Chapitre 29 - Fleurs et cauchemars
C'est dans une ambiance sinistre que nous avons traversé le bois pour rejoindre la maison. Les policiers avaient accepté de nous laisser passer, entre le flot de badauds rassemblés pour venir voir la victime. Maman avait tenté de faire un détour, pour nous éviter d'être témoin de détails trop morbides, hélas, la jeune fille avait été tuée trop près de chez nous et, même si nous n'avions pas vu son visage, nous avions entraperçu sa silhouette sanglante, se découpant au milieu d'un pentagramme de fleurs blanches.
Nous n'avions rien dit. Tout le monde dans la voiture l'avait vue, et nous avions serré les lèvres, luttant contre l'horreur que cette image, aussi trouble soit-elle, avait éveillé en nous. Ma mère avait les traits fermés, elle s'était enfoncée entre les branches griffues, sur un sentier obscur, tentant par tous les moyens de nous épargner le macabre spectacle sans y parvenir.
Mais ce n'était pas ce qu'il y avait de pire dans cette histoire : bien que nous ne soyons pas passées pile en face du cadavre, j'avais eu le temps d'observer les Ipomées blanches – c'était comme ça que Pepper Shaw avait nommé les fleurs, si ma mémoire était bonne. Et ce que j'avais vu m'avait laissé une terrible sensation de... déjà-vu.
J'étais incapable d'en comprendre la raison, j'avais beau fouiller dans chaque recoin de mon esprit, à la recherche du souvenir convoqué, rien ne me venait. C'était le noir complet. Et pourtant, je savais que je les avais déjà vues quelque part, et que c'était il y avait peu de temps de cela. Ce qui m'épouvantait.
Nous avons fini par arriver à la maison et maman s'est garée à la va-vite. Elle a attrapé les sacs de courses d'un geste distrait et s'est précipitée dans la maison, Juliette et moi sur ses talons.
— Les filles ! Vous en avez mis, du temps ! s'est exclamé mon père depuis la cuisine, où se dégageait une délicieuse odeur de potiron.
Personne n'a pris la peine de lui répondre. Nous jetant sur le canapé, nous avons répété exactement la même scène que cinq jours auparavant et avons allumé la télé pour foncer sur la BCR.
Le visage de Pepper Shaw a illuminé l'écran et c'est sans surprise que nous avons découvert en arrière-plan Silverwood.
— Oh non, a gémi mon père, derrière nous.
Nous ne nous sommes pas retournées, scotchée aux lèvres de la journaliste.
— C'est avec désespoir, aujourd'hui, que Ryneshire déplore une deuxième victime, cinq jours seulement après le meurtre de la petite Amber Wu. Comme pour la jeune fille précédente, Alexandra Collins, 18 ans, a été retrouvée dans maintenant le tristement célèbre bois de Silverwood.
Pepper s'est perdue ensuite en descriptions de la scène de crime et mon attention s'est focalisée sur le nom de la victime : je ne la connaissais pas mais il m'avait suffi de lancer un coup d'œil alentour pour comprendre que le reste de ma famille n'était pas dans la même situation que moi.
Leur réaction ne laissait pas place au doute : Alexandra Collins n'était peut-être pas de Ryneshire même, mais elle faisait partie de son Coven. C'était une sorcière. Et les soupçons de mes parents s'avéraient justes.
— Étant donné que les autorités craignent l'arrivée d'un tueur en série dans notre petite bourgade, un couvre-feu sera établi dès la semaine de la rentrée des classes, afin de protéger les élèves. En attendant, il est conseillé de sortir toujours en groupe et le moins possible.
C'est sur ces paroles déprimantes que nous avons éteint la télévision. Le silence était tellement lourd dans la pièce que ma propre respiration me semblait assourdissante. Nous nous sommes lentement dirigés vers la cuisine et avons trifouillé nos assiettes sans jamais rien ramener à notre bouche.
L'appétit avait déserté la maison depuis bien longtemps.
Après une heure de comédie, les adultes nous ont congédiés pour passer un appel à Nathan et Juliette et moi sommes montées dans notre chambre. Une fois en haut, j'ai attrapé mon téléphone et rédigé un message de détresse à Neven.
J'avais besoin qu'il me réponde, besoin de sa présence. La rentrée était pour lundi, soit dans seulement trois jours. Mais c'était trop long. Beaucoup trop long. J'avais une montagne de questions dans la tête et une chape de plomb sur la poitrine, m'empêchant de respirer.
Pourquoi avais-je l'impression de connaître les Ipomées Blanches ? Telle était ma plus grande interrogation, celle qui me terrorisait. Et si j'étais liée à cette histoire ? Si, d'une façon ou d'une autre, j'avais contribué à attirer ces êtres maléfiques qui faisaient régner la terreur dans tout le village ?
Je ressassais chacun des mots de Neven, au sujet de la communauté de la nuit et de mon éveil, qui pourrait attirer des créatures redoutées. Cependant, s'ils avaient été à ma recherche, je ne vois pas pourquoi ils s'en seraient pris à d'autres.
Tout ça ne collait pas, en tout cas pas pour une personne comme moi, qui ne disposait que de très peu d'informations.
J'ai attendu toute la nuit que Neven me réponde. Malheureusement, la seule vibration ayant agité mon portable était celle du message de Kitty, qui s'assurait que j'allais bien. Je lui ai répondu sans vraiment réfléchir et ai mis rapidement un terme à la conversation, n'ayant pas le cœur à parler d'autre chose que la sorcellerie.
— Alya, tu penses qu'il y a des chances pour que ce soit moi la prochaine ?
La voix tremblante de Juliette m'a ramenée à la réalité. Lorsque j'ai relevé la tête, j'ai rencontré son regard tourmenté et tous mes problèmes se sont envolés, mon attention se focalisant sur ma cousine qui frissonnait d'angoisse.
Sans hésiter, je me suis levée pour la rejoindre sur son lit, faisant grincer les lattes du sommier.
— Bien sûr que non, Ju. Tu ne seras pas la prochaine.
Je l'ai attrapée doucement et l'ai serrée dans mes bras, lui caressant tendrement le dos pour tenter de la rassurer. Ne pouvant plus résister, ses nerfs ont lâché et elle a éclaté de sanglots.
— Mais c'est horrible, Alya. Deux filles sont mortes, en cinq jours et à quelques mètres de chez nous ! QUELQUES MÈTRES ! Qu'est-ce qui nous attend ? On est sûrement les plus exposés de toute la région...
La peur m'a griffé le cœur en l'entendant parler, mais je ne l'ai pas laissée m'envahir. J'ai lutté pour garder la tête froide. Juliette avait besoin d'une personne responsable, d'une personne qui serait capable de la réconforter, pas d'une pauvre idiote prête à l'enfoncer.
Prenant une profonde inspiration, j'ai repris :
— On est peut-être la maison la plus exposée de la région, mais n'oublie pas qu'il y a sous notre toit la sorcière la plus puissante de la région, Ju. Maman te protègera coûte que coûte et tu sais qu'elle ne laissera jamais rien t'arriver. C'est juste inimaginable pour elle.
C'était la vérité, je ne mentais pas. J'étais peut-être inquiète pour les jeunes sorcières de Ryneshire, mais j'étais presque sûre que Juliette était la plus en sécurité. J'avais une foi totale en ma mère. Elle nous avait prouvé par bien des manières combien son pouvoir était sans limites.
— Tu es sûre ? a demandé Juliette entre deux sanglots.
Je l'ai comprimée contre mon torse, cherchant à la préserver du monde extérieur.
— J'en suis persuadée, ai-je chuchoté à son oreille.
Et c'est sur ses douces paroles qu'elle a fini par s'endormir, appuyée sur moi. Ayant trop peur de la réveiller, je me suis allongée sur son lit, l'entraînant avec moi et suis restée là, nous recouvrant du duvet posé au bout du lit.
Le temps s'est écoulé dans une lenteur accablante et je ne me suis pas rendu compte du moment où je plongeais dans mes rêves. Pourtant, rapidement, j'ai perdu pied.
***
— Ma petite sorcière, je commence vraiment à m'impatienter.
J'ai cligné des yeux et c'est sans surprise que j'ai pu discerner, au fond du champ de fleurs, la silhouette écarlate de la dame au sari. J'ai serré les lèvres. Je ne voulais pas la voir, je ne me sentais pas en sécurité dans ce champ qui, par deux fois, m'avait engloutie.
— Tu ne veux décidément pas venir... Pourtant, j'ai des réponses à tes questions.
Sa voix a traversé les fleurs, caressé leurs pétales pour venir chatouiller mes oreilles. Mes sourcils se sont haussés sous le coup de la curiosité ?
— Que voulez-vous dire ?
Étrangement, mon timbre a sonné trop grave, presque faux, comme si ce n'était pas la bonne voix, comme si le corps qui m'abritait ne m'appartenait pas. Prise de panique, j'ai baissé les yeux et découvert mes bras, rongés par l'obscurité.
— Qu'est-ce qui m'arrive ? ai-je soufflé, terrorisée, est-ce que je disparais ?
J'ai enfin compris ce qui m'avait dérangée quand j'avais parlé : mon ton était faible, bas, on aurait dit un chuchotement, un râle. La dame au sari a froncé les sourcils.
— Comment cela se fait-il ?
Sa question, sèche et énervée, a fait plier la tige de certaines fleurs autour d'elle. Mon cœur a manqué un battement. J'ai eu envie de fuir mais mes pieds sont restés ancrés dans la terre. Quand j'ai tourné la tête, cette fois, j'ai compris que c'était bel et bien le cas : mes chaussures avaient disparu sous une masse noirâtre et informe, une sorte de vase.
Ma respiration s'est coincée dans ma gorge et j'ai essayé de bouger mais cela n'a servi à rien.
— Tu es plus protégée que tu n'en as l'air petite sorcière... où te caches-tu ?
Je n'ai pas relevé, trop effrayée par ce qui m'arrivait. Je me suis mise à trembler de tout mon corps, me suis accroupie, cherchant une prise pour me libérer.
— J'ai dit où te caches-tu ? a répété la femme si fort que j'ai chancelé.
Mais je ne me suis pas tournée vers elle. Soudain, un réflexe bizarre m'a soufflé de m'allonger. J'aurais dû faire l'inverse, éviter de me faire aspirer par cette terre vivante qui me dévorait déjà les pieds, pourtant, j'ai écouté mon instinct.
— Lève la tête, que je te vois.
J'ai poussé un cri de stupeur : soudain, la voix de la dame au sari n'était plus qu'à quelques centimètres de mon oreille. Cependant, je n'ai pas obéi. Je ne sais pas pourquoi, mais je sentais que je ne devais dévoiler mon identité sous aucun prétexte. Repoussant la crainte qui m'envahissait à l'idée de plonger dans la vase, je me suis bouché le nez et sans attendre, je me suis écroulée de tout mon long.
— Non !
Le hurlement de la femme s'est répercuté dans le ciel pour revenir en flèche et me pousser dans le vide, faisant exploser mon cerveau. J'ai tenté de crier, moi aussi, mais c'était trop tard : la boue s'est refermée sur moi et les ténèbres m'ont engloutie.
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Hello les amis !
Voici un petit chapitre pour fêter la nouvelle année !
J'espère qu'elle sera pleine de bonnes surprises et qu'elle réussira à effacer les derniers mois qui n'ont pas été tendres. Je vous souhaite à tous plein de bonnes choses et vous remercie de tout mon coeur de me lire, d'aimer ce que je fais, de commenter et de partager !
2020, comme pour beaucoup d'entre vous, s'est peuplée de certaines grandes déceptions personnelles, de quelques gros échecs et le fait de vous retrouver sur Wattpad m'aide à croire de nouveau en mes écrits !
Je vous envoie toute mon énergie et tout mon courage pour 2021 et vous souhaite le meilleur,
Bonne année !
Baci, Ellecey
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