et que je n'étais personne... Alors, qu'est-ce qui me poussait à rêver de ces foutues fleurs sataniques ? Si je n'étais rien d'autre qu'une simple humaine et que j'étais tout de même liée aux meurtres, est-ce que cela voulait dire que ma mort était proche ?

Juliette m'avait dit tout à l'heure qu'elle avait senti la vie quitter le corps de sa sœur, en parlant d'Alexandra, et si... et s'il m'arrivait la même chose ? Si, comme j'avais quelques gouttes de magie dans mon sang, je pouvais prévoir ma mort, la vie qui finirait bientôt par me quitter ? Cette idée me terrorisait encore plus que toutes les autres.

Soudain, mon souffle s'est bloqué dans ma poitrine et je me suis mise à frissonner, secouée de spasmes incontrôlés. Merde. Je paniquais. Essayant d'ignorer mon état lamentable, j'ai doucement glissé mes doigts contre mon corps pour attraper mon téléphone. Je me suis ensuite assurée que la luminosité était à son minimum avant de faire ce qui me démangeait : envoyer un énième message à Neven.

« Qu'est-ce que tu fais ? Je te dis que deux filles ont été tuées juste à côté de chez moi, que j'ai peur d'avoir un lien avec tout ça, tu me racontes ces histoires débiles d'âmes sœurs et blablabla mais t'es incapable de répondre à un appel à l'aide ? Sérieux, attends-toi à mourir à ton retour. »

Mon doigt a survolé la touche « envoi » pendant plusieurs secondes, j'ai cligné des yeux, léché ma lèvre sanglante avant de finalement baisser les paupières pour effacer. Me montrer agressive ne servirait à rien. Même si ça me faisait mal de l'admettre, j'avais besoin de son aide et si je l'insultais, il n'aurait plus aucune envie de me répondre. Aussi, mettant ma fierté de côté, j'ai changé mon message en un pathétique : « j'ai vraiment besoin de toi, tu peux m'appeler ? ».

Puis, refusant de voir la barre de chargement me prouver que le SMS était parvenu à Neven, j'ai éteint l'écran et me suis frotté les yeux rageusement. Je détestais cet état de dépendance. Je détestais être incapable de me débrouiller seule. Malheureusement, ce n'était pas vraiment comme si j'avais le choix.

Trois jours, Alya, trois jours.

Me suis-je répété intérieurement. Il ne restait plus que trois, ou plutôt deux jours, à présent, avant la rentrée. Deux jours avant de le retrouver. Et une fois qu'il se serait assis à côté de moi en classe, je ne lui laisserais plus aucune échappatoire. Il serait à ma merci, j'en faisais le serment.

***

— Chérie, ce soir, on lève ta punition. Invite des amis à la maison.

C'est la première phrase que m'a adressée mon père ce matin, autour de la table qui abritait notre petit déjeuner. J'ai haussé un sourcil méfiant. Ce n'était pas normal. Il y avait anguille sous roche, j'en étais certaine.

Calmement, j'ai sorti mon sachet de thé de ma tasse pour le poser dans un bol avant de porter le liquide brûlant à mes lèvres et d'avaler une gorgée revigorante.

— Pourquoi je ne suis plus punie ?

Les lèvres de papa se sont pincées et il a lancé un regard gêné à maman. J'avais visé juste : ils me tendaient un piège. Comme d'habitude, Jeremy s'est dégonflé et c'est Elena qui a expliqué d'un ton doux :

— On a une réunion au Coven ce soir, on doit fixer les mesures de sécurité pour nos jeunes recrues.

J'ai tourné la tête et me suis rendu compte que Juliette évitait mon regard. C'était donc ça : ils me laissaient encore seule de nuit, au milieu d'une forêt qui abritait potentiellement quelques meurtriers sanguinaires et ils voulaient se donner bonne conscience en entraînant d'autres victimes innocentes dans cet enfer.

J'ai mordillé ma lèvre abimée.

— Ce serait avec plaisir que j'inviterais des amis mais...

Je me suis arrêtée en cours de route, espérant que mes parents comprendraient ce que je voulais dire sans avoir à le formuler.

— Mais quoi ? a insisté mon père.

J'avais la confirmation que les sorciers de la vie ne lisaient pas les esprits. Soupirant un grand coup, j'ai fini par avouer :

— Mais je ne suis pas sûre que quiconque acceptera de s'aventurer dans le bois après tout ce qui s'y est passé.

Une aura noire à soudain ruisselé sur le plafond de la cuisine, plongeant tous ceux qu'elle recouvrait dans une profonde tristesse.

— Oh, c'est vrai... a chuchoté ma mère.

Elle s'est mise à triturer ses œufs, semblant réfléchir à la question. Je savais à quoi elle pensait : devait-elle m'autoriser à aller dormir ailleurs ? Mais dans ce cas, je ne serais plus protégée par les sortilèges qu'elle avait posés sur la maison.

Quand elle s'est redressée, j'ai su que j'avais perdu la bataille.

— Essaie quand même, ma puce. Et si personne ne vient, je te prendrai un ticket pour que tu passes la nuit à Londres, chez Nathan.

En entendant ces mots, mon cœur a fait un bond dans ma poitrine. Neven se trouvait à Londres... Et si... Non ! Je ne devais pas me faire des idées. Londres était une ville immense et je n'avais aucune idée d'où il habitait. A tous les coups, vu son manoir à Ryneshire, il possédait une maison au beau milieu de Notting Hill, mais ce n'était qu'une supposition.

Me rendant compte, après avoir empoigné ma tasse une seconde fois, que tous les regards étaient braqués sur moi, j'ai fini par marmonner :

— OK, je vais appeler des gens et je vous dis.

Les traits de mon père se sont tirés.

— En fait, ça nous arrangerait que tu les appelles maintenant : si tu dois aller à Londres, on doit prendre le billet avant midi.

Un coup d'œil à la pendule m'a indiqué qu'il était onze heures et quart. Ah ouais...

— Euh, du coup... je les appelle tout de suite, c'est ça ?

Les adultes ont hoché vigoureusement la tête. Mentalement, j'ai levé les yeux au ciel. Puis, sans un mot, j'ai attrapé mon portable – où ne se trouvait, bien évidemment, aucune réponse de Neven – et j'ai cliqué sur le contact de Kitty avant de plaquer le combiné à mon oreille.

Il y a eu plusieurs sonneries avant que, hélas, je ne tombe sur le répondeur. J'ai grimacé :

— Ça ne répond pas.

— Essaie encore ! m'a enjoint ma mère, d'un geste de la main.

Je lui ai obéi et suis tombée une seconde fois sur la messagerie. J'ai secoué la tête devant son air interrogateur et elle a laissé s'échapper un grognement de ses lèvres.

— Tu n'as personne d'autre à contacter ?

Si, j'avais quelqu'un, bien sûr. Mais j'étais certaine qu'en l'invitant, tout le monde se ferait des idées. J'avais donc préféré éviter ce cas de figure. Cependant, il semblait que je n'avais plus tellement le choix.

— Si, ai-je grommelé.

— Alors appelle !

Je me suis à nouveau penchée sur mon écran et ai cliqué sur le profil m'intéressant. J'ai porté ensuite le téléphone à mon visage et au bout de seulement deux sonneries, une voix a répondu.

— Allô ? C'est qui ?

Un frisson de malaise m'a parcouru la colonne vertébrale. Oh non, je me retrouvais dans une situation encore plus gênante que celle que je croyais.

— Euh... Je suis une amie de Cam, tu peux me le passer ? Dis-lui que c'est Alya.

— T'es quel type d'amie au juste ? a repris la fille, d'un ton méfiant.

J'ai soudain eu très envie de vomir. Surtout que mes parents ne me quittaient pas des yeux et que tout le monde suivait mon échange avec une attention redoublée.

— Euh... je... je suis...

Bon sang, voilà que je me mettais à bégayer ! Je nageais en plein cauchemar. Ma nausée est montée d'un cran, un voile de transpiration a glissé sur mon dos et, alors que j'allais faire un truc débile, du genre jeter mon téléphone dans ma tasse afin de trouver une excuse pour raccrocher ou crier : « je ne couche pas avec lui » devant mes parents, la voix de Cameron a résonné à l'autre bout du fil, me calmant immédiatement.

— Non mais d'où tu réponds à ma place, toi ?

— C'est une fille, t'as des trucs à cacher Cam.

Apparemment, la nouvelle conquête de mon ami n'avait pas reçu la permission de lui donner ce surnom, vu le ton mielleux qu'elle avait employé pour le prononcer. Merde, dans quel piège m'étais-je embusquée ?

— Putain, Grace, arrête de te faire des films. Puis je te signale qu'on n'est pas ensemble. Maintenant, passe-moi le téléphone.

S'en est suivi une dispute que j'ai pu suivre en direct et où mes joues ont littéralement viré au rouge pivoine lorsqu'enfin, Cameron a répondu :

— Allô ? Qui est l'adorable créature qui a osé m'appeler Cam alors que j'étais avec mon plan cul ?

Son ton innocent – et clairement provocateur envers Grace – m'a fait sourire.

— Calme toi, ce n'est que moi.

— Alya ? Mais que me vaut cet agréable plaisir ?

Je me suis mise à triturer ma fourchette. Je n'avais pas prévu qu'il soit occupé et c'était d'autant plus gênant de lui demander de me rejoindre alors que sa conquête semblait particulièrement jalouse.

Pendant un instant, j'ai hésité à mentir mais le poids du regard de toute ma famille m'a ravisée. Prenant mon courage à deux mains, j'ai fini par demander :

— T'es libre ce soir ?

— Pourquoi, tu veux qu'on couche ensemble ?

Je savais qu'il faisait exprès pour énerver la fameuse Grace, hélas, ça me mettait actuellement dans une position TRÈS inconfortable.

— Euh, non, c'est juste qu'il n'y a personne chez moi et que j'habite au milieu du bois où deux personnes se sont fait assassiner récemment. Donc j'aimerais bien éviter de passer la soirée seule, tu vois.

J'avais l'impression de jouer ma causette. C'était ridicule. A ce moment-là, j'ai levé la tête pour fusiller ma mère du regard, histoire de lui faire comprendre que c'était à cause d'elle que j'étais contrainte à me montrer aussi pitoyable.

Cependant, Cameron n'était pas du genre à se moquer des gens, surtout pas de moi, et ce qu'il m'a répondu a réussi à me débarrasser de ce sentiment horrible de malaise :

— Pas de problème, je viens à sept heures et je ramène les capotes !

Quel abruti... Pauvre Grace ! Hélas, ce n'était pas vraiment le moment de clarifier la situation, surtout pas devant mes parents. Aussi, je me suis contentée d'un simple :

— Super, à tout à l'heure alors.

— À tout à l'heure, mon cœur. J'ai hâte de sentir le goût de tes lèvres sur ma langue.

— Cameron, je vais te tuer.

La voix de Grace a émergé dans le fond de la pièce, rugissante de haine.

— Oups, il va falloir que je te laisse, j'ai une harpie à gérer.

Mais quel imbécile.

— C'est ça, ouais. A tout à l'heure.

Puis, sans attendre, j'ai cliqué sur l'icône rouge, fuyant la dispute gênante qui se préparait chez les Lee.

— Alors ? s'est enquis Juliette.

Je n'ai pas pu me retenir de sourire.

— Alors le problème est réglé. Mon ami peut venir.

— Quel est son nom ? a demandé mon père.

Mes lèvres se sont encore plus étirées :

— Cameron Lee.

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